[ Le Grotadmorv ]

— … je ne pensais pas te revoir si tôt !
— Moi non plus à vrai dire...
— Chef, quel est cet endroit ?!

Miya dévisagea longuement le fameux « Suzerain des égouts », alias Rosalie Koratta. La blonde était désormais vêtue d'immonde guenilles rapiécées au lieu de son élégante robe rouge et noir. Sofian assuma qu'elle ne devait la porter qu'en présence d'invité. D'ailleurs, Rosalie était sur le point d'aller chercher sa robe lorsque Sofian l'arrêta.

— Inutile, déclara t-il. Nous sommes juste de passage...
— … oh ? s'étonna Rosalie.
— Tu disais connaître les lieux comme ta poche, n'est-ce pas ?
— Bien sûr ! proclama fièrement le Suzerain. Je passe toute ma vie à glander ici, un peu que je connais l'endroit !
— Intéressant..., feignit Sofian. Tu as sans doute croisé un Grotadmorv géant non ? Nous le recherchons...

À l'entente de ce nom, le visage de Rosalie prit une teinte méfiante.

— … qu'est-ce que tu veux à mon papa ?
— …
— …
— … euh..., hésita Sofian. J'ai... j'ai bien peur qu'on ne se soit pas compris ! Je recherche un Grotadmorv géant...
— Bah c'est ce que je disais ! insista Rosalie de la manière la plus naturelle du monde.
— Chef..., intervint une rousse à couette. Cette femme fait peur à Miya...
— À moi aussi..., admit fébrilement Sofian. Surtout ne nous approchons pas trop d'elle...

Miya acquiesça vivement. Ce qui ne fut pas du goût de Rosalie qui pointa, non sans une certaine vigueur, un doigt accusateur vers la rousse.

— Hé ! Ne m'insultez pas ! Et je suis un homme d'abord, ça ne se voit pas ?! Et puis, qu'est-ce qu'il y a de bizarre d'avoir un Grotadmorv comme papa ?!
— … on doit répondre ?
— Non Miya, recula légèrement Sofian. Surtout, ne tombe pas dans son jeu ! Qui sait où est-ce que cela nous mènera... ?
— Giiih ! rougit furieusement Rosalie. Ne parlez pas de moi comme si j'étais une bête curieuse ! Je suis un garçon tout à fait normal, vivant de façon tout à fait normal, avec une famille tout à fait normal !

Sofian serra les dents. Finalement, tout espoir d'engager une conversation normale avec le Suzerain des égouts était vain. Cependant, Rosalie semblait connaître ce Grotadmorv, voir même un peu plus que ça...

— Ehm..., toussota Sofian avant de tenter de calmer le jeu. Admettons... et tu sais où on peut le trouver ce Grotad... enfin... ton père ?
— Évidement ! lâcha suspicieusement Rosalie. Mais ça ne répond pas à ma question ! Qu'est-ce que vous lui voulez tout les deux ? Il est de mon devoir de fils aîné de protéger le patriarche !
— …. «  j'imagine que lui dire que je veux prélever un peu de son corps n'est pas une bonne idée... »
— Alors ?!
— … «  Argh ! Je ne sais pas quoi dire, il est temps d’enclencher la technique ultime ! » Assistante N°4 ! tonna Sofian. Pourquoi veut-on trouver ce Grotadmorv encore ? J'ai euh... oublié !
— Pour le buter et prendre une partie de son corps chef !
— ….
— Nyah ? Miya s'est trompée ?
— Non non.., admit tristement Sofian. J'espérais juste que tu le dirais d'une autre manière...
— QUOI ?! recula vivement Rosalie. P-pourquoi ?! …. Non ! Je ne vous laisserais jamais faire du mal à mon papa ! Brutus, à l'attaque !!
— Noooon ! Laisse-moi t'expliquer !!

***

— Et... et voilà toute l'histoire...

Complètement épuisé, Sofian finit de raconter tous les événements précédents, incluant le mystérieux magasin de bonbon et la perte de mémoire d'Ilyana.

— … je vois... réfléchit Rosalie.
— C'est pour cela que nous avons besoin de ce Grotadm... enfin de ton papa...
— Je comprends la situation, acquiesça le Suzerain. Mais je crains que mon papa ne soit pas disposé à vous recevoir.
— … mais c'est urgent ! insista Sofian. Si l'on ne se dépêche pas, Ilyana risque — enfin, selon Acène — de souffrir !
— Mmmh..., souffla Rosalie. Disons que papa n'a pas que des bons souvenirs avec les humains...
— …. rassure-moi, tu... tu es un être humain... non ?

Rosalie plissa les yeux, comme courroucée.

— Bien sûr que oui ! Tu pensais que j'étais quoi ?!
— Oh... c'était juste pour confirmer... mais euh... ton papa... il s'entend bien avec toi ?
— Bah oui ! C'est mon papa, quoi de plus normal ! ?!
— Je serais tenté de dire pleins de choses mais bon... oserais-je demander pourquoi il déteste les humains alors, si sa fille... est une humaine ?
— JE. SUIS. UN. HOMME ! gronda férocement Rosalie.
— Certes... et puis, je ne connais pas grand-chose à ces choses là mais... si ton père un Grotadmorv... et que tu es une...euh... un humain... euh comment dire... en ce qui concerne ta mère … ?
— Je n'ai pas de mère, affirma t-elle sans sourciller.
— Mais oui, suis-je bête...
— Ceci dit, songea Rosalie. C'est pour aider quelqu'un d'autre... Soit, je vais vous accompagner jusqu'à lui. Mais je vous préviens, il a un peu peur des étrangers...


***

Sofian, Miya et Rosalie marchèrent de longues minutes dans les égouts, et si Sofian et Miya étaient totalement paumés, en plus d'être complètement sonnés par la puanteur des lieux. Ce n'était visiblement pas le cas du Suzerain qui marchait presque les yeux fermés en se payant même le luxe de faire un joyeux « top-là » avec tous les Tadmorv qu'elle croisait. Cela intrigua un moment Sofian qui jugea finalement qu'il ne fallait pas trop se poser de questions.
Finalement le trio arriva dans une autre pièce circulaire, à l'image de la « chambre » de Rosalie, sauf que celle-ci était entièrement plongé dans au moins 5 cm d'eau putride. D'étranges dépôts verdâtres flottaient à la surface, les murs étaient recouvert d'une sorte de grosse masse violacée qui semblait dégouliner à l'infinie... bref, un vrai petit coin de paradis.

— Beuark..., geignit Sofian.
— Miya n'aime pas cet endroit...
— Ah ! sourit Rosalie. Ce lieu est toujours aussi magnifique !

Les deux lycéens la toisèrent fortement.

— … bah quoi ? s'étonna t-elle.

Soudain l'eau vaseuse trembla brusquement, les résidus flottants se réunirent en un seul point, et se mirent à grossir, grossir, grossir, jusqu'à former une immonde entité de quatre mètres de haut dont la surface de la peau éructait quelques fois dans des sortes de projections purulentes . Et tandis que Sofian et Miya manquèrent de vomir le tréfonds de leur âme...

— PAPAA !!

Rosalie sautilla joyeusement vers la créature géante. Créature qui émit d'ailleurs un étrange grognement mélodieux avant d'étreindre le Suzerain des égouts de ses colossaux bras de morves.

— Chef..., geignit Miya.
— Je sais, fit ce dernier, je sais... tentons d'être ouvert d'esprit, c'est juste la réunion entre un père et sa fille... même si le dit-père est constitué de morve gluante et mesure 4 mètres de haut et que la fille se prend pour un homme maître des égouts...
— Vous êtes tellement tolérant chef !
— En tout cas, tenta Sofian de faire abstraction, il ressemble vachement au Grotadmorv qui a attaqué Ilyana, en bien meilleur forme cependant.

Soudain, le regard du monstre violet croisa celui du brun. Son expression morveuse passa instantanément de la joie à l'effroi totale.

— …. «  Zut, songea Sofian. En dirait qu'il m'a reconnu... »
— Calme toi, Papa ! tenta Rosalie. Ils sont avec moi...


Mais le Grotadmorv ne voulu rien entendre. Toujours terrifié, il reposa sa « fille » au sol et émit quelques grognements. La blonde hocha la tête.

— Mmh, mmh... tu étais en train de te faire ta promenade... et puis tu as vu une humaine... tu as pris peur... puis elle t'a sauvagement attaqué... mais tu as réussis à fuir au dernier moment... et tu dis que cet humain l'accompagnait ?!

Rosalie se tourna vers Sofian, accusatrice.

— Qu'est-ce que cela signifie ?!
— Hééé ! protesta t-il. Ce n'est pas la version que j'ai ! Selon Ilyana, c'est votre gros papa qui est tombé sur elle ! Et elle a été blessée ! Mon assistante ici présente peu en témoigner !

Cette fois ci, Rosalie se tourna vers son « papa ».

— C'est vrai ?!

Le Grotadmorv sembla contrarié et aplatie un peu sur lui-même. Avant de se confesser en un grognement.

— …. je vois..., souffla Rosalie. Elle était si petite que tu pensais que c'était un de tes amis Tadmorv... tu voulais lui faire une blague mais...

Sofian plissa les yeux. C'était donc ça la vérité ? Quelque chose en lui somma de tout faire pour qu'Ilyana ne l’apprenne jamais. Rosalie soupira gravement.

— Rholalaa, Papa... toujours à faire des bêtises ! Comment veux-tu améliorer tes rapports avec les humains si tu les sautes dessus ?!

Honteux, le gros tas s'aplatit encore plus. C'était assez impressionnant de voir cette horreur sauvage de la nature se plier devant une frêle humaine, finalement, peut-être que son titre de « Suzerain des égouts » n'était pas usurpé...

— Écoute, ces humains sont venue prélever un peu de … euh... ton corps, pour faire une sorte de remède à une de leur amie, la même que tu as blessée précédemment ! En temps normal je ne serais pas trop pour, mais là, je ne peux pas dire non, et toi non plus ! Compris ?!

Son « papa » était maintenant tellement ratatiné qu'il se confondait avec l'eau putride des lieux. Mais cela ne l’empêcha pas d’émettre un petit grognement compréhensif.

— A la bonne heure ! grommela une Rosalie mi-courroucée et mi-soulagée. C'est bon vous autre, vous pouvez y allez !
— …. y aller ? hésita Sofian.
— Bah oui, vous vouliez bien prendre une partie de sa morve non ?
— Certes mais... pourquoi tu ne le fais pas toi ? Tu … sembles la mieux approprié pour ce genre de truc, non ?
— Hé ! protesta le Suzerain. Nan mais ça va pas ? Je ne vais quand même pas trifouiller avec le corps de mon propre papa pour en retirer une substance bizarre quand même !
— …. mmmh, cela me semble légitime.... je crois...

Sofian souffla un bon coup et se tourna vers Miya, mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit...

— Miya refuse chef ! balaya-t-elle t-elle catégoriquement.
— Maiiiis euuuuh, geignit Sofian. Je pensais que tu étais prête à tout faire pour moi !!
— Il y a quand même des limites chef !
— Traîtresse !
— Ne dites pas ça ! Voyez les choses du bon côté !
— … il y a un bon côté à trifouiller un Grotadmorv … ?
— Mais oui ! assura la rousse. Vous serez celui qui a le plus mis la main à la patte afin de sauver Ilyana ! Celui que n'hésite pas à surmonter les pires supplices pour atteindre son idéal de paix et de justice ! Vous serez un Héros chef, non un Super-Héros !
— … !! s'illumina Sofian. Mais oui tu as raison ! Il est de ma responsabilité de le faire après tout, en tant que digne Héros du Super-Club de recherche Ultra-paranormale !
— Exactement chef !
— HAHAHA ! tonna Sofian à pleine dent. Je sens que ma motivation s'enflamme ! Recule, assistance N°3 ! Moi, Sofian Aaken, va démontrer l'étendu de sa puissance !!

Et ce fut le pas confiant et fier que Sofian s'avança vers le Grotadmorv géant, le tout, sous le regard inquiet de Rosalie et les encouragements de pom-pom-girl de Miya.
Cependant, à fur et à mesure que le la distance entre lui et le monstre se réduisait, Sofian sentit sa confiance fondre, sans vraiment qu'il ne sache pourquoi. Peut-être que la vue d'un tas énorme de morves putrides, purulentes et vivantes de quatre mètres, muni d'un visage avait de quoi rebuter les esprits les plus courageux.

— Gasp...

Sofian s'arrêta à trente centimètres du Pokémon. Jamais il n'avait eu autant l'envie de vomir le fondement même de son existence tant l'odeur était ignoble. Il avait bien essayé de retenir sa respiration, mais les effluves mortelles s'infiltrait insidieusement dans chaque pore de son corps, rendant ainsi toutes tentatives de résistance futiles. Le brun se rendit compte qu'il ne pourrait pas survivre à cela trop longtemps, alors, sans état d'âme, il arma son bras et le dirigea vers le Grotadmorv.

— Grrr...
— … !

Cependant, à peine Sofian eut-il effleuré la surface gluante du Pokémon, que ce dernier émit un étrange grognement sourd. Surpris, Sofian se pétrifia et regarda longuement Rosalie l'air de demander «  Mais qu'est-ce qu'il se passe ?! »

— Ehm..., comprit Rosalie. Papa est un peu chatouilleux en fait... prends ce que t'intéresse rapidement s'il te plaît...

« Fausse alerte » pensa alors Sofian. Il se retourna vers le géant de morve et plongea réellement sa main dans son corps, sans prendre en compte ses grognements.
Sofian geignit intensément. L'épaisse masse nauséabonde lui brûlait la main, il pouvait presque sentir sa peau se putréfier peu à peu. Prit de panique, Sofian tenta de récupérer un peu de matière organique mais... celle-ci glissait entre ses doigts, insaisissable.
Alors, Sofian plongea son bras plus profondément encore, dans l'espoir de trouver de la morve un peu plus solide que celle en surface. Et au fur et à mesure qu'il trifouillait vainement le corps putride, le Grotadmorv émettait de plus en plus de gémissements sourds de plus en plus long et incontrôlés...

«  …. !! »

Soudain, la main de Sofian toucha une sorte de matière moins liquide que le reste, sans demander son reste, il l'empoigna avec ferveur et retira entièrement son bras d'un coup brusque, le précieux sésame entre ses doigts. Puis, il sortit de sa poche un bocal qu'Acène lui avait précédemment donnée et y stocka son trésor, avant de s'éloigner d'un bon kilomètre de l'abomination puante.

— En...enfin..., souffla Sofian. J'ai cru que j'allais fondre...

Mais ce fut alors qu'il le remarqua. Rosalie et Miya le toisaient intensément avec de gros yeux ronds. Puis, un gros « plouf » se fit entendre : le Grotadmorv venait de s'écrouler au sol mais le plus surprenant était sans doute son étrange couleur rosée et son expression de béatitude.

— C-chef..., hésita la rousse à couette.
— T-toi ! accusa Rosalie. Nan mais tu n'as pas honte !!
— Quoi ?! s'offusqua Sofian qui ne comprenait rien du tout.
— In-in..., bafouilla la blonde, … introduire comme ça.. ton gros membre.... dans mon papa... le trifouiller de l'intérieur... aussi violemment...
— En plus..., renchérit faiblement Miya, le Grotadmorv avait l'air d'apprécier... avec tous ses gémissements... oh chef, Miya aussi faut que vous lui trifouiller son intérieur !
— Hééé ! cria Sofian. STOP ! Je pige plus rien là, mais j'ai l'étrange impression qu'il y a comme un malent...

Soudain, un long grognement rassasié se fit entendre dans la direction du Grotadmorv, désormais entièrement rose et l'air totalement absent.

— Papa..., geignit Rosalie, … j'espère que tu ne vas pas nous pondre un œuf...
— Nyaaah ! s'enflamma Miya. Miya est jalouse ! Miya aussi veut atteindre le 7ème ciel avec vous chef !
— Hé bien, atteints le toute seule ! rétorqua vivement Sofian. Raaaah ! C'est bon on a fini de faire ce que l'on avait à faire ! On y va maintenant, assistante N°4 ! Au trot !

Sur ce, Sofian s'enfuit vivement.

— Nyaaah ! Attendez-moi chef !

***


« …. je me sens étrangement sale... brrr... allez, Sofian, dis toi que tout ça c'est pour Ilyana... plus que le Suc Digestif du Rafflesia... »


Le Rafflesia