« Oh mon dieu, s’écria Léna en refermant la porte, on se caille dehors ! Regardez-moi ça, je suis trempée jusqu’aux os ! »
Voyant l’étrange façon dont ses camarades de classe la fixaient, elle demanda :
« Ben quoi ? Qu’est-ce que j’ai ? Et pourquoi Karen donne l’impression d’avoir pleuré ?
- Karen est sensible, répondit Victor, et lorsqu’elle a vu un loup dépecé dont le sang coulait encore, elle ne l’a pas supporté.
- Il y a des loups ici ?
- Non...mais dans le jardin du château il y en a un.
- C’est trop flippant ! Bon, on va manger ? J’ai trop faim, je pourrais manger un loup...non, je rigole ! »
Victor et Jenny échangèrent un regard outré : comment pouvait-elle manger alors qu’elle savait qu’il y avait un loup dépecé dont le corps était encore chaud à moins d’un kilomètre de là ?!
Le petit groupe se dirigea vers la salle la plus proche, il s’agissait de la salle de réception, une salle large et haute où étaient très certainement organisés les bals. Il n’y avait aucun meuble, mais des toiles d’araignées pendaient du plafond, mesurant parfois un mètre au total. Les tapis et les rideaux étaient aussi poussiéreux que si on les avait laissé moisir ici des siècles durant, même s’il y avait eu d’autres propriétaires, on jurerait qu’ils n’avaient jamais fait le ménage.
Les quatre, tous d’accord, décidèrent de dîner dans cette pièce. Aucun ne laissait paraître sa peur, ils voulaient tous avoir l’air d’être le plus courageux (ou la plus courageuse), mais il était évident que s’ils s’étaient installés dans cette salle, c’était uniquement parce que la sortie était à côté. Ils n’auraient jamais osé parcourir les deux cents mètres de couloirs lugubres qui les séparaient de l’extrémité opposée du château, mais aucun ne voulait l’admettre.
Dehors, la pluie cessait peu à peu de tomber, laissant place à la pleine lune qui, même si elle baignait le jardin d’une lumière douce et rassurante, les inquiétait : la pleine lune signifiait pour eux les loups-garous, et même si aucun ne croyait à cette légende, la pleine lune leur évoquait surtout le malheur, la tristesse, et la peur.
Tous avaient allumés leur lampe torche, et tandis qu’ils mangeaient leur dîner, de simples sandwiches, ils se tournaient et pointaient le faisceau de la lampe un peu partout, comme pour s’assurer qu’ils étaient vraiment seuls.
L’un des rideaux se mit à bouger. Léna le vit la première et susurra :
« Ce rideau bouge...
- Bien sûr qu’il bouge, soupire Victor, dehors il y a beaucoup de vent et...
- Tu en sens, toi, du vent ? En ce moment ?
- Non.
- Alors...qu’est-ce ?
- Tu sais, la salle est si grande que je suis sûr que si tu te lèves et que tu bouges un peu, tu trouveras d’où vient ce courant d’air. Vas-y, va visiter. »
Il l’invita à se lever, certain qu’elle n’oserait pas le faire.
« D’accord, dit-elle bravement. Surveille mon dîner, je ne tiens pas à voir un vers dedans quand je le mangerai.
- Comme tu veux... »
Les trois amis étaient étonnés de la réaction de Léna qui semblait plus peureuse qu’elle ne l’était vraiment.
La jeune fille se leva et, tenant sa lampe dans une main et un couteau dans l’autre, elle se balada un peu dans la pièce. Elle s’arrêtait de temps à autres, puis repartait juste après. La salle était si grande que lorsqu’elle arriva au bout, ses compagnons voyaient une fille de dix centimètres au plus.
« Il n’y a rien, s’exclama-t-elle alors. Pas un seul coup de vent !
- Va voir vers le rideau, reprend Victor, c’est sûrement la fenêtre qui est cassée. »
Toujours aussi brave, la jeune fille s’approcha du rideau. Elle le tira puis se pencha un peu. Elle dirigea le faisceau de sa lampe derrière le large bout de tissus rouge, haut de près de cinq mètres, et observa un instant ce qui se trouvait derrière.
« Toujours rien, s’exclame-t-elle.
- Alors c’est un courant d’air qui vient de plus haut, lâcha Victor énervé, maintenant revient, c’est mieux de rester ensemble. »
Mais Léna poussa tout à coup un cri strident avant de disparaître derrière le rideau.