Auteur : Cheria
Posté le 16 juillet 2019
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L’ange déchue

« Les messagers divains », nous surnomme-t-on. Le sommes-nous réellement ? Dans mon cas, jamais n’ai-je reçu quelconque message à délivrer aux humains. Je crois que ce sont des légendes. Le genre de conte que les anges adultes racontent les agelôts, à leur plus jeune âge, pour que ceux-ci soient bons et purs, qu’ils soient les plus calmes et les plus dociles, dans l’espoir qu’un jour, eux aussi puissent être choisi pour accomplir une mission divine d’une telle importance. Mais moi, je n’y crois pas. Après tout, leur existence même est un mystère ; aucune personne de notre peuple ne semble en avoir rencontré un personnellement, ni même avoir quelconque information sur un de ces fameux messagers. Mais bon. Dans tous les cas, cela ne me concerne pas. Cela ne me concerne plus, plus depuis que j’ai été déchue. Déchue parce que je n’y ai pas cru, reniée parce que j’ai osé dire à voix haute ce que plusieurs pensaient de ces êtres mystérieux aux ailes si semblables à celles que j’avais à mon dos, à l’époque, qui sont aujourd’hui remplacées par deux longues et douloureuses cicatrices. Je me souviendrais toujours de ce jour, ce jour où mon peuple, ma famille, a décidé de m’abandonner, me jetant dans le monde cruel des humains, où violences et souffrances étaient si communs. Je me souviens de ces regards méprisants qu’ils m’avaient lancés, et de leur cruauté, eux censés être des êtres vertueux et bienveillants. Ce jour où ils m’ont maintenus à même le sol, et m’ont lentement arrachés mes ailes, de façon à ce que je souffre le plus possible. Ces ailes qui sont pour nous un membre plus que vital, bien plus que le sont les yeux ou les oreilles pour les humains. Une fois perdus, tu ne perds pas qu’un membre, tu perds un sens, une capacité ; tu perds ce qui fait de toi ce que tu es, tu perds une énorme partie de toi... Ou plutôt, tu te perds toi-même, entièrement. Et cette douleur m’est impossible à oublier, parce que toutes les nuits, sans exception, elle revient, toujours plus atroce et insupportable. Elle me rappelle le temps qu’il me reste avant d’être définitivement damnée. Le temps qu’il me reste avant de devenir ce que les anges redoutent le plus... Un de ces humains, eux qui sont si cupides et violents, eux qui sont si impurs... Pour stopper ma souffrance, pour stopper ce sablier, et pour sauver mon âme de ce sort cruel qui m’attend, un seul choix s’offre à moi, un choix que je ne crains pas et que je désire ardemment. J’ai tout essayé pour, sans succès. Le corps d’un ange est bien trop résistant, et guérit trop rapidement. Puis, j’ai entendue parler d’un village, LE village. Thiercelieux. Alors, sans aucune hésitation, je m’y suis dirigé - ce dernier espoir. Cet espoir avant que l’horloge ne s’arrête, et que mon âme ne se noircisse... Je suis allé voir la sorcière, la spécialiste en magie, et lui ai demandé sa potion mortelle... Mais celle-ci voulait la garder pour un loup-garou, ce qu’elle ne voulait pas croire que j’étais, car, disait-elle, « Un loup ne serait pas aussi désespéré à mourir que toi. Il ne se dévoilerait pas, tu dois donc être un simple malheureux de la vie, désirant en finir ». Je suis restée dans la rue, toute la nuit, seule, avec du sang coulant de mon bras, dans l’espoir d’attirer les fameux carnivores de ce village. Ils n’ont pas voulus me dévorer, car, disaient-ils « Nous préférons largement les cris de souffrance et les regards emplis de peur. Une chasse n’en est plus une si la proie la désire ». Puis, alors qu’il ne me restait que quelques heures, j’ai essayé de convaincre les villageois que j’étais un de ces fameux prédateurs qu’ils redoutent tant, en prenant compte de ce que la sorcière m’avait dit. C’était ma dernière option, avant que mon sort ne devienne pire que ne l’est la mort. Quelle ne fut pas ma joie de voir que cela avait marché ! J’étais enfin libérée, libérée d’un destin horrible qui m’attendait ! Tandis que je brûlais doucement sur le bûcher, paisible, je ne sentais aucune douleur, rien qu’une paix intérieure... Et j’entendis une voix. La voix de celui que tant d’anges désiraient entendre, la voix divine. « Toutes les âmes de ce village, autant pures qu’impures, peuvent être assurées. Les cendres d’un ange enlèvent toute malveillance chez les personnes qui sont aux alentours de celles-ci. Ta mort et ta souffrance ne seront pas inutiles, cher messager, car cela empêchera tant d’autres de souffrir et de périr. Alors, dis-leur, dis-leur d’éparpiller ce qu’il restera de ton corps angélique, et libères ces pauvres âmes effrayées de leur fardeau. » Alors, je souris face à l’ironie du sort. Moi, ange déchue, fut choisie pour être ce que les anges désiraient le plus ; un messager. « Éparpillez mes cendres, chers villageois ! Moi, Cheria, suis un ange descendue du ciel pour vous libérer de votre douleur. Ma mort vous sauvera, et toute votre terreur s'arrêtera ! »
Alors que je regardais leurs visages où l’incompréhension comme l’espoir se lisait, je m’éteignis doucement, libérée d’un poid énorme, comme si tout ce monde ténébreux devenait blanc et lumineux, si pur et si chaleureux.

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