Depuis le bureau extrêmement désordonné de Gitty Daneshvari

Cher Enfant Ordinaire,
Tu n’es pas un enfant ordinaire, dis-tu ? Attends, laisse-moi deviner. Tu as beaucoup de talents, seulement ils sont cachés. Très bien cachés. Si bien cachés, à vrai dire, que tu les cherches encore !
Avant d’aller plus loin, je tiens à m’excuser d’avoir oublié ton prénom. Tu en as un, c’est évident, puisque tout le monde en porte un. Enfin, sauf les chats sauvages, les insectes, les... En fait, la plupart des animaux n’ont pas de prénom. Mais les humains ont tous un prénom, sans exception ! Les fonctionnaires ont tendance à être très maniaques quand les parents remplissent la case « prénom », sur la déclaration de naissance. « Bébé n° 2 », par exemple, ne passe pas (je n’en reviens toujours pas que ma mère ait vraiment voulu m’appeler Bébé n° 2 ! Quelle paresseuse !). Enfin bref, comme je le disais, je connais ton prénom mais là, tout de suite, impossible de me rappeler les lettres qui le composent, et dans quel ordre. Et s’il te plaît, ne commence pas à pester et à soupirer en disant que je t’ai oublié. Je sais exactement qui tu es.
Tu veux que je te le prouve ? D’accord !
Tu es un garçon. Ou une fille. Tu es grand. Ou petit. Ou entre les deux. Tu as deux yeux. Un nez. Une bouche. Et deux oreilles. Tu portes toujours des vêtements. Sauf sous la douche. Tu manges de la nourriture. Tu bois de l’eau. Tu dors.
Impressionnant, pas vrai ? Comment ça, non ? Comment oses-tu dire ça ?!
En fait, en y réfléchissant, je comprends parfaitement. Comme le reste de ma personne, ma mémoire est assez ordinaire. Et si tu as des doutes, jette un coup d’œil à la liste ci-dessous.

Cinq faits ordinaires à propos de Gitty Daneshvari
1. Quand j’étais en cinquième, j’ai fait semblant de jouer de la clarinette pendant tout un semestre. Je sais ce que tu te dis : comment peut-on faire semblant de jouer d’un instrument de musique ? Eh bien, c’est beaucoup plus facile que tu ne l’imagines. Premièrement, je me comportais comme une vraie joueuse de clarinette. Je gardais la tête haute quand je portais mon étui, par exemple. J’intervenais parfois dans des conversations, l’air de rien, pour raconter que j’avais eu un succès fou en improvisant une version de l’hymne national. Quand mes camarades m’ignoraient, je faisais comme si d’autres personnes me répondaient (pour information, je n’ai jamais laissé l’absence d’interlocuteur m’empêcher d’avoir une conversation). Pour ce qui est de la musique proprement dite, je positionnais la clarinette comme il faut, le bec dans la bouche, je gonflais les joues et je bougeais les doigts sur les clés. Sans jamais souffler dedans, en aucun cas. Pourquoi ? Cet instrument produisait un son abominable qui me martyrisait les oreilles. Grinçant. Agressif. Suraigu. Je suis à peu près certaine que c’est parce qu’il m’a entendue m’entraîner à la maison que Spotsy (le chien de mon enfance) m’a attaquée. Les chiens ayant une bien meilleure ouïe que les humains, je ne peux pas lui reprocher cette réaction. Cela a dû être un supplice, pour cette pauvre bête !
2. En quatrième, on a un jour dû courir un kilomètre et demi, en cours d’éducation physique et sportive. Malheureusement, je n’ai réussi à parcourir qu’un centième de cette distance. Combien ça fait, un centième d’un kilomètre et demi ? Quinze mètres. Mais quinze mètres peuvent paraître très longs, surtout quand on a avalé un toast et deux cents grammes de bacon au petit déjeuner. Avec le recul, je me rends compte que ce toast était vraiment une erreur. Bon, d’accord, les deux cents grammes de bacon aussi. Mais ce n’était pas ma faute. Mes parents étaient végétariens, alors quand l’occasion se présentait, il fallait que j’engloutisse le plus de bacon possible, c’est tout. D’où ma course folle sur quinze mètres.
3. Mon père ne sait pas quel jour est mon anniversaire. Et ma mère en a une vague idée (elle sait que c’est en été).
4. J’ai été recalée du Programme d’Enfants Surdoués, à l’école primaire. Je récolte en ce moment de l’argent pour réaliser un documentaire racontant ce que ces enfants « surdoués » sont devenus aujourd’hui !
5. En sixième, un professeur m’a demandé si j’avais été adoptée ; c’était selon lui la seule explication logique au fait qu’une élève aussi peu douée que moi en mathématiques soit de la famille de ma sœur (c’était une bête en maths et en sciences mais je tiens à préciser qu’elle était et est toujours nulle en orthographe !).

Je sais, je sais. Tu ne penses toujours par être ordinaire. Très bien. Dans ce cas, passe donc en revue les onze points suivants. Si moins de deux d’entre eux te concernent, alors d’accord, tu pourrais ne pas être ordinaire. Mais attention, ça ne veut pas dire que tu es extraordinaire ; c’est là une tout autre catégorie !

Top 11* des signes indiquant que tu es peut-être ordinaire
* Pourquoi onze et pas dix ? J’essaie de me faire remarquer !

1. Ta grand-mère t’appelle Fred alors que ton prénom, c’est Betty.
2. Les gens qui te suivent sur Instagram sont tous des spams.
3. Tu réponds à n’importe quel nom, du moment qu’il commence par la même lettre que le tien.
4. Tu es plus doué au morpion qu’aux échecs.
5. Tu trouves que marcher jusqu’à la salle de bain, ça fait de l’exercice.
6. Tu vérifies toujours combien « n » il y a dans « année ».
7. Tu considères que regarder la télévision est une activité comme une autre.
8. Ce que tu préfères, chez les chiens, c’est qu’ils ne t’appellent jamais par un autre prénom que le tien.
9. Tu ris à toutes les blagues que tu entends, même si tu n’en comprends qu’une sur deux.
10. Quand quelqu’un te rentre dedans, tu lui dis : « Tu vois : j’existe ! »
11. Tu ne seras jamais MAPV (Meilleurs Amis Pour la Vie) avec quelqu’un, vise plutôt RPCE (on se Rend Parfois Compte de ton Existence).

Que tu sois ordinaire, extraordinaire ou quelque part entre les deux, mon ami(e)*, tu vas adorer LA LIGUE DES ENFANTS ORDINAIRES ! Je te le garantis !**
* Sans vouloir paraître présomptueuse... on peut être amis ?
** Pour être honnête, je ne peux rien te garantir d’un point de vue juridique.

Cordialement,
Gitty Daneshvari