Auteur : Mansurji
Posté le 13 février 2014  | Édité le 20 février 2014
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La République des Lettres


Il est mort, il s'en est allé, madame,
Il est mort il s'en est allé.
A sa tête est l'herbe verte,
Une pierre est à ses pieds.

Hamlet, Shakespeare.





Brume et chaleur le bar de la station de minage prenait des allures tropicales le Grand Soir du Syndicat. Soixante-et-un jours de pression qui s'abattaient au fond des tunnels de cobalt multiplié par trente-cinq foreurs de classe C transpirant du matin au soir à brûler de la roche jusqu'à l'épuisement physique. Dix-huit heures de pression par jour soigneusement accumulée pour exulter dans leur unique soirée de liberté, offerte par les bons soins du Consortium et grâce à la ténacité de son bien-aimé Syndicat.

Estaban tapotait nerveusement la poche-poitrine de sa combinaison de mineur, assis en retrait dans le coin le plus sombre du rade. Son autre main pianotait sur le plastique laiteux de la table. Une goutte de sueur perlait au coin de ses lèvres, qui murmuraient nerveusement. La pression infernale montée du fond de la mine voulait éclater par chacune de ses coutures mais il l'avait fait, il avait survécu à un nouveau cycle. Et le décompte était enclenché – Enfin.

Il inspira profondément et se détendit en prévision de l'instant à venir. Sa silhouette se déplaçait différemment maintenant, chacun de ses gestes était précis et calculé. Le regard grave et les épaules droites il se redressa sur son siège, et ancra lentement ses coudes sur la table avant de joindre ses dix doigts par la pulpe. L'heure de sa délivrance était arrivée, il en ressentait douloureusement l'intensité de chaque instant. Ses yeux se fermèrent et son murmure s'arrêta. Puis il prononça les premières paroles à mi-voix :



Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,
Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés ;



Son front se posa sur ses pouces joints et ses doigts se tendirent en une pyramide dressée vers le ciel. Au comptoir Borgo abaissa la manette métallique du compteur général et la lumière disparut dans un craquement entêtant. Estaban poursuivit sa mélopée, reclus dans son coin d'ombre.



Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,
Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.



Lentement les lumières de veille se rallumèrent et la brume se couvrit d'un voile rouge. La voix du Syndicat retentit sinistrement à travers les hauts-parleurs pour expliquer le sens de cette journée de repos et le tohu-bohu commença autour des tables. Sa main se posa sur sa poche-poitrine pour en dénouer le bouton.



Me sauvant de tout piège et de tout péché grave
Ils conduisent mes pas sur la route du Beau



Ses doigts saisirent l'objet dissimulé dedans. Le vacarme s'intensifiait et une chaise traversa la pièce pour rebondir sur le mur de plexibalt. Jack le Fêlé relâchait la pression et Borgo bondit par-dessus le comptoir pour se planter face à lui, en faisant jouer son bras mécanique. Assis à surveiller l'entrée, les deux Syndics en uniforme continuaient sereinement leur partie de cartes. Son débit se ralentit et sa voix se fit plus profonde :



Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ;
Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.



En prononçant le dernier mot Estaban ouvrit les yeux et le gong retentit, délicieuse petite vibration. Fin du discours officiel. Les activités personnelles étaient maintenant autorisées. Il tira le petit livre usé de sa poche et l'ouvrit au marque-page. Au dernier Grand Soir il avait dû s'arrêter au milieu du poème, précisément au mot flambeau, depuis il répétait les huit premiers vers, sans cesse. Au petit matin l'alarme avait retenti et il aurait du rendre le livre immédiatement, mais il avait continué à lire fébrile jusqu'à recevoir un solide coup de matraque au poignet, sans pouvoir finir le poème. D'autres coups avaient suivis qu'il avait encaissé sans broncher, il n'avait pas voulu aggraver son affaire. Il était déjà bien heureux de retrouver le livre intact. Une profonde vague de satisfaction le parcourut quand il constata que c'était bien le cas. Il s'était fait du souci.

Son père était libraire, du type pas très chanceux, échoué sur une planète agricole. Jeune enfant il avait grandi dans un centre administratif de seconde zone, poisseux et ensablé, élevé au milieu des livres de la boutique et d'un paquet d'autres sales gosses comme lui. Mal défendue, séparée de la capitale par une épaisse chaîne de montagnes sa ville natale était une cible de choix pour des pillards et les Corsaires Volants étaient venus un jour la razzier depuis l'espace, avec sa province. A quinze ans il était bon pour le travail alors on l'avait vendu à Minastral pour un bon prix. Le Consortium aimait toujours former au plus tôt ses ouvriers. Le jeune rêveur idéalisant à peine son premier amour s'était subitement retrouvé avec un brûletorche de cent-trente kilos bondissant entre les mains, dans une lutte à mort quotidienne au fond des tunnels.

Le temps passant il avait appris à dompter l'engin et survécu à sa formation à vingt-et-un an c'était un professionnel aguerri, capable de brûler du caillou les yeux fermés, tuant le temps perdu dans ses pensées. Par miracle il avait pu emporter quelques livres avec lui au moment de sa capture, et il les avait appris par cœur en les lisant à chaque Grand Soir, puis à la première occasion il les avait échangé, et recommencé. C'était son meilleur moyen d'évasion, sa façon de tenir ses dix-huit heures au fond. Inlassable il récitait vers après vers ses passages préférés et laissait son esprit vagabonder près de ceux des poètes, revenant de temps en temps pour corriger la trajectoire du brûletorche. Son répertoire manquait cependant très sérieusement de diversité.

Les livres étaient une denrée rare dans le Consortium et le temps à tuer lui, ne manquait pas. Estaban était devenu fou de passion pour la littérature et sa frénésie dévorante était frustrée de savoir tout ces chef-d'œuvres déjà écrits l'épiant juste là, dehors, presque à portée de main alors que lui était condamné à l'isolement au fin-fond de sa mine. Trois cycles plus tôt un colporteur avait fait un tour par la station et il avait eu un livre à lui fourguer, un miracle tenant par trois fils, un petit livre noir à la couverture tellement abimée qu'elle en était illisible. Mais son instinct ne l'avait pas trompé, la pièce noircie avait sonné en or et son âme s'était désespérément accrochée à ce grand appel d'air et de spleen. Tremblant d'excitation Estaban s'accrocha un peu plus au livre et posa son doigt à la suite du poème, sur cette suite qu'il avait tant attendue. Cette fois-ci il ne lut que pour lui.


Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique
Qu'ont les cierges brûlants en plein jour; Le Soleil
Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique ;



La réalité se déchira. Un puissant mélange de sensations et de composés chimiques électrisa son corps, un flash lumineux lui avait traversé l'esprit. Il se sentait cotonneux, sa vision était légèrement brouillée et sa bouche farineuse. Un sentiment étrange, presque de puissance était en train de l'envahir alors que paradoxalement ses gestes étaient déphasés et qu'il comprenait à peine ce qu'il se passait autour de lui. Il avait l'impression de flotter dans la réalité et en vérité c'était plutôt plaisant, il pourrait aisément s'en accommoder. Plus urgent était la suite du poème. Il se concentra sur les lettres qui ondulaient devant ses yeux.


Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil.



Une vague de chaleur brûlante s'abattit sur lui et se mit à tournoyer, impitoyablement, l'entraînant avec elle au fond de lui-même. Il ressentait la beauté des mots au plus profond de son âme. Il avait trop attendu, les coutures craquaient et la pression jaillissait. Pour se protéger il s'était enveloppé de cette poésie loin dans ses tunnels, déclamant fiévreusement ces phrases orphelines pour les entendre se noyer dans le hurlement des générateurs photoniques. Mille heures écrasé sous la pression de la mine à pétrir ces huit premiers vers, à s'en délecter jusqu'en trouver huit sens pointant vers une seule et même beauté, mille heures fascinantes à voir ces Yeux le regarder dans les méandres de la roche en fusion, à vouloir en comprendre le dessein et s'y inscrire. Les rimes s'étaient gravées profondément au cœur de son âme, leur suite y entrait à coup de coins. Le doigt tremblant ses yeux discernaient mal les mots qui suivaient. Il les fixait et les voyait se tordre et tourbillonner puis subitement ils s'écrivirent devant lui :



Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,
Astres dont nul Soleil ne peut flétrir la flamme.



Son esprit décrivit une spirale et plana au dessus de la table. Il avait physiquement ressenti le passage hors de son corps en lisant les derniers mots du poème. C'était une sensation étrange, irréelle, comme sortir nu de l'eau et devenir un nuage au contact de l'air. Grand Dieux. Son esprit flottait. Il planait maintenant au dessus du grand comptoir, désincarné, conscient de Tout. L'ivresse du pouvoir lui faisait tourner la tête. Ce Grand Soir était le sien. Son esprit englobait la scène qui se jouait devant lui, il était partout à la fois. Il était Jack le crâne ensanglanté trinquant choppe contre choppe avec Borgo, il était Judeau distribuant les cartes, il était Gurney réglant les frettes de sa mandoline. Il était les deux gardes assis près de la porte et il leur fit lever les bras. Il était le Tout-puissant et deux Yeux magnifiques dansaient pour lui.

L'esprit d'Estaban s'amusait à tourbillonner de plaisir quand il aperçut son propre corps assis dans la pénombre, au loin, derrière les tables. Il se regarda, un peu surpris. Il avait l'air d'être ce qu'il était et il eut un peu de chagrin. Une petite lumière apparut subitement au dessus de son corps et son petit coin d'ombre s'illumina, progressivement. Le point de lumière enflait à vue d'œil et prit la forme d'une petite boule en fusion qui continuait de grandir suspendue au dessus de sa tête. Il ne la contrôlait pas, il essayait de toutes ses forces de l'arrêter mais il n'y arrivait pas. Estaban eut un instant de pure panique. C'était un soleil miniature qui était en train de se former. Ils allaient tous cramer. Une intense lumière en rayonnait et il vit tout les regards se tourner vers son corps qui restait là, stoïque, visiblement ignifugé. Une bagarre s'arrêta au bar, les deux protagonistes regardaient le petit soleil grandir, bouche bée.

Estaban sentit la réalité se déchirer une nouvelle fois, comme percée par en haut. Elle s'aplatit lentement puis se redressa et redevint normale. Ou presque. Le soleil était toujours là. Mais quelque chose s'était ajouté, il en était sûr. Une présence... A côté de lui. Sorti du néant un homme était assis à côté de lui. Ou plus exactement quand la réalité s'était redressée il était assis là, naturellement, vêtu d'un drôle d'uniforme et la tête à quelques centimètres d'un mini soleil. Estaban le vit lever théâtralement sa canne vers le ciel puis l'abattre d'un coup sec.

La douleur le ramena instantanément dans son corps. Face à lui, altier dans un costume aristocratique peut-être trop décoré, l'inconnu le jaugeait l'air visiblement très amusé. Il décrivit une demi-lune de sa main gantée et le soleil surnaturel décrut, jusqu'à s'éteindre. << Jouir de la foule est un art >> lui dit-il d'une voix magnanime, teintée d'une légère ironie. Et il lui tendit une extravagante petite carte délicieusement calligraphiée.



Chevalier Karl von Trankenluft
***
Ambassadeur
*****
République des Lettres



<< Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, de poésie, jamais soupira le chevalier en reprenant sa carte. Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tous. Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. >> Trankenluft marqua une pause et ses traits se durcirent, comme un masque tombé. Il tapa fermement du poing sur la table en le fixant dans les yeux : << Tout homme qui n'accepte pas sa vie vends son âme. > >

<< Toute débauche parfaite a besoin d'un parfait loisir, répondit Estaban éberlué, les deux pieds revenus sur terre et l'air ahuri. Le cri du sentiment est toujours absurde, mais il est sublime parce qu'il est absurde ! >>

L'ambassadeur s'esclaffa devant cette tirade et le salua en retirant son grand tricorne. Sa voix se fit chaleureuse et plus directe : << Tu es bien des nôtres Estaban, et la République n'abandonne pas les siens. Je me suis transféré dès que j'ai vu ton contact. C'est un joli coup que tu nous as fait là, ce soleil, très prometteur pour une première fois. Tu auras l'occasion de t'y entrainer, je suis là pour ça. Je te sors de la mine et te ramène dans un de nos temples. Tu trouveras un abri là-bas. >> Il posa son tricorne sur la table et Estaban remarqua une élégante broche métallique épinglée dessus, une grande plume barrant une lyre stylisée et flanquée de deux lettres capitales, R et L. La République des Lettres. << Minastral n'apprécie jamais que nous ravissions l'un de ses travailleurs mais nous finirons par nous accorder, nous le faisons toujours. >>

<< La République... des Lettres ? >> Estaban se recula dans son siège, stupéfait. Il n'avait jamais entendu ce nom de sa vie. << Qui Diable êtes-vous ? >> Le chevalier sourit à cette question et s'appuya des deux mains sur le pommeau de sa canne. << Tu le sauras bien assez vite. Disons que nous sommes une confrérie de gens de lettres, des amateurs, des créateurs unis par l'amour d'un même sentiment. L'usage à voulu que nous trouvions un intérêt à nous structurer, afin d'être capables d'exécuter notre volonté. Nous disposons aujourd'hui d'une vingtaine de nobles à la Chambre Haute. >>

Estaban prit quelques instants pour digérer les informations. Il rangea le livre dans sa poche. << Vous... Comment avez-vous su où me trouver ? >> L'ambassadeur eut un sourire compréhensif et un léger éclat de tristesse assombrit ses yeux. Il se rapprocha et baissa le son de sa voix. << Il n'y a pas de hasard dans l'art non plus qu'en mécanique. La faculté de rêverie est une faculté divine et mystérieuse, car c'est par le rêve que l'homme communique avec le monde ténébreux dont il est environné. >> Il se redressa et sortit un petit sachet de cuir de sa poche puis y trempa son index et traça un signe sur la table. << Nous avons tous nos fétiches, et chacun développe des dons qui lui sont propres. Pour ma part j'ai une affinité particulière pour le mouvement, j'ai pu te rejoindre et je te ramène en passager. Nous devons y aller maintenant, tout sera plus clair en arrivant. >> Il ferma les yeux et Estaban sentit l'énergie affluer au travers ses doigts soudés aux siens. La voix du chevalier changea et se fit subitement pleine et profonde, comme d'une tessiture supérieure. << La tribu prophétique aux prunelles ardentes, hier s'est mise en route... >> Un bruit l'interrompit au loin et la réalité vacilla à nouveau pour se tordre en un tourbillon, puis se reconstruire.

Les deux soldats du Syndicat se sont levés pour tirer leurs épées. Le plus grand pointe un bras dans leur direction. << Par le Grand Charles ! Impossible... Minastral peut donc vraiment intervenir jusque dans nos enlivrements. Le Consortium devait vous surveiller et ils ont repéré ton petit numéro d'illumination. Plus le choix, le temps presse. >> Il décroche la broche de son tricorne et ferme le poing dessus. << Tends-moi ton bras. >> Estaban s'exécute, Trankenluft murmure quelque mots à mi-voix et lui frappe brutalement le poignet, paume ouverte. Sa peau est rougie, la broche a disparue.

Le chevalier se lève gracieusement et tire sa rapière jusqu'à hauteur d'épaule, d'un geste ample et maîtrisé. << L'Art est long et le temps est court. Je ne peux plus te ramener, Estaban, tu trouveras seul ton vaisseau, il est dissimulé ici-même. Rejoins-nous à Alexandrie. Beau voyage confrère et souviens-toi : avant tout, être un Grand Homme ! >> La garde de la rapière se pose sur son front, il s'incline pour le saluer : << Et un Saint pour soi-même. >>

Le premier garde s'est mis à crier dans sa course, son épée à deux mains dressée vers le ciel, prête à s'abattre sur lui à tout instant. Prestement Trankenluft virevolte et se fend d'un pas en avant pour lui percer la poitrine d'un coup vif, le corps tendu. Le garde s'écroule sans avoir abattu son arme. Son acolyte hurle férocement et lance un solide coup de taille au visage du chevalier, paré au dernier instant. Le choc des lames fait voltiger une pluie d'étincelles orangées dans la brume rouge.

Estomaqué Estaban contemple la scène irréelle qui se joue devant ses yeux, puis son esprit refait surface, lanciné par une pensée obsédante. Un vaisseau. Dissimulé ici-même, pour lui. La station d'atterrissage n'est qu'à quelque minutes de là, à la surface de l'astéroïde. La porte n'est plus gardée et le chevalier lui a fait ses adieux, c'est sa chance. L'occasion qu'il attendait pour enfin quitter les cycles d'enfer qui se relayaient sous la mine. Fini les vibrations qui ne s'arrêtaient plus la nuit, fini le bruit assourdissant du générateur et les flashs lumineux perpétuels. Sortir du trou, aller respirer le grand air et vivre, vivre. Trankenluft vient de parer en lançant un tabouret et il contre-attaque en multipliant les coups d'estocs devant lui, c'est le moment idéal. Estaban s'évapore dans le dos du garde. Il voit la porte au loin, et derrière elle la liberté, sa liberté, l'immensité de tout l'espace connu. Il court à moitié penché jusqu'aux tables puis accélère progressivement et franchit les derniers mètres à grandes enjambées. Il doit quitter cette vie, trouver son vaisseau et partir vite, vite, plus qu'un bond. Le poing métallique de Borgo le contra en plein élan et il s'écrasa sur le sol.

Il fut réveillé par les vibrations de son brûletorche, bien plus tard. Par ça et par la bouillie saignante qu'était devenue son visage. Il avait sacrément dérouillé cette nuit là et la journée fut longue. A la première veillée on lui raconta comment il avait pété un plomb pendant le Grand Soir. Il s'était levé pour danser en cercles au milieu du bar, en prétendant être Dieu ou un truc comme ca. Tout le monde s'était marré puis il avait complètement flippé, raide dingue, à hurler d'éteindre le soleil et les deux Syndics étaient venus pour le calmer. Mais il avait étendu raide le premier soldat et l'autre avait pas réussi à l'avoir. C'est Borgo qui avait fini par s'occuper de lui, à grands coups de pilons dans la gueule. Le truc classique quoi, une nouvelle victime pour la fièvre du Fin-fond. N'empêche qu'il avait démoli un Syndic et que pour ça il allait salement ramasser.

Hostile et maussade, Estaban le fils de libraire s'en moquait. Du Syndic, de la mine, du Fin-fond et de tout le reste. Une seule chose comptait pour lui, désormais, dès qu'il se retrouvait seul au fond de son tunnel. Dès qu'il pouvait relever sa manche et contempler la plume, la jolie plume barrant une lyre tatouée sur son poignet. La plume, celle qui affichait en accès-direct sur son nerf optique le contenu de sa puce-mémoire et qui pouvait jouer à sa guise une sélection de poésie, de philosophie ou de littérature, accompagné en musique et agrémenté de tableaux. Un véritable salon de lecture virtuel où tout se bousculait devant lui pour être lu, des plus grands chefs-d'œuvre connus aux textes les plus audacieux. L'interface d'une bibliothèque de voyage de la République des Lettres. La réserve personnelle de l'ambassadeur Von Trankenluft.

C'est là qu'il trouverait son vaisseau il le savait maintenant. Il avait compris comment l'Art pouvait courber la réalité, il l'avait vu, il l'avait vécu. Le Syndicat n'allait pas lui laisser une journée de repos de sitôt alors il allait devoir apprendre à contrôler son pouvoir au fond de la mine, seul, pendant qu'il maniait son brûletorche. Il avait survécu à sa formation de mineur, il survivrait bien à celle-là. Sa vie était de nouveau en jeu, un peu plus peut-être. Le plus urgent maintenant était de se plonger corps et âme dans la bibliothèque jusqu'à découvrir un texte qui le ferait suffisamment vibrer. Il s'y livra, avec délice, et comme dans un rêve s'immergea dans le flot pur de la plus belle littérature. Ce fut le Barde qui l'enlivra, direction Alexandrie. Vers la République des Lettres.



Poème & citations: Le Flambeau Vivant, Charles Baudelaire

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