Auteur : killashandra
Posté le 12 novembre 2016
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Entre deux mondes

Chapitre 7 : Échecs, ou comment savoir jouer le bon pion au bon moment.



Elle se souvenait juste avoir couru lorsque Annie, Reiner et Bertholdt s’étaient éloignés, droit devant elle et sans s’arrêter. Lorsqu’elle avait vu les lumières du camp, elle avait failli éclater en sanglots, soulagée de sortir enfin de ce cauchemar.
Alors qu’elle sortait de la forêt, elle remarqua deux silhouettes armées de lampes à huile qui erraient du côté du réfectoire. Quand elle les reconnut, elle courut vers eux.
- Shin ! Eren !
Elle avait chuchoté et pourtant ils se retournèrent immédiatement vers elle.
- Ivy ! S’exclamèrent-ils en chœur.
Elle s’arrêta devant eux, à nouveau essoufflée, et lorsqu’ils ouvrirent tous deux la bouche pour lui poser des questions, elle plaqua ses mains sur leurs visages.
- Non attendez ! Ne restons pas ici !
Elle regarda autour d’elle et les attrapa par les poignets avant de les entraîner tous les deux vers la forêt, ignorant leurs protestations. Elle fit bien attention à partir du côté opposé à celui où elle avait rencontré Annie et ses amis. Quand ils furent bien à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, elle planta ses yeux dans les leurs, au bord de la crise de nerfs.
- Qu’est-ce que vous foutez dehors ?
- On te cherche, expliqua Shin, Tarnag est revenu avec mon message parce qu’il ne t’avait pas trouvée et c’est pas dans tes habitudes de t’absenter comme ça.
Ivy se pinça les lèvres et s’appuya contre un arbre pour éviter que ses jambes flageolantes ne lâchent.
- Depuis combien de temps vous êtes là ?
- Ça fait bientôt une demi-heure, grommela Eren, visiblement pas ravi de la réaction de son amie.
Le jeune garçon s’attendait probablement à de la reconnaissance de sa part, mais elle ne pouvait pas lui en donner pour le moment, elle n’arrivait pas à se concentrer et à avoir les idées claires. La seule pensée cohérente qui lui traversa l’esprit fut qu’elle ne pouvait pas parler de ce qu’elle avait vu, du moins pas devant Eren. Ce n’était pas le fait qu’il soit trop jeune, il avait quinze ans depuis peu, mais qui sait comment il réagirait en apprenant ce qui s’était passé ? L’état d’esprit d’Eren et ses réactions étaient essentielles et Ivy se devait de les protéger à tout prix, car après tout, il était le héros de l’histoire non ? Ce soir, la Rêveuse avait merdé, et en beauté, c’était à elle d’assumer les conséquences et de faire en sorte que cela ne cause pas plus de changements.
- Qu’est ce qui t’arrive au juste ? T’as l’air complètement …
Eren ne trouvait pas ses mots et Shin se contentait d’observer son amie en silence. Ivy s’était laissée aller, beaucoup trop. Même si cela faisait mal et qu’elle avait envie de vomir, elle devait se reprendre, et vite !
- J’ai vu un ours … Improvisa-t-elle.
- Un ours ? S’écria le jeune garçon. Mais tu foutais quoi dans les bois ?! T’es blessée ?
- Je vais bien, je voulais juste prendre un peu de recul … Avant la dissolution.
- Je vois …
Le brun soupira et, à défaut de prendre Ivy dans ses bras, il lui posa une main hésitante sur l’épaule.
- Préviens nous la prochaine fois … On a vraiment flippé … Et puis, t’aurais pas vu Connie ?
Ivy sentit comme un grand choc en creux de l’estomac, comme si quelqu’un venait de la frapper violemment. Elle accusa le coup en silence, et se força à paraitre naturelle.
- Non, mais tu ne devrais pas t’inquiéter, ça lui arrive souvent de faire un tour.
- Je sais bien, mais il est tard quand même …
Shin se redressa et attrapa Eren par les épaules, le poussant en dehors de la forêt, vers le camp.
- Va te coucher va, c’est sûrement la dissolution qui le travaille lui aussi. Il sera là demain matin.
Le garçon hocha la tête et souhaita une bonne nuit à ses amis avant de repartir vers les baraquements, la lanterne à la main. Ivy le suivit des yeux, soulagée, et lorsqu’il referma la porte du dortoir derrière lui, elle se laissa tomber lentement au sol contre le tronc d’arbre qui la soutenait. Shin s’accroupit près d’elle et releva son visage en l’attrapant par le menton.
- Maintenant, dis-moi ce qui s’est vraiment passé.
La jeune femme repoussa la main du garçon aux cheveux d’argent et l’attira à elle, le faisant tomber à genoux. Elle se serra contre lui et se mit à pleurer à chaude larmes, ouvrant complètement les vannes. Shin passa une main dans son dos, ne sachant pas trop quoi dire et finit par s’assoir, prenant Ivy sur ses genoux, délicatement, comme si elle était fragile comme du verre. Assise sur lui à califourchon, Ivy enfouie son visage dans le cou de son ami et ne bougea plus avant d’avoir complètement cessé de pleurer. Quand le silence revint près de son oreille, Shin passa une main dans les cheveux détachés de la jeune femme, constatant que c’était la première fois qu’elle les laissait libres depuis leur rencontre. La serrant toujours contre lui, il murmura :
- C’est la dissolution qui te fait cet effet ? Je te savais pas si émotive …
Un coup de poing à peine retenu l’atteignit à l’estomac, le faisant tousser et lâcher sa prise sur Ivy. Cette dernière se redressa, les dents serrées et le visage plein de colère.
- Espèce d’idiot ! Ne soit pas si léger !!
Elle leva à nouveau le poing pour lui coller une droite mais la main de Shin attrapa son poignet tandis que l’autre tenait toujours son ventre.
- Je te rappelle que je suis censé être celui qui te ramène sur Terre avec mes vannes pourries, alors respecte mon boulot d’accord ?
Ivy lutta un instant pour dégager son bras mais elle finit par abandonner et laissa retomber son front sur le torse de Shin dans un soupir.
- Où est Connie ? Demanda alors le garçon.
Ivy se raidit, ses doigts se resserrant d’eux même sur le T-shirt de son ami.
- Je le savais … Souffla-t-il. Raconte.
Alors Ivy raconta. Elle lui expliqua ce qu’elle avait vu, sans pour autant parler de titan shifter. Elle hésita un instant à lui parler d’Annie, mais elle finit par le faire, se disant qu’elle ne pouvait pas tout lui cacher.
- Je pense qu’Annie est grandement influencée, dit-elle, elle semble toujours lutter contre elle-même … Mais ça n’excuse pas tout.
- Comment tu te sens ?
La jeune femme eut un rire amer et elle se releva avant de répondre.
- Connie est mort et tu demandes comment moi je me sens ?
- Oui, c’est toi qui a assisté à ça et qui va devoir faire face à ces trois-là demain matin en sachant ce qu’ils ont fait, et en sachant qu’ils ont entendu ton nom.
Ivy serra les bras contre sa poitrine et ferma les yeux. Connie avait en effet crié son nom dans la forêt … Qu’allaient faire Reiner et les autres ? Allaient-ils la supprimer elle aussi ?
- Je vais devoir jouer les ignorantes à la perfection jusqu’à ce qu’on trouve une solution …
- Je ne les laisserai pas te toucher de toute façon ! S’exclama Shin en se relevant à son tour.
- Je sais …
Elle se retourna vers lui et le laissa la prendre dans ses bras encore une fois. Elle se sentait en sécurité avec Shin et elle savait qu’il la protègerait toujours, quoi qu’il arrive, même si cela devait mettre sa propre vie en danger. C’était exactement pour cette raison qu’elle devait l’éloigner du district de Trost dans trois jours.
Shin effleura sa main et elle sentit un bout de papier se glisser entre ses doigts. Elle le déplia et baissa la tête pour lire le message inscrit dessus.

« Le bataillon d’exploration
- S. »

Ivy eut un sourire triste que Shin ne put pas voir. Cela signifiait qu’ils allaient rester ensemble, mais cela voulait également dire que le jeune homme allait être exposé. La brune sentit son cœur de serrer, mais elle se dit qu’elle ne pouvait pas échapper à ce sentiment, à cette peur de le perdre. C’était toujours comme ça quand on aimait quelqu’un, on ne pouvait s’empêcher de souffrir …

***

Quand elle se réveilla le lendemain matin, ses paupières semblaient faites de papier de verre et ses lèvres étaient gonflées. Elle se sentait faible, n’ayant pas mangé la veille et ayant couru toute la soirée. Quand elle s’assit dans son lit, le monde tourna autour d’elle. Sa douleur psychique se transforma brusquement en douleur physique sous la forme d’une violente migraine. La culpabilité l’écrasait, empêchant ses poumons de fonctionner correctement. Elle n’arrivait même plus à pleurer, et pourtant ce n’était pas l’envie qui lui manquait.
J’ai tué Connie … Sans moi rien de tout ça ne serait arrivé …
Des sanglots sans larmes secouèrent sa poitrine un peu comme une quinte de toux. Elle se sentait tellement vide et sèche qu’elle avait l’impression qu’un coup de vent pourrait l’emporter.
A côté d’elle, Sasha et Mikasa dormaient toujours, dans la même position que lorsqu’elle était venue se coucher, la première à moitié hors du lit, et l’autre bien droite sous sa couette encore bordée. Lorsqu’elle regarda par la fenêtre, la jeune femme constata que le soleil ne s’était pas encore levé. Elle n’avait pas le courage de se rendormir et de replonger dans ses cauchemars, mais elle ne devait rien faire d’inhabituel pour ne pas éveiller les soupçons d’Annie, alors pas question de se lever plus tôt que d’ordinaire. Elle se rallongea donc sagement dans son lit, fixant le plafond et essayant d’échapper à ses pensées et à ses souvenirs. Mais rien à faire, l’expression dans les yeux de Connie avant sa mort ne cessait de la hanter. Lui, la recrue la plus jeune de toute la promotion, était mort digne et la tête haute alors qu’Ivy ne pouvait que crever de peur et de tristesse dans son coin. La jeune femme était rongée par le doute à présent, ses choix avaient déjà tellement influencé l’histoire … Quoi qu’elle fasse, cela n’aboutissait jamais sur quelque chose de positif … Elle n’avait pas réussi à empêcher la mort de Carla, elle avait fait tuer Connie, elle avait poussé Shin à s’engager dans la voie dangereuse du bataillon d’exploration …
Elle serra les poings tout à coup en se rendant compte d’une chose. A part peut-être pour tout ce qui concernait Shin, elle n’était pas la seule responsable de ces évènements. C’était un titan qui avait tué Carla, et c’était Reiner qui avait lâchement éliminé Connie dans les bois ! Forte de cette certitude qui atténua un peu le poids qui pesait sur la conscience, un autre sentiment se mit à grandir en elle. Il n’y avait plus uniquement la peine dans son cœur, il y avait maintenant de la colère et de la haine. Tout son être réclamait vengeance. Tout comme Eren, elle se promit d’exterminer tous les ennemis de l’humanité, tous jusqu’aux derniers !
Carla, Connie, je vous vengerai ! J’effacerai ces monstres de la surface de la Terre !
Et pour ce faire, elle utiliserait la bataille de Trost. Quoi de mieux qu’une mêlée confuse pour se débarrasser de quelqu’un. Reiner, Bertholdt, Annie … Ils seraient tous les trois dans le district au moment de l’attaque et il serait facile pour Ivy de passer à l’action. Elle voyait d’ici la tête de Reiner tomber sur le sol et son sang se répandre à ses pieds. Elle le voulait mort, au même titre que tous les autres titans. Bertholdt la dégoutait aussi, par sa lâcheté et sa confiance aveugle en Reiner. En tant que complice, il y passerait aussi. Restait donc Annie … Ivy lui avait dit qu’elle était avec elle, qu’elle était de son côté, mais que faire après cette nuit ? Elle ressentait toujours une certaine affection à l’égard de la jeune fille, mais elle se sentait profondément trahie. Elle avait sans doute un peu trop espéré que la blonde changerait de camp grâce à leur amitié, ou plutôt, que leur amitié serait une raison suffisante pour revenir sur le droit chemin. Mais apparemment, rien ne pourrait la détourner de son but. A partir de maintenant, elles étaient donc ennemies.

***

- Comme vous le savez tous, il vous reste deux jours d’entraînement avant la dissolution. Pour que le classement final soit établi, il vous faudra acquérir une dernière note dans une épreuve en trio.
Keith Shadis observa le visage de ses recrues. Dans deux jours, ils seraient des soldats de l’armée régulière, des combattants au service de l’humanité. Combien d’entre eux mourraient sous les dents des titans ? Avait-il passé trois ans à entraîner de la nourriture sur patte ? Non, il refusait de croire que ces visages déterminés n’étaient pas le signe que quelque chose allait changer. La cent-quatrième brigade d’entraînement avait quelque chose qu’il n’avait jamais vu chez d’autres soldats, la détermination de la plupart des recrues était tout simplement impressionnante. Le talent de certains d’entre eux forçait l’admiration et le top dix était tout simplement constitué de certains des meilleurs éléments qu’il ait eu l’occasion de côtoyer. Ils avaient tous tellement changé depuis leur arrivée … A présent, lorsque le sergent criait, plus personne ne haussait un sourcil, alors que certains s’était pissé dessus le jour des présentations. Avec un léger sourire, il jaugea du regard l’avenir de l’humanité.
Au premier rang, Armin Arlelt se tenait bien droit et ses yeux était fixés devant lui avec détermination. Le jeune homme s’était surtout distingué par son intelligence largement supérieure et son sens de la tactique et il avait su rester juste au-dessus de la moyenne en ce qui concernait ses aptitudes physiques. Sa faiblesse de ce côté-là l’empêchait d’être dans le top dix, mais Shadis ne doutait pas qu’il puisse faire un excellent commandant. Non loin de lui, Eren avait toujours ce même regard sur le visage. La détermination du jeune garçon était son point fort, c’était grâce à sa persévérance et son désir de se battre qu’il avait pu combler toutes ses lacunes et qu’il était arrivé à un excellent niveau. Toujours fidèle à son post, autrement dit, juste à côté de son frère d’adoption, Mikasa, sûrement la dernière asiatique vivant à l’intérieur des murs. Son regard semblait presque vide, et même s’il avait longtemps refusé de l’admettre, la jeune fille foutait la trouille à Shadis. Il avait rarement vu quelqu’un d’aussi doué, et dans tous les domaines. Il se demandait parfois s’il ne préférait pas affronter une horde de titans plutôt que la jeune recrue.
Au deuxième rang se trouvaient Ymir et Christa. La première, une brune au caractère explosif était une élève très talentueuse, mais qui ne semblait jamais montrer pleinement l’étendue de ses capacités, comme si elle se retenait. Si elle ne faisait pas preuve d’autant de réserve, aucun doute qu’elle aurait pu être très bien classée. Christa, quant à elle, outre son don d’attirer les regards de la gent masculine, était étonnamment douée pour une fille d’un si petit gabarit. Son visage d’ange cachait une vraie lionne au combat et elle était aussi féroce que n’importe lequel de ses camarades.
Non loin d’elles, Sasha semblait s’ennuyer ferme. La jeune fille semblait toujours étrangement décalée par rapport à la masse, un peu excentrique et ses réactions n’étaient pas toujours très logiques ou prévisibles, mais elle avait une sorte d’instinct, ou plutôt une intuition à toute épreuve, qui faisait d’elle un adversaire redoutable. Derrière elle, Jean et Marco se regardaient avec un sourire, voyant déjà leur vie dans les brigades spéciales se profiler devant leurs yeux. Il faut dire qu’ils avaient de quoi espérer, les deux recrues étaient très douées et elles avaient également de très grandes chances d’être dans les dix premiers de la promotion. Jean était un as de la manœuvre tridimensionnelle et Marco était un leader né.
Non loin de là, un trio fort reconnaissable attira l’œil du sergent instructeur. Annie, encadrée par Bertholdt et Reiner, semblait comme d’habitude avoir du mal à supporter la présence d’autres êtres humains autour d’elle … Si elle était très douée, notamment au corps à corps, elle n’avait absolument aucune notion de travail d’équipe … Le problème de Bertholdt quant à lui, était qu’il n’avait pas beaucoup d’initiative. Le jeune homme avait les capacités mais ne les exploitait pas assez du point de vue de Shadis. Quant à Reiner, il était un peu celui que tout le monde respectait dans la promotion. Toujours là pour soutenir ses camarades, son caractère aimable effaçait un peu l’air de brute épaisse qu’aurait pu lui donner sa simple carrure.
Et au fond se tenait l’une des élèves que Shadis avait le plus de mal à comprendre. Ivy. Bien qu’il soit toujours en conflit avec elle, ses talents et sa volonté étaient indéniables. Son sale caractère lui rappelait parfois une certaine jeune femme du nom de Carla Jeager. Il se demandait si elle l’avait connu, étant donné qu’Ivy était assez proche de son fils, Eren. Il observa Shin donner un coup de coude à la jeune fille pour la dérider un peu, mais elle garda son expression fermée. Le jeune homme aux cheveux d’argent n’était pas loin du top dix lui non plus, il était performant dans à peu près tous les domaines, sans pour autant être exceptionnel.
Mais il manquait quelqu’un à l’appel ce matin.
- Avant de vous expliquer en quoi consistera votre dernière épreuve, je dois vous annoncer qu’un des conscrits de la cent-quatrième brigade a disparu cette nuit. Il n’a pour l’instant pas été retrouvé, et jusqu’à preuve du contraire, Connie Springer sera considéré comme un déserteur.
Shadis jaugea les réactions de ses élèves du regard, mais il n’y eut rien au-delà des regards surpris que s’échangèrent ceux qui connaissaient Connie. Le sergent instructeur se doutait que la jeune recrue n’avait pas déserté, à deux jours de la dissolution, c’était complètement absurde. Et il comptait bien découvrir ce qui s’était passé cette nuit …
- Pour votre dernière mission, vous devrez passer deux jours dans un environnement sauvage sans aucun autre matériel que votre équipement de manœuvre tridimensionnelle. Vous serez par équipe de trois et devrez trouver de la nourriture et un abri par vos propres moyens. Vous avez déjà fait des expéditions de survie, je le sais, mais cette fois, vous partez les mains vides.
- Quand partons-nous sergent ?! S’écria Jean.
- A l’instant ! Juste après l’annonce des groupes !
Les recrues se regardèrent avec étonnement. Tous comprenaient un peu mieux pourquoi on leur avait demandé de venir équipés ce matin, aux aurores. Mais ils n’avaient même pas eu le droit de prendre un petit déjeuné … Seule Sasha souriait dans son coin, se disant qu’elle avait bien fait de cacher ce jambon sous sa veste avant de venir.
- Premier groupe : Christa, Samuel, Thomas ! Vous pouvez monter dans le premier chariot !
La jeune fille appelée jeta un regard effrayé à son amie Ymir, mais cette dernière lui posa une main sur le bras comme pour lui certifier que tout irait bien. Avec une grimace, la petite recrue au visage d’ange se dirigea vers les deux garçons de son équipe, qui avaient soudain l’air d’excellente humeur. Ils s’écartèrent tous les deux pour la laisser monter en premier et Samuel faillit même se prendre les pieds dans les marches en grimpant derrière elle. Il allait vite déchanter en comprenant que Christa était loin d’être une petite chose fragile et qu’elle n’avait aucune intention de récolter une mauvaise note lors de cet exercice parce que ses coéquipiers étaient trop occupés à la reluquer.
- Deuxième groupe ! Armin, Bertholdt et Ymir ! Cria Shadis.
Ivy se raidit en entendant le nom de Bertholdt suivre celui de son ami. Elle jeta un bref coup d’œil à Armin, qui, ignorant complètement la situation, lançait un sourire soulagé à l’acolyte de Reiner. Shin serra aussi les poings, espérant de tout son cœur que Bertholdt ne se risquerait pas à attaquer leur ami pendant un entrainement officiel …
- Troisième groupe : Sasha, Jean, Mikasa !
La distribution faillit dérider Ivy. Jean semblait étonnamment souriant en quittant Marco et lorsqu’il rejoignit Mikasa, ses joues rouges achevèrent de détendre la Rêveuse. Il allait avoir du mal à tenter quoi que ce soit avec Sasha dans les pattes, la reine de l’indiscrétion, mais au moins, il allait passer deux jours plutôt agréables …
- Quatrième groupe : Shin, Eren et Reiner !
La joie d’Ivy prit un sérieux coup lorsqu’elle entendit le dernier nom. Elle s’efforça de garder le sourire aux lèvres et elle pressa simplement la main de Shin, comme deux amis se disant au revoir. Seulement, cette pression, un peu plus forte que nécessaire, trahissait sa peur et lorsque Shin lui ébouriffa les cheveux, cela ne signifiait pas « A bientôt », mais « Ne t’en fais pas, tout ira bien ».
Ivy détestait jouer cette petite comédie devant les trois traitres, mais elle devait tout faire pour endormir leurs soupçons. Reiner pouvait très bien décider de faire du mal à Shin s’il avait de trop gros doutes sur le comportement de la jeune femme.
Elle le regarda donc s’éloigner pendant quelques secondes avant de se focaliser de nouveau sur le sergent instructeur, comme si elle attendait avec impatience la composition de sa propre équipe.
- Cinquième groupe ! Annie, Marco, Ivy ! Au chariot !
Ça n’aurait décidément pas pu être pire … Se retrouver avec celui qui allait probablement mourir à Trost et celle qui était devenue son ennemie numéro un. Ivy n’eut pas besoin de regarder Shin pour savoir qu’il s’appliquait à ne pas la fixer avec des yeux trop empreins d’angoisse, elle se contenta d’adresser un sourire à Annie et d’accepter la joyeuse poignée de main de Marco.
Ils se dirigèrent tous les trois vers le chariot et Ivy essaya de se vider la tête et d’avancer comme d’habitude. Elle finit par y parvenir, plus ou moins, et elle s’assit vers l’avant de la carriole sans adresser un mot au conducteur. Elle avait l’impression qu’il ne lui répondrait pas de toute manière.
- Finalement, dit alors Annie, on n’est pas totalement sans ressources.
Elle montra un petit sac de toile posé dans le fond du charriot et Marco se pencha pour le ramasser.
- C’est des signaux de fumée, constata-t-il, sûrement pour signaler notre position à la fin de l’épreuve ou en cas de pépin.
- Combien y en a ? Demanda Annie en s’asseyant nonchalamment.
- Un seul …
Marco fouilla à nouveau le sac mais il ressortit les mains vides et haussa les épaules.
- Ça doit vouloir dire qu’on a le droit qu’à un pépin, et qu’il marque l’échec de la mission … Souffla Marco.
Il s’assit à son tour quand le chariot démarra et remit le pistolet et la cartouche de fumée dans le sac avant de le refermer soigneusement.
- En tout cas, ajouta-t-il, c’est vraiment la chose à ne pas perdre.
Lyn, fais bien attention au livre, c’est vraiment la chose à ne pas perdre !
La voix de Kyo surgit de nulle part dans l’esprit d’Ivy, manquant de la faire sursauter. Elle semblait tellement lointaine, comme si elle avait appartenu à une autre vie. Aujourd’hui, les notions de dimensions et de Bibliothèque étaient floues à ses yeux. Elle secoua la tête pour chasser cette voix devenue si peu familière.
Elle resta silencieuse pendant la majeure partie du trajet, regardant le paysage, perdue dans ses pensées. L’avantage de ne pas être très bavarde en temps normal, c’était qu’elle n’avait pas à se forcer à faire la causette pour paraitre normale. A vrai dire, personne ne parlait dans la carriole depuis un moment lorsque Marco brisa le silence :
- Vous pensez qu’on va être lâchés où ?
- Sûrement en pleine forêt, marmonna Ivy.
- Vous ne pensez pas qu’ils iraient jusqu’à nous balancer en dehors des murs, hein ?
L’expression de Marco était si sérieuse que la Rêveuse ne put retenir un sourire.
- Bien sûr que non, ils savent qu’on n’est pas prêts, rétorqua Annie.
- Pourtant la dissolution a lieu demain soir … Déclara Ivy. On sera officiellement des soldats à ce moment-là.
Annie tourna la tête vers la jeune femme et la fixa un instant avant de répondre de son air habituel, morne et détaché :
- Peut-être, mais ils savent qu’on n’est pas prêts. On ne peut pas être prêt avant d’en avoir rencontré un. On ne devient un soldat qu’après avoir survécut à l’un d’entre eux.
- A un titan ? Demanda Marco en essayant très visiblement de retenir la foule d’émotion qui transparaissait dans sa voix, comme s’il vouait imiter le ton neutre d’Annie.
- Bien sûr un titan, de quoi tu veux que je parle ?
Le silence revint un instant et Annie finit par avoir un petit rire bref et cynique :
- On forme pas l’équipe la plus harmonieuse pas vrai ? Entre toi Marco, le mec cool avec tout le monde, et nous qui préférons être en solo …
- Ne me mets pas dans le sac des asociaux s’il te plait, grogna Ivy, je suis parfaitement capable de m’inclure à un groupe.
- Oh bien sûr, continua la jeune blonde, surtout quand ce groupe contient un certain Shin …
La brune serra les poings et ses sourcils se froncèrent d’eux même. A quoi jouait Annie à essayer de la provoquer comme ça ?
- Tu sais quoi, rétorqua Ivy, je te préfère quand tu n’essaies pas de te sociabiliser …
L’interpellée leva les mains en haussant les épaules, comme si elle rendait les armes, puis elle tourna la tête vers l’extérieur de leur véhicule, signifiant qu’elle ne se mêlait plus de leurs affaires. Alors qu’elle pensait que la discussion en resterait là, Marco demanda :
- Ivy, c’est vrai que tu aimes Shin ?
La jeune femme faillit s’étrangler en entendant sa question et elle resta quelques secondes la bouche ouverte, ne sachant par où commencer.
- Quoi … ?! Mais qui raconte des idioties pareilles ?!
- Bah … Disons que personne ne le dit vraiment mais … C’est vrai que vous êtes très proches et …
- Aussi proches que peuvent l’être Eren et Mikasa, comme un frère et une sœur !
Marco sembla tout à coup se sentir très mal à l’aise et il détourna le regard en s’excusant.
- Pas grave, bougonna la jeune femme.
Le reste du trajet se déroula plutôt calmement, ils ne parlèrent que de choses futiles comme le paysage ou les talents de chacun. Ils découvrirent ainsi que Marco était doué pour confectionner des pièges et qu’Annie savait faire du feu avec à peu près n’importe quoi. Ivy, quant à elle, était plutôt douée à l’arc et savait en confectionner un avec peu d’éléments.
Lorsque le chariot s’arrêta enfin, le conducteur leur adressa ses premiers mots depuis le départ du camp :
- L’exercice s’arrête au coucher du soleil dans deux jours, c’est tout ce que j’ai le droit de vous dire.
Il regarda un instant les trois jeunes soldats et leur sourit chaleureusement. Ils lui rappelaient son propre entraînement avec leurs airs perdus et leurs mines fatiguées. Le soldat claqua ses rênes et le cheval fit docilement demi-tour, emportant la carriole au loin.
Ivy se détourna immédiatement du véhicule qui s’éloignait pour observer leur nouvel environnement. Le soleil venait de finir de se lever complètement et la forêt n’avait rien à voir avec l’obscur bois d’hier soir, c’était le genre de forêt dans laquelle on se sent à l’aise, en communion avec la nature, pas de celle où on peut croiser un cadavre. Ivy secoua la tête pour ne pas penser au corps de Connie qui gisait encore quelque part entre deux arbres et elle commença à avancer. Quand elle se serait débarrassée de Reiner, Annie et Bertholdt elle retrouverait le corps et le rendrait à sa famille pour qu’ils puissent faire leur deuil, elle refusait que Connie soit un vulgaire déserteur aux yeux des siens.
Annie et Marco la suivirent et ils marchèrent ainsi pendant quelques minutes. Ivy ne savait pas exactement ce qu’elle cherchait, mais la forêt dense et épaisse autour d’eux n’était pas un environnement convenable pour établir un camp. La faim commença à se faire sentir avant qu’ils n’aient trouvé l’endroit parfait.
- Je crois que tu vas devoir nous faire une démonstration de tes talents la première, Ivy, annonça Annie en s’arrêtant soudainement d’avancer.
La brune stoppa la marche à son tour et regarda autour d’elle. Les arbres alentours lui plaisaient bien, leurs branches étaient plutôt droites et souples.
- Ok, on s’arrête un moment. Déclara-t-elle. Reposez-vous pendant que je bricole mon arc.
- Tu veux de l’aide ? Demanda Marco.
Ivy posa les yeux sur lui et eut un sourire énigmatique qui laissa le jeune garçon perplexe. Elle s’approcha de lui et avança la main vers sa poitrine. Elle attrapa le bout du lacet qui tenait le col en V de son T-shirt fermé et le tira à elle.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- J’ai besoin d’une corde. Et toi aussi pour poser tes collets non ?
Il hocha la tête, comprenant ce qu’elle voulait dire et il regarda un instant sa tenue pour trouver d’autres fils à utiliser. Les filles firent de même et au final, ils avaient rassemblé quelques lacets de bottes et de sweat.
- Bon, je prends la plus longue pour mon arc, toi commence à faire des nœuds Marco.
- Et moi ? Demanda Annie en essayant d’ajuster l’encolure de son sweat à capuche.
- Tu peux commencer à ramasser du bois par exemple, pour le feu.
La blonde hocha la tête et disparut dans les fourrés, laissant Marco et Ivy seuls. Cette dernière sortit une de ses lames et commença à tailler de longues branches droites. Une fois sa besogne terminée, elle en avait plusieurs d’un bon mètre vingt de haut. Elle les soupesa, testa leur souplesse et leur robustesse et finit par en sélectionner une et faire une entaille à chaque extrémité. Marco continuait à faire des nœuds coulants sur ses lacets en regardant Ivy devant lui. Il l’observa nouer la corde à chaque bout de sa branche et la faire passer dans les fentes pour la bloquer. Il la regarda tendre son arc en appuyant de ses deux mains sur le haut pour le faire plier et ajouter des tours de cordes autour d’une des deux extrémités. A chaque fois qu’elle faisait un tour, la jeune femme vérifiait la tension de la corde, et lorsqu’elle fut satisfaite, elle se mit en quête de branches plus petites et plus fines pour tailler ses flèches. Elle revint s’assoir à côté de Marco avec un petit tas de bois et elle commença à couper l’écorce avec soin.
- Qui t’as appris à faire des arcs ? Demanda le garçon qui avait terminé sa besogne.
La lame d’Ivy ripa bizarrement sur le bois, coupant la pointe qu’elle était en train de tailler. Elle s’arrêta une seconde pour jauger l’ampleur des dégâts et finit par jeter le morceau de bois pour s’attaquer à un autre. Marco crut qu’elle n’allait pas répondre mais elle finit par desserrer les lèvres avec un léger sourire :
- C’est mon père.
- Oh, et il fait quoi ton père, si ce n’est pas trop indiscret ?
Ivy laissa retomber ses mains sur ses cuisses pour réfléchir, un léger sourire sur les lèvres.
- Il était journaliste …
- Oh … Ivy je suis désolée … Comment … ?
Elle allait répondre qu’il s’agissait d’un accident de voiture mais les voitures n’existant pas dans ce monde, et n’ayant pas envie d’inventer une histoire banale pour la mort de son père, elle répondit simplement :
- J’ai perdu toute ma famille à Shiganshina.
- Navré Ivy … Moi c’est la maladie qui a emporté mon père, et quelques mois avant que je m’engage, ma mère l’a rejoint.
- Désolée pour toi. Mais de toute manière, je pense qu’il vaut mieux ne pas trop avoir d’attaches quand on s’engage dans l’armée.
- Je ne sais pas trop, répondit Marco, songeur, moi j’aimerais quand même fonder une famille plus tard, même si je suis un soldat.
Ivy imagina un instant le garçon jouant avec ses enfants, un peu de barbe sur les joues et quelques cheveux gris sur les tempes. Puis elle vit son visage coupé en deux et son corps affalé sur les pavés du district de Trost tel qu’il était dépeint dans un certain livre ... Deux jours, dans deux jours il faudra agir …
- Je suis sûr que tu feras un merveilleux père de famille.
- J’ai plutôt l’impression que c’est toi qui ne veux pas avoir d’attache je me trompe ? Dit-il, changeant de sujet abruptement.
Marco avait cette faculté de toujours voire au plus profond des gens, de les analyser et de savoir ce qu’il y avait de bon en chacun. Il aurait fait un psy merveilleux … Ivy continua à tailler ses flèches en silence. Elle n’avait pas envie de répondre à cette question, elle n’avait pas envie de parler d’elle. Comme toujours lorsqu’il fallait creuser un peu dans ses propres sentiments, elle se braquait et se retrouvait complètement perdue. C’était pour ça qu’elle détestait les psys …
- Ne m’en veux pas, je ne voulais pas être indiscret …
- Pas grave … Répondit-elle tout en continuant à tailler le bois.
Elle finit de confectionner ses flèches de fortune à peu près au moment où Annie revint vers eux, les bras chargés de bois sec. Ivy se leva et encocha l’une d’elles. Elle avait bien sûr travaillé le tir à l’arc avec Elana et Erildys lors de son voyage dans les Mondes d’Ewilan, mais l’essentiel de ses facultés lui venait des camps d’entraînement, et, les bases, elle les tenait de son père. Elle n’était pas mauvaise au tir et bien que Shin lui ait toujours certifié que manier l’arc était une perte de temps quand on devait se battre face aux titans, Ivy avait continué à s’exercer.
Elle se concentra et stabilisa l’arme, ainsi que sa respiration. Marco et Annie l’observèrent d’un œil attentif et le jeune garçon sourit lorsque la flèche de leur amie fusa bien droit, directement entre deux arbres.
- Bon boulot !
- Il n’y a plus qu’à espérer que tes collets et que le feu d’Annie marchent aussi bien, déclara Ivy, et ces deux jours de survie vont ressembler à des vacances.
Remotivés et poussés par la faim, les trois compagnons se mirent en route. Ils avaient laissé derrière eux le bois et les collets, notant soigneusement l’endroit où ils les avaient cachés pour pouvoir y revenir plus tard. De temps à autre, l’un d’entre eux pliait une branche, faisant ainsi une marque pour faciliter leur retour.
Un bruit d’aile attira l’attention d’Ivy et elle banda son arc, encochant une nouvelle flèche.
- Restez là, je vais voir.
Ses deux amis acquiescèrent et elle partit devant. Elle posa ses pieds sur les zones du sol recouvertes de mousse et évita soigneusement brindilles et feuillage. Elle sauta de pierre en pierre en essayant de se fondre avec l’atmosphère silencieuse de la forêt. Elle dut cependant commettre une erreur car lorsqu’elle s’approcha d’un gros buisson de buis, deux énormes oiseaux s’envolèrent dans un concert de battements d’ailes. Alertée par le bruit et l’arme déjà prête à l’emploi, Ivy leva les bras et tendit la corde, pinçant sa flèche. Elle ne s’autorisa qu’une demi-seconde pour viser et décocha alors que les deux oiseaux allaient disparaitre dans le feuillage épais des frondaisons. Touché à l’aile, l’un des deux oiseaux, un faisan si les observations d’Ivy étaient justes, s’écroula en piaillant. La jeune femme s’élança vers sa proie et sortit une de ses lames, faisant passer arc et flèche dans son autre main. L’oiseau tentait de s’échapper en courant sur ses pattes mais la flèche qui barrait son corps entravait ses mouvements. Elle n’eut aucun mal à lui trancher la tête d’un coup sec, abrégeant ainsi ses souffrances et assurant un repas à son équipe.
Lorsqu’elle revint, elle tenait sa proie par les pattes, souriante.
- Quelqu’un sait cuisiner ?

Une heure plus tard, tout le groupe mangeait devant un feu de camp improvisé. Annie l’avait allumé et Marco s’était occupé de déplumer la perdrix et de la faire rôtir. Cela faisait mal à Ivy de l’admettre, mais leur petit groupe fonctionnait bien. Elle aurait presque préféré que l’ambiance soit tendue avec Annie, mais c’était comme si rien ne s’était passé, comme si Connie n’était pas mort seulement quelques heures plus tôt. La jeune femme mangea sa part en silence, écoutant les deux autres parler pure stratégie. Ils finirent par conclure qu’un vrai repas ce soir et un autre demain seraient suffisants et que le reste de leur subsistance pourrait être assurée par de la simple cueillette. Ivy n’aurait donc pas besoin de jouer souvent de ses flèches. La mission qu’ils se fixèrent pour l’après-midi fut de trouver un lieu où installer leur abri, aussi, c’est ce qu’ils firent en se remettant en route.
Au bout de quelques heures de marche et d’exploration, ils finirent par avoir les poches pleines de noisettes et d’autres fruits des bois et ils trouvèrent enfin une petite clairière. Elle était bordée par la forêt d’un côté et par une paroi rocheuse creusée par l’érosion de l’autre. Avec une telle configuration, il suffirait aux trois recrues de bâtir des murs sous le toit naturel qui s’offrait à eux. Ivy et Annie s’y attelèrent pendant que Marco alla poser ses pièges.
- Peut être que demain, tu n’auras même pas besoin de chasser Ivy, dit-il en partant.
Les deux filles commencèrent à rassembler des branches épaisses, à deux il était facile de transporter de petits troncs par exemple. Leurs lames étant conçues pour être extrêmement résistantes, elles purent également tailler ces piliers en pointe et la majeure partie de leur travail consista à les enfoncer dans le sol en ligne pour former une palissade. Pendant que l’une tenait le morceau de bois, l’autre frappait le sommet avec un rocher, et très vite, le mur commença à progresser. Lorsqu’elles eurent fini, Ivy allait s’assoir mais la main d’Annie la retint par la manche.
- Attends, le plafond est légèrement incliné vers le fond de notre abri. S’il pleut, toute l’eau va couler directement vers nous et faire une mare sous nos pieds. On va faire une gouttière.
La gouttière d’Annie consistait en fait à installer de morceaux d’écorce en haut de la paroi rocheuse. Placées à cet endroit, l’eau qui tomberait sur le haut ne glisserait plus vers l’intérieur mais serait projetée vers l’avant comme sur une rampe. Ivy doutait qu’il pleuve, mais si c’était effectivement le cas, cela leur éviterait de dormir dans l’eau et la boue.
Elles s’installèrent à l’intérieur de leur abri en attendant le retour de Marco et s’autorisèrent à grignoter quelques noisettes vu les réserves qu’ils avaient accumulées.
- Ivy, je suis désolée pour hier soir, j’aurais pu dû partir comme ça sans explications.
Ivy croqua dans une noisette, un air indifférent sur le visage, mais à l’intérieur, son esprit se mit à rugir. Elle devait absolument faire taire les soupçons d’Annie maintenant, c’était la meilleure occasion ! Cette discussion n’était qu’une partie d’échecs, chaque réponse devrait être savamment calculée pour que la suivante soit sous contrôle. Il fallait qu’Ivy amène Annie là où elle voulait qu’elle aille, il fallait qu’elle soit calculatrice, manipulatrice. Il y a deux jours, cela l’aurait peut-être peinée d’utiliser ainsi la jeune fille, mais aujourd’hui, elle ne s’autorisait plus le luxe d’avoir des remords ou des états de conscience. Annie n’avait rien fait pour sauver Connie, pire, c’était comme si elle avait participé à son assassinat, et ça, Ivy ne pouvait le pardonner. Elle n’hésiterait plus devant le visage triste de la jeune fille, elle ne douterait plus de la meilleure manière d’agir, n’essaierait plus de gagner sincèrement sa confiance et de l’amener à se confier. Voilà où l’avait menée la manière douce, voilà comment elle avait été remerciée d’avoir ouvert les bras à un monstre. Maintenant son cœur lui faisait mal dès qu’elle repensait aux évènements de la veille, maintenant la nausée la prenait à la gorge dès qu’elle se souvenait de ce qu’elle avait vu et entendu et elle sentait sa respiration et son rythme cardiaque s’accélérer dès qu’elle croisait le regard de Reiner ou des deux autres. Elle se demanda un instant si elle aurait le cran de tuer Annie, là tout de suite, dans cette forêt. Peut-être bien … L’entraînement l’avait endurcie et elle s’en sentait la force, mais ce n’était pas de rater son coup dont elle avait peur, c’était des conséquences. Que feraient Reiner et Bertholdt en apprenant la mort d’Annie ? Ils comprendraient immédiatement qu’Ivy était impliquée et que feraient-ils alors ? Reiner était avec Shin et Eren et ce dernier ne se doutait de rien et voyait toujours le grand gaillard comme un modèle …
Et puis il y avait Marco … Il allait revenir d’une minute à l’autre et Ivy ne pouvait pas supprimer Annie sans qu’il ne se doute de quelque chose lui aussi. Elle était forcée de lui laisser la vie sauve, de jouer avec le feu.
Elle se força à garder un masque parfaitement neutre, retrouvant parfaitement le comportement qu’elle avait toujours eu avec Annie.
- D’une certaine manière je comprends, déclara-t-elle, je ne suis pas non plus à l’aise avec ce genre de discussion.
- Tu es en train de dire que nous sommes pareilles ? Demanda sombrement Annie.
Ivy ne s’interrogeait plus sur ce que pouvait ressentir sa camarade, elle était devenue le psy et seul le cheminement de sa pensée l’intéressait à présent.
Si elle avait dû répondre franchement à cet instant précis, elle lui aurait dit qu’elle ne pourrait jamais être comme elle et regarder la mort d’un innocent en fac, sans réagir. Mais elle s’appliqua à laisser apparaitre un fin sourire sur ses lèvres et regarda le sol comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’elle se mettait à parler d’elle à quelqu’un.
- Nous ne sommes pas différentes Annie, au fond nous ne sommes que des marionnettes, c’est toi qui l’a dit.
La blonde acquiesça pensivement et Ivy compta les secondes qui s’écoulèrent. Au bout de cinq, elle repartit à l’assaut, avançant le prochain mouvement de sa stratégie offensive.
- Je t’ai suivie ce soir-là.
C’était la partie risquée. Cette phrase mit automatiquement la puce à l’oreille d’Annie et même si cette dernière, n’étant pas assez bête pour laisser paraitre son trouble, resta de marbre, Ivy sut qu’elle avait capté toute son attention. Cette phrase pouvait signifier deux choses. La première, que la jeune brune était en train d’accuser clairement sa camarade. La seconde, qu’elle n’avait aucune idée de ce qui s’était passé et ne voyait même pas que ce qu’elle venait de dire pouvait porter à confusion. Il fallait donc ne montrer aucune expression particulière, la moindre tension à cet instant aurait suffi à trahir Ivy, et dieu seul savait ce qu’Annie aurait pu faire. Mais elle était obligée d’en passer par là, elle savait qu’ils avaient entendu son nom ce soir-là, crié par Connie, elle devait mettre le sujet sur le tapis pour clarifier la situation et apaiser leurs doutes.
- Je voulais répondre convenablement à ta question, mais j’ai dû rentrer seule au camp …
- Ah …
Le ton de sa voix était tendu, Ivy sut qu’elle la tenait. Il ne manquait plus qu’un dernier tour et la partie serait gagnée.
- Tu sais … Je crois que c’est peut-être à cause de moi que Connie a disparu … Il est sorti à peu près au même moment que moi d’après Shin, mais quand je suis rentrée à cause de l’Obscurité, il n’était toujours pas revenu … Tu crois qu’il m’aurait suivie ? Et qu’il s’est perdu ?
Ivy leva des grands yeux suppliants vers Annie dans lesquels elle laissa même briller quelques larmes. Ce ne fut pas bien difficile, ces dernières avaient tendance à couler très facilement depuis cette nuit et Ivy était à bout de nerf. Simuler une crise de culpabilité aiguë était un jeu d’enfant.
Elle vit le changement attendu dans les yeux d’Annie. Sous son habituel air morne se cachait une pointe de soulagement. Elle put presque entendre ses pensées. Elle était heureuse de ne pas avoir à tuer Ivy, elle songeait probablement au moment où elle allait annoncer à Reiner et Bertholdt que la brune ne représentait pas une menace.
Ivy avait gagné. Échec et mat.

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