Posté le 6 janvier 2014
Télécharger | Reposter | Largeur fixe

L'hybride qui menace le loup : interview de Luigi Boitani

Récemment le cas d'un hybride détenu par un privé à Parme a fait a fait émerger un grave problème lié à la préservation du loup, pour la quelle la législation dans les dernières décennies s'est beaucoup renforcée, mais ces efforts risquent d'être rendus vains à cause de l'hybridation avec le chien. Nous avons interrogé le Pr Luigi Boitani de l'université de La Sapienza à Rome qui depuis longtemps s'occupe de la préservation du loup et qui déjà dans les années 70 lançait l'alarme à propos des hybrides, mais qui reste jusqu'à maintenant peu écouté.

Question : Pr Boitani, pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu'est un hybride ?

Luigi Boitani : Techniquement un hybride est le résultat du croisement entre deux espèces. Le problème est que quand on parle d'une espèce domestique le terme devient quelque peu inapproprié, parce que les espèces domestiques ne sont pas de vraies espèces en tant que telles mais des produits d'une sélection artificielle crée par l'home pour son usage et sa consommation. Cependant nous appelons hybrides aussi ceci : le chien et le loup qui appartiennent à la même espèce, quand ils s'accouplent créent un hybride, c'est à dire un animal qui n'est ni chien ni loup, mais qui a des caractéristiques des deux.

Question : Quels problèmes posent les hybrides entre chiens et loups ?

Luigi Boitani : Le premier problème touche à la conservation. Les hybrides sont de couleurs différentes, allant de noir complet au manteau tacheté, mais aussi de types lupins avec des caractéristiques étrangères : queue longue, oreilles longues par exemple. Et donc ils posent un problème pour la conservation de l'identité du loup italien. En conservant les hybrides, nous conservons des animaux qui non seulement ne sont pas des loups, mais sont une menace pour le loup même. Les loup est protégé par des réglementations européennes et pour la loi italienne c'est une espèce particulièrement protégée. Cette question des hybrides, bien qu'étant une menace nouvelle et différente de celles auxquelles nous sommes habituées , comme le braconnage par exemple, est beaucoup plus grave parce que la population de chiens est très nombreuse, et la population de loups est petite en rapport. Les chiens qui s'accouplent avec des loups en outre ne sont pas que des errants et des re-ensauvagés mais aussi et surtout des chiens qui ont un maître et qui sont laissés en liberté, des chiens appartenant à des gens vivant en montagne.
Et puis le problème est aussi législatif : aujourd'hui nous payons pour les dégâts faits par le loup, ce qui me semble une chose juste. Est-ce juste d'utiliser l'argent des citoyens pour payer les dégâts faits par un hybride qui en plus est une menace pour la conservation du loup ?

Question : Comment peut-on faire face à ce problème ?

Luigi Boitani : il semble nécessaire de comprendre l'importance de ce phénomène aujourd'hui, parce que quand il s'agit de cas identifiables on peut encore agir, mais si le phénomène se répand, on risque de perdre le loup à cause du chien, et même de ne pas en être conscient ! Il serait urgentissime de faire un échantillonnage sur tous les Apennins, avec des analyses génétiques appropriées, mais personne ne s'en occupe, ni les régions, ni le ministère, ni les associations de protections des animaux, ni ceux qui s'occupent de la conservation.

Le problème est aussi technique : un hybride peut être chien ou loup avec des pourcentages différents, disons-le ainsi. Jusqu'à quel pourcentage peut-on dire qu'un loup est un loup ? Si un loup a 1% de gène de chien doit-on le considérer comme un loup ou non ? Donc doit-on le laisser libre dans la nature ou non ? C'est une question qui n'a pas de réponse pour le moment parce que personne ne s'est occupé du problème pour prendre une décision et une ligne de conduite.

Question : Comment peut-on aider la génétique ?

Luigi Boitani : La génétique a ses limites techniques, elle répond avec exactitude jusqu'à la seconde génération, mais déjà à partir de la 3ième ou de la 4 ième on fait des hypothèses, on n'est plus certains. Mais il existe un autre outil, ce sont les données morphologiques. Un problème similaire a été affronté et partiellement résolu en Ecosse où il s'est posé une question semblable concernant le chat, entre chat sauvage et chat domestique. Ils ont choisi une ligne de conduite très précise combinant des techniques de type génétique et des techniques de type morphologiques pour décider quand et comment retirer des animaux de la nature. On devrait faire quelque chose de similaire.

Question : Existe-t-il une estimation de la population d'hybrides ?

Luigi Boitani : Non, il n'y en a pas et ça serait bien de le faire urgemment. Nous avons une série de preuves génétiques et morphologiques confirmées par le Dr Ettore Randi de l’ISPRA, de présences d'hybrides sur les Apennins ' Tosco Emiliano' et sur la cote Toscane.
Dans le parc de la Maremma, il y a une meute d'hybrides. Ce sont des animaux qui survivent bien, à l'aspect semblables à des chiens et donc qui ne se dispersent pas comme ça arrive avec les loups. Il existe à l'évidence des hybrides dans les Abruzzes, le 'Pollino', et les Pouilles.

Question : A la lumière de ce que nous disons, que pensez-vous du cas d'un hybride détenu à Parme par un privé ?

Luigi Boitani : De toute façon je retiens que la façon dont on lui a confié est incorrecte. La Forestale n'a pas le pouvoir de distribuer des loups ou des hybrides à qui que ce soit. Il devrait être retiré du contrôle d'un privé et mis dans un enclos de la Forestale à Popoli, dans les Abruzzes par exemple, où l'animal serait mieux gardé et étudié. L'hybride ne doit pas devenir un animal domestique qui reste à la maison parce que ça serait la fin de toute tentative pour contrôler l'hybridation et donc la fin de la préservation du loup.

Question : En supposant que le génome du loup se perde, et que l'on ait une population d'hybrides à la place des loups, qu'est-ce que ça impliquerait ? Dit de manière un peu brutale quelle différence ça ferait ?

Luigi Boitani : La réponse à votre question est de nature éthique. Le loup est protége comme espèce naturelle, produit par l'évolution naturelle et l'homme a la responsabilité de la garder. L'hybride est le fruit de notre intervention, et même de notre inattention et de notre négligence envers la nature. L'homme a déjà son hybride, il s'appelle le chien, et il a été fait il y a plus de 12000 ans pour rester à coté de l'homme. Tous les chiens devraient être tenus près de l'homme et non dans la nature sauvage où le loup lui a sa place.

L'histoire

Question : Quand et pourquoi les chercheurs on-ils commencé à s'intéresser aux hybrides ?

Luigi Boitani : Nous ne savons pas depuis quand existent les hybrides. On peut supposer qu'il y en a toujours eu grosso modo. Mais tant que la population de loups est resté très élevée, les cas d'hybridations étaient marginaux et donc n'ont pas laissé de traces importantes. Le problème a explosé dans les dernières 20/30 années quand la population de loups s'est trouvée réduite à un petit nombre dans les Apennins.
Le premier hybride attesté date de 1976 quand j'ai commencé mes recherches sur le loup. Pendant une recherche j'ai capturé une femelle qui vivait seule en marge du territoire d'une meute. Comme elle s'était retrouvée seule, au moment des chaleurs elle s'est accouplée avec un chien berger du coin, à Sant’Eufemia de Majella dans les Abruzzes et elle a eu 6 petits. Parmi ces six, quatre étaient noirs à la queue blanche et les deux autres étaient de "type loup", mais avec le pelage et la taille d'un hybride. C'était la première fois qu'on avait le preuve de l'existence d'un hybride.
A ce stade, j'ai tiré la sonnette d'alarme, parce que s'il m'était arrivé d'en trouver un, qui sait le nombre de fois que ça pouvait se produire sans que personne ne s'en aperçoive. Mais personne ne m'a écouté : ni les autorités, ni les parcs, ni les associations de protection, et puis aussi de très nombreux chercheurs soutenaient que ce n'était là qu'un cas isolé et donc que ce n'était pas un problème.

Les généticiens, en particuliers ceux de l’ISPRA, ont toujours nié que ce puisse être un problème parce qu'ils disaient qu'il n'était pas mis en évidence que les hybrides puissent répandre leurs gènes au sein de la population de loups, chose qui techniquement s'appelle une introgression. Mais à cette époque-là nous n'avions pas les outils techniques adaptés pour relever le phénomène, qui pourtant existait déjà, existe toujours et s'avère de plus en plus fort.

x
Éditer le texte

Merci d'entrer le mot de passe que vous avez indiqué à la création du texte.

x
Télécharger le texte

Merci de choisir le format du fichier à télécharger.