Auteur : Syalinn aka Reiyel
Posté le 3 octobre 2013
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L'épouse d'un Dieu du Vent



J’avais toujours trouvé le ciel de l’aube pur et magnifique. Les nuages étaient comme des fleurs de cerisier s’épanouissant dans la voute céleste. Le soleil parait le paysage de couleurs inédites, joyeuses. A cet instant, le monde entier vibrait en harmonie et les contours de chaque chose s’adoucissaient.
Pourtant, ce matin là, je n’ai rien vu de tout cela. Je n’ai vu que sa silhouette s’éloigner dans le soleil levant. Les couleurs ont perdu de leur éclat ; le monde sa douceur. Tout était si clair, si flou, si insupportable. Si solitaire…



***



Je n’avais que dix-sept printemps à l’époque. Et malgré les temps de guerre, j’avais bon espoir pour mon avenir. Mais mes rêves ont volé en éclat le 11 octobre 1944 : je devais épouser Motoharu Asahiro. Ordre de l’Empereur.
Pour la première fois de ma vie, j’ai détesté mon pays. « Pourquoi moi ? N’y-a-t-il personne d’autre pour assumer ce fardeau ? Qui est donc cet homme pour prétendre m’épouser ? »
Pourtant, je me suis refusée à faire un esclandre. On ne conteste pas une demande impériale. Alors, j’ai accepté mon sort sans protester.

C’est ainsi que, le 16 octobre, je me suis mariée à un inconnu. J’ignorais tout de lui, hormis son nom et son métier de pilote.
Il n’était pas beau, mais il avait fière allure dans son uniforme d’officier. Il portait sur lui comme un voile de tristesse, qui rendait ses insondables yeux noirs tout à la fois mystérieux et séduisants. C’est cela, je crois, qui m’attira le plus chez lui.
Et puisque nous étions désormais mari et femme, je lui ai tout donné. De ma vie entière, on ne m’a jamais traité avec autant d’égards et de respect que lui l’a fait cette nuit là. Nous étions seuls, étrangers et intimes, accrochés l’un à l’autre comme si nos vies se résumaient à cela.

Et c’était bel et bien le cas. Sa vie s’est résumée à cela. Et la mienne aussi.

Le lendemain, à la première heure du jour, il est parti. Il s’en est allé, porté par les vents d’Okinawa. Son Ohka s’écrasant sur les navires ennemis.

Notre histoire n’était rien. Ce n’était qu’une histoire similaire à des centaines d’autres. Ce n’était qu’un adieu de plus, comme on en fait des milliers dans une vie.

Et pourtant, je n’ai jamais réussi à l’oublier. Même aujourd’hui, alors que mes petits-enfants sont déjà grands, je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qu’aurait été ma vie à ses côtés. Je ne le connaissais pas, mais il me manque tellement !

J’étais, je suis, et serais toujours l’épouse de Motoharu Asahiro.

L’épouse d’un dieu du vent.

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