Mon invitée d'aujourd'hui est Vandana Shiva, elle est une activiste environnementale indienne de renommée mondiale, elle est lauréate du prix Nobel alternatif en 1993, elle est l'auteur de nombreux livres, son dernier livre s'appelle "Une terre, une humanité contre les 1%" merci beaucoup d'être ici. Avec grand plaisir. Au début, vous n'étiez pas censé être un activiste, vous étiez physicienne, vous vouliez travailler dans l'énergie nucléaire, et puis vous avez découvert au début des années 1970 ce qui est connu en Inde sous le nom de mouvement Shipko, pouvez-vous nous expliquer comment vous l'avez découvert ? Oui, je m'entraînais pour être dans l'établissement du nucléaire indien, mais ma sœur m'a ensuite réveillé aux dangers du nucléaire, elle était médecin, et j'ai approfondi la physique théorique ; j'allais au Canada pour faire un doctorat sur les fondements de la théorie quantique et avant de partir, je voulais visiter certaines de mes forêts préférées dans l'Himalaya ; j'ai grandi dans la forêt himalayenne, et cette forêt dans laquelle j'avais fait du trekking avaient disparu. Le ruisseau qui venait de cette forêt de chênes avait disparu, et en rentrant à Delhi, j'ai parlé à un propriétaire de magasin de thé et il m'a expliqué qu'il y avait un nouveau mouvement appelé chipko, alors dans mon cœur, j'ai dit que j'allais revenir à chaque vacances et être bénévole pour cela. Les femmes du mouvement sont venues nous dire que nous allions embrasser les arbres ; vous ne pouvez pas couper les arbres parce que c'est des arbres que vient notre eau ; les arbres stabilisent la montagne et préviennent les glissements de terrain ; les arbres préviennent les inondations et les sécheresses et ils nous donnent aussi tout ce dont nous avons besoin ; nous serons des embrasseuses d'arbres ; le mot chipko signifie "embrasser" et j'ai appris toutes mes leçons d'activisme écologique des femmes de l'Himalaya qui n'ont jamais été à l'école mais qui savaient tout sur l'écologie ; elles savaient tout sur la biodiversité. Ce qu'elles appelaient l'eau, le sol et l'air pur ; aujourd'hui, j'en parle comme des fonctions écologiques des forêts ; je dis que les forêts ne sont pas des mines de bois, et une grande partie de mon changement dans la compréhension du fait que la nature est la base de l'économie, est venue de mon engagement avec les chipko, mon respect pour les connaissances des femmes, les connaissances indigènes, est venu de mon engagement avec chipko. Et cela a totalement bouleversé ma propre tête à cause de la physique, vous savez vous êtes en haut de l'échelle, vous savez des choses que les autres ne savent pas, et j'ai réalisé que tout le monde avait des connaissances, et que vous devez les respecter. Alors vous vous êtes vraiment engagé dans ce domaine, vous avez été un adversaire des grandes multinationales, en particulier de Monsanto, pour n'en citer qu'une, en raison de ce que vous décrivez comme leur influence néfaste sur l'agriculture. Il y a beaucoup d'exemples, il y avait le conton Bt, notamment en Inde. Il ne s'agit pas d'aider les agriculteurs à cultiver leurs terres, mais de les rendre dépendants de ces grandes entreprises. L'entrée des entreprises dans l'agriculture est une erreur parce qu'elles n'apportent que des poisons, dont la plupart ont leurs racines dans l'Allemagne d'Hitler, et ils fabriquaient des gaz pour tuer les gens dans les camps de concentration. Ce qui n'était pas leur but, leur but était de donner aux gens suffisamment... Non non le but était de fabriquer des produits chimiques qui tuaient les gens, après les guerres ils ont dit "pourquoi devrions-nous arrêter de fabriquer ces produits chimiques, disons qu'ils tuent maintenant les insectes, faisons des engrais" Les engrais ont été fabriqués dans les mêmes usines que celles qui fabriquaient les explosifs et les munitions pour l'Allemagne d'Hitler. L'objectif n'est pas le même. Non, les entreprises sont les mêmes et les processus sont les mêmes. La réthorique change, mais le but de créer des produits chimiques toxiques ne change pas, ils disent maintenant que c'est pour aider le monde. J'ai fait un livre sur la violence de la révolution verte, parce que le Pendjab, la terre la plus fertile de l'Inde, a été détruit. Et ensuite quand Monsanto est arrivé à la suite de la mondialisation, parce que jusqu'aux années 90, 90 % des semences étaient entre les mains des agriculteurs, et le reste provenait du secteur public, des laboratoires gouvernementaux, des institutions de recherche. Monsanto est donc venu illégalement, n'ont demandé aucune approbation, avec la promesse qu'ils augmenteraient les revenus des agriculteurs et auraient cette technologie magique pour contrôler les parasites. Maintenant les parasites résistent, et les agriculteurs sont endétés, les agriculteurs se suicident, la région a été ruinée, les pollinisateurs sont partis, il n'y a plus de pollen, la nappe phréatique a disparu. Donc il n'y a plus rien dans l'écosystème, donc je garde les graines, nous avons ramené des graines de coton biologique, nous travaillons avec les ashrams gandhi sur le filage et le tissage manuel de ce coton biologique. L'économie dans les villages où nous travaillons s'est multiplié par 10, parce que maintenant la richesse demeure au village, plutôt que d'être exporté au profit de Monsanto, et j'ai lu une nouvelle étude qui dit que parce que nous avons conservé des semences, que nous avons apporté des semences locales qui peuvent être conservées, et qui peuvent être réinjectées dans l'économie, Monsanto a perdu 11 millions. Je voudrais revenir sur votre dernier livre, vous élargissez, je dirais, vos attaques ne concernent pas seulement monsanto ou ses semblables, mais aussi d'autres personnes, vous avez attaqué ce que vous avez décrit comme les dictateurs milliardaires, en particulier un homme, je devrais dire Bill Gates, que vous décrivez comme christopher columbus, je vous cite "des temps modernes" et ce n'est pas un compliment évidemment, dont la mission est je cite "d'imposer des organismes génétiquement modifiés et la dictature numérique aux petits agriculteurs du monde entier" Bill Gates qui a donné des milliards pour améliorer la santé publique dans les pays pauvres et ainsi de suite, vous dites qu'il est essentiellement un dictateur, et qu'il n'est pas là pour aider mais pour rendre les gens plus pauvres, plus dépendants. Eh bien Bill Gates poursuit en fait le travail de Monsanto, parce que Monsanto a eu tellement de mouvements et que nous avons tenu un tribunal sur Monsanto, un acheteur a acheté Monsanto mais quand Bill Gates verse de l'argent en Afrique pour nourrir les pauvres en afrique et pour prévenir de la famine que fait-il ? Il pousse la révolution verte qui a échoué, il pousse les produits chimiques, il pousse les OGM, il pousse des modèles. Et maintenant... En toute connaissance de cause ? Ou il pense que c'est une bonne chose et il peut se tromper ? Ce n'est pas la même chose. Il y a suffisamment de preuves de l'effet que ça a, il y a suffisamment de lettres qui lui sont adressées par des agriculteurs de l'afrique, des gouvernements d'afrique pour dire que ce n'est pas la voie à suivre, les nations unies acceptent l'agroécologie travaillant avec des systèmes écologiques et disent que c'est la meilleure voie à suivre. Maintenant, Bill Gates essaie de toutes ses forces de faire passer les brevets au numérique. Donc vous prenez juste une carte dynamique, et vous dites "c'est mon invention". Vous ne créez pas une graine, une graine est auto-organisée, elle se crée elle-même et évolue dans la continuité. Juste en créant une carte, un génome, vous n'avez aucune idée de ce que fait la graine. Et c'est quelque chose qu'il pousse très très fort, mon livre raconte comment il a financé ces graines, j'ai parlé de comment il a piraté les graines que nous avons sauvées qui tolèrent le sel et les inondations, et il parler d'invention, c'est de la biopiraterie, c'est un peu comme Colomb, Colomb est censé avoir découvert l'Amérique, alors qu'il y est allé en pirate, pourquoi je l'appelle le Colomb de notre temps ? Parce qu'il élabore de nouvelles colonies, le logiciel aurait dû rester un logiciel ouvert. Alors, vous dites qu'il a une stratégie, une stratégie infâme, que vous décrivez comme le capitalisme philanthropique, qui est une entreprise néfaste. Donc vous ne dites pas seulement qu'il utilise les mauvaises méthodes, mais il poursuit un mauvais objectif avec des intérêts personnels, vous attaquez aussi Mark Zuckerberg le fondateur de facebook, en disant qu'ils sont tous liés ensemble. Je veux dire que cela ressemble un peu à la théorie du complot n'est-ce pas ? Eh bien, vous savez, mon livre est basé sur les nouvelles preuves qui sortent. Tout ce que vous avez à faire est de voir qui est propriétaire, et j'ai des données dans le livre sur la façon dont il y a une propriété commune, nous avons empêché mark zuckerberg d'essayer d'entrer dans l'agriculture indienne, c'était une grande mobilisation des gens qui croient en l'internet ouvert. Que voulait-il faire ? En gros, ce qu'ils font, c'est qu'ils extraient les données des agriculteurs, et en ce moment, dans le monde entier, il y a de nouveaux débats sur les questions de vie privée, sur la collecte de données ; il y a de nouveaux livres ; une nouvelle forme de capitalisme qui est un capitalisme de surveillance où, en gros, les êtres humains sont transformés en la nouvelle matière première. Donc Bill Gates prend à la fois les ressources vivantes et nos semences et la biodiversité, les extrait en données, et il veut en être propriétaire, avec ses amis. Et Mark Zuckerberg s'occupe de vos données et de vos comportements et les transforme en matière première pour les entreprises afin qu'elles puissent vendre, c'est pourquoi une annonce publicitaire apparaît après que vous ayez envoyé un message à un ami. Et ils manipulent les élections, j'ai un chapitre dans le livre sur le détournement de la démocratie, vous avez assez de données sur ce qui s'est passé avec facebook vendant des données à cambridge analytica, et sur la façon dont nous nous retrouvons avec des leaders de l'intelligence artificielle. C'est une menace majeure pour la démocratie. Donc c'est pourquoi vous les appelez des dictateurs milliardaires ? Parce que vous pensez qu'ils n'aident pas la démocratie mais la menacent et même la tue ? Je veux dire, n'est-ce pas un peu excessif ? J'ai grandi en inde, qui était post-indépendance, j'ai grandi en Inde où il n'y avait absolument aucune entreprise. J'ai grandi dans un pays où la démocratie fonctionne et, par conséquent, lorsque je vois l'imposition de transactions numériques et la criminalisation de l'argent liquide entre les pauvres, je vois essentiellement cela comme une dictature, je l'appelle la dictature numérique. Lorsque je regarde non seulement l'Inde, mais aussi l'Afrique et d'autres parties du monde, maintenant que nous avons les données qui montrent que les graines indigènes sont plus nutritives, qu'elles produisent plus de nourriture et qu'elles n'ont pas de coût, car il n'est pas nécessaire d'utiliser des produits chimiques, que la biodiversité locale est la bonne façon de nourrir le monde, malgré les preuves apportées, malgré les preuves des Nations unies, de la FAO, de chaque agence, Bill Gates continue d'imposer et de forcer les OGM. Ce qui est un échec, et il ne fait pas qu'imposer les OGM, il prend ce qui a échoué et ce que mon gouvernement a rejeté, mon gouvernement a jeté dehors l'aubergine bt de monsanto, Bill Gates l'a rescucité au Bengladesh. Nous avons rejeté le riz doré pour résoudre le problème de la cécité, il l'a financé, il a continué aux philippines. Donc il prend tous les projets qui ont échoué en pensant à tort que la vie est comme un programme, et peut être copiée et coupée et collée, alors qu'elle est d'une incroyable complexité et qu'elle s'auto organise. Et les scientifiques l'appellent l'autoproduction, l'auto-organisation, vous écrivez votre propre poésie, c'est ce que fait la vie. Il ignore absolument toutes ces nouvelles connaissances que la nouvelle science nous donne, et impose une technologie ratée avec un coût énorme pour la planète, seulement pour qu'ils puissent détenir des monopoles, et pour que les gens et les agriculteurs ne soient pas libres d'avoir leurs propres semences. Vandana Shiva, vous avez indéniablement des opinions fortes, et nous sommes heureux que vous ayez pu les partager avec nous, merci beaucoup d'avoir regardé cette interview ici sur france24.