Auteur : Captainvpn
Posté le 24 juillet 2017  | Édité le 26 juillet 2017
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C’était fou à quel point il ne se rappelait de rien. De rien, mis à part son prénom qui lui avait été soufflé par le vent et de quelques détails de son nouvel emplacement, comme les mots qu’il avait pu mettre sur les choses qui l’entouraient. Il se trouvait toujours au fond du fossé surplombé par le grand arbre, balayant du regard l’espace environnant, dont on entendait les cris lointains de la faune locale, comme avec un intérêt nouveau. Il se décida finalement à se mettre debout. Au départ sa démarche fut chancelante, mais il profita néanmoins de ses premiers pas pour décoller la terre de ses habits. Il portait visiblement un sweatshirt gris des plus basiques, largement troué par le temps, un jean lui aussi délavé par ses affres et une vieille paire de converses. Il fronça subitement les sourcils. Comment arrivait-il à se rappeler de tout ça, alors qu’il n’arrivait plus à rassembler les morceaux de son passé ? C’était comme si l’essentiel de sa mémoire avait été volontairement effacé, mais qu’une partie bien plus enfouie subsistait tout de même. Il ne comprenait pas.
Toutefois, pas le temps de s’attarder sur la question, étant donné qu’une autre chose, assez désagréable également, vint à le tirailler. Il avait faim. Une faim de loup. Et il était assoiffé. C’était à se demander combien de temps il avait passé là, au fond de ce trou. Décidé, il s’approcha de la paroi du fossé, et entama son ascension. La pente était relativement glissante, aussi prit-il son temps pour l’escalader. D’une hauteur d’environ dix mètres, il dut s’y reprendre par trois fois avant de parvenir au sommet. Arrivé au dernier mètre, il empoigna fermement une courte racine qui dépassait là, et balança le bas de son corps par dessus l’épais mur de terre. Il atterrit sur un autre sol plus bruissant, plus haut, plus verdoyant.
Il ne lui aura fallu que quelques pas de plus, une fois relevé, pour analyser le cadre dans lequel il se trouvait. Il avait mis le pied dans ce qui semblait être une clairière embrumée, garnie d’un brouillard intarissable, et dans laquelle on pouvait observer quelques morceaux de pierre ci et là, qui devaient gésir ici depuis longtemps déjà. Il s’en approcha, et remarqua que ceux-ci semblaient avoir autrefois fait partie intégrante d’une structure bien plus importante, de par leur aspect travaillé et leurs fractures qui paraissaient tout sauf régulières. Son ventre gargouilla horriblement. Il releva donc la tête, et jugea bon de s’aventurer dans le brouillard afin d’y trouver des vivres, ne souhaitant plus perdre de temps. Sinon, il ne ferait pas long feu.
Il déambulait dans cette lourde bruine depuis un petit moment, se faufilant au travers des divers monolithes et nombreux arbres qui se dressaient devant lui. La clairière dont il venait n’existait plus, elle avait laissé place à une forêt massive, emplie de ruines de marbre qu’on devinait aisément comme les restes d’une civilisation disparue, et dont le brouhaha animal n’avait fait que de croître. Il poursuivit donc son chemin dans cette jungle étrange, qui lui semblait tout de même bien familière, bien qu’il ne sache pas en quoi. C’est alors qu’il tomba face à une grande arche à moitié détruite. Intrigué, il s’en approcha davantage en manquant plusieurs fois de trébucher sur les touffes d’herbes rebelles qui s’échappaient de leur manteau vert. L’arche représentait à première vue l’entrée d’un immense bâtiment – probablement l’un des centraux de l’époque – dont on ne pouvait même pas entrevoir la façade tant celle-ci était engloutie par l’épaisse forêt. Non sans hésiter davantage, il s’engagea dans l’édifice.
L’intérieur était couvert de dorures brisées et rouillées par les années, mais qu’on imaginait riches et précieuses dans leur état d’origine. Les murs – qui autrefois devaient compter des vitres – avaient été dessinés sous formes d’arches également, plus petites, et qui étaient maintenant envahies par la broussaille. On pouvait voir des racines de toutes les tailles lézarder le long des colonnes de celles-ci, enserrant ces bijoux d’architecture dans un étau végétal impressionnant. Matthieu fit quelques pas timides dans le hall d’entrée, qui résonnèrent plusieurs fois dans le clos de la large pièce. Il inspira sèchement. La soif lui devenait peu à peu insoutenable, et il fallait impérativement qu’il trouve de l’eau. Il se hâta donc d’explorer la première aile du bâtiment, sur la gauche, qui s’étendait sous forme d’un grand corridor. Il s’y engagea prestement, et marcha d’un bon pas en son sein, juste avant qu’une odeur nauséabonde ne le prenne à l’estomac. Le couloir empestait la mort.
A mesure qu’il progressait dans l’allée, l’odeur se faisait de plus en plus présente, et la lumière s’atténuait. Soudain, quelque chose craqua sous son pied. Il baissa les yeux. C’était un os, probablement humain selon la forme. Il réprima un haut-le-cœur. Par terre pourrissaient plusieurs cadavres partiellement dévorés par la vermine, et dont certaines parties manquaient à l’appel. Alors qu'il s’apprêtait à rebrousser chemin sous le dégoût, quelque chose attira son attention. L’un des corps, le plus frais à ce qu’il paraissait, portait un sac à dos. Grande chance pour lui, car il s’avéra - qu’après l’avoir extirpé de là et non sans avoir ravalé son vomi – plein de tout ce qu’il lui manquait. Eau, conserves… Il avisa simplement l’état des choses et elles lui parurent satisfaisantes, aussi ne se fit-il pas prier davantage pour se sustenter. Il but la totalité d’une bouteille d’eau d’un litre et demi, poussa un soupir de soulagement, et s’attaqua, à l’aide d’un ouvre-boîte qu’il avait également trouvé dans le sac, à une conserve de morceaux de pêche. Il se sentait renaître.
Mais sa joie fut de courte durée, car pendant qu’il se rassasiait tranquillement, un sifflement terrible, presque métallique, déchira le léger tintamarre qui avait régné jusque là. Il tressaillit de peur, et des sueurs froides se mirent à couler dans son dos. Quelque chose venait d'entrer dans le bâtiment. Il tendit l’oreille, attentif. De là où il était venu, on pouvait entendre le raclement monocorde de quelque chose de dur sur la pierre, ainsi qu’un bruissement inquiétant. Nouveau sifflement, ce qui fit grimper instantanément son adrénaline. Il cherchait une sortie de secours, vite, n’importe quoi. La chose n’était plus très loin. A l’oreille, on savait qu’elle pénétrait dans le corridor. Matthieu risqua un œil en direction de l’entrée de l’aile, sans rien y voir. Le brouillard pénétrait quand même le bâtiment, et masquait toute visibilité. Soudain, il repéra son dernier recours. Une brèche s’était ouverte dans le mur, certainement au fil du temps, et elle n’était qu’obstruée par quelques fines racines. Cédant à la panique, Matthieu s’élança vivement vers elle, laissant tomber sa boîte de conserve sur le sol. Grossière erreur, car le bruit qu’elle fit en chutant n’eut d’effet que d’énerver la chose qui le traquait. Un troisième sifflement, bien plus féroce, informa Matthieu de sa fin imminente. Il venait de signer son arrêt de mort.
Il traversa donc la brèche avec la puissance du désespéré, arrachant les racines sous le poids de son corps, et déboula de nouveau dans la jungle qu’il avait arpentée juste avant. Il n’avait pas fait vingt mètres qu’il entendit la chose défoncer le mur de pierre, provoquant un fracas assourdissant. Toutefois, pas le temps de s’éterniser, il continua sa course à travers l’épaisse végétation, traversant et esquivant ses obstacles sous les railleries de la faune, comme si celle-ci se réjouissait de cette traque. La chose n’était pas très loin derrière lui, et il pouvait l’entendre se rapprocher, serpenter sur le même chemin que lui. Il bifurqua sur la droite, s’engageant dans un labyrinthe de débris, et donna tout ce qui lui restait comme énergie pour semer son prédateur. Il courait, sautait, évitait comme l’antilope agile refusant de s’accorder au lion, et gagnait finalement du terrain sur son agresseur. Puis, quand la chose fut suffisamment loin, il s’arrêta net et se terra dans un renfoncement, une étroite cavité laissée dans la roche.
Quelques minutes passèrent durant lesquelles on pouvait encore entendre, au loin, la bête flairer sa piste et brasser les hautes herbes, sans aucun succès, aussi abandonna-t-il dans un chuintement de frustration. Matthieu souffla longuement. Il s’en était sorti. Après avoir retrouvé un rythme cardiaque normal, il scruta le renfoncement dans lequel il se trouvait. C’était une petite grotte à peine plus haute que lui et dans laquelle il pouvait certainement tenir allongé. Il décida donc d’implanter un campement provisoire ici comme elle semblait cachée de tout, et prit le temps de faire l’inventaire de ce qu’il possédait. Son sac contenait donc deux bouteilles d’eau – dont une qu’il avait bue - d’un litre et demi chacune, quelques conserves de fruits, de viande et de pâtes, un rouleau de bandages et un couteau de chasse. Tout un attirail pour commencer sa survie, en somme. Bien qu’il s’interrogeait toujours sur les circonstances de son arrivée ici, dans ce monde, et sur ce monde lui-même d’ailleurs. Ou était-il ? Il n’en avait aucune foutre idée, mais il comptait bien le découvrir.

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