Posté le 12 juillet 2014
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Histoire de Noël




Assise devant la fenêtre, observant la neige tomber doucement à coups de petits flocons légers et scintillants, elle regardait tristement le ciel, une larme coulant de temps à autres sur ses joues. Le sapin à l’air chaleureux et les guirlandes illuminant la pièce n’arrivaient pas à atteindre son cœur. Il restait de glace, ignorant les appels du feu crépitant dans la cheminée. Se recroquevillant dans son fauteuil, elle se demandait pourquoi la vie lui offrait des jours à fêter, si ce n’était que pour lui prendre ses biens les plus précieux en ces mêmes jours, et regarder ensuite les enfants heureux, les familles souriantes, les rires partagés de tous ceux qui n’avaient que le mot bonheur à la bouche. C’était si injuste. Pourquoi n’avait-elle pas le droit d’être heureuse, elle aussi, en ce jour si important, si beau, si joyeux ? Pourquoi certaines personnes devaient-elles souffrir et voir les autres rire à gorge déployée devant eux, comme si leur malheur n’était qu’une mauvaise plaisanterie ?


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Quelques heures auparavant, elle se levait lentement, pensant à sortir pour respirer l’air frais qui accompagnait toujours l’hiver et ses flocons. Se parant d’une écharpe et de mitaines assorties, d’un violet que l’on pouvait qualifier de parme, elle enfila un caban blanc et un bonnet de la même couleur. Jetant un œil à la table de chevet se trouvant près de la cheminée, elle hésita un instant avant de se décider à prendre le petit paquet soigneusement emballé qui s’y trouvait, accompagné d’une carte, et d’un autre paquet plus grossièrement empaqueté, qu’elle mit dans la poche de son manteau.

A peine avait-elle mit un pied dehors que le froid la fit trembler de toute part. N’y portant pas grande attention, elle commença à marcher à son rythme le long d’un trottoir enneigé. Elle avait toujours aimé le bruit de ses pas dans la neige. Cet espèce de petit crépitement qui chantait à ses oreilles l’avait toujours fait sourire. Regardant ses pieds en avançant, se souvenant d’une époque pleine de rires, deux traits fins étirèrent ses lèvres l’espace d’un instant. Mélancolique sourire de celle qui veut revenir à cette période où tout était beau.

S’arrêtant pour un moment, elle s’assit sur un banc, ferma les yeux, leva la tête et laissa les flocons tomber sur son nez, ses joues, ses paupières, délicatement, comme des morceaux de soie.

Elle se rappela la boîte à musique de son enfance, les batailles de boule de neige sanguinolentes pour de faux déclarées suite au vol de bonbon d’une tierce personne, les tentes fabriquées avec des couvertures et des chaises soigneusement disposées, les concours d’ombres chinoises. Elle se souvenait très vaguement du sentiment de pur bonheur qu’elle avait ressenti en découvrant et répétant toutes ces choses, sans cesse accompagnée de la personne la plus importante de sa vie.

Celle qui avait partagé son berceau.
Celle qui avait prononcé ses premiers mots en sa compagnie.
Celle qui avait soigné ses premiers bobos et séché ses premières larmes.
Celle qui avait partagé sa crise d’adolescence, sa souffrance quand elle avait été aussi boutonneuse qu’un gilet de laine et en avait payé le prix auprès des autres élèves.
Celle qui avait toujours répondu à ses appels lorsqu’elle allait mal.
Celle qui la consolait et insultait l’idiot qui avait osé laisser tomber cette merveilleuse personne qu’elle était.
Celle qui avait toujours été là.

Alors qu’elle pensait à sa sœur aînée de quelques secondes seulement, les larmes s’échappèrent malencontreusement de la barrière qu’étaient censées être les paupières de cette fille si triste en ce soir de Noël.

Sa sœur lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Non … Comme deux flocons. C’était leur ‘’truc’’, à elles deux. Elles n’étaient pas semblables comme deux gouttes d’eau, c’était tellement banal. Mais en réalité, pour les différencier, l’aînée gardait des cheveux longs, et la cadette des cheveux courts. Un hiver, alors qu’elles se promenaient dans la neige à la recherche d’un chat qu’elles avaient vu plus tôt, l’aînée s’était arrêtée sans crier gare. Elle avait positionné ses mains devant elle, paumes faces au ciel, tendant les bras, et avait laissé les flocons lui tomber dans le creux des mains. Disparaissant instantanément après avoir touché la peau de la fillette, sa petite sœur regardait les flocons, fascinée. Ce n’était que de l’eau, finalement. Laissant une traînée humide sur les paumes de sa sœur, la cadette s’en rendit compte. C’était tellement plus beau, tellement plus élégant que l’eau, mais c’en était tout de même. L’aînée la regarda alors, un énorme sourire s’étirant presque jusqu’à ses oreilles, et elle s’écria :

- On se ressemble comme deux flocons de neige !

Elle entendait encore son rire cristallin, qui semblait avaler tout autre son quand il apparaissait. Un son aigu mais pas strident. Léger et doux. C’était en cela que se résumait sa sœur. Elle était légère et douce. Mais cependant elle était également forte, ne laissant personne lui parler de travers. La cadette l’avait admirée, et par la suite enviée. Elle avait été jalouse, ayant toujours l’impression d’être la deuxième sur le podium, la moins douée, la moins adorée. Mais elle l’avait tout de même aimée. Elle avait été là pour son aînée, et inversement. Elles avaient toujours été présentes l’une pour l’autre, malgré les chamailleries et disputes habituelles que toutes sœurs connaissent. L’aînée se jouait souvent du fait qu’elle soit née la première.

- Si tu t’étais imposée un peu, t’aurais pu passer prem’s et ce serait toi qui te vanterait d’être la plus forte, la plus intelligente et la plus belle de nous deux ! , disait la grande quand elle voulait taquiner la cadette.

En y repensant, un sourire toujours aussi triste que les précédents vint se poser sur le visage de la plus jeune, assise sur un banc, le nez et les joues rougis par le froid. Elle rouvrit les yeux, baissa la tête.

Elle avait peur. Peur d’aller retrouver sa sœur, ce soir. Mais elle le devait. Elle n’avait plus été la voir depuis plus d’un an et demi. Depuis le jour où, allant lui rendre visite à l’hôpital, elle avait apprit la nouvelle.

Sa sœur lui avait sourit, d’un sourire sincère mais fatigué. La plus jeune s’était assise sur la chaise se trouvant à droite du lit, et avait essayé, inquiète, au bord des larmes, de faire ce qu’elle avait toujours fait.

- Mon dieu, quel temps dehors, t’as vu ça, il pleut des tonnes ! Jamais vu autant d’eau dans un mètre carré de surface… Ahah, toi qui n’arrêtais pas de dire que la bouffe des hôpitaux devait être immonde, t’es servie maintenant ! Ah, tu sais, faut que je te dise …

L’aînée l’avait regardée en souriant tristement, écoutant sa petite sœur parler pour ne rien dire. La laissant tenter d’imaginer qu’elle n’avait rien.

La laissant fuir.

Elle ne l’avait su que plus tard dans la soirée, se décidant à subir et accepter le sort de celle avec qui elle avait tant partagé.

Cancer des poumons. Inopérable. Mort prévue d’ici deux à trois ans, avec de la chance.

Elle n’avait jamais fumé quoi que ce soit de sa vie. Seulement, elle avait vécu pendant presque cinq ans avec un homme qui ne jurait que par les cigares.

L’homme allait parfaitement bien.

Refusant de voir la réalité en face, fuyant la famille proche qu’il lui restait comme la peste, elle n’était jamais allée voir sa sœur par la suite. Par peur de la voir sans cheveux, maigre comme une brindille, pâle comme un mort. Par peur de la voir mourir à petits feux. Elle ne l’aurait pas supporté.

Le Noël de cette année là, elle n’avait pas été voir sa sœur non plus. Mais elle avait reçu un cadeau. Un petit cadeau, emballé soigneusement dans un emballage beige clair accompagné d’un ruban blanc et d’une carte glissée sous celui-ci. Elle n’avait pas osé ne fut-ce que regarder la carte, rangeant la petite boîte dans le tiroir de sa table de chevet.

Et ce soir, elle était assise sur un banc, observant le paysage enneigé, tâtant la petite boîte à travers sa poche droite.

Devait-elle l’ouvrir avant ou après avoir rendu une première et dernière visite à sa sœur, depuis qu’elle avait apprit pour son cancer ?

Elle pouvait tout aussi bien mourir dans une semaine que dans un mois. Quand elle avait prit conscience de cet état de fait, elle s’était jurée d’aller la voir au plus tard à Noël. Mais cette nuit encore, elle hésitait. La peur de perdre définitivement le souvenir chaleureux de sa mine bienveillante, de ses yeux emplis de vies et d’énergie, lui tiraillait les entrailles.

Elle s’en voulait de sa lâcheté. Elle s’en voulait de mettre autant de temps à décider de quelque chose d’aussi évident. Evidemment qu’elle devait y aller. Elle n’allait pas gâcher sa dernière chance de voir sa sœur. Sa dernière chance de l’étreindre, de lui dire qu’elle l’aimait, de lui faire savoir qu’elle tenait à elle, de s’excuser de ne pas avoir été là avant, alors qu’elle avait toujours su être à ses côtés. Elle avait tant de choses à lui dire.

Ayant prit sa décision, elle se leva, et partit en direction de l’hôpital. Elle courait presque, chaque foulée lui faisant manquer un battement de cœur. Elle ouvrirait son cadeau en sa présence, pour que sa sœur puisse voir sa réaction. Elles riraient ensemble, profitant de cette nuit de Noël, sans doute la dernière nuit de Noël qu’elles passeraient ensemble. Elle rirait de ne pas avoir ouvert son cadeau plus tôt, et lui donnerait le sien. Le paquet semblant emballé à la va vite, sa grande sœur rigolerait, sachant que la plus petite avait toujours eu du mal avec les emballages cadeaux. Elle découvrirait son propre cadeau, des macarons de luxe, ceux qu’elle aimait tant manger quand elles allaient à Paris pour voir leur grand-mère.

Et elles passeraient une soirée formidable.

C’était la façon dont la cadette s’imaginait les choses.

Elle ne s’était cependant pas attendue à voir une mine sombre sur le visage l’infirmière se trouvant à l’accueil, lorsqu’elle avait demandé à voir sa sœur.

Ni à se voir se faire parvenir un petit paquet, semblable à celui qu’elle gardait bien soigneusement emballé dans sa poche droite, accompagné lui aussi d’une carte.

Elle ne s’attendait pas non plus à se retrouver chez elle, sans trop savoir comment, ni pourquoi, tenant en main un cadeau mal empaqueté dont elle ne savait que faire.


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Assise devant la fenêtre, observant la neige tomber doucement à coups de petits flocons légers et scintillants, elle regardait tristement le ciel, une larme coulant de temps à autres sur ses joues. Le sapin à l’air chaleureux et les guirlandes illuminant la pièce n’arrivaient pas à atteindre son cœur. Il restait de glace, ignorant les appels du feu crépitant dans la cheminée. Jetant un œil en chien de faïence à la table basse se trouvant à sa droite, elle inspira profondément, avant de prendre le plus vieux des deux paquets de sa sœur, datant d’un an auparavant. Les mains tremblantes, quelques gouttes salées tombant sur le paquet, elle prit la carte. Elle reconnut immédiatement l’écriture de sa sœur, harmonieuse et légère tout en étant nette et sans bavure.


Petite sœur,

Je suis désolée de ne pas pouvoir venir te rendre visite moi-même, les chimio que je fais me rendent assez mal, je dois rester à l’hôpital. Je sais que ça ne doit pas être facile pour toi, tu as toujours été très émotive, je comprends que tu ne veuilles pas me voir … En même temps tu fais bien, je n’ai presque plus de cheveux, tu te rends compte ! Tu tomberais sous le choc !
Je sais que tu es une trouillarde petite sœur, tu l’as toujours été. Mais j’aimerais bien que tu viennes me rendre visite un de ces jours. Tu sais, je veux absolument te revoir, avant de claquer sous les doigts des médecins ! Je rigole hein, avec les chimio, il y a de bonnes chances pour que je m’en sorte, ne t’inquiète pas, ça va aller !
Oh, au fait … Tu avais raison, la bouffe de l’hôpital est vraiment immonde, ahah !
Je t’aime fort tu sais. Joyeux Noël ma chérie, en espérant te revoir bientôt.

E.



Pleurant en silence, elle posa la carte avec douceur, et entreprit d’ouvrir le paquet en déchirant un minimum le papier. Elle ouvrit la boîte, et y trouva une petite poupée ressemblant trait pour trait à sa sœur, avec une étiquette sur laquelle était notée ‘’ Pour que jamais ta grande sœur ne te quitte ‘’.

Serrant la poupée confectionnée par les soins de sa propre sœur dans ses bras, la cadette pleura à chaudes larmes pendant près de dix minutes, avant de se ressaisir.

Ce fut au deuxième cadeau. A la deuxième carte. Elle mit cinq minutes à se décider pour l’ouvrir. L’écriture était beaucoup moins reconnaissable, moins précise, plus incertaine, tordue par endroits.


Petite sœur,

J’espère que tu vas bien. J’espère aussi que tu viendras, pour ce Noël-ci. Je n’ai plus énormément de force, alors j’écris ceci un peu avant, ne m’en veux pas. Je sais que tu as peur, que tu ne veux pas me voir comme je suis, que tu ne veux pas me voir partir. Je lis en toi comme dans un livre ouvert, aujourd’hui encore ! Mais je n’en ai plus pour longtemps, et rien au monde ne me ferait plus plaisir que de te voir une dernière fois. Je sais que c’est inutile de te le demander, étant donné que tu ne liras cette carte qu’à Noël. Oui je sais, ta vieille sœur a les neurones qui flanchent, qu’est-ce qu’on y peut !
Je voudrais te parler sérieusement maintenant. Si jamais tu ne venais pas, ou si tu arrivais trop tard, je ne veux pas que tu t’en veuille pour quoi que ce soit. Je ne meurs pas triste, parce que je sais que tu tiens à moi. Tu crois que j’avais pas deviné pour les bouquets de fleur sortant de nulle part, hein ? Il n’y a que toi qui puisses connaître mes goûts aussi bien. Merci, soeurette. Tu illuminais ma journée à chaque fois que tu m’en envoyais un, même si tu n’étais pas là.
Je ne t’en veux pas non plus. Je peux comprendre tes raisons, et je dois t’avouer que moi-même je ne voulais pas spécialement que tu me voies dans cet état. M’enfin, j’aurai pu me maquiller et mettre une perruque pour l’occasion ! Je l’ai peut-être fait d’ailleurs.
Ce cadeau est sans doute le dernier que je ne te ferais jamais. J’espère que tu l’apprécieras à sa juste valeur, et nous savons toutes deux ce qu’il vaut.
Je t’aime Lucy. Je suis vraiment heureuse, d’avoir eu la chance de pouvoir être ton amie, ta confidente. Ta sœur. Je ne souhaite qu’une chose de ta part : Aies une belle vie. Profite-en, tout du moins. Fais ce que je n’ai pas pu faire, va où je n’ai pas pu aller. Nous ne faisons qu’un petite sœur, nous n’avons jamais fait qu’un, ensemble. Après tout, on se ressemble comme deux flocons ! Considère que je serais toujours là, et profite de ta vie.
Je t’aime petite sœur,

Estelle.



Cette nuit-là, Lucy pleura jusqu’à ce que toutes les larmes de son corps aient été relâchées.

Et le lendemain, lorsqu’elle se décida à ouvrir le dernier des cadeaux de sa sœur, elle y découvrit une broche.

Une broche d’un blanc pur scintillant de paillettes.

Une broche en forme de flocon de neige.

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