Phy avait dû rebrousser chemin. Le pont qui menait directement à Balenvia, le petit village où l’attendait sa prochaine mission, s’était écroulé après une violente tempête. Elle était revenue sur ses pas et contemplait désormais le carrefour avec perplexité. Elle sortit sa carte pour examiner les diverses options qui s’offraient à elle. Prendre à gauche rallongerait le trajet d’une journée. Quant à la voie de droite, c’était un raccourci que peu osaient emprunter. Le chemin devenait très vite escarpé et traversait une région hostile où rôdaient de dangereuses créatures. Phy réprima un frisson. Une petit brownie cervidé aussi délicieuse qu’elle ferait un casse-croûte digne de la plus douce des pâtisseries pour ces bêtes sauvages. L’image d’un Courgamel rongeant ses bois ensanglantés lui traversa l’esprit. Elle pâlit, le ventre noué par la peur et le dégoût. Elle secoua la tête pour se remettre les idées en place.

Phy, bien que n’étant pas un modèle de bravoure, n’étais pas couarde pour autant. Elle avait cependant conscience de ses capacités et de leurs limites. C’était une jeune fille prudente qui ne prenait jamais de risques inconsidérés. Si elle empruntait ce chemin seule, ses chances de survie étaient quasi nulles. Elle ne se mit à tourner sur elle-même tout en cogitant. Ne trouvant pas de solution à son dilemme, elle sentait la panique monter en elle. Elle se figea lorsqu’elle entendit le bruit des roues qui martelaient la terre battue. Quelqu’un approchait. Elle quitta le chemin pour se cacher derrière un buisson. A l’affût, elle guettait l’arrivée du convoi. La petite charrette fit enfin son apparition, au détour du virage, tirée par un type de familier qu’elle n’avait jamais vu auparavant. On aurait dit un croisement entre un Sabali et un Rawist. L’animal étaient guidé par un couple de Purrekos. Phy les vit continuer tout droit sans même ralentir. Ils ne devaient pas savoir que la route était infranchissable quelques kilomètres plus loin.

Elle voulut les interpeller pour les mettre en garde mais sa timidité l’empêchait d’émettre le moindre son. Elle se tassa un peu plus, maudissant son instinct de proie. Elle en avait marre de faire la biche effarouchée dès qu’elle se retrouvait face à des étrangers. On admirait sa discrétion et sa furtivité, indispensables pour un agent de l’Ombre, mais elle était surtout douée pour se cacher et fuir le danger. Elle pensa alors à Chrome, son meilleur ami et son exact opposé. Il était du genre casse-cou, à agir d’abord puis à réfléchir ensuite… voire à ne pas réfléchir du tout. Il n’aurait pas fait le mort comme elle derrière un buisson. Il serait allé à la rencontre des Purrekos et les aurait aidés. Oui. C’était vrai. Ils ne présentaient aucun danger. Elle était bête. C’était à elle de leur porter secours. Quel genre de gardienne était-elle si elle n’était même pas capable de prévenir deux fidèles sujets d’Eel que la voie était barrée ?

Poussée par les encouragements de Chrome qui résonnaient dans sa tête, elle bondit sur ses pieds et se mit à courir après la carriole.

- Hé ! Arrêtez-vous !

Sa voix était trop douce, trop faible. Ils ne l’entendaient pas. Vive, rapide, et agile, elle réduit rapidement la distance qui les séparait. Elle les rattrapa enfin, à bout de souffle, puis d’un bond, elle vint se planter devant la carriole, les bras grand écartés. Un des Purrekos tira brusquement sur les brides du familier qui freina des quatre fers en poussant un hennissement mécontent. L’animal s’ébroua en frappant nerveusement le sol. Il n’avait pas l’air commode et Phy craint un instant qu’il ne se cabre et abatte ses sabots sur elle.

- Hé là petite ! Ça va pas la tête ?! s’exclama le Purrekos en dardant des yeux furibonds sur la pauvre gardienne.

- Je suis désolée, s’excusa-t-elle avec une petite voix toute penaude. Je voulais simplement vous prévenir que la route vers Balenvia est infranchissable. Le pont s’est écroulé. Vous ne pourrez pas passer. Je ne voulais pas que vous perdiez votre temps.

- Je vois… Cela a dû se produire dans la nuit car nous n’étions pas au courant. Merci pour l’information ! Nous ferons le détour par l’ouest.

- De rien, répondit Phy avec un sourire timide, ravie d’avoir pu être utile.

- Je vois à l’insigne que tu portes que tu es une gardienne d’Eel, nota le deuxième Purreko. Nous avons de bonnes relations avec la garde d’Eel et nous échangeons souvent des services. Ton information nous a fait gagner du temps et de l’énergie, il est donc normal que tu reçoives une récompense. Nous sommes des marchands ambulants qui rallions les divers villages de la région, pour leur apporter du ravitaillement et divers biens à acheter. Tu peux jeter un œil à la cargaison et prendre quelque chose qui te fera plaisir.

- Euh… est-ce que je pourrais vous demander un service à la place ?

- Je t’écoute, acquiesça le Purreko en posant ses yeux de félidés sur elle, son regard perçant animé par une curiosité contenue.

- Est-ce que vous pourriez me déposer à Balenvia ? J’ai rendez-vous là-bas mais si je contourne par l’ouest à pieds, je vais perdre une journée et j’ai un message très urgent à délivrer à la doyenne.

- C’est justement notre prochaine destination. Il y a de la place à l’arrière de la carriole. Grimpe ! Nous irons aussi vite que possible.

- Merci ! s’exclama la brownie avec un large sourire radieux cette fois-ci.

Le cœur léger, elle regardait la route défiler sous ses pieds, ses jambes se balançant gaiement dans le vide, au rythme saccadé de la carriole. Elle était contente d’avoir pu surmonter sa timidité et d’avoir vu ses efforts récompensés. Elle se sentait fière et confiante. Elle avait hâte de rentrer de mission pour raconter tout cela à Chrome. Il la féliciterait sûrement en lui tapotant la tête comme il le faisait souvent. Elle serait alors la plus heureuse des gardiennes d’Eel.