Auteur : @a_berut
Posté le 19 septembre 2016  | Édité le 9 janvier 2017
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Biomimétisme

Lien de la vidéo : https://www.youtube.com/embed/vi39Z0i0G1s

Mon premier problème est la façon dont M. Aberkane est présenté : "professeur à Centrale Supélec, chercheur à Polytechnique, chercheur affilié à Stanford".
Bien que rien ne soit vraiment faux, cette présentation est plutôt trompeuse. Au moment où la présentation est enregistrée (mars 2015) M. Aberkane est "chargé de cours à Centrale Supélec" (poste généralement temporaire, souvent occupé par des doctorants ou des vacataires, par opposition au statut de "professeur des universités" dont il n'est donc pas question ici), "doctorant dans un laboratoire rattaché à l'école Polytechnique" (cf. la dénomination complète ici : http://theses.fr/2016SACLX005 , où l'école Polytechnique n'est mentionnée que comme "établissement opérateur d'inscription"), et "affiliate scholar au Kozmetsky Global Collaboratory" (dont il m'est difficile d'évaluer le statut exact, mais qui semble être un programme de recherche collaboratif à but philanthropique rattaché à l'université de Stanford : http://kgc.stanford.edu/welcome.html ). Ainsi, l'utilisation du mot "professeur", et les références à l'école Polytechnique et à l'Université de Stanford me semblent ne servir que d'argument d'autorité pour asseoir a priori la légitimité de l'orateur (pratique qui, si elle n'est pas condamnable en soi, m'incite toujours à la méfiance).

Concernant le fond :

Le premier argument sur les révolutions "scientifiques, politiques, philosophiques, morales" qui se feraient toujours en trois étapes (considérées comme ridicules, dangereuses, puis normales) me semble assez douteux, la conclusion est généralisée à partir de deux exemples dont il est difficile de contester l'acceptation aujourd'hui (à moins de vouloir passer pour un sale misogyne, ou un dangereux esclavagiste), mais rien ne vient étayer l'affirmation de départ dans le cas général (d'ailleurs les deux seuls exemples donnés relèvent tous les deux du domaine politique). Cet argument me semble surtout servir à préparer un certain état d'esprit pour le spectateur : "attention, ne jugez pas ce qui suit comme ridicule, car en réalité c'est révolutionnaire".

La comparaison entre les découvertes géographiques de la Renaissance et la découverte du superamas de galaxies "Laniakea" est abusive : contrairement aux nouvelles contrées découvertes alors, il ne s'agit pas d'un lieu où l'on pourra espérer se rendre prochainement (ce qui limite substantiellement son impact). La comparaison de cette découverte avec celle de l'héliocentrisme de Copernic est également abusive (ou au mieux hâtive), car rien à l'heure actuelle n'indique qu'elle a bouleversé l'astronomie moderne (cette étude parue en septembre 2014 dans le journal Nature est citée une quarantaine de fois, ce qui la place dans les études qui ont eu un certain retentissement, mais n'en fait pas une "révolution", en effet le journal Nature ayant un Impact factor [1] de 38, un article publié dans ce journal est en moyenne cité 38 fois deux ans après sa parution). De même, nous ignorons encore quel sera l'impact réel des découvertes récentes en neurosciences cognitives : on est en droit de penser qu'il sera important, mais c'est une opinion, pas un fait avéré.

L'introduction à l'économie de la connaissance repose sur un argument absurde : l'infinité de la connaissance. En effet, même en supposant que la "connaissance" (terme qui n'est pas défini par l'orateur) soit infinie, cette dernière n'a pas la propriété magique d'être conservée dans l'infinité de l'inconscient collectif de l'humanité. Cela implique qu'il faut nécessairement un support physique pour stocker la connaissance (que ce dernier soit "passif", comme du papier, un CD, ou qu'il requiert en plus de l'énergie pour fonctionner comme la mémoire d'un être humain, ou un serveur internet). Il est donc ridicule d'opposer la finitude des matières premières à l'infinité de la connaissance, car cette infinité est au mieux purement théorique. Il en découle que la "contradiction mathématique inévitable" entre les matières premières finies et la croissance infinie se répercute exactement de la même façon sur l'économie de la connaissance, et donc que le changement de paradigme annoncé n'en est pas un.

Les trois règles énoncées à propos de l'économie de la connaissance sont pour moi de la poudre aux yeux car les modalités pratiques de cette dernière ne sont pas définies. De quoi parle-t-on ici ? S'agit-il de partager gratuitement de la connaissance (comme dans un mouvement de type "open science" et "open data") ou bien s'agit-il de faire le commerce de nos connaissance (comme dans un système qui ne serait pas très éloigné du système actuel de dépôt de brevet, qui n'est pas vraiment nouveau ni révolutionnaire, et qui correspond plutôt bien à l'idée que "la connaissance" est une ressource marchande au même titre que les matières premières).

L'anecdote sur la limite légale du trading à haute fréquence qui serait la nanoseconde me semble louche. Je n'ai en tout cas pas trouvé de source qui corrobore cette information (en revanche cet article https://www.technologyreview.com/s/602135/high-frequency-trading-is-nearing-the-ultimate-speed-limit/ d'août 2016 indique que les machines les plus rapides arrivent à faire des transactions en 85 nanosecondes, ce qui veut dire qu'une limite légale à 1 ns, quant bien même elle existerait, n'aurait aucun intérêt pratique).

La troisième règle qui affirme que les combinaisons de connaissances ne sont pas linéaires (explicitée en "quand vous regroupez deux connaissances, ça crée systématiquement une tierce connaissance qui est au pire triviale - mais non nulle- et au mieux révolutionnaire") me semble également douteuse. Pour prendre un exemple simple, quelle serait la tierce connaissance créée par le regroupement des deux informations suivantes : "1€ = 6,55957 Fr" et "demain il fera beau" ? (On pourrait d'ailleurs pousser le raisonnement jusqu'à l'absurde en considérant que l'affirmation est vraie, et que rien n'a été précisé sur la nature des deux connaissances qui doivent être regroupées, ainsi, la possession d'une unique connaissance suffit à produire une infinité de connaissance, puisque sommée à elle-même elle produit une tierce connaissance que l'on pourra sommer à elle-même à nouveau, et ainsi de suite).

L'affirmation selon laquelle le bio-mimétisme s'inscrit dans le paradigme de l'économie de la connaissance me semble relever d'une l'interprétation abusive (et elle est au mieux invérifiable, puisqu'on ne sait pas, à ce moment de l'écoute, quel est le paradigme en question). Le bio-mimétisme et la bio-inspiration consistent effectivement à extraire des méthodes/procédés/techniques de la nature pour les appliquer à la résolution de problèmes humains, mais cela n'implique rien sur la façon dont cette connaissance va être stockée, gérée, partagée, vendue.

La suite est une succession d'anecdotes (avec peu de sources citées) qui sont difficilement vérifiables et auxquels j'accorde donc globalement le bénéfice du doute, mais qui occultent presque complètement les questions pratiques du type : Comment analyser ces matériaux ? Comment en reproduire les processus de fabrication ? Une fois ses processus compris (à supposer que cela soit possible), qu'en fait-on ?
Pour prendre l'exemple du coquillage et de la toxine à 800 000 000 $/kg, en plus de s'indigner du gâchis engendré, on pourrait légitimement se demander : quelle est la quantité produite par un coquillage ? Ce coquillage s'élève-t-il bien en captivité ? Comment se fait-il qu'aucune multinationale pharmaceutique n'ait décidé de proposer aux pécheurs le double du prix de la coquille vide pour le coquillage vivant ? Etc.
L'exemple du ver marin producteur d'hémoglobine est également intéressante (d'autant que la source est cette fois citée), puisqu'une rapide recherche internet nous apprendra que la start-up à l'origine de cette découverte a déposé pas moins de 18 brevets (il n'y a donc pas de partage libre et gratuit de connaissance ici).
L'exemple de la crevette mante-religieuse est également révélateur, puisque la majorité des informations qui sont données semble provenir de ce webcomics : http://theoatmeal.com/comics/mantis_shrimp . La présentation reprend en tout cas exactement les mêmes comparaison chiffrées (balle de baseball lancée à un 1/10ème de la force, balle de fusil d'assaut, nombre de types de cônes chez les chiens), à l'exception notable de la température des étincelles produites, puisque 22 000 K n'est ni la température mesurée pour ces étincelles (environ 5000 K d'après cette page wikipédia : https://en.wikipedia.org/wiki/Alpheidae#Snapping_effect) ni la température à la surface du soleil (environ 5800 K).

Enfin le retour final sur les trois phases des révolutions scientifiques constitue un sophisme, qui peut se résumer de la manière suivante : "je vous ai convaincus que toute révolution scientifique commence par être considérée comme ridicule, or ce que je vous ai présenté est considéré comme ridicule actuellement, donc c'est une révolution scientifique en devenir".

Pour conclure, le principal reproche que je fais à cette conférence c'est qu'elle brasse beaucoup d'idées (à grand renfort d'anecdotes amusantes, de punch-lines, et de comparaisons parfois douteuses) sans jamais assumer une idéologie claire quant à l'extraction, l'usage et le partage des connaissances, qui sont pourtant des élément centraux dans ce débat. De plus, les idées s'y enchaînent en mêlant opinions et faits avérés sans distinction, et l'utilisation d'artifices rhétoriques tend à persuader le spectateur sans chercher à le convaincre. Selon moi, cela participe à faire de cette conférence un très mauvais exemple de vulgarisation scientifique [2], car elle présente au public une image déformée de ce que sont les sciences et la méthode scientifique. Et je trouve cela d'autant plus dommage que je suis en accord avec un certain nombre des messages qui sont portés ici (notamment l'appel à une exploitation rationnelle pour tirer le meilleur partie des ressources naturelles au lieu d'aller vers l'exploitation la plus aisée qui est aussi souvent la plus destructrice, où le fait que la recherche fondamentale est utile pour faire progresser les sciences et techniques).

[1] L'impact factor est un élément de mesure bibliométrique qui est parfois critiqué comme n'étant pas représentatif de la diversité des articles publiés dans un journal. Il n'est donc utilisé ici qu'à titre indicatif, pour ce qu'il est par définition, à savoir : le nombre de citations reçus par l'ensemble des articles d'un journal dans les 2 ans après leur parution, divisé par le nombre d'articles publiés.

[2] D'ailleurs dans l'optique où cette conférence voudrait être un travail de vulgarisation, l'utilisation de termes techniques sans explications (tels que "salle blanche", "revêtement anti-fooling", "tierce connaissance triviale", "500 nœuds sous l'eau", etc.) ne me semble pas être une bonne idée.

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