Le temps
Éternelle limite


"Comment se porte le patient 153 ?"

"Il montre des signes évidents de perturbation, voire de la paranoïa. Nous attendons les résultats du laboratoire."

"Bien. Vous a-t-il parlé ?"

"Non. Enfin … pas de manière claire. Il répète le même mot en boucle : « Temps ». Je ne sais pas ce que cela signifie, je pense que lui non plus ne sait pas ce qu'il dit …"

"Continuez dans cette voie, nous devons savoir qui il est, les médias ne cessent pas de nous questionner."

"Bien sûr."

La directrice, perchée sur ses hauts talons, partit du bâtiment en faisant claquer le carrelage sous son imposante carrure. Les entrées, les sorties, on ne pouvait qu’envier des yeux cette femme qui avait su parfaire sa réputation dans ce centre de recherche pour comportements inhabituels. Des fous, comme certains les appelaient. Rebecca, une brillante psychiatre, ne les avait jamais considérés comme tels. Cette jeune femme cherchait à en apprendre plus de leur comportement, pour les aider, pour les soulager, pour les rendre aimés. Cependant le dernier admis de l’institut constituait un mystère pour la scientifique, le patient 153. Heureusement les mystères tendent à se dissiper pour laisser place à la vérité.

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Posant sa main sur la poignée de la porte, Rebecca entra dans la pièce. Elle n’était assurément pas spacieuse, mais il s’agissait du lieu favoris de la jeune femme : la salle de consultation, une connexion avec ses patients. La décoration ne constituait pas le point fort de cet endroit, le bleu des murs avait le mal de mer, celui du plafond contrastait avec le vert du sol. En résumé, il s’agissait d’une clinique.

"Bonjour Adam !"

Ceci était son prénom, ou plutôt celui qu’on lui avait attribué. L’utilisation d’un prénom permettait de montrer son affection, de mettre l’autre en confiance. Se sentir à l’aise était un premier pas vers le rétablissement. Seulement lorsque qu'un sentiment partagé de sécurité sera mis en place, le dialogue deviendra plus agréable, pour le soigneur comme pour le soigné.

Adam venait de s’assoir sur la chaise longue en face de Rebecca. Il ne s’allongeait jamais ici. Une phobie ? De ses yeux rassurants, elle le regardait, elle l’observait. Il bougeait, il se mouvait. Son corps était régulièrement pris de spasmes, de tics et d’innombrables mouvements parasitaires. Rebecca avait peine pour lui, il semblait perdu comme si il n’appartenait pas à ce monde. Peut être était-ce lui qui ne l’acceptait pas ?

Rebecca s’approcha de son patient et s’assit à ses côtés en lui prenant les mains. Elle savait que cela l’apaisait, alors elle caressait doucement ses paumes à l’aide de ses doigts fins, lentement et avec attention.

"Adam comment allez vous aujourd’hui ?"

Le silence prit place dans la salle. Il ne répondait qu’à certaines questions, ignorant les autres. Personne ne comprenait cette attitude atypique , mais Rebecca avait appris à connaître les interrogations auxquelles il montrait une attention.

"Adam, savez vous où vous êtes ?"

"Ou … oui ! An .. anne … années … après !"

Sa voix tremblait, bégayait, suivait une ligne discontinue de mots variés. Rebecca ne comprit pas ce qu’il disait, mais elle aimait l’entendre parler, cela était encourageant. Beaucoup de ses patients ne disaient pas un seul mot. Ils se terraient dans l’isolement, dans la pénombre. Adam était différent, elle le sentait.

Soudain, le jeune homme se leva, et prenant de l’élan il parcouru la salle sur ses jambes fébriles, ne s’arrêtant pas, avec seul le mur pour freiner son mouvement. La tête encaissa tout le choc, ainsi Adam se recroquevilla sur lui-même, tenant son crâne douloureux entre ses mains.

"te … temps … temps … TEMPS !!"

Ce mot prenait de plus en plus d’ampleur entre les lèvres du patient. Rebecca, paniquée appela les infirmiers.

"Une nouvelle crise …"

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Dossier n°153 – Adam

Le patient 153 est le plus mystérieux que nous allions recensé jusqu’à aujourd’hui. Nous l’avons retrouvé nu, au milieu d’une route dans une nuit sans étoiles. Des conducteurs passant par là, des petits malins, on filmé cet homme étrange, certainement pour faire le buzz, ainsi lorsque nous avons vu la vidéo nous sommes arrivés. Le moins banal fut quand nous avons interrogé les témoins, ceux qui avaient vu ce que cet homme seul faisait ici dans cet état. Personne ne nous croira jamais. De la science-fiction ! En faite, il n’y à que moi à l’institut qui pense que cet histoire est vrai. Les témoins disent avoir décerné une "grande boule d’énergie" se former avant de disparaître pour laisser place à un homme nu. Voilà pourquoi je l’ai appelé Adam. Déchu du paradis ? Dieu qu’il est sexy !

Nous avons détecté plusieurs problèmes chez cet homme. Troubles du langage, du comportement, il n’arrive pas à ce concentrer et est très faible physiquement. Il semble comme lobotomisé … Nous essayons donc de savoir qui il est, il n'apparaît dans aucune base de données. J’ai l’impression qu’il essaie de nous parler, de nous avertir. Les autres disent que je m’attache trop à lui, que je donne du sens à ce qui en est dénué. Mais je reste persuadée de mes impressions. Cet homme est important.


Rebecca, tournant sur sa chaise mobile, relit attentivement ces quelques mots qu’elle allait ajouter au dossier d’Adam. Elle en avait fait en quelque sorte son journal intime, chose qui ne plaira certainement pas à l’administration. Tant pis pour eux. Il s’agissait d’Adam !

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Mes yeux, mes yeux me font mal. Ma tête aussi, et mes oreilles. Oui, mes oreilles ! Du bruit, des grésillements, des tambours. Mes pensées sont vides de chronologie. De sens. Est-ce que je pense ? Oui … le brouillard … mes souvenirs, embués. Suis-je mort ? Non, je pense, je pense ! Le contrôle, se contrôler, elle le dit, elle le répète. Je vois. Je vois du blanc, de la lumière, je vois des formes. Non, je suis vivant. Parler ! Oui, il faut parler … Ma mission. Temps ! Temps ! Temps ! Il avance, le temps. Il avancera toujours, il est éternel. Il recule ? Moi … moi … temps … Reculer. Revenir. Sauver ! Sauver le monde, sauver les hommes, et sauver les arbres. Le temps. Cruel. Immonde. Diabolique. Il m’a tué, blessé, torturé. Mes yeux, mes yeux me font mal.

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Rebecca vînt sa placer devant le hublot vitré de la chambre d'Adam. Il dormait, bougeant sans arrêt. Elle eu peine pour lui, une larme coula le long de sa joue mais sa main arrêta sa course. Essayant de calmer sa respiration, la jeune femme entra dans la salle sans toquer. Elle hésita à la réveiller, il avait l'air de faire un mauvais rêve, mais elle ne fit rien lorsqu'elle entendit qu'il parlait dans son sommeil. Elle se concentra sur ses mots. Elle fut tout d'abord surprise de voir que pour la première fois elle comprenait tout ce qu'il disait.

"Je dois y aller, il n'y a que moi qui peut le faire ... Je sais ce qui risque d'arriver, mais je ferai tout pour qu'on me comprenne ... Oui, c'est un sacrifice mais nous n'avons pas le choix, l'heure est grave. Je n'ai pas peur. Je dois remonter le temps, pour les prévenir."

La jeune femme était maintenant à côté d'Adam, accroupie pour mieux l'entendre. Son coeur battait à une vitesse élevée, dangereuse. Elle resta figée devant ces paroles, si bien qu'elle n'écouta pas le reste. Tout se bousculait dans sa tête, elle n'arriverait pas à penser de manière fluide et logique. Soudain, Adam attrapa fermement le col de Rebecca, l'attirant vers lui, il parla, toujours dans son sommeil.

"Il faut les empêcher de recueillir l'enfant."

Les yeux écarquillés, apeurée par ce qu'il venait de se passer, elle sortit de la chambre à vive allure pour aller s'affaler sur le siège de son bureau. Elle sentait son coeur soulever sa poitrine à un rythme effréné. Elle savait que ce n'était pas un simple rêve pour Adam, jamais elle ne l'avait vu comme cela. Il s'agissait de bien plus, d'un souvenir enfoui au fond de lui. En quelques minutes, elle avait appris bien plus que pendant tous ces jours. Adam viendrait du futur ? Pour les prévenir d'un danger ?

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Rebecca cherchait dans la base de données de la clinique, le lendemain de sa découverte sur Adam. Elle tapa d'abord les mots "Voyage dans le temps" puis affina sa recherche. Beaucoup de résultats s'affichèrent, mais un retenu son attention. Elle cliqua sur le titre "Guide du voyage dans le temps." Elle lit l'article d'une manière rapide, enchaînant les mots et les phrases. Un certain M.Mautham, un scientifique, aurait découvert un moyen théorique de remonter le temps. Il avait mené plusieurs expériences avec son équipe et des volontaires visiblement fous. Cependant, l'échec fut tel que le scientifique fut contraint de tout arrêter. En effet, en plus du fait que personne ne remonta ou n'avança dans le temps, il fut découvert que les voyages avaient des propriétés néfastes. Le cerveau pouvait difficilement supporter la pression exercée sur lui durant les déplacements dans le temps, cela l'abimait fortement, conduisait la plupart du temps à la mort ou à des traumatismes graves, irréversibles.

La jeune femme relit ces lignes plusieurs fois, tout concordait avec Adam. Il avait remonté le temps, subissant en même temps une lobotomisation. Voilà pourquoi il avait un comportement si étrange, il avait pris de grands risques en venant ici. Il avait donné sa vie, sa santé pour les prévenir d'un danger.

Rebecca sortit de son bureau et emprunta les couloirs en direction de la chambre d'Adam. Elle devait lui parler, pour lui demander pourquoi tout cela et le remercier. Mais lorsqu'elle arriva elle vit un attroupement de personnes, visiblement choquées. Inquiète Rebecca bouscula le personnel pour pouvoir passer, demandant ce qu'il se passait sans que personne n'ose lui répondre. Il fallait qu'elle le voit, qu'elle le touche. Elle se figea brusquement lorsqu'elle comprit la raison de tout ce raffut. Elle sentit ses jambes faiblir sous son corps, elle posa lourdement les genoux au sol et mit son visage entre ses mains. Prise de tremblements, les larmes ne cessaient de couler.

Il était mort. Parti. Du sang, une flaque de sang s'étendait sur le sol clair. Un couteau était planté dans son ventre. Rebecca ne mit pas longtemps à comprendre qui avait fait cela. Il s'était suicidé. Il avait transmit son message, réalisé sa mission et n'avait plus rien à faire ici. Il avait tout planifier, il ne souhaitait pas vivre dans ces conditions, sans sa santé mentale. Il avait laissé cette dernière, l'avait abandonnée à son époque, dans le processus cruel du voyage dans le temps. Cet homme était un héros.

*******

Cela faisait plusieurs semaines que cette histoire était passée. Il avait été compliqué pour Rebecca de reprendre le travail mais elle tenait le coup, elle voulait être forte pour que le sacrifice d'Adam ne soit pas vain. Elle ne comprenait cependant pas de quel danger cet homme était venu les prévenir, et cela la dérangeait. Elle aurait tellement voulu lui demander, le revoir encore une fois. Entendre sa voix. Mais il en avait été autrement et elle devait maintenant découvrir le reste d'elle même. Elle se rappelait ce que lui avait dit Adam, pendant son rêve : "Il faut les empêcher de recueillir l'enfant." Elle avait été tellement surprise par son geste qu'elle n'avait pas réfléchi à ces paroles. Pourtant la clé était là. Elle ne savait pas quoi en penser, tout s'était passé si vite que son esprit ne suivait plus une ligne droite d'idées plausibles. Elle se sentait perdue, divaguant entre le réel et l'impossible. Elle se rattachait à ses convictions, celle d'entendre Adam était la plus grande, la plus belle.

La nuit brillait dans le ciel, entourée d'étoiles créant des points lumineux dans l'obscurité. La lune ne se voyait que peu, laissant place aux autres astres sur la scène. Il était tard lorsque la jeune femme entendit la porte toquer à l'entrée de la clinique. Ce bruit se fit plus régulier, mais personne n'entra. Intriguée, elle se leva puis ouvrit la porte. Elle baissa les yeux et vit un enfant de trois ans seul sur le seuil.

"Que puis-je faire pour toi ?" demanda-t-elle.

"Mes parents m'ont abandonné. J'ai froid dehors."

Maintenant, elle comprenait.