Je me rappelle la lueur du jour, et je vois les néons grésillants s'allumer à l'autre bout de la pièce me brûler les yeux alors que je suis encore dans l'ombre. Je me rappelle la douceur de l'herbe en été, et je caresse ce parquet froid et plein d'échardes aussi piquantes que les ronces. Je me rappelle la chaleur d'un feu ardent, et je ressens à la fois les courants d'air froid de la lucarne brisée et les brûlures de cigarettes sur ma peau sensible. Je me rappelle la liberté, et je suis enfermée dans cette prison loin d'être dorée. Exilée, loin du monde extérieur, loin de tout contact chaleureux. Je me rappelle des voix douces, mais j'ai oublié leurs visages. Je me rappelle avoir parlé, je sais parler. Mais j'ai oublié le propre son de ma voix. Je me rappelle les sentiments, les sensations, mais j'ai peur. Je me rappelle être forte, trop forte. Et je n'ai plus de force. Je suis juste immortelle, piégée à demi morte. Je me rappelle le chant des oiseaux au dehors, et j'entend les sombres bruits de pas dans les escaliers. Il remonte. Je me rappelle la pluie chaude du printemps tomber sur mes cheveux, et je me prend un saut d'eau glacée en guise de douche. Je me rappelle des habits magnifiques et simples, et je suis habillée comme une esclave, perdue dans ses entraves. Je me rappelle ces magnifiques bracelets de perles et de pierres volcaniques, et quand je regarde ma cheville je vois cette chaine bien trop serrée. Je me rappelle les couleurs chaleureuses des fleurs, leurs parfums, mais je ne vois que la couleur des cordes et des chaines, le parfum de la douleur et de la rouille comme celui de la poussière. Je me rappelle qu'un jour j'ai été heureuse. Mais voilà je suis là, dans ce grenier d'homme riche. J'attend tristement que quelqu'un entende mes appels au secours. Mes pleurs et ma volonté de sortir d'ici. 10 ans c'est trop long. 10 ans c'est l'éternité dans ce cauchemar de tous les jours. Alors qu'est ce que 60 ans... Aucun contact si ce n'est la brutalité. Je sens mon humanité s'éteindre derrière la peur, et rien que cette idée me terrifie. Je ne crois même pas pouvoir marcher. Je ne peux essayer. Qu'est devenu la fille des océans, la fille qui parlait avec les orques, qui pouvait en être un... Je me rappelle le goût de la mer, les abysses et ses coraux multicolores, le bruit des vagues, le chant des orques dans l'océan aussi froid que doux. Je me rappelle l'Alaska. Je crois que c'est là que je vivais. Il remonte.