Posté le 9 avril 2018
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Puis, au milieu des effluves de sueur qui émanaient du corps fumant face à lui, l'homme se tourna vers le public, muet et fasciné, qui déployait son océan de regards au pied de la scène.
         – Qu'en dites-vous ? lança le dresseur, une main posée sur l'énorme cage comme s'il s'était agi de celle d'un chien.
         Des murmures perplexes s'élevèrent du peuple en contrebas.
         – Eh bien, qu'allons-nous faire de lui ? Allons-nous le laisser en paix ?
         Il se retourna vers Enzo et passa la pointe du fouet entre les barreaux, afin de tapoter son front avec énergie. L'être au pelage noir, maté, ne bougea pas. Ses yeux étaient fermés et sa respiration, calme.
         – A-t-il été bien sage ? éructa le quarantenaire d'une voix de stentor.
         La foule explosa en torrents d'applaudissements. Un commentaire pertinent
         – L'avons-nous bien dressé ?
         Des sifflements retentirent dans la salle.
         – Il faut croire que oui. Mais à présent, mesdames et messieurs, il nous faut vérifier cela de manière un peu plus sérieuse.          
         Alors, devant les yeux médusés de plus de deux cent personnes, l'homme au complet scintillant sortit une clé de bronze de sa poche, l'une de ces vieilles clés aux arabesques gracieuses, et la glissa dans la serrure de la cage.
         Derrière les barreaux, les yeux de l'homme-bête s'ouvrirent d'un coup. Leur lumière filtra à travers la pénombre de la scène.
         – Ainsi soit-il, prononça cérémonieusement son maître.
         La cage s'ouvrit, grinçant lentement dans ses gonds rouillés. Le bruit glissa dans le silence, coupant net les respirations des enfants.
         Enzo extirpa son corps de colosse de la cage trop étroite pour lui. Il fit un pas sur la scène, y posa son sabot de taureau, puis le deuxième. Ces lourds sabots qui auraient pu briser le crâne d'un enfant. Le plancher vermoulu couina sous son poids, mais il se tut très vite, comme terrifié lui aussi par le diable qui parcourait son dos de bois. L'immense silhouette de l'homme-bête se déploya dans l'espace, doucement ; il progressait dans le silence, dorénavant, avec une légèreté telle qu'on l'aurait dit spectre, ou esprit vomi par la nuit. Les rais des projecteurs balayèrent la pénombre et dessinèrent un laçage de lumière sur cette ombre puissante. Les muscles d'Enzo ondulaient dans la moiteur de la salle surchauffée ; chacun, parmi ceux qui le huaient un instant auparavant, se figeait de saisissement devant sa grâce de fauve enfin libéré.

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