Auteur : killashandra
Posté le 1 octobre 2016
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Entre deux mondes

Chapitre 2 : Gwendalavir, ou comment comprendre à la dure qu'il faut faire attention à l'endroit où on atterrit.


Le soleil menaça de lui griller la rétine. Après l'atmosphère chaleureuse et sombre de la Bibliothèque, c'était douloureux. Ça lui apprendrait à s'endormir dehors ...
Lyn s'assit dans l'herbe et regarda autour d'elle, un peu désorientée. Elle était chez elle, dans son jardin. La jeune fille se sentait toute étourdie, comme si elle sortait d'un manège, elle n'avait pas la nausée mais c'est tout juste.
Est-ce que tout cela n'avait été qu'un rêve au final ? La petite brune se leva et épousseta l'arrière de son jean pour en chasser d'éventuels brins d'herbe. Quelque chose appuya sur sa peau au niveau de son cou et elle porta instinctivement sa main à sa gorge. Entre ses doigts se tenait un petit médaillon, elle reconnut celui qu'elle portait à la réception de la Duchesse un peu plus tôt. Il était constitué d’une chaine fine en argent et d’une pierre bleue en forme de goutte qui pendait élégamment sur sa peau pâle. Un sourire naquit sur son visage. Elle ne savait pas si elle avait vraiment le droit de ramener des choses dans sa dimension, mais en tout cas, Kyo l'avait fait. C’était là la preuve qu’elle n'avait pas rêvé.
Des bruits de pas derrière elle lui firent lâcher le médaillon, la jeune fille le glissa sous son haut au moment où une petite tête blonde familière apparaissait devant elle. Nathan. Le seul blondinet de la famille, mais d'après ce que leur mère leur avait dit, leur père avait les cheveux clairs aussi dans sa jeunesse. Lyn, elle, était le portrait craché de sa mère, les cheveux châtains et le sourire facile. Elle n'avait de son père que les yeux, d'un bleu cristallin.
- Lyn ! On mange ! S'écria le petit garçon.
Elle resta silencieuse, encore perturbée par ce qu'elle venait de vivre, mais il lui attrapa la main avec un sourire et la tira vers la maison. Un instant, elle entrevit des mèches noires et des yeux verts à la place du visage de son petit frère.

La mère de Lyn et Nathan n'était décidément pas douée en cuisine. Le jeune garçon adressa un sourire canaille à sa sœur lorsque la cuisinière tourna le dos pour reposer le plat sur la gazinière, mais il mangea tout de même volontiers son assiette. Lyn l'imita, tout en se demandant comment de la tomate pouvait devenir aussi amère.
Leur mère elle-même grimaça en avalant la première cuillère et elle sourit, gênée.
- Désolée ... J'ai voulu essayer quelque chose de nouveau.
- Pas grave maman ! La rassura Nathan. Tant que ça ne nous tue pas, ça nous rend plus fort !
La jeune femme aux yeux chocolat fit mine de lui lancer un morceau de pain sur la tête et il se mit à rire. Quant à Lyn, elle était complètement perdue dans ses pensées et elle ne participait pas à leur hilarité. Les yeux d'aigle de sa mère le repérèrent immédiatement, un vrai radar sur patte !
- Tu es bien rêveuse Lyn ...
La jeune fille manqua de s'étouffer avec la sauce tomate et devant la mine étonnée de sa mère et de Nathan, elle ne put que rire à son tour.
- Oui, tu as raison, Rêveuse c'est le mot !
Après avoir fini son repas, elle débarrassa son assiette et sortit de la cuisine la première, comme d’habitude. Avant même que le reste de sa petite famille n’ait terminé de manger, elle était déjà dans sa chambre, la porte soigneusement fermée à clé. Elle regarda le plafond un instant, allongée sur son lit et soupira. Elle se souvint du temps où elle pouvait passer une soirée entière avec eux, autour d’un jeu de société ou d’un bon film. Maintenant … Elle passait son temps ici ou dehors, ne restant jamais plus d’une heure ou deux avec sa famille. Depuis quand s’était-elle autant éloignée … ? Et surtout pourquoi … ? Lyn ferma les yeux, elle savait quand et pourquoi, ce qu’elle voulait savoir, c’était pourquoi elle n’arrivait pas à faire un pas vers eux et à leur ouvrir son cœur … Tout ça depuis la mort de son père.
Will Connor était un homme toujours calme et sérieux, le genre d’homme qui imposait le respect sans rien avoir à faire, mais c’était avant tout le meilleur ami de Lyn et son confident. Il était celui qui essuyait ses larmes quand elle était triste, qui calmait ses colères, qui écoutait patiemment tous ses rêves et ses aventures. Depuis qu’il n’était plus là, toutes ces choses restaient en suspens, elles se cachaient au fond de son cœur de petite fille. Brusquement, avant même qu’elle s’en rende compte, elle était devenue la fille refermée sur elle-même qu’elle était aujourd’hui, incapable d’exprimer ses sentiments les plus violents. Extérieurement, elle était restée la même, seul son père aurait pu remarquer un changement chez elle, dans ses yeux peut être, ses yeux qui brillaient d’une lueur plus terne qu’auparavant.
Un accident de voiture, voilà ce qui, au final, l’avait rendue ainsi. Tout avait été si rapide, seulement un appel téléphonique. Ta maman est là ma petite ? C’est à propos de ton papa …
Lyn se rappellerait toute sa vie de la voix de cette femme au téléphone. Elle avait commencé à pleurer avant que sa mère ne lâche le téléphone, le teint livide. Nathan n’avait qu’un an, Lyn huit. Le petit garçon n’avait jamais vraiment connu son père, et ce deuil interminable ne l’avait pas atteint comme il avait affecté sa sœur. Petite, elle lui en avait voulu de ne pas partager sa douleur, mais aujourd’hui, elle était juste heureuse qu’il n’ait pas à souffrir ainsi.
Même si elle ne le montrait pas autant qu'elle le voulait et qu'il lui arrivait de se montrer distante, son frère avait une place particulière dans son cœur. Aurait-elle le courage de l'abandonner pour devenir Gardienne ? Pourrait-elle lui imposer la perte d’un être cher comme on lui avait imposé une vie sans son père ? Kyo lui avait expliqué que si elle acceptait un jour le rôle, le temps recommencerait à s'écouler sans elle ici, ce serait comme si elle était morte ... Seuls les Rêveurs arrêtent le temps en se rendant à la Bibliothèque.
Lyn entendit du bruit provenant de la salle de bain, séparée de sa chambre par un mur plutôt fin. Elle se redressa sur son lit et regarda l’heure, elle avait passé une demi-heure à rêvasser sur son lit …
Elle se dirigea vers la porte et sortit à moitié, restant tout de même dans l’encadrement. D’ici elle pouvait voir son frère se laver les dents, dos à elle. Nathan croisa son regard en se redressant après s'être rincé la bouche. Il avait les mêmes yeux bleus qu'elle, mais les siens étaient si innocents, si doux. Comme ceux de Kyo. La vérité, c'est que 596 ans, c'était long, surtout pour un petit garçon solitaire. Devenir Gardienne libèrerait le jeune garçon de la Bibliothèque de ce qui ressemblait, pour Lyn, à une prison, mais cela signifierait quitter Nathan, sa mère, ses amis, sa vie.
- Qu'est-ce qu'il y a Lyn, tu es triste ?
Elle baissa les yeux et se força à sourire.
- Non, je suis Rêveuse, c'est tout.
Après un court silence, elle s'éloigna pour ne pas avoir à supporter son regard plein de compassion et d'espoir, maudissant son incapacité à lui rendre l'affection qu'il ne cessait de lui montrer.

Une heure plus tard, elle était toujours allongée dans son lit à fixer le plafond. Impossible de trouver le sommeil. C'était malin d'avoir fait une sieste à la Bibliothèque ! Maintenant elle n'avait plus envie de dormir.
Lyn soupira et se releva pour prendre un verre d'eau. En arrivant dans la cuisine elle croisa sa mère, dont le front se barra d'un pli soucieux.
- Du mal à dormir ? Demanda-t-elle avant de se remettre à sourire. C'est à cause de l'école demain ?
La jeune fille haussa un sourcil et reposa son verre d'eau à moitié plein.
- Non, pourquoi j'aurais soudainement peur d'aller au lycée ?
Lyn avait un an d'avance, et elle avait l'habitude que sa mère s'inquiète pour son bien être à l'école et la surprotège. Mais elle ne se sentait pas tant que ça mise à l'écart ... Elle avait un visage très jeune et bien des gens pensaient qu'elle avait sauté plus d'une classe, alors au final, une petite année ne les perturbait pas beaucoup. Lyn avait toujours suivis les cours sans grande difficulté et son année de moins n'avait pas perturbé sa scolarité. En somme, sa mère n'avait aucune raison de s'inquiéter, mais elle était comme ça, on n'y pouvait rien.
- Et bien, peut-être à cause d'un garçon ... ?
Son air entendu prit la jeune fille au dépourvu. Où est-ce qu'elle était allée chercher un truc pareil ? Elle désigna la poitrine de la fille avec un sourire amusé.
- Et ce collier, qui te l'a offert ? Ce n'est pas un garçon peut être ?
Et zut, il s'était glissé par-dessus ses vêtements. Lyn allait répondre du tac-au-tac que non, mais elle se rendit soudain compte qu'en fait, c'était bien le cas. Sa seconde d'hésitation arracha un "Ha-Ha !" victorieux à la mère et la fille leva les yeux au ciel.
- C'est stupide, qui m'offrirait ce genre de choses ...
Mais elle n'était plus crédible, et elle en avait conscience. Lyn lui accorda donc un petit sourire avant de finir son verre cul-sec et de remonter dans sa chambre. Dans les escaliers, elle entendit sa voix la suivre :
- On en reparlera jeune fille.
Lyn soupira, redoutant d’avance cette fameuse discussion. Kyo était entré dans sa vie depuis une journée à peine, et il la mettait déjà dans le pétrin.

Elle se tourna et se retourna pendant ce qui lui sembla être des heures mais elle finit par sombrer et elle se réveilla dans les plaines blanches. Et zut ! Elle avait complètement oublié de demander à Kyo ce qu'il fallait faire exactement pour revenir à la Bibliothèque ! La dernière fois, elle ne savait pas ce qui l'avait transportée dans la bonne dimension ... Et si elle se trompait de chemin ? Et si elle atterrissait dans un endroit inconnu ?! Elle frémit à l’idée de se perdre pour toujours dans une dimension étrange.
Lyn décida d'avancer tout droit comme cet après-midi. Qu'avait-elle fait la première fois, quel avait été le déclencheur ? Elle se souvint avoir serré les poings, elle était frustrée à ce moment-là.
La jeune fille serra les poings mais rien ne se produisit. Qu'avait-elle fait ensuite ... ? Oui ! Elle avait fermé les yeux ! Ses paupières se fermèrent et bien qu'elle ne sentît encore rien, elle ouvrit les yeux, confiante. Les allées démesurées lui faisaient maintenant face.
- Kyo ?! S'écria-t-elle pour le prévenir de sa présence.
Il pouvait être n’importe où dans l’immense Bibliothèque, elle ne savait même pas s’il serait à portée de voix et elle …
- Ici ! Répondit une voix juste au-dessus d’elle.
Il l'observait depuis le haut d'une étagère et lui adressa un petit signe de main quand elle le localisa enfin. Il sauta de son perchoir et atterrit souplement devant la Rêveuse.
- Que veux-tu faire cette fois ? Demanda-t-il. La première fois, c'est moi qui t'ai entraînée dans un roman au hasard, mais j'aimerais que tu choisisses où nous allons ensuite.
Lyn se sentait comme une aventurière, prête à partir en mission. Tous ses livres préférés miroitèrent devant ses yeux. Comment choisir ? En fait, elle devait juste déterminer lequel visiter en premier, elle avait du temps devant elle et les voyages seraient sûrement nombreux. Toutes ces perspectives lui faisaient tourner la tête, c'était absolument renversant comme situation : pouvoir aller où on veut, dans n'importe quel monde, n'importe quelle histoire.
Quel était son livre préféré ? Une question trop difficile, bien trop difficile ... Cela changeait tout le temps, en fonction de ses nouvelles lectures, de sa mentalité, du temps tout simplement. Alors, un livre qu'elle adorait, un univers qu'elle avait toujours voulu visiter, voilà ce qu'il lui fallait trouver.
- Les Mondes d'Ewilan ...
Kyo réfléchit pendant quelques secondes puis leva un doigt.
- Ça je sais où le trouver ! Mais c'est loin, on va prendre une navette.
Lyn n'eut pas le temps de demander ce qu'était ladite navette car elle apparut devant eux. C'était un véhicule flottant profilé qui lui faisait vaguement penser à un wagon de grand huit auquel on aurait collé des ailes. La jeune fille ne remarqua pas le moindre pot d'échappement ni la moindre flamme, mais elle ne s'étonna pas plus que cela, pour ce qu'elle en savait, il pouvait bien marcher à la bonne humeur ou pomper l'énergie de ses passagers, alors ce n'était pas la peine de se casser la tête. Elle grimpa dans cette espèce de petite barque volante de métal et constata qu'elle n'avait pas non plus de volant. Kyo sauta dedans et lui fit un clin d'œil.
- T'inquiète, ça se pilote facilement. Enfin, pour un Gardien, je ne l'ai jamais utilisée en tant que Rêveur.
Un toit se referma sur leurs têtes, créant un petit habitacle autour d'eux. Lyn regardait tout cela avec émerveillement, on aurait dit la façon dont l'armure d'Iron Man se refermait sur son porteur ! Quand ils démarrèrent, la jeune fille comprit pourquoi ils avaient dû mettre un toit, et aussi pourquoi les dossiers des sièges étaient si moelleux. Elle se retrouva brusquement enfoncée dans ces derniers, complètement écrasée par la vitesse. Quand ils s'arrêtèrent, elle ne savait pas si le trajet avait duré quelques secondes ou plusieurs minutes. Heureusement que le véhicule perdit de la vitesse progressivement, sinon les deux passagers auraient été projetés contre le pare-brise. Lyn déplia ses doigts crispés sur les accoudoirs et se décoinça du siège. Kyo était déjà en train de fouiner dans ses livres tandis qu'elle se massait la nuque.
- Lyn ! Je les ai trouvés ! Lequel tu veux ?
L'interpellée réfléchit un instant et se souvint d'un titre.
- Prends L'Oeil d'Otolep, lui indiqua-t-elle.
Elle se retint de justesse d'ajouter "si tu l'as", il l'avait, évidemment.
Il attrapa un livre et le brandit comme un trophée avant de redescendre en sautant, la faisant sursauter. Il allait finir par se faire mal à bondir comme ça de n’importe où ...
Il lui mit le livre entre les mains et elle se mit à le feuilleter pour trouver un endroit calme et propice à un premier voyage. Comme l'histoire s'étalait sur une longue durée, elle ne pensait pas faire qu'une seule incursion, deux plus courtes seraient plus intéressantes.
- J'ai un passage. Dit-elle au bout de quelques minutes. Qui s'occupe des petits "trucs en plus" ?
- Je pense que c'est une bonne occasion pour toi de t'entraîner.
Il s'assit à côté d'elle et lui posa une main sur le poignet. Il la laissait donc tout faire toute seule, très bien.
Lyn avait tout de suite compris que les citations courtes étaient plus pratiques. Cela permettait un retour rapide et une meilleure mémorisation. Elle prit une inspiration et lut à voix haute :
- " Ewilan le contempla un instant."
Elle posa un doigt sur la page et la petite décharge caractéristique traversa son corps. Cette fois, comme Kyo ne s'en occupa pas, elle put les visualiser avec précision, en plein voyage. Ses yeux bleus et ses cheveux longs en cascade, ceux indisciplinés de Kyo et ses yeux émeraudes, tout lui apparut très clairement. Elle sentit instinctivement ce qu'elle devait faire. Elle ne changea pas leur apparence, ils n'en avaient pas besoin, le passage qu'elle avait choisi était un moment calme à l'Université de la capitale, un passage idéal pour un premier voyage, le temps de s’acclimater. Lyn fit simplement de Kyo et d'elle des Dessinateurs, ces personnes douées de magie dans ce monde et modifia leurs vêtements pour qu'ils ne fassent pas trop "terriens".
Comme l'avait prévenue Kyo, le voyage fut laborieux. D'abord parce que les modifications lui prirent du temps, mais le transfert en lui-même fut plus long. Peut-être fallait-il qu'elle visualise la scène ... Quand elle s'y essaya, tout s'accéléra et ils se retrouvèrent sous un arbre dans le parc de l'Université. Il faisait beau et le soleil doux de Gwendalavir, ce monde étrange, leur réchauffa les joues.
Lyn jeta un coup d'œil à Kyo, qui lui, observait ses nouveaux vêtements d'un air amusé. Quand la petite brune releva la tête, elle vit une jeune fille aux yeux violets et aux cheveux blonds en bataille discuter avec un groupe d'étudiants non loin d'eux. Elle la reconnut aussitôt. C'était Ewilan. Elle la montra discrètement à Kyo.
- C'est elle l'héroïne ? Demanda-t-il.
- Oui, c'est la Dessinatrice la plus puissante de ce monde. Expliqua Lyn. Il suffit aux Dessinateurs de penser à quelque chose, de l'imaginer, pour le faire basculer dans la réalité.
La Rêveuse décida d'allier le geste à la parole et visualisa une réplique du collier d'argent qui pendait toujours à son cou. Quand elle se matérialisa dans ses mains, la lycéenne était presque aussi surprise que Kyo. C'était une sensation étrange, l'art du Dessin était très instinctif et étourdissant quand on songeait à tout ce qu'il pouvait faire. Lyn n'aurait peut-être qu'une durée limitée dans ce monde, mais elle était heureuse d'avoir pu l'utiliser.
Kyo se concentra devant ses mains tendues et la jeune fille devina qu'il essayait lui aussi de dessiner quelque chose. Une rose aux pétales rouges mouchetés de blanc apparu devant lui au bout d'une poignée de seconde, elle était magnifique. Les yeux du jeune garçon brillaient en regardant la fleur et il finit par la tendre à son amie en souriant. Elle l'accepta volontiers et la porta à son nez. Elle n'avait pas de parfum, Kyo n'avait visualisé que l'aspect esthétique de la fleur, sans imaginer son odeur. Lyn voulut essayer de modifier le dessin du petit Gardien mais la rose disparut en même temps que son collier. Si elle comprit qu'il s'agissait là du côté éphémère de l'art du Dessin, Kyo fut beaucoup plus surpris.
- C'est triste, elle n'existe plus maintenant ... Se lamenta-t-il.
- Tout comme cette dimension quand nous repartirons, répondit la Rêveuse, c'est la même chose.
Cela ne sembla pas vraiment le rassurer. La jeune fille se glissa donc de nouveau dans l'Imagination, la dimension du Dessin. Elle visualisa sa fleur, à l'identique, puis lui ajouta un parfum, et une durée de vie plus importante. Quand la rose apparut, elle la tendit à Kyo.
- Tu vois, les choses disparaissent à nos yeux, mais elles sont toujours là. Il suffit de les faire apparaitre de nouveau.
- Comme les dimensions, commenta-t-il, signe qu'il avait compris.
Ewilan et ses amis se levèrent non loin de nos deux voyageurs et se dirigèrent vers eux, ou plutôt vers la porte à côté de leur arbre. Si les souvenirs de la jeune Rêveuse étaient bons, ils se dirigeaient vers une salle de classe. Ewilan croisa le regard de Lyn et faillit ralentir le pas en passant à côté des deux pseudo-étudiants. L'espace d'un instant, la petite terrienne aux cheveux châtains crut qu'elle allait lui adresser la parole, mais elle se contenta de sourire en jetant un coup d'œil à la rose que tenait Kyo contre sa poitrine. Quand ils furent tous rentré, Lyn se rendit vraiment compte de ce qu'elle venait de vivre. Personne, à part un autre Rêveur sans doute, ne vivrait jamais ce qu'elle venait d'expérimenter. L'auteur lui-même n'avait jamais pu qu'imaginer ces personnages et ce monde. Le pouvoir de Rêveur était aussi beau et pur que celui du Dessin, mais Lyn était pour le moment la seule personne à pouvoir l'utiliser. Cela lui donnait l'impression de posséder un trésor inestimable, mais cela lui faisait un peu peur aussi. Heureusement que Kyo était avec elle, seule avec toutes ces possibilités, elle aurait eu peur de s'égarer. La jeune fille se tourna vers le jeune garçon et lui attrapa le poignet.
- Allons à un autre passage, je veux tout voir ! S'exclama-t-elle.
Il lui sourit et hocha la tête.
Quelques minutes plus tard, ils apparurent dans d'immenses plaines. De petits bois parsemaient les environs, ils étaient cachés dans l'un d'eux et la visibilité était parfaite. Le petit groupe de voyageurs d’Ewilan avançait en terrain dégagé pour prévenir les attaques. Si Lyn et Kyo avaient surgit hors des arbres pour leur tendre une embuscade, les soldats de la Légion qui protégeaient les aventuriers les auraient repérés et éliminés en moins d'une minute. Mais ce qui allait arriver à ce moment-là du livre allait complètement les prendre par surprise, raison pour laquelle parmi les modifications que la jeune fille avait apporté au Gardien et à sa personne, elle avait ajouté une armure et des compétences de combat à leur art du Dessin, juste au cas où. Kyo lui avait jeté un regard suspicieux en remarquant son nouvel attirail, mais il n'avait rien dit. Un sifflement fit s'arrêter le groupe, c'était le signal d'alerte de Chiam, l'un des compagnons de voyage d'Ewilan. La compagne de ce dernier avait senti la présence d'un brûleur, un monstre redoutable ressemblant vaguement à un croisement entre un lion et une anguille électrique, et il n'allait donc pas tarder à arriver. Par où devait-il débarquer déjà ... ? Ah oui, Lyn se souvint, il était écrit "un bosquet à vingt kilomètres". Si elle estimait bien les distances, depuis le groupe là-bas, cela devait être ... Elle suivit une courbe imaginaire du regard, mais il n'y avait qu'un seul bosquet à vingt kilomètres ... Oh non, elle avait vraiment mal calculé leur lieu d'arrivée !
Elle attrapa sa sacoche en vitesse mais n'eut pas le temps d'en tirer le livre car un rugissement juste derrière eux leur vrilla les oreilles et les projeta au sol. Kyo se plaqua les mains sur la tête et jeta autour d'eux des yeux effrayés. Il n'eut pas besoin de chercher longtemps pour le trouver, le brûleur était juste derrière, et il n'avait pas l'air de vouloir jouer. Les deux voyageurs sortirent des bois au moment où les dents du monstre claquaient entre deux arbres. Il était absolument hideux avec ses six pattes crochues, sa bouche garnies de dents effilées comme des rasoirs et ses flagelles bleu électrique. Justement, l'un de ces derniers se dressa dans les airs et s'élança brusquement vers Kyo.
- Attention !! Hurla Lyn.
Elle attrapa son jeune ami par les épaules et le projeta loin de la trajectoire du fouet, se félicitant d'avoir invoqué les armures les plus légères possibles. Le filament bleuté s’abattit à côté d'elle au moment où elle sautait pour ne pas prendre de décharge électrique.
La jeune brune atterrit sur le dos et sa sacoche lui meurtrit les omoplates, mais elle n'avait rien. Le brûleur, lui, n'était pas content, mais alors pas du tout. Il ne se contenta pas d'un seul flagelle cette fois et se fut toute une pluie de fouets électriques qui fusa dans la direction de la Rêveuse.
Son cri s'étouffa dans sa gorge, ses paupières se fermèrent et ses bras se positionnèrent instinctivement devant son visage. Elle crut un instant que sa dernière heure dans cette dimension était arrivée, mais les fils changèrent brutalement de direction et claquèrent sur le sol sans envoyer de décharge. Elle chercha la cause de ce revirement et vit un cavalier brandissant une épée impressionnante. Edwin. Elle le reconnut immédiatement, le guerrier ultime, le chef de la Légion, le frontalier légendaire !
Lyn sauta sur ses pieds et sortit sa propre épée. Son poids la déstabilisa une seconde mais les compétences d’épéiste qu'elle leur avait rajouté, à Kyo et à elle, à leur arrivée lui permirent de la tenir de façon assurée. Elle comprit pourquoi le brûleur avait reculé quand elle remarqua une estafilade sur son épaule et du sang sur la lame d'Edwin. Sans adresser un regard à la jeune fille, trop concentré sur son adversaire, le maître d'arme cria :
- Qui êtes-vous ?!
- Attention ! Répliqua-t-elle immédiatement.
Elle aurait bien voulu répondre, mais elle avait distrait Edwin et la patte couverte de griffe du monstre filait droit vers lui. Lyn ne voulait pas avoir sa mort sur la conscience. Elle plongea en avant et son épée para le coup ... En même temps que celle d'Edwin. Sa dextérité était décidément effrayante. La Rêveuse resta bouche bée devant la vitesse de ce mouvement et retira son épée en même temps que le frontalier, repoussant le brûleur dans une gerbe d'étincelles et un bruit qui évoquait bien trop quelque chose de terriblement coupant à son goût.
Edwin dû juger que le temps n'était pas aux questions et que, puisque cette inconnue devant lui avait essayé de lui venir en aide (bien qu'il n'en ait absolument pas eu besoin), elle n'était pas une ennemie. Il ne reposa donc pas sa question, et Lyn se plongea à nouveau dans le combat, bizarrement excitée par la situation et par l’adrénaline et affluait dans ses veines. A côté d'elle, Kyo venait de plonger sa lame dans le flanc de la bête, profitant du fait qu'Edwin et son amie aient accaparé son attention. Le brûleur se retourna en poussant un nouveau hurlement et le jeune garçon dû éviter un filament meurtrier de justesse. Son bond sur le côté le projeta un peu plus vers la Rêveuse et il lui glissa :
- Pourquoi ce passage !?
Lyn ouvrit la bouche pour répondre mais elle se souvint d’un point très important.
- Des gens vont mourir, déclara-t-elle tout bas, les yeux un instant dans le vague.
Elle ignora sa question et retourna vers Edwin qui luttait seul contre le brûleur.
Derrière elle, Lyn entendit Kyo l'appeler :
- Ça ne sert à rien ! Ils ne sont que des personnages !
Elle serra les dents. Évidemment que cela ne changerait pas l'histoire de façon permanente, mais même si à la base, la jeune fille voulait juste observer le combat et avait pris les armures en cas d'accident, à présent, elle ne pouvait tout simplement pas ignorer ces morts à venir. Quand Kyo avait demandé pourquoi elle avait choisi ce passage, elle aurait pu répondre que c'était pour voir les compétences de combat d'Edwin et de ses combattants, mais maintenant son but était totalement différent, elle ne pouvait pas rester plantée là et les regarder mourir alors qu’elle avait entamé le combat. Elle levait son épée en direction du monstre lorsque des chevaux passèrent en trombe sur ses flancs, faisant vibrer le sol. Les hommes de la légion les rejoignaient, c'étaient deux d'entre eux qui allait mourir. Lyn redoubla donc d'ardeur, essayant de repérer le soldat qui allait être mis à terre par une décharge. Quand il serait au sol, le brûleur refermerait ses mâchoires sur lui et s'en serait fini, puis un autre mort suivrait dans la confusion. La petite brune ne devait pas regarder Edwin même si ce n'était pas l'envie qui lui en manquait, à chaque fois qu'elle l'apercevait du coin de l'œil, sa vitesse et sa précision lui coupaient le souffle. Elle vit également Kyo, resté en retrait, les traits déformés par l'angoisse. Désolée Kyo ... Je ne voulais pas que ça tourne ainsi ... Souffla-t-elle dans on fort intérieur.
C'était assez étrange de se laisser guider par son épée, tout cela lui semblait inné à cause des modifications qu'elle avait apporté à son corps, elle avait l'impression que ses bras bougeaient tout seul, comme par réflexe. C'était comme respirer, elle avait autant conscience de la trajectoire de sa lame que du mouvement de ses poumons, et les deux étaient tout aussi vitaux à cet instant.
Soudain cela se produisit, un éclair bleu illumina le combat et le soldat tomba sur le flanc, juste à côté de Lyn. Les crocs de l'animal jaillirent de nulle part, le brûleur était beaucoup trop rapide ! Elle n'eut d'autre choix que de se jeter en travers de sa trajectoire, l'épée pointée vers lui. Le museau du brûleur se planta sur sa lame et un nouveau hurlement projeta de la bave brûlante sur son visage, lui faisant fermer un œil. Lorsqu'il s'écarta, le monstre emporta l'épée de la jeune fille, lui arrachant brusquement des mains. Elle était adossée contre le soldat blessé, sans arme. Leur adversaire comprit très vite que sa position la rendait vulnérable et la rage qu'elle vit briller dans ses yeux lui indiqua très clairement ses intentions. Il voulait la carboniser sur place. Mais il n'eut pas le loisir de la croquer à la place du légionnaire, car un coup d'épée l'atteignit à l'œil. Aux côtés de Lyn, un petit soldat aux yeux verts se remit en garde, essoufflé après avoir accouru aussi vite qu'il le pouvait.
- Tu es folle, mais même ici, je ne te laisserai pas mourir ! Grogna Kyo.
La dite folle sourit pour toute réponse et plongea en avant, sous le menton du brûleur, pour récupérer son épée tandis que les soldats repartaient à l'assaut du monstre. Il était censé y avoir une deuxième mort découlant de cette première attaque, mais comme elle avait interrompu la créature dans son élan, la deuxième n’eut lieu non plus.
Le brûleur commença à comprendre qu'il était en mauvaise posture, et exactement comme dans le livre, de par leur position, les soldats lui bloquaient la retraite vers la forêt. Il fonça donc vers les chariots où se trouvait encore le reste de la troupe avant que les légionnaires ne comprennent leur erreur. Lyn savait ce qui se passerait ensuite, il ne servait à rien de suivre le monstre. Elle retint donc Kyo qui commençait à emboîter le pas aux Légionnaires vers les chariots.
- Reste là et observe.
Il s'arrêta, les yeux fixés sur la scène. Provenant de l'attelage, une pluie de flèche s'abattit sur le monstre, le ralentissant à peine. Elana, Chiam, Erylis, Salim, ... Ils tiraient tous en direction du brûleur. Tous ces personnages qui avaient si souvent hanté ses rêves se trouvaient devant elle, bien réels, mais c'était Ewilan qui intéressait Lyn à ce moment-là. Elle avait les yeux fermés et elle était actuellement dans l'Imagination, la dimension utilisée par les Dessinateurs pour imaginer leurs oeuvres. La Rêveuse savait qu'elle mettait du temps car elle y rencontrait des difficultés, mais elle savait également ce qui allait suivre, et elle ne fut pas surprise lorsqu'un énorme épieu de quatre mètres fila dans les airs et se planta dans la poitrine de l'animal. Le brûleur eut quelques spasmes mais il finit par mourir et le calme revint sur la plaine. Kyo ne retint pas un cri de joie et Lyn le rejoignit en levant les bras au ciel. Il y avait peut-être des blessés mais au moins, personne n'était mort.
Une voix interrompit leurs réjouissances.
- Je vous repose la question. Qui êtes-vous ?
Derrière eux se tenait Edwin Til'Illan, et curieusement, il n'avait pas l'air de très bonne humeur.

- Lyn et Kyo, c'est ça ? Demanda Elana, la Marchombre.
Ils hochèrent la tête. La petite voyageuse n'avait pas pris le risque de prendre des noms de personnages de romans comme la première fois car Ewilan et Salim étaient des personnages venant de la Terre et risquaient de saisir la moindre référence.
Kyo n'en menait pas large, intimidé par cette foule qu'il ne connaissait pas, mais Lyn, elle, avait du mal à retenir son excitation. Ils étaient tous là, ou presque, car Siam, la sœur d'Edwin, et Mathieu, Le frère d'Ewilan, n'étaient pas présents. Elle observa avec admiration les gens qui les entouraient, essayant de ne pas trop laisser briller ses yeux.
- Que faisiez-vous ici les enfants ? Demanda Maitre Duom en leur tendant une écuelle à chacun.
Les deux compagnons étaient restés avec eux jusqu'à ce que le soleil ne retombe, mais jusqu'à présent, fuir l'endroit du combat avait été la seule préoccupation du groupe, ils venaient juste de commencer à les questionner sérieusement.
- Nous voyagions, dit simplement Lyn avec un léger sourire.
Un soldat de la Légion s'avança légèrement vers leur feu, ce qui étonna la lycéenne, vu que dans le roman, ces guerriers avaient tendance à rester toujours à l'écart. Elle reconnut à son boitillement l'homme sur lequel elle s'était jetée un peu plus tôt.
- Alors heureusement pour moi que vous voyagiez dans les parages, je vous dois la vie mademoiselle Lyn.
Il inclina légèrement la tête, la rendant affreusement mal à l'aise. Que devait-elle dire dans ces circonstances ? Elle ne sut que répondre et se contenta d'un hochement de tête plutôt solennel, le regardant dans les yeux. Il salua Edwin, son commandant, et retourna s'assoir parmi ses compagnons. Le silence qui suivit son départ prouva que les Légionnaires n'avaient vraiment pas pour habitude de parler au reste de la troupe et Lyn en fut d'autant plus touchée.
Alors qu'elle le regardait s'éloigner, Edwin se rapprocha du feu et braqua son regard d’acier sur les deux jeunes.
- Il a raison, nous avons eu de la chance de vous avoir, il aurait pu y avoir des morts sans votre intervention (Oh, il n'imaginait même pas !). Ce brûleur n'avait rien à faire ici, mais il n'était peut-être pas seul. Vous devriez vous joindre à nous jusqu'au prochain village, ce serait plus sûr.
Lyn sourit, emballée par l'idée. Elle allait acquiescer lorsqu'une tape dans le dos lui coupa le souffle et lui meurtrit les côtes. Elle ne pouvait venir que d'une seule personne : Bjorn, le chevalier au grand cœur.
- En tout cas, vous vous battez comme de vrais guerriers ! S'exclama-t-il. On a du mal à croire que c'était votre premier brûleur !
- Bjorn ! S'exclama Salim, qui restait comme toujours, assis aux côtés de son amie Ewilan. Et si tu évitais de briser les côtes de nos nouveaux amis avant que nous soyons arrivés ?
Le grand chevalier en armure adressa un sourire désolé à la jeune brune en comprenant qu'il y était peut-être allé un peu fort, mais il se ragaillardit bien vite et une marée de questions tint éveillés les deux voyageurs une bonne partie de la soirée.
Ils ne pouvaient pas se permettre de trop en dire, la jeune fille n'avait pas pensé à leur inventer une vie avant de voyager. Maintenant, ils étaient officiellement deux gamins de la ville d'Al-Poll, partis en voyage vers l'Oeil d'Otolep pour y rejoindre de la famille dans un village de pêcheurs. Lyn avait dû improviser et avait expliqué que le brûleur avait fait fuir leurs chevaux, pour justifier le fait que deux gamins se retrouvent à pieds au milieu des plaines.
Quelques minutes après que tout le monde se soit dit bonne nuit, Kyo dormait déjà, mais la petite guerrière brune n'arrivait pas à s'empêcher de contempler le ciel magnifique. Les étoiles n'étaient pas les mêmes que sur Terre et aucune lumière à la surface de la planète ne ternissait leur éclat.
- C'est beau n'est-ce pas ... ? Fit une voix derrière elle.
Des yeux violets étaient fixés sur le ciel tout comme les siens, Ewilan souriait, le visage tourné vers les étoiles.
- Magnifique. Acquiesça Lyn.
L'héroïne du roman tourna son regard vers la jeune fille et l'observa.
- Tu es une Dessinatrice.
C'était une constatation, pas une question. La brune hocha donc la tête avec un sourire.
- Mais pas aussi talentueuse que toi, ce pieu était vraiment impressionnant tout à l'heure !
Elle eut un léger rire qui fit remuer le jeune garçon qui dormait à ses côtés, Illian.
- Impressionnant ? Je dirais plutôt que c'est ton sauvetage in extremis qui était impressionnant. Je te remercie de l'avoir fait, les Légionnaires ne sont pas très causants, mais ce sont des hommes bons ... La mort de l'un d'eux aurait été ...
Son regard s'assombrit et Lyn ne sut dire si elle songeait à l'éventualité qu'elle venait d'énoncer ou bien si elle réfléchissait aux lourds problèmes qui s'abattaient sur ses épaules en ce moment.
- Nous devrions dormir à présent, continua-t-elle, Edwin va sûrement nous faire lever tôt demain matin.
Sur ce, elle s'allongea aux côtés d'Illian, et la Rêveuse fit de même, s'installant à la droite de Kyo.
Quand elle se réveilla le lendemain matin, le petit Gardien avait les yeux plantés dans les siens, comme la première fois à la Bibliothèque, ce qui la fit sursauter. Elle espérait tout de même que ça n'allait pas devenir une habitude ...
- Rentrons Lyn ... les voyages qui s'étalent sur plusieurs jours sont à prendre avec des pincettes tu sais.
Elle ne sut que répondre. Ils venaient d'être intégrés au groupe d'Ewilan, la lycéenne avait l'occasion de côtoyer de plus près des gens qu'elle admirait, qui l'avait faite rêver ... Elle jeta un oeil au campement où Edwin passait déjà pour réveiller tout le monde. Il était l'un des personnages de roman qu'elle aimait et admirait le plus, elle se souvint avoir jalousé Elana, celle qui avait réussi à obtenir son cœur. En parlant d'elle, c'était une personne tellement exceptionnelle ! Tellement, en fait, que l'auteur lui-même en était tombé amoureux. Ils étaient tous extraordinaires, tous différents, et aujourd'hui Lyn pouvait les toucher, leur parler. Pourquoi repartir si vite ?
En voyant que la petite nouvelle était réveillée, Elana et Erylis, les deux femmes guerrières de l’équipage, lui firent signe.
- Hey, la tête brûlée ! La héla la Marchombre. Ça te dit de nous montrer tes compétences en tir à l'arc ?
Lyn jeta un regard d’excuse faussement navré à Kyo puis se leva, le sourire aux lèvres.
- Je viens !
Elle entendit le soupir du Gardien dans son dos, mais elle était à présent trop concentrée sur ses deux professeures. Pendant que les autres levaient le camp, elles lui apprirent à tenir un arc et à tirer. Dans son monde, la jeune fille était plutôt douée au tir, que ce soit à l'arc, à l'arbalète ou bien à la carabine. Une fois l'arme d'Erylis prise en main, elle put tirer quelques hochements de tête satisfaits aux deux jeunes femmes. Mais elle était loin d'arriver à leur niveau exceptionnel, ce qu’Erylis, la Faëlle aux longs cheveux blancs ne manqua pas de lui faire remarquer en tirant la langue :
- Disons que ta grande force reste l'épée pour le moment. Mais avec de l'entraînement, tu deviendrais sûrement une redoutable archère, ça se voit !
Lyn resta encore un peu avec elles, ces deux femmes d'exception, savourant ce moment qui aurait été un rêve à peine quelques jours auparavant. Quand elles se levèrent pour finir de plier les dernières affaires, la Rêveuse se dirigea vers Kyo. Le Gardien jouait avec Illian, faisant tourner une petite toupie qu'il avait sûrement dessiné. Quand il vit arriver la brune, Illian se releva, timide, et partit en souriant vers Ewilan qui le prit dans ses bras.
Lyn s'accroupit devant son ami et attrapa le livre dans la sacoche. Elle fixa la couverture un moment sans rien dire, se préparant mentalement à ce qu’elle était venue faire. Quand elle se sentit prête, elle reprit la parole :
- Rentrons Kyo, murmura-t-elle.
- Tu es sûre ?
- Oui, les voyages trop longs ne sont pas à prendre à la légère comme tu l'as dit, je pourrais toujours revenir les voir une autre fois.
- Dans une nouvelle dimension, dit-il en souriant.
- Oui.
Elle ouvrit la page qu'elle avait choisi pour venir ici la veille et posa son doigt sur le papier. Sa citation la fit sourire lorsqu'elle la prononça à nouveau, elle se prêtait formidablement à un voyage :
- "En avant."
Il se retrouvèrent alors dans la Bibliothèque, de nouveau seuls. Lyn sourit en regardant le livre, elle venait de vivre quelque chose de vraiment magique, elle en avait pleinement conscience. Elle releva la tête vers Kyo, revenant au moment présent.
- Quand je vais rentrer, il fera encore nuit. Aujourd'hui j'ai déjà dormi au campement, mais je ne pourrais pas toujours dormir pendant les voyages, comment je vais faire si à chaque fois que je sombre je suis propulsée ici ?
Cette question lui avait trotté dans la tête un petit moment avant qu'elle ne s'endorme sur Gwendalavir. Comment allait-elle faire pour dormir ? Passer ses nuits à dormir dans la Bibliothèque était impensable, elle ne pouvait tout simplement pas se permettre d'arrêter le temps toutes les nuits ou elle serait vieille avant que Nathan ne perde toutes ses dents. Le sourire confiant de Kyo la rassura.
- La première fois, c'était un accident. La deuxième fois, tu voulais venir ici. Mais si tu n'as pas l'intention de te rendre à la Bibliothèque, tes rêves resteront des rêves.
Bon, c'était déjà ça, la jeune fille pouvait dormir dans son monde et elle n'allait pas devenir une espèce de vampire aux yeux de tous ses proches. Elle rendit le livre à Kyo et lui sourit, reconnaissante.
- Merci pour aujourd'hui. Ou pour hier, je ne sais plus trop où je suis.
- Merci à toi, dit-il en riant, je me suis bien amusé !
Il approcha ensuite sa main du front de Lyn pour la faire repartir. Elle intercepta son poignet à quelques centimètres de son visage, quelque chose venant soudain de lui venir à l'esprit.
- Un Gardien peut voyager dans toutes les dimensions quand il le désire, c'est ce que tu as dit. Mais tu ne peux vraiment pas revenir sur Terre ?
Kyo secoua la tête, l'air contrit.
- Non, quand on devient Gardien, la Terre nous est interdite car nous devons entièrement nous dévouer à la Bibliothèque. Je suppose que cela serait trop risqué, un Gardien trop attaché à son monde pourrait être trop tenté d'y rester malgré ses fonctions.
Lyn reçut cette information en silence. Cela signifiait donc que si elle devenait Gardienne, ce seraient effectivement des adieux définitifs avec sa famille.
- J'aurais bien aimé venir jouer avec toi sur Terre pourtant, dit-il en souriant pour la dérider.
- Ne t'en fais pas, lui assura-t-elle, moi je viendrais jouer avec toi aussi souvent que possible.
- Merci Lyn.
- De quoi ?
- D'être Rêveuse ...
Sur cette réponse et un dernier sourire, la jeune brune repartit dans son monde, sur son lit. Elle était un peu étourdie, comme la première fois, et après avoir passé des heures ailleurs, elle eut du mal à se souvenir avec précision de ce qui s'était passé ici dans la soirée. Quand elle vit son collier et la pierre bleue qui y pendait, elle se souvint de la petite discussion avec ma mère et sourit. Quand elle avait une idée derrière la tête, cette dernière était irrécupérable, elle allait essayer de tirer les vers du nez à sa fille à propos de ce mystérieux garçon.
N'ayant plus sommeil à cause de la nuit passée dans les plaines, Lyn se leva et attrapa un livre sur ses étagères personnelles. C'était le livre dans lequel elle venait de voyager, elle retrouva rapidement la page et commença sa lecture à partir de "En avant."
Elle imaginait à présent la scène avec une précision éblouissante, elle voyait tous les traits d'Edwin, l'horrible face du brûleur, l'agilité à l'arc d'Elana et Erylis. Elle souriait bêtement tout en lisant jusqu'à un passage qui la fit brutalement redescendre de son nuage. Le chapitre se clôtura sur une phrase d'Artis Valpierre, le Guérisseur : "Il est mort."
Elle se souvint alors du visage reconnaissant du soldat qu'elle avait sauvé, de sa façon de boiter, d'incliner la tête vers elle. C'était comme si elle venait elle-même de recevoir le pieu géant en plein cœur à la place du brûleur. Peu importe ce qui se passait dans ces dimensions temporaires, ce qu'elle y faisait ne servait à rien ? Elle avait beau se dire qu'il ne s'agissait que des personnages d'un livre, qu'ils ne pouvaient pas souffrir à travers ces pages et que sa mort n'était réelle que si un Rêveur la vivait dans une dimension, le fait de relire la mort du Légionnaire lui mit un grand coup au moral.
Elle posa le livre à sa place. Au moins, l'existence de ce soldat, le temps pendant lequel il avait réellement existé du moins, n'avait pas été entaché par la mort. Lyn n'arrivait tout de même pas à trancher : Avait-elle sauvé cet homme ou agit totalement en vain ? Puisqu'il n'existait plus, on pouvait dire qu'elle n'avait rien fait au final, mais quand il existait encore tout à l’heure, elle avait bel et bien empêché qu'il soit dévoré. Ces questions lui donnaient mal à la tête, elle décida de prendre cela comme on envisage un rêve. Elle se souviendrait de ce qu'elle avait fait et saurait qu'il s'agissait d'une alternative possible, mais elle referma ce chapitre pour de bon, refusant d'y penser davantage. Et puis, si ce n'était qu'un rêve, elle l'aurait vite oublié.

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