Les élèves gloussèrent à la remarque du jeune Chrome avant de reprendre leur calme sous le courroux du professeur d'histoire indigné. Il arborait cependant toujours ce même sourire amusé, tandis que quelques tables plus loin, Phy, alors emmitouflée dans un lourd pull de laine qui cachait la moindre de ses formes, continuait, éprise d'une inspiration soudaine, d'écrire son court poème sur les fleurs. Les cours d'histoire étaient bien loin de l'intéresser et il lui semblait plus juste d'user de son temps pour fomenter son arable imagination. Elle fut toutefois bientôt extirpée de ses pensées par son amie et camarade de classe Ykhar qui lui demanda, le tout en se penchant sur sa feuille : — Tu as noté ce que le prof a dit ? Ah oui ok, non en fait. La rousse aux bavardages incessants, quoiqu'extrêmement attachante, se tourna finalement derrière elle, vers Karenn et Alajéa. Il fallait dire qu'elle tenait absolument à retranscrire chacune des paroles — même les plus infimes — du professeur. — Les filles, vous avez noté ce que le prof vient de dire ? chuchota-t-elle. Phy, quant à elle, était déjà retombée dans l'encre de ses vers aux riches rîmes embrassées. Elle venait d'ailleurs tout juste d'achever son premier poème et voilà qu'elle en ébauchait un tout nouveau qui évoquait, cette fois, la notion du temps. Elle sursauta toutefois de frayeur quand soudain, tout aussi subitement qu'elle s'était plongée dans les méandres de ses réflexions, le timbre roque de Monsieur LeJoncourt vociféra : — Ykhar, taisez vous donc ! Et vous, Mademoiselle que faites-vous donc ? Du haut de son estrade, le cinquantenaire arbora une expression méprisante et agacée avant de s'avancer, inélégant dans son pantalon violet pimpant, vers les deux jeunes femmes. Pendant ce temps, avide de conserver sa discrétion quant à ses activités littéraires, Phy avait tant bien que mal tenté de cacher ses feuilles. Fatale erreur. — Relevez donc votre cahier Mademoiselle. Impuissante, baissant les yeux de honte, la jeune fille de seize ans s'exécuta. L'homme, lui, une fois qu'elle eût laissé à découvert ses précieux, de sa main gargantuesque et répugnante, s'empara de ses deux trésors. Il y jeta un bref coup d'oeil, puis dit, dédaigneux : — Bravo, c'est sérieux tout ça. Prenez vos affaires et sortez. Phy, éberluée, entrouvrit d'abord légèrement les lèvres avant de retenir, humiliée, de lourdes larmes qui menaçaient, à tout instant, de se dérober de ses deux orbites innocentes. Après quelques secondes toutefois, elle se leva et ramassa ses affaires. Elle s'apprêtait enfin à sortir, se recroquevillant sur elle-même tel un animal apeuré, lorsque Monsieur LeJoncourt hurla une nouvelle fois : — Chrome, sortez également. Mon cours n'est pas une court de récréation. Le jeune homme maugréa quelques insanités dans sa barbe, visiblement furieux, puis sortit à son tour, à la suite de la jeune fille. Ils ne dirent rien, ni n'échangèrent un regard. Ce n'est que lorsqu'il se dirigea vers la cafétéria, qu'il revint sur ses pas et proposa, gentiment : — Tu viens avec moi ? Phy ne sut que répondre immédiatement, non pas que l'idée de passer un instant avec lui lui déplaisait. Bien au contraire, elle appréciait Chrome depuis la seconde, et ce quand bien-même n'avaient-ils jamais véritablement parlé, mais elle ne savait comment réagir, ni interpréter cette invitation. Elle s'assena une gifle mentale. Mais pourquoi Diable pensait-elle là qu'il y avait une interprétation à avoir dans ce simple geste ? Chrome avait toujours été sociable et souriant. Avec tout le monde. Sans exception. — D'accord, répondit-elle enfin, un sourire timide déliant ses lèvres pâles. Ravi, il lui offrit un doux sourire charmeur. Un sourire qui bouleversa absolument tout. Surtout son cœur.