Auteur : killashandra
Posté le 22 octobre 2016
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Entre deux mondes

Chapitre 5 : Cibles, ou comment apprendre à concilier ordres et désir de liberté


- Ivy Lattimer ! Tu ne seras jamais un bon soldat !
La jeune fille tourna la tête sans se presser et croisa le regard furibond de Shadis en contrebas. Depuis sa branche, elle ne craignait pas grand-chose, le sergent instructeur ne monterait pas pour la punir sans équipement tridimensionnel. Mais mieux valait ne pas le prendre trop de haut … Il pouvait très bien décider d’appliquer la punition une fois qu’elle serait redescendu.
Elle essaya de ne pas soupirer, elle savait que cela le mettait en rogne, mais elle en avait très envie. Elle se contenta de l’ignorer et elle vérifia que ses sangles étaient toujours en place.
L’équipement d’un soldat se composait d’un harnais qui se sanglait sur tout le corps, de deux grosses caisses fixées sur les cuisses, surmontées de deux petits boitiers contenant des câbles enroulés, d’un dispositif dans le bas du dos qui soufflait du gaz et de deux poignées sur lesquelles on pouvait fixer des lames. Les sangles servaient à répartir le poids du corps de façon harmonieuse une fois dans les airs, libéré de l’apesanteur, si la moindre d’entre elle venait à casser, c’était la chute assurée.
Après avoir passé en revue ses sangles, Ivy donna un petit coup sur les gâchettes de ses poignées mobiles. Le signal passa le long de petits tuyaux souples jusqu’au dispositif arrière qui cracha une petite dose de gaz. C’est bon, il lui en restait sûrement assez. Vu le poids des bouteilles, elle devait même en avoir suffisamment pour terminer l’entraînement sans avoir à recharger. Les bouteilles étaient fixées sur les caisses de métal léger qui contenaient les lames de rechange. Cette partie était la plus imposante, mais elle n’aidait en rien à décoller du sol. Ivy pressa deux autres gâchettes, avec ses majeurs cette fois et ses lames usagées se désolidarisèrent de l’ensemble et tombèrent dans le vide pour se planter aux pieds de Shadis qui rouspéta de nouveau.
La jeune femme l’ignora et plongea les poignées dans ses réservoirs, la gauche vers la droite, et la droite vers la gauche, de sorte qu’il lui fallait croiser les bras. Elle aurait pu se passer de ce mouvement inutile, mais elle avait toujours trouvé que ressortir deux lames en décroisant les bras dans une gerbe d’étincelle était vraiment cool … Elle pouvait bien s’autoriser ce genre de petites manies.
- Lattimer ! C’est un travail en équipe ! Si tu n’arrives pas à te plier aux règles tu …
Il fut coupé dans son élan lorsque deux câbles s’échappèrent des hanches de la jeune femme. C’était la partie la plus amusante de la manœuvre tridimensionnelle : deux câbles avec au bout, deux grappins rétractables. Ils étaient aussi commandés par des gâchettes sur les poignées des lames, de sorte qu’on pouvait contrôler absolument tous ses mouvements avec ses doigts. Les deux câbles étaient indépendants et on pouvait les lancer et les rembobiner à sa guise, c’étaient eux qui projetaient les soldats dans les airs, le gaz n’aidait qu’à aller plus vite, ne représentant qu’une propulsion secondaire, bien que souvent nécessaire. L’équipement tridimensionnel obligeait à un contrôle parfait de la moindre partie de son corps et une coordination impeccable et l’entraînement pour le maîtriser complètement s’étalait sur les trois années de formation.
Shadis cria quelque chose à Ivy, mais elle était déjà loin. La forêt d’arbres géants dans laquelle ils s’entraînent aujourd’hui était parfaite pour la manœuvre tridimensionnelle. Les arbres, atteignant parfois une centaine de mètres, représentaient autant de support pour les grappins des jeunes recrues et ils étaient suffisamment écartés les uns des autres pour permettre une grande liberté de mouvement. Mais la forêt avait ses inconvénients. Les arbres masquaient le danger, et en situation réelle, on pouvait facilement ne remarquer un titan qu’à la dernière minute, il était donc conseillé de voler haut. Aujourd’hui, l’ennemi était modélisé par de grandes silhouettes en bois, cachées un peu partout dans la forêt. Les jeunes soldats de la cent quatrième brigade avaient été répartis en groupes de cinq et chaque groupe essayait de toucher un maximum de cibles. C’était une sorte de concours, mais cela comptait également dans la note finale de la formation, raison de plus pour tout le monde d’être motivé à fond. Ivy préférait ce genre d’exercice lorsqu’ils étaient fait en un contre un, le travail d’équipe lui importait peu, d’autant plus que peu de ses camarades arrivaient à suivre son rythme et elle se retrouvait à devoir attendre la moitié du temps …
Contrairement à ce que Shadis pensait, elle ne faisait pas complètement route seule, elle avait été envoyée en repérage par son groupe. Quand le sergent instructeur l’avait apostrophé, elle allait justement rejoindre ses camarades et elle ne tarda pas à les recroiser. Elle réduisit peu à peu sa vitesse et finit par accrocher ses deux câbles sur le dessous d’une branche pour se laisser pendre comme sur une balançoire. Les autres levèrent les yeux vers elle.
- Alors ? Demanda Jean. T’en as trouvé combien ?
- Trois ou quatre, pas trop loin. Personne dans les environs.
Ivy gardait un œil sur la forêt alentours, il était courant qu’un groupe se mette à en suivre un autre pour voler ses cibles, et elle n’avait vraiment pas envie qu’un de ces tricheurs lui pourrissent la journée.
- Alors on y va où on prend racine !?
La jeune femme tourna la tête vers la personne qui venait de parler. Ymir. Ivy ne l’aimait pas … Son caractère aigri et moqueur lui tapait sur le système. La Rêveuse pouvait comprendre les gens distants ou pas trop bavards, comme Mikasa, mais elle détestait ceux qui projetait leur mal-être sur les autres en devenant méchants. Les deux fortes têtes se fixèrent une seconde, puis Ymir chercha le regard de Christa, son amie de toujours. Si Ymir était une grande brune au visage presque masculin et parsemé de taches de rousseur, Christa, elle, était une petite blonde aux grands yeux bleus angélique. Elles rappelaient à Ivy la Belle et la Bête d’autant plus que leur relation assez ambigüe semblait parfois être plus qu’amicale.
Le dernier membre de leur groupe était Marco, un grand brun qui n’était pas loin d’être le seul ami de Jean. Ce dernier étant une vraie tête de cochon quand il s’y mettait, il était étonnant qu’un garçon aussi gentil et altruiste que Marco se soit attaché à lui. Mais aussi étrange que cela puisse paraitre, leur binôme fonctionnait très bien et Ivy savait qu’elle pouvait toujours compter sur eux, contrairement à Ymir qui semblait toujours prête à vous poignarder dans le dos.
Ivy détacha l’un de ses grappins et ainsi pendue à un seul câble, elle put effectuer un demi-tour sur elle-même.
- Allons-y, annonça-t-elle.
Elle visa l’arbre le plus proche avec sa hanche droite au moment où elle détacha le deuxième câble. Le grappin suivant toucha le tronc au moment où celui qui la soutenait une seconde plus tôt retrouvait sa place sur sa hanche gauche. La manœuvre tridimensionnelle était devenue une habitude après ces trois années, le bruit métallique des câbles résonnait sans interruption entre les grandes silhouettes des arbres et ne montrait aucun signe d’hésitation de la part des jeunes soldats.
Ivy sourit en songeant que cela n’avait pas toujours été le cas …

***
- Prenez place !
La voix de Shadis fit paniquer la plupart des jeunes recrues et soudain, tout le monde se mit à s’activer sur la zone d’entrainement. Mikasa observa les autres s’agiter dans tous les sens et jeta un regard amusé à Ivy. Les deux jeunes filles attachèrent les lanières comme Shadis le leur avait montré un peu plus tôt, vérifiant bien que chaque boucle de sangle tenait parfaitement. Aujourd’hui, il n’était pas question d’utiliser l’équipement tridimensionnel au complet, seulement de tester l’équilibre avec le harnais, les nouvelles recrues attachèrent donc deux cordes reliées à des potences sur leur hanches, à la place des câbles de métal qu’ils utiliseraient plus tard.
Les nouveaux étaient mis dans le bain dès leur arrivée. La veille était un jour spécial, tous avaient compris qu’il n’y aurait plus de congés avant un moment. Avant trois ans peut être …
Aujourd’hui leur entraînement débutait. Mikasa et Ivy finirent de s’attacher à peu près en même temps et firent signe aux autres qu’elles étaient prêtes. Pendant que la moitié des soldats s’entraînait, l’autre moitié se chargeait de gérer la montée et la descente des cordes grâce à de grosses manivelles. C’était Jean qui allait tourner celle d’Ivy mais il ne pouvait s’empêcher de regarder du côté de Mikasa. C’est vrai qu’elle était impressionnante, on aurait dit qu’elle flottait sans aucun effort alors que la plupart de leurs camarades tenaient difficilement en équilibre en tremblotant.
Ivy soupira, attirant brusquement l’attention de Jean qui commença à tourner. Mikasa était une exception, la jeune fille aux origines asiatique était un monstre en ce qui concernait l’art du combat et la manœuvre tridimensionnelle et elle était destinée à devenir la première de la promo. A vrai dire, Ivy s’attendait plus à échouer et à devoir rentrer à Via toute seule … C’était ce qu’elle redoutait le plus, et tandis que ses pieds commençaient à décoller du sol, elle ne put s’empêcher de se mordre la lèvre inférieure à cause de l’appréhension. Elle ferma les yeux et attendit, tendant légèrement les bras pour les décoller de son corps et gagner en stabilité. Alors qu’elle s’attendait à perdre l’équilibre, elle s’aperçut qu’elle était plutôt à l’aise. La jeune fille se risqua à rouvrir les yeux pour regarder autour d’elle et elle bougea légèrement un bras de droite à gauche. Cela ne perturba pas son équilibre et elle resta droite dans ses chaussures. Elle sentait son poids qui pesait sur la sangle passant sous la plante de ses pieds, mais également sur le reste du harnais qui s’enfonçait dans sa chair. Elle ressentait chacun de ses appuis avec précision et arrivait à modifier sa position sans basculer. En fait, cela lui rappela étrangement la vieille balançoire dans le fond de son jardin … Son père avait accroché un tronçon de bois épais à deux grandes cordes, créant ainsi une sorte de balançoire-trapèze et elle s’y balançait des heures durant le soir. Un jour, la branche avait cassé, mais il n’y avait plus personne pour la réparer. La jeune fille avait donc continué à grimper sur sa balançoire en mettant un pied dans chaque boucle. Pour tenir, il était nécessaire de bloquer les articulations de ses jambes et de ne surtout pas les laisser s’écarter, ce qui ressemblait à s’y méprendre à la position à adopter avec le harnais. Tenir sur la balançoire brisée était presque plus difficile, puisque les câbles de la manœuvre tridimensionnelle la suspendaient avant tout par les hanches et ne faisaient pas peser son poids entier sur ses pieds.
Ainsi en équilibre, elle avait l’impression de revenir à cette époque sombre où elle avait dû faire le deuil de son père. Alors qu’elle commençait à devenir confuse et à se perdre dans les méandres de sa mémoire, Mikasa la héla.
- Hey, regarde !
La jeune fille battait des jambes comme si elle était en train de courir dans le vide. Ça n’avait l’air de rien de l’extérieur et c’était même plutôt comique, mais l’exercice n’avait rien de facile. Ivy hocha la tête, relevant le défi.
- Attend tu vas voir !
La jeune fille commença à bouger ses jambes de quelques centimètres, puis accentua progressivement leur mouvement de balancier. A mesure qu’elle calait son rythme, elle augmentait la vitesse de sa course et elle finit par piquer un sprint suspendu. Mikasa lui jeta un regard dans lequel, grâce à l’habitude, Ivy put déceler une lueur d’amusement, et elle se mit elle aussi à accélérer le mouvement. Finalement, ce qui avait commencé comme un entraînement de manœuvre tridimensionnelle se termina en véritable course entre les deux jeunes filles. Jean et la recrue qui portait Mikasa les regardaient avec des yeux ronds et tenaient fermement les manivelles, de peur de les laisser tomber. Avant que les deux amies ne s’en rendent compte, un petit groupe de soldats s’était regroupé autour d’elles pour assister à leur compétition. Bien trop concentrées, elles ne stoppèrent le mouvement que lorsque la voix du sergent instructeur résonna une nouvelle fois dans la zone d’entraînement.
- Qu’est-ce que vous fichez !?
Leur arrêt un peu trop brusque leur fit perdre l’équilibre et elles partirent en avant au même moment, se retenant de percuter le sol de justesse en mettant les mains en avant. Ivy grimaça lorsque les graviers lui entaillèrent les paumes et que ses dents rencontrèrent un peu trop brutalement sa langue. Elles restèrent suspendues par les hanches, la tête en, jusqu’à ce qu’on les fasse descendre à l’aide des manivelles puis relevèrent la tête vers le sergent, ne sachant pas trop si elles devaient s’excuser ou se remettre au travail sans un mot. Shadis les fixa un instant puis il fit volte-face et s’éloigna d’elles en criant :
- On permute ! Les manivelles passent aux harnais !
Mikasa et Ivy se regardèrent puis détachèrent leurs cordes en silence. Cette scène ne figurait pas du tout dans le manga, Mikasa était censée rester sérieuse jusqu’au bout de l’entraînement. Pourtant c’était elle qui avait démarrer cette course idiote non ? Ivy se demanda si c’était la présence d’une compétitrice qui modifiait le comportement de son amie. C’était probable, en tout cas, la Rêveuse aimait bien cette Mikasa qui savait décompresser et arrêter de penser à Eren au moins pendant cinq minutes.
- Eren, s’écria la jeune fille, mettant à mal les théories d’Ivy, je vais tourner ta manivelle !
- Pas besoin ! Thomas s’en occupe déjà …
Mikasa fit la grimace puis tourna la tête vers le camarade d’Eren, et Ivy, qui était dans son dos, ne vit que la réaction de Thomas face à son amie. Le grand blond costaud sembla tout à coup vouloir se faire très petit et il se tourna vers la manivelle pour échapper au regard assassin de la jeune fille. Ivy se tourna alors vers Jean en souriant, le jeune homme était déjà attaché, il n’y avait plus qu’à le faire monter.
Si Jean se montra plutôt doué, ce n’était pas le cas de tous. A quelques potences de là, un cri retentit et un bruit de choc indiqua clairement que quelqu’un venait de chuter violemment. Ivy tourna la tête vers l’origine du son et vit Eren, le front ensanglanté, pendant la tête vers le bas. Elle avait oublié ce détail … Dans le livre, le jeune garçon n’arrivait pas tout de suite à maitriser la manœuvre tridimensionnelle, pas parce qu’il n’était pas doué, mais parce que la ceinture qu’il utilisait était cassée. Ivy ouvrit la bouche pour lui crier d’essayer de changer d’équipement mais aucun son n’en sortit. Elle était toujours retenue par le même problème dès qu’elle voulait agir en fonction de ce qu’elle savait grâce à ses lectures, elle avait peur de changer trop brusquement la suite des évènements même en faisant des choix minimes. Eren allait demander conseil à ses camarades de brigade suite à son échec d’aujourd’hui, et ce faisant, il allait nouer des liens avec eux. Marco, Jean, Reiner, Bertholdt … Si ces liens se révélaient essentiels pour que le monde ne soit pas brusquement détruit, Eren pouvait bien supporter d’être humilié un jour ou deux.
Ivy referma lentement la bouche, personne ne l’avait vu à part Jean qui lui lança un regard attristé.
- Pourquoi est-ce que toutes les filles s’inquiètent pour cette tête de mule ? Je comprends pas ce que vous lui trouvez …
La jeune fille émit un petit rire et tandis qu’Eren partait vers l’infirmerie en s’appuyant sur Mikasa et Armin, Ivy fit descendre Jean.
- Jaloux ? Demanda-t-elle en levant un sourcil.
- Tu parles ! D’un idiot pareil ?!
Il y eut un moment de silence pendant lequel Jean se demanda s’il faisait bien s’insulter Eren devant l’une de ses amies. Après tout, elle pouvait très bien tout lui répéter … Mais Ivy pouffa et brisa cet instant de tension. Eren pouvait en effet se montrer idiot et buté parfois, mais ce que Jean n’admettrait jamais, c’est qu’il était exactement pareil.
Deux mains se posèrent brutalement sur les épaules d’Ivy, la faisant sursauter, et son rire s’étrangla dans sa gorge.
- Salut la vieille ! Sympa vos acrobaties de tout à l’heure ! Vous avez impressionné du monde !
La jeune fille leva la tête et tomba nez à nez avec le visage de Shin qui la surplombait. Elle lui avait serré la main la veille, mais elle n’était pas pour autant d’accord pour qu’il pose les mains sur elle à tout bout de champ de cette façon. Elle allait ouvrir la bouche mais le garçon aux cheveux pâles la lâcha de lui-même et vint se placer à côté de Jean, laissant Ivy rougir comme une idiote. Si elle rougissait, c’était surtout d’agacement et de gêne, il n’y avait rien d’autre, mais les yeux de Shin brillèrent étrangement lorsqu’ils se posèrent de nouveau sur elle. Serrant les poings, la jeune recrue fronça les sourcils et se redressa, se recomposant un visage où ne pouvait plus se lire aucun trouble.
- Merci. Je vais voir comment va Eren.
Sans plus de paroles inutiles, elle leur tourna le dos et fila vers l’infirmerie. Le sergent instructeur Shadis avait laissé la surveillance de l’entraînement à d’autres soldats de la garnison, ainsi elle put se faufiler sans se faire prendre par son radar infaillible.
Mais elle n’alla pas voir Eren, elle savait qu’il allait bien et qu’un bandage serait suffisant. Elle avait juste voulu échapper au comportement agaçant de Shin en se cachant dans un petit bosquet, mais elle tomba sur quelque chose de bien plus gênant …
- Alors toi aussi tu sèches ton tour de manivelle ?
Ivy serra les dents, mais maintenant, elle ne pouvait plus faire demi-tour sans répondre. Devant elle, une jeune fille blonde pinça les lèvres, attendant une réaction de la part de la brune.
- Ouais, marmonna Ivy.
- C’est marrant, je t’aurais plutôt vu du style élève modèle …
Annie se leva et fit face à Ivy pendant quelques secondes. La Rêveuse ne laissa rien paraitre, elle mit à profit toutes ces années d’intériorisation et afficha un visage de marbre, en tout point semblable à celui de la traitresse.
- Un bon soldat n’est pas forcément un élève modèle, marmonna-t-elle.
- Peut être oui …
Annie détourna les yeux pour regarder dans le vague un instant, comme si elle se perdait dans ses souvenirs.
- Parfois, j’ai l’impression que pour eux, un bon soldat n’est rien d’autre qu’un soldat qu’ils peuvent contrôler à leur guise …
De qui parlait-elle ? Qui étaient ces « eux » dont elle parlait ? Shadis et les autres hauts gradés de l’armée ? Son air infiniment triste faillit faire flancher le masque d’Ivy, mais elle tint bon et ne haussa même pas un sourcil. Cette fille était un monstre, elle devait s’en rappeler quand elle lui parlait.
- Je ne veux pas être une marionnette.
- Pourtant tu l’es déjà. Personne ne décide vraiment de ce qu’il va être à l’intérieur de ces murs.
Annie passa à côté de sa camarade et s’éloigna vers la zone d’entraînement, quittant l’abri des arbres. Ivy resta silencieuse, se demandant ce qu’elle voulait dire par là. Elle se retourna pour la regarder partir et songea que dans le fond, elle avait raison. La Rêveuse n’avait pas choisi … Elle n’avait pas choisi d’être bloquée dans ce monde, tout comme aucun de ces jeunes soldats en devenir n’avait choisi d’y naitre. Elle n’avait pas choisi de s’engager dans l’armée, elle avait dû le faire pour suivre Eren et la première ligne de front de l’humanité. Un instant elle pensa qu’elle n’était qu’une marionnette.
Et puis elle songea à tous ces gens qui vivaient à l’intérieur des murs en ignorant totalement la menace extérieure et en se voilant la face. Les marionnettes, c’étaient eux. Ivy aurait pu choisir de ne rien faire et de mener sa petite vie tranquille à Via jusqu’à la fin de ses jours, comme eux. Elle aurait pu décider de ne pas mettre à profit ce qu’elle savait et se laisser porter par les évènements, se laisser manipuler par le destin, lui qui adorait tirer les ficelles. Mais elle avait choisi de se battre, elle avait choisi qui elle voulait devenir et pour quoi elle voulait vivre.
- Je ne suis pas une marionnette.

***

Trois ans plus tard, dans cette forêt d’arbres géants, Ivy se considérait toujours comme une combattante, refusant de se laisser manipuler par son destin. Elle avait prouvé de quoi elle était capable mainte et mainte fois.
- Il t’a vraiment sorti ça ? Demanda Marco tandis qu’ils filaient vers la première cible qu’Ivy avait repérée.
- Ouais, que je ne serais jamais un bon soldat … Si je n’arrivais pas à suivre les règles.
La jeune fille était devant, de sorte qu’elle n’avait pas besoin de masquer le trouble sur son visage. Même si elle restait digne devant Shadis, les mots du sergent l’atteignaient plus qu’elle ne voulait l’admettre. Au début, elle se fichait du top dix, mais aujourd’hui qu’elle avait de très grandes chances d’y figurer, devenir un bon soldat était devenu l’une de ses grandes préoccupations. Toutefois, elle n’était pas certaine du sens que donnait Shadis à un bon soldat. Est-ce que comme Annie l’avait dit trois ans plus tôt, un bon soldat n’était qu’un élément manipulable pour leurs supérieurs ? Ivy aimait à croire que non, qu’un bon soldat était avant tout une personne qui se fixait un but et travaillait dur pour l’atteindre. Le but de Jean était de se mettre à l’abri dans la capitale, le but d’Eren, d’exterminer tous les titans, celui de Mikasa, de protéger Eren. Tous avaient un but. Rendre fier sa famille, entrer au service du roi, protéger quelqu’un, échapper à quelque chose, … Beaucoup d’exemple lui venait en tête, mais son but à elle était différent de ceux des autres. Pour elle, le plus important était de conserver un avenir positif, tout en essayant d’atténuer au maximum les éléments perturbateurs. Modifier sans changer radicalement, c’était son combat quotidien. Mais c’était loin d’être une tâche facile et elle était souvent en proie au doute, comme maintenant. Car si elle entrait dans le top dix, cela voulait dire que l’un des jeunes soldats qui devait y figurer serait relayé au rang onze … Parfois, de si petites causes avaient de si grandes conséquences. Cela lui rappelait le fameux effet papillon, la théorie selon laquelle un battement d’aile de papillon, une fois amplifié par la distance, pouvait devenir un véritable ouragan de l’autre côté du monde. Être au mauvais endroit au mauvais moment pouvait suffire pour détraquer de façon irréversible l’avenir. Ivy évitait d’y penser autant que faire se peut, parce qu’on ne peut tout simplement pas réfléchir au moindre de ses mouvements en pesant le pour et le contre. Parfois elle n’avait pas le temps de tergiverser, mais dans ses cauchemars, les pires scénarios de conséquences catastrophiques se déroulaient encore et encore. Elle voyait la mort de tellement de gens, et tout autant de doigts accusateurs pointés sur elle.
- Ivy ? Hey ! Lattimer !!
La voix d’Ymir ramena Ivy à la réalité et elle rembobina de justesse son câble droit, réajustant sa trajectoire juste avant de percuter une branche. Pour ne pas paraitre encore plus perdue qu’elle ne l’était, elle leva une main et désigna l’est avant de déclarer d’une voix sûre :
- La première cible est là, dans ce bosquet, la seconde est plus loin dans la même direction. Christa, Ymir, prenez la deuxième, Marco et Jean se chargent de la première.
- Et toi ? Demanda Jean.
- Moi je vais chercher la troisième. Il y a un arbre plus gros que les autres plus au sud, vous ne pouvez pas le rater, il est au milieu d’une clairière. On se rejoint là-bas.
Ils hochèrent tous la tête et ne cherchèrent pas à discuter. Les chefs d’équipe n’étaient pas désignés, mais en choisir un était une consigne implicite. Un groupe fonctionnait toujours mieux s’il était guidé dans la bonne direction, ou du moins, si tous ses membres suivaient la même.
Ivy avait l’habitude de commander, et plus elle le faisait, plus on lui faisait confiance en tant que chef d’équipe. Elle ne savait pas trop comment se sentir par rapport à cela. Devait-elle être flattée ou au contraire, craindre de prendre trop d’importance dans l’histoire. Elle qui avait prévu d’aider dans l’ombre se retrouvait malgré elle au premier plan. Tout ça pour quoi ? Parce qu’elle avait découvert qu’elle n’était pas bonne en maths, ni en natation, ni en dessin, elle n’était pas non plus douée dans l’expression des sentiments et la plupart des relations humaines, mais elle était excellente en tant que soldat. Elle avait découvert qu’elle avait la manœuvre tridimensionnelle dans le sang, qu’elle était faite pour ça. On lui avait appris pendant ces trois années à exploiter pleinement ses capacités, et maintenant, elle était devenue une sorte de super soldat. Que Shadis ne puisse pas la supporter à cause de son comportement lui importait peu, ce n’était qu’une partie négligeable de la note finale. Au bout de quelques mois, Ivy avait compris que ce n’était pas juste une question de talent, elle y avait réellement pris goût. Elle avait enfin l’impression d’être quelqu’un d’utile, d’être quelqu’un de fort, quelqu’un qui pouvait faire bouger les choses. Elle s’était si souvent sentie impuissante dans sa vie … Cela faisait tellement de bien de se sentir forte pour une fois.
Ivy cessa d’utiliser le gaz pendant un moment, se servant presque uniquement de la gravité pour avancer, un peu comme Spiderman lorsqu’il se baladait pendu à son fil. Elle était passée maître dans l’art de se suspendre à tout et n’importe quoi, y compris à des choses auxquelles les autres ne pensaient pas, c’est ce qui faisait qu’elle utilisait souvent moins de gaz que ses camarades et qu’elle n’hésitait pas à passer par des chemins qui pouvaient sembler impraticables au premier abord.
Elle arriva en vue de sa cible en moins d’une minute. C’était un titan en bois d’une petite dizaine de mètres, grossièrement dissimulé par deux petits arbres, enfin, deux arbres de taille normale si on regardait le reste de la forêt depuis une échelle humaine.
La jeune fille aligna ses deux lames en tendis ses bras sur le côté droit, comme un bucheron prêt à frapper un tronc de sa hache. Le titan n’était pas encore à portée, mais elle aimait prendre de l’élan. Un bruit de câble qui se déroule lui fit tourner la tête une fraction de seconde. Elle aperçut alors une tignasse pâle, presque blanche. Un léger sourire étira ses lèvres et elle envoya une giclée de gaz pour accélérer le mouvement. Son adversaire fit de même, la rapidité l’emportant maintenant sur la discrétion.
- Alors la vieille ! Qu’est-ce que ça fait de se faire piquer sa cible ?
- Je te retourne la question, ça ne m’est jamais arrivé !
Shin gronda et le gaz siffla derrière lui tant il écrasa les gâchettes de ses poignées. Les deux soldats étaient pratiquement à la même distance du titan factice, mais Ivy était située bien au-dessus du jeune homme. On aurait pu croire que c’était un handicap pour la jeune fille, mais les attaques venues d’en haut était sa grande spécialité. Elle se laissa tomber sans sortir aucun câble et plaqua tous ses membres pour ne former qu’une flèche fusant vers le sol dans une traînée de gaz. Elle passa à côté de Shin en faisant frémir les feuilles et les branches les plus fines et à seulement quelques mètres du sol, elle envoya ses grappins se fixer sur la tête en bois du monstre. Elle passa comme un éclair le long de la silhouette de bois et Shin ne put rien faire. Les câbles, bloqués sur une distance finement calculée, firent décrire à la jeune femme une parabole au ras du sol et elle repartit dans les airs aussi rapidement qu’elle en était descendue. Elle se réceptionna ensuite sur une branche surplombant le faux titan et elle jeta un œil à Shin juste en face, posé à peu près à la même hauteur. Le jeune homme s’était arrêté et la regardait sans comprendre.
- T’as pas touché la cible … ?
Ivy secoua la tête et rangea ses lames.
- Je te laisse celui-là, mon équipe a déjà beaucoup avancé.
Shin laissa échapper un soupir bref et irrité mais il finit par lui offrir son sourire habituel. Ivy ne se laissa pas tromper, ce sourire était toujours collé sur son visage et ne signifiait pas forcément que le jeune homme était d’humeur joyeuse. Elle était prête à parier qu’elle retrouverait ce même sourire sur son cadavre si jamais il venait à se faire tuer.
- Tu me sous-estime à ce point la vieille ?
- Pas du tout, dit-elle en secouant la tête avec un léger sourire, considère ça comme un acte réfléchi de ma part. Tu me dois un service maintenant.
C’était plus acceptable pour lui que de penser qu’elle lui offrait un point par pitié. A vrai dire, le groupe d’Ivy avait déjà endommagé beaucoup de cibles et elle ne doutait pas qu’ils seraient bien classés aujourd’hui, alors elle avait envie de passer un peu de temps à trainer près de Shin au lieu d’être en compétition avec lui. Elle resta debout sur sa branche, s’adossant au tronc, prête à le regarder faire.
Le jeune homme aux cheveux d’argent leva un sourcil comme s’il s’attendait à ce qu’elle lui fasse un sale coup, puis il se souvint qui il avait en face de lui. Ce n’était pas le genre d’Ivy, qui préférait s’en tenir aux piques verbales et rester physiquement à distance. Parfois, il avait même l’impression qu’elle évitait le plus possible de prendre part, ne restant que spectatrice. Un peu comme si elle lisait une histoire. Mais il avait constaté ce changement de comportement surtout lorsqu’ils étaient en présence des autres. Lorsqu’ils étaient seuls tous les deux, Ivy paraissait plus détendue, presque sereine, comme si elle s’autorisait à être elle-même, ou en tout cas, qu’elle arrêtait de réfléchir à ce qu’elle était en train de faire de façon méticuleuse. Cela signifiait-il qu’il était spécial pour elle.
Ils se regardèrent un moment puis Shin se laissa basculer dans le vide vers le titan. A vrai dire, si Ivy s’autorisait à être elle-même avec le jeune homme, ce n’était pas uniquement parce qu’elle l’appréciait beaucoup comme il le pensait. Bien qu’elle soit très attachée à Shin, elle se laissait vraiment aller parce qu’il n’était pas un personnage du manga original, et peu importe ce qu’elle choisissait de faire lorsqu’elle était avec lui, cela ne changeait pas grand-chose. La présence de Shin en elle-même étant un changement, elle ne pouvait pas prévoir les évènements qui le concernait, elle ne savait pas quel était son passé parce qu’elle l’avait lu, mais parce qu’il le lui avait confié, elle avait appris à le connaitre ici et non à travers un livre. Ivy aimait inconditionnellement Eren, Mikasa, Armin et ses amis, mais Shin était spécial, c’était comme s’il était plus brillant que les autres à ses yeux.
Le jeune homme se posa sur les épaules de bois de la cible et leva ses armes. La lumière ricocha sur la lames lorsqu’elles s’abattirent sur la partie en mousse engoncée dans la nuque du titan. Leur passage avait arraché un morceau de mousse, de la forme d’un quartier de pomme. L’entaille était profonde et précise, et bien que Shin ait eu une position idéale ainsi posté sur le dos du titan, cela n’en restait pas moins du bon travail. Ivy applaudit depuis sa branche et ricana.
- Bravo, je vois que tu as bien appris les leçons de M. Fletcher !
Ce nom soulevait tellement de souvenirs. Ivy et Shin se remémorèrent en même temps les longues heures de cours théorique passées à écouter la voix posée de ce fameux M. Fletcher …

- Les livres d’histoire qu’il nous reste, ne disent rien sur l’origine des titans. Tout ceci reste historiquement inconnu. Tout ce qu’on a appris sur l’habitat des titans, nous le devons aux derniers rapports du bataillon d’exploration. Nous avons été incapables de confirmer s’ils avaient un niveau humain d’intelligence. Nous n’avons jusqu’à ce jour, jamais eu connaissance d’échanges mutuels entre nos deux races.
Le professeur tourna la page de son petit carnet à la couverture usé et replaça soigneusement ses lunettes avant de poursuivre.
- Ils sont fondamentalement différents des autres créatures. Physiquement … L’absence d’organes sexuels : Nous ne savons rien de leur méthode de reproduction et la grande majorité a un physique masculin. Leur température corporelle est incroyablement élevée, et pour une raison obscure, ils ne portent aucun intérêt aux créatures autres que les humains. La raison d’être des titans est de dévorer les humains … Mais en considérant qu’ils ont dû vivre dans un environnement dépourvu d’humains pendant cent ans … J’en conclus qu’ils n’ont pas un besoin vital de se nourrir.
M.Fletcher jeta un regard circulaire à ses élèves pour s’assurer que tout le monde suivait bien, puis il reprit :
- En d’autres termes … Ils ne nous chassent pas pour se nourrir. Ce qu’ils veulent, c’est le massacre … Et … La raison principale qui fait que l’humanité se trouve actuellement dans cette situation, c’est l’incroyable vitalité des titans.
Il tourna son carnet de façon à ce que les jeunes recrues puissent observer les schémas et autres croquis qui y étaient dessinés. On pouvait y voir des canons et des titans, certains étaient parfois blessés mais continuaient à avancer.
- Par le passé, l’humanité était assez puissante pour faire exploser leur tête d’un coup de canon. Mais ce n’était pas suffisant pour garder notre territoire. Ça variait d’un titan à l’autre, mais la moitié du temps, les têtes repoussaient à nouveau.
Des murmures étouffés parcoururent la salle de classe. Quelqu’un grommela tout haut ce que tous pensaient tout bas :
- Sans blague … On aurait pu penser que leur taille posait déjà assez de problèmes …
- Monsieur ! S’exclama Marco. Est-ce que ça veut dire … Que les titans sont immortels ?!
- Ils ne sont pas immortels … Expliqua Fletcher. Il n’y a qu’un moyen de les abattre. C’est de frapper ici.
Le professeur dessina un titan de dos sur le tableau noir et entoura la nuque à la craie, faisant crisser l’ardoise.
- Cette partie à l’arrière du cou. Les titans ne peuvent pas se régénérer quand il y a trop de dommage dans cette zone … Et ils meurent. Et pour finir mesdames et messieurs.
Il s’éloigna du tableau en reposant la craie et s’approcha d’une table où était disposé un équipement encore bien peu familier pour les jeunes soldats.
- Vous devez vous aider de ceci. L’équipement de manœuvre tridimensionnelle. Actuellement, la meilleure tactique pour repousser l’ennemi est de se baser sur le combat rapproché qui permet une meilleure mobilité. Cet équipement est conçu avec une poignée pour chaque main. Le mécanisme de tir situé sur les deux côtés de la taille, propulse un harpon. Les câbles de fer sortis du tube sont rembobinés grâce à la pression de ces gâchettes.
Le professeur attrapa une des poignées à laquelle il fixa une lame dans un petit cliquetis :
- Cette épée souple sera votre arme. Pour pouvoir trancher cette grosse masse de viande dure, l’acier a été complètement entortillé sur lui-même. Avec quelques coups de cette arme, vous pouvez découper la chair des titans. Frappez leurs points vitaux … De cette façon, vous les tuerez rapidement, bien avant que leur processus de régénération ne s’active.
Shin émit un ricanement discret, attirant l’attention d’Ivy.
- Ça a l’air plutôt simple en fait dis comme ça, ironisa-t-il.
La jeune brune sourit et prit quelques notes.
- Tu t’en sortiras très bien tu le sais, arrête de faire ton mariole.


- T’avais raison au final, je m’en sors plutôt pas mal je trouve !
Shin accrocha la branche au-dessus de celle d’Ivy et se hissa jusqu’à elle en rembobinant ses câbles. Il atterrit souplement à côté de sa camarade et cette dernière fit un pas en arrière pour lui laisser un peu de place. Elle était coincée entre le tronc de son arbre et un jeune soldat à la carrure imposante, mais elle était loin d’avoir peur. Shin savait très bien qu’elle pouvait le mettre à terre si elle le voulait, mais de toute manière, il ne comptait pas lui donner de raisons de le faire. Le jeune homme était toujours gentil avec elle, c’était le genre de garçon qui vous faisait vous sentir spéciale et qui riait toujours de bon cœur. Sa présence était reposante et agréable dans un monde où la vie se résumait à un entraînement intensif et à un esprit de compétition omniprésent.
Après trois années passées ensemble, Shin et Ivy étaient devenu comme frère et sœur. Il avait pris l’habitude de l’appeler la vieille et il avait appris à réfréner son incorrigible caractère de séducteur en sa présence. Quant à elle, en échange, elle avait accepté d’être un peu moins réservée avec lui. Shin avait parfaitement conscience des efforts qu’elle faisait et il savait qu’il lui coûtait de s’ouvrir à quelqu’un ainsi. Et pour rien au monde Ivy n’aurait avoué qu’elle ne trouvait pas si terrible le fait de toucher le jeune homme, il aurait pu se faire des idées, lui qui avait tendance à se croire parfaitement irrésistible. Il traitait les autres filles comme des sources d’amusement, mais pour lui, Ivy était une amie précieuse, quelqu’un qu’il avait envie de protéger. Cela venait peut-être du fait qu’il avait perdu sa petite sœur lorsqu’il était plus jeune, Shin avait l’impression de retrouver la relation qu’il avait autrefois avec sa sœur lorsqu’il était avec Ivy.
Il ouvrit les bras avec un sourire presque interrogateur et la jeune fille finit par s’avancer vers lui. Son soupir fut étouffé par le torse de son ami et elle resta un instant dans cette position, essayant de se concentrer sur la chaleur de Shin plutôt que sur Shin lui-même.
- Depuis combien de temps tu t’es pas détendue Ivy … ?
- Depuis que je suis entrée à l’armée je crois.
Elle s’écarta en souriant et fit mine de lui donner un coup de poing dans les côtes.
- Et puis t’es pas ma mère ! Arrête de parler sur ce ton ça ne te va pas du tout.
- Comment je suis censé parler alors ? Ricana Shin en attrapant de nouveau les épaules d’Ivy.
La jeune fille se débattit pour la forme, mais elle n’y mit pas beaucoup de conviction et finit par rester collée contre lui et soupirer à nouveau, amusée par son comportement puéril.
- Toi tu es celui qui se fout de me gueule à longueur de journée, ça m’aide à rester sur Terre. Sans toi comment j’éviterai de prendre la grosse tête ?
- Ravi de t’aider, rit-il sur le dessus de sa tête.
La souffle de Shin passait sur le haut des cheveux d’Ivy, il devait la dépasser de plus d’une tête. Si Ivy rappelait sa sœur au jeune homme, dans le cas de la jeune fille, c’était sa relation avec son père qu’elle retrouvait avec lui. Elle redevenait parfois, l’espace de quelques minutes, la petite fille joyeuse et optimiste qu’elle était alors. Elle s’autorisa encore quelques secondes de chaleur puis elle s’écarta définitivement de lui.
- Mon équipe m’attend, déclara-t-elle.
- Ils vont se demander ce que t’as fichu, qu’est-ce que tu vas leur dire ?
- La vérité. Qu’une autre recrue m’a doublé et m’a piqué la cible.
Shin rit et se plaça face au vide, reprenant les poignées de son équipement en en vérifiant brièvement les gâchettes.
- Personne te croira la vieille, y en a pas un qui puisse te doubler !
Il fila alors entre les arbres et disparut aux yeux d’Ivy qui resta un instant seule sur sa branche. Ce qu’il venait de dire n’était pas vraiment vrai. Mikasa était aussi forte qu’elle en manœuvre tridimensionnelle, et même sans la compter, leur promotion comportait de nombreux soldats très talentueux. Parmi les meilleurs se trouvaient Jean, Bertholdt, Reiner, Connie, Sasha, ou Annie …
Ivy serra les dents en songeant à la jeune fille et finit par essayer de la chasser de ses pensées. Elle n’avait pas besoin de songer à cela maintenant, pour le moment, elle devait juste rejoindre les autres au lieu de rendez-vous.
Ivy partit dans la direction opposée à celle qu’avait prise Shin et vola vers l’arbre sans se presser. Lorsqu’elle arriva là où l’attendait son groupe, elle fut accueillie par les soupirs soulagés des garçons et de Christa, et par la grimace agacée d’Ymir.
- Tu nous expliques ce qui a pris autant de temps ? Grommela cette dernière. Tu t’es pris une branche ?
- Je n’ai pas pu avoir la cible, répondit simplement Ivy, n’ayant pas envie d’argumenter plus avec cette tête de cochon.
Ymir ouvrit la bouche pour déverser son venin mais la petite Christa lui posa une main sur le coude et elle se calma quasiment instantanément.
- Tu râles, mais au final, tu es bien contente d’être dans cette équipe. Il suffit de regarder le score.
Les sages paroles de Christa calmèrent le jeu et Ymir se contenta de croiser les bras sans rien ajouter. Ils conclurent qu’ils avaient assez de sept cibles touchées pour être très bien placés dans le classement du jour. L’heure approchant, ils n’allaient pas tarder à revenir vers Shadis et ils ne viseraient plus de cibles à moins d’en croiser une bien placée.
Le temps de repartir, ils s’assirent tous sur une branche très large. Jean proposa un bras de fer à Christa qui se mit à rougir en secouant la tête. Le jeune soldat se croyait malin jusqu’à ce qu’Ymir ne décide de relever le défi à la place de son amie et Ivy assista à leur joute acharnée à côté de Marco, un peu à l’écart. Ce dernier souriait en regardant son ami transpirer sans pour autant réussir à faire avancer le match d’un pouce. Il se tourna ensuite vers Ivy et son sourire s’éteignit en croisant le regard sérieux de sa camarade fixé sur lui.
- C’est à cause de ce que t’as dit Shadis ? Il est toujours sur ton dos, mais si tu veux savoir, je pense qu’il t’aime bien dans le fond … C’est sa façon de le montrer qui est un peu bancale.
- Non, c’est pas ça. A vrai dire je pensais …
Tu vas mourir.
C’était à ça qu’Ivy ne pouvait s’empêcher de songer en regardant Marco. Lorsqu’elle voyait celui qui était probablement l’authentique gentil de l’histoire, elle revoyait son corps déchiqueté étalé sur les pavés du district de Trost.
- Je pensais que Jean et toi faisiez un très bon duo, tout comme Ymir et Christa, lâcha-t-elle avant de détourner le regard.
- Toi tu as Shin non ? Et puis, quand tu travailles avec Mikasa, c’est carrément de l’antijeu pour les autres.
Marco se mit à rire, s’attirant les regards des autres et Ivy força un sourire. Shadis ne la mettait plus en groupe avec Mikasa depuis longtemps déjà, parce qu’il avait jugé que « ce n’était pas un binôme constructif ». A voir le visage soulagé des autres recrues, les deux amies avaient surtout comprit que Shadis ne voulait pas décourager ses troupes. Mikasa et Ivy se complétaient bien, en effet, mais seulement d’un point de vue technique. Leurs compétences étaient élevées, alors combinées, elles devenaient exceptionnelles. Mais ce n’était pas ce qu’Ivy appelait un duo qui fonctionne. Pour fonctionner, une paire devait arriver à penser ensemble, à anticiper les mouvements de l’autre autant que ceux de l’ennemi et connaitre leur double aussi bien qu’eux même. Pour elle, Shin correspondait bien à cette description, et elle le savait, elle avait juste mis ce sujet sur le tapis pour détourner l’attention de Marco de son instant d’hésitation.
Quand la bataille de Trost débuterait, il faudrait qu’Ivy se tienne prête. Les recrues allaient être massacrées en grand nombre et certains endroits ressembleraient vraiment à une boucherie. Elle avait eu trois ans pour réfléchir au meilleur moyen d’agir et elle en avait déduit qu’elle ne pourrait pas sauver tout le monde, il était impossible d’être partout à la fois. Mais c’était un choix impossible à faire à l’avance, elle ne pouvait tout simplement pas décider qui allait vivre ou mourir. Elle avait prévu de se rendre à Trost et de faire de son mieux pour sauver un maximum de ses camarades, voilà tout. Mais il restait le problème d’Annie … Si elle n’était pas directement liée à l’attaque qui allait avoir lieu bientôt à Trost, elle restait un problème de taille. Parce qu’Ivy n’avait pas agi. Notamment parce que la jeune brune était complètement démunie contre le style de combat de la traitresse et un affrontement au corps à corps n’était donc pas envisageable. Ensuite, parce que l’ancienne Rêveuse n’arrivait pas à franchir le pas. Elle avait vécu trois ans avec cette fille et avait parfois entrevu son humanité, sa douleur, sa peine. Elle sentait qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec Annie, qu’elle se sentait coupable … Dans le manga, on la voyait souvent face à ses regrets, ressassant ses souvenirs pour se forcer à garder le cap. Peut-être que la tuer n’était pas nécessaire … S’en faire une alliée en se rapprochant d’elle était sûrement une meilleure solution.
C’est ce qu’avait fait Ivy, mais cela s’était avéré bien plus problématique que prévu. Parce qu’à présent, non seulement Annie ne s’était toujours pas confiée à elle à propos de sa capacité à se transformer en titan, mais en prime, si la Voyageuse devait en venir à tuer la blonde au caractère fermé, cela revenait à présent à tuer une amie … Elle avait beau essayer de la voir de nouveau comme un monstre, de se rappeler qu’elle allait faire du mal à tant de monde, Ivy ne parvenait plus à la détester, et c’était devenu un réel problème. Sans sa haine, elle était coincée.

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