Posté le 18 septembre 2013
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La cloche sonne. Un petit « ding », d'un son cristallin, presque imperceptible, il faut avoir l'oreille fine. Je ne l'ai pas entendue, c'est Machane qui me l'a dit. Elle me fait un petit signe, c'est l'heure d'aller en cours, pour le (plus ou moins) tant attendu premier jour.
- Suis-moi, dit-elle en me tenant par l'épaule, hop, fais attention, par ici.
C'est vrai qu'il y a foule, ça grouille de partout et les couloirs sont trop étroits pour que tout le monde puisse passer sans encombre. Partout, ça s'écrase, ça se pousse, ça entre en collision, heureusement que je suis avec Machane, je ne sais même pas où on va.
Quelle drôle d'idée ont eu mes parents, franchement, de me changer d'école en plein milieu de cursus. C'était calme, tranquille, alors qu'ici tout n'est que cohue et bousculade à longueur de temps. « Au Brésil ce système éducatif est très populaire ! m'ont-ils assurés ». Mouais...
Subitement, ma tutrice tourne à droite et, pas préparé à cette cabriole, je heurte un petit mec stoppé en pleine course qui tombe à la renverse en répandant le contenu de son cartable au sol. Alors que je m'apprête à bafouiller des excuses, je remarque que des bulles s'échappent de son manteau. Il me fixe avec un regard noir en rangeant ses affaires.
- Pétéhène, fils de loutre, il gronde.
Puis il ajoute :
- Attends-moi Frits, no mérite èsèrixe.
Alors que je reste tétanisé, Machane m'appelle et me presse de la rejoindre avant d'être en retard. Je suis tout étonné : il paraît invraisemblable qu'un élève aussi studieux, qui veut être le premier à entrer pour s'instruire et s'ouvrir au monde soit si grossier. Je m'engouffre mécaniquement dans le salon à sa suite et m'installe à côté de mon amie.
- Cours de quoi ?
- Maths, elle répond en sortant son cahier, je te préviens le prof n'est pas un tendre...
- Vous remettez tout dans votre sac, gardez seulement un stylo et une feuille, IT-ro surprise,  ! Allez, plus vite on met la gomme ! Je vous dicte et le premier à trouver la réponse a 16 au prochain devoir.
La façon de faire me paraît étrange (c'est le premier jour ! et nous n'avons pas encore nos emplois du temps...) mais je fais comme tout le monde sans broncher (même si je crois entendre un « Sédé ayme » dans le fond de la classe).
- Un chamane a trois planches qu'il dispose en un triangle rectangle... Eh, derrière, on arrête de flooder ou je vous reporte ! Donc, je disais... la première planche mesure 30 pixels de longueur, la seconde 40, quelle est la taille de la dernière ?
Alors que je viens machinalement de noter les données du problème, une remarque me fait lever la tête.
- Encore une question bateau, se plaint celui qui a l'air d'être la grosse tête de la classe (je reconnais là ledit Frits), et qui lève la main au bout de 13.37 secondes d'après le tableau d'affichage : 50 pixels bien sûr !
Un sourd brouhaha fait suite à cette réponse ; compliments, applaudissements et insultes fusent de tout le salon, chacun y va de sa réaction :
- Auwèmejé Frits, gégé !
- Ça pue le favo tiret tiret apostrophe, fait Lys (si, aussi !), celui que j'ai bousculé tout à l'heure, je le sais grâce au petit chevalet qu'il tient étrangement sur sa tête (bizarre comme nom pour un garçon...).
- Quel chanceux, il a vraiment de la moule Frits.
- Tu gères la fougère Frits strictement inférieur à 3.
- lol.
- Ça m'énerve ça... Si une Pionne passe par là il y a intérêt à ce qu'elle mute Frits !
- !@$% mon paquet de cookies !
La suite du cours est similaire : une question, une réponse, de la papote. C'est un peu décousu, entre les questions de rapidité, les figures géométriques à invoquer, le travail en groupe, les questions basiques ou encore celles que les élèves se posent entre eux. Au bout d'un long moment, j'entends la cloche tinter. En fait, elle me donne l'impression d'un micro-ondes enjoué qui termine sa cuisson. Je rêvasse à cette métaphore en regardant les gouttelettes de pluie faire la course sur la vitre (« réveille-toi, ého, tu es aphque ! ») quand une autre sonnerie se fait entendre, mais bien plus stressante, plus tonitruante, puis des hurlements.
Une alarme ?
- CRAAAAAAASH, crie tôt Lys, à qui ça n'a paradoxalement pas l'air de faire plaisir.
Et tous se ruent vers la porte puis vers la sortie de l'école. Je suis le mouvement, emporté par la foule, qui me traîne, qui m'entraîne.
Je me fonds ainsi dans le troupeau en perdant de vue Machane.
- J'espère qu'ils vont enfin nous mettre le tournoi inter-classes, ça fait des plombes qu'ils nous le promettent, soupire une fille à côté de moi.
- Boh quoi, tu sais bien qu'ils n'ont pas le temps, fait sa copine, M.Winninette est en réunion ces jours-ci pour le rassemblement de plusieurs établissements, et puis il y a toujours les salles de jeux dièse quoi...
- Winninette ? je dis avec un air interrogateur, m'immisçant ainsi dans la conversation tandis que nous atteignons le portail.
- Bah le dirlo quoi, on l'appelle comme ça parce qu'on ne sait jamais s'il ironise ou pas, souvent son « oui » nie quoi.
- Et le « nette » ?
- Suffixe féminisant pour dégrader l'autorité masculine bien sûr, fait la première, t'as de ces questions...
Elles s'éloignent et je cherche Machane du regard. Je la trouve en pleine altercation avec un garçon casquetté.
- Coucou, tu veux voir mes boulets ?
- Non, non merci, tranche Machane, je n'ai pas pris l'option survie.
- Allez fais pas ta noob, qu'il répond, prends-les, allez ! tss, encore une de ces snobs du défilante qui pète plus haut qu'sa rune, va t'faire ban.
Et il s'en va sans autre forme de procès alors que j'allais rendre justice.
- Laisse tomber, fait Machane, les Rhâ-Jix n'en valent pas la peine. Viens, on va aller à la bibliothèque.
Je suis des yeux la direction qu'elle désigne et je repère le bâtiment, aussi vaste que sobre, à l'extérieur-même de l'établissement. C'est là que bon nombre d'élèves se réfugient en cas d'alertes telles que celles-ci. Sur le fronton on peut y lire « Forum » en majuscules vertes. Apparemment, le bâtiment va bientôt être rénové, « depuis sa mise en fonction ils n'ont pas fait beaucoup de travaux, constate Machane ». L'accès est bouché mais nous rentrons tant bien que mal.
A l'intérieur, nous attend un spectacle étonnant. L'endroit n'est pas du tout un alignement monotone de piles de bouquins (mis à part au fond à droite, où se trouvent les archives, consultables et assez peu fournies) mais plutôt un espace d'échanges désordonné. Ici et là, des tables, autour desquelles se livrent les élèves, qu'ils en connaissent un rayon ou pas, sur des sujets aussi variés et intéressants que l'avenir du bahut, le nouveau mascara de l'Oréal, les problèmes liés au payement de la cantine (enfin plutôt un goûter, entre les fraises et le fromage...), la vie trépidante des candidats de Secret Souris 7, l'actualité quotidienne de l'établissement, les chips au poulet ou encore les événements organisés par l'administration, bref tout pour se mettre à la page.
L'espace est divisé en grands thèmes, que ce soit le signalement de dysfonctionnements techniques, des suggestions pour améliorer la vie de tous les jours, une petite partie pour se réunir entre camarades de la même classe ou pour présenter celle-ci et, enfin, une branche dédiée à l'art, Machane va m'y emmener pour rencontrer ses amies quand, soudain, tout se tait, plus rien, plus un bruit.
Juste le crépitement de lourds sabots qui craquent sur le plancher. Comme d'une seul homme, tous les élèves se retournent, et ils Le voient. « Le Pion... souffle Machane à mon oreille ».
Il est vêtu d'un grand ciré jaune poussin facilement reconnaissable. Il fait un pas, époussette chacune de ses manches soigneusement. Refait un pas, balaye la bibliothèque du regard, sourit en exhibant ses dents parfaitement blanchies. Enfin, Il ouvre la bouche, le monde entier suspendu à ses lèvres, prêt à s'enfuir, prêt à s'esclaffer, prêt à porter ; et Il parle :
- Moi aussi mon plat préféré c'est les nouilles o slash.
Il s'apprête à sortir quand un autre homme entre. En chemise blanche et gilet sans manche noir, un torchon blanc sur le bras, il glisse quelques mot au Pion puis ressort en bondissant.
- Le serveur va redémarrer, s'exclame le Pion, vous pouvez retourner en classe.
Les élèvent se précipitent, Machane me regarde.
Elle a un petit fil rose dans la main, elle me le tend timidement, une étincelle dans les yeux, je le prends. Elle y va, je la suis malgré moi. Comme si ce n'était pas moi qui me contrôlait, que je me laissais faire par habitude, à mon insu, depuis le début. L'idée me frappe et, enfin, je réalise. Mais je suis bien guidé, je ne suis pas seul, je m'en fiche.
Je profite.

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