Édité le 10 juillet 2022
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         Si Wounw réalisait certaines de ses missions la nuit pour leur bon et discret déroulé, elle aimait cependant tout particulièrement se réveiller avant le soleil pour profiter pleinement de l’aube et de ce qu’elle annonçait. La rouge n’était pas faite physiquement pour évoluer dans l’obscurité. Sa peau miroitant chaque nuit la lumière de la lune en était une preuve accablante. Brillante comme une dalle de marbre au soleil, sa propre lumière gênait sa discrétion. Assez légèrement certes, mais suffisamment pour ne vouloir exploiter que les horaires diurnes. Ainsi, il était idéal pour elle de se coucher tôt et de se lever de même, avant la plupart du Quartier Général. Il lui arrivait parfois de croiser des gardes de nuit qui finissaient leur service et cela lui plaisait. Elle avait l’impression de voir les journées débuter grâce à elle.

Ce matin ne faisait pas exception à la règle et profitant de ses derniers jours de congés, la rouge enfonce silencieusement la porte du réfectoire après une nuit étrangement réparatrice. Karuto n’était pas encore à son poste. Des recrues étaient responsables des premiers services et ils connaissaient bien les habitudes de la lieutenante. L’agitation en cuisine était le seul semblant d’activité vivante de la pièce.

Le seul détail dénotant avec les autres matins était Miiko attablée. Immobile, et visiblement occupée à prendre son premier repas de la journée, Wounw la rejoint avec ses propres mets. Si son visage trahissait une bonne nuit, celui de Miiko en revanche révélait un manque de sommeil évident. Les yeux cernés de parme, la kistune la salue d’un discret hochement de tête. Assez peu surprise de voir sa subordonnée ici, elle se redresse devant son assiette à peine vidée, tentant de faire bonne figure. Wounw devinait aisément son état. Elle n’avait aucun mal à interpréter celui de Miiko, surtout après l’avoir déjà vue au plus bas quelques années auparavant.

-Bonjour Wounw. Précieux n’est pas revenu te voir ?
-Non, il n’est pas resté longtemps hier soir.
-Il a passé la nuit enroulé autour de Taro. Je pensais qu’il serait revenu une fois son lit réveillé.

Posément, Wounw l’observe avec attention. Elle n’en avait que faire de savoir que leur deux familiers avaient passé la nuit à dormir l’un sur l’autre. La brune comblait un silence qui n'effrayait qu’elle. Elle espérait sûrement que ses paroles puissent dissimuler son teint pâle et ses yeux rougis. Fatigue ou pleurs, elle seule le savait. Mais à l’entendre, il était facile de comprendre que sa nuit avait été davantage rythmée par l’observation des familiers endormis que par une imitation de ces derniers.

-Tu as une grosse journée aujourd’hui ? finit par lancer la rouge en croquant dans une tartine de fruit de miel.
-Non, pas vraiment. Enfin pas plus qu’habituellement.
-Compte tenu du fait que tu n’as pas dormi cette nuit, est-elle devenue plus grosse que tu ne l’espérais ?
-Peut-être, répond la plus haute gradée, après un silence presque gêné.

Wounw lui accorde quelques secondes de réflexion avant de lui lancer :

-Je peux aider ?
-Non encore une fois Wounw, tu es en congés et je compte bien réussir à tenir cet engagement.

Avec un hochement de tête nonchalant, Wounw hausse les épaules et s’occupe en croquant les fruits sous ses yeux. Congés ou pas congés, Miiko semblait avoir du mal à sortir de sa tête. Il était normal qu’elle lui propose ses services, elles le savaient toutes les deux.

-De plus, reprend l'Étincelante, je ne pense pas que quiconque puisse faire quoi que ce soit à ce sujet.

Les orbes azures glissent vers Miiko avec intérêt. Surprise ou curiosité, Wounw ne le savait pas elle même.

-Tu as déjà été d’un soutien exceptionnel à la disparition de Lance, mais je ne pense pas qu’il soit le devoir d’une recrue, lieutenante ou pas, de s’occuper d’épauler sa supérieure au point de la remplacer pendant un temps. Je te suis éternellement reconnaissante pour la première fois, mais je ne peux pas te laisser faire ça de nouveau.

Les pupilles violines disparaissent un instant derrière des paupières closes, qui se cachent à leur tour derrière des mains fébriles. Wounw, ne comprenant pas ce qu’on lui avoue, regarde Miiko se frotter les yeux un instant avant de reprendre contenance. La conversation était devenue bien vite plus sérieuse qu’une simple matinée complexe à appréhender, et Wounw n'eut aucun mal à en avoir conscience. Ce qui l’inquiétait, c’était de deviner le niveau de gravité de ce dont on faisait allusion.

-Tu as été de très bons conseils, vraiment, et la Garde aurait souffert de ne pas t’avoir à ses côtés à ce moment-là. Mais…- Mais cette fois-ci, c’est différent. Ce n’est pas une trahison du destin, c’est encore pire. Il était plus facile d’accepter que sa disparition ait été écrite… plutôt que de réaliser qu’il la voulait.

On y était. Ce qui mettait de nouveau Miiko dans cette situation fragile était la même raison que la fois précédente. Lance. Encore. Hier parce qu’il était parti, aujourd’hui parce qu’il était de retour. Wounw n’était jamais tombée amoureuse, mais elle avait déjà perdu un être cher avant Valkyon. L’état de Miiko quelques années auparavant ne lui avait donc pas été inconnu et elle avait su le gérer en conséquence. Cette fois-ci, elle peinait à comprendre la réflexion de sa commandante. Elle n’y avait pas vraiment pensé, mais à bien y réfléchir, cela ne l’aurait pas surprise que le retour de Lance ravisse les cœurs qu’il avait abandonné.
Sans lui laisser le temps de lui répondre, et sans doute parce qu’elle ne l’attend pas, Miiko reprend :

-Je ne pense qu’à lui. Je voulais lui dire tellement de choses quand il est mort. Je ne rêvais que de pouvoir le voir une dernière fois. Et maintenant qu’il est ici, je… je suis complètement perdue. Je ne pense qu’à lui dans les cachots et l’idée de devoir le bannir me pétrifie. Celle de le voir au détour d’un couloir me retourne l’estomac. Je ne sais pas si je serais en capacité de pouvoir lui donner des ordres, ou d’attendre ses rapports de mission… Je ne sais pas non plus si je veux réellement le voir de nouveau évoluer ici. Est-ce que je peux seulement le laisser courir dans la Nature après tout ce qu’on l’accuse d’avoir fait ? Qu’il soit sous la Garde ou pas…

Un silence de nouveau. Wounw ne sait purement et simplement quoi lui répondre. Si Miiko est vraisemblablement en état de choc, l’autre peinait à contenir sa surprise. Il était particulièrement violent de voir la représentante de l'Étincelante si vulnérable, si faible, et encore plus dans un lieu si public. Elle n’avait pas été habituée à ça.

Un froncement de sourcils nerveux. La rouge croque son dernier fruit un peu trop brutalement, et le choc de ses dents sort Miiko de sa torpeur.

-Ce n’est pas celui que je connais et pourtant je l’attends désespérément. Est-ce que cela fait de moi une mauvaise cheffe ? Je veux dire, il n’est pas impossible d’avoir des faiblesses…
-Non effectivement.

Mais était-ce possible de se mettre dans un tel état quand on détenait un poste si important ? Les bras croisés, l’Obsidienne s’appuie sur son fauteuil et toise Miiko une seconde d’un œil dédaigneux avant de se reprendre.

-Lance est un meurtrier. Il a organisé des crimes de guerre. Il a attaqué la Garde. Il a assassiné son frère, ton subordonné. Comment peux-tu seulement hésiter entre un bannissement et une réinsertion ?
-Non Wounw, ce n’est pas ce qu-
-Je pense que le rôle d’un membre de l'Étincelante est assez limpide pour savoir qui écouter entre son instinct et son sentiment de veuvage quand la situation s’y prête. Mais qu’en saurais-je ? Je suis aussi veuve qu'Étincelante.

Un silence tendu s’installe entre les deux femme, entrecoupé par l’arrivées de recrues matinales, dont les discussions matinales ne font qu’agrandir le vide qui séparent les deux interlocutrices.

-Je suis désolée Wounw, ce n’est pas ce que je sous-entendais, finit-par lâcher Miiko, comprenant son erreur. Je… je suis un peu déboussolée.

Si cela se constate aisément, Wounw ne prend pas la peine de jouer la carte de l’insolence en l’admettant tout haut. Il y avait une certaine rancœur personnelle à réaliser la faiblesse de son amie. Wounw ne l’avait pas anticipée, et cela lui coûtait.
Puis soudainement, Miiko semble retrouver son aura. Elle se redresse, repousse la vaisselle devant elle et se tourne posément vers Wounw, posant sur elle les yeux sereins de la Cheffe de Gardes dont elle occupe le poste depuis tant d’années. Perplexe, et surtout irritée par un comportement si aléatoire, Wounw la jauge en attendant de la revoir prendre la parole.

-Je n’aurais pas dû me révéler à toi à ce sujet. Je n’ai pris en considération que ma personne, au détriment de la tienne, et te présente mes excuses. Mais…

Silence. Miiko semble chercher ses mots, comme si la moindre erreur ferait sauter une mine.

-Mais il faut que tu admettes que si je ne peux pas bannir l’ennemi numéro un de la Garde…

C’est qu’elle en était incapable. Oui, Wounw l’avait saisi. Est-ce que Miiko partageait son avis en remettant en cause ses capacités à diriger la Garde ? Wounw n’arrivait à le deviner dans ces yeux. Les orbes mauves étaient redevenus en l’espace d’une minute, une opaque protection de ce qui se jouait dans la tête de Miiko.

-Tu me demandes mon avis sur la question ?

-Non, pas exactement. Je n’en étais pas totalement certaine hier encore, mais ta réaction est assez transparente. Je pense qu’il y a un temps pour tout, et que la défaite de Lance… signe également mon départ ici. Nous ne pouvons évoluer sous le même toit, et je ne peux prendre le risque de mettre plus en péril les citoyens d’Eel.

A ces mots, Wounw se penche par-dessus la table pour s’approcher de Miiko, le cœur battant. Elle avait l’impression que la gravité venait d’être multipliée par dix dans la pièce et qu’elle perdait complètement pied. Qu’est-ce que Miiko insinuait ? Qu’elle quittait Eel ? Pour combien de temps ? Pour quoi faire ? Pour aller où ? Et qui la remplacerait ? Wounw savait Ezarel incompétent pour diriger ses troupes, et Nevra trop débauché pour être envisagé pour un tel poste. Le mieux formé aurait été Valkyon… Leiftan en prison, et Ykhar décédée, elle avait du mal à trouver un remplaçant digne de ce nom dans les débris qu’avait daigné laisser Lance.
Mais l’heure n’était pas au chagrin ou à la rancœur. Il était de toute façon difficile de se recueillir avec un tel tintamarre dans la poitrine.

-Je ne comprends pas ce que tu es en train de dire Miiko, finit-elle par lâcher avec une sècheresse exagérée, espérant que cela suffirait à cacher son inquiétude.
-J’ai contacté certains amis dirigeants à travers Eel. Rien n’est décidé encore évidemment, mais j’ai obtenu quelques retours. Huang Hua m’a envoyé une réponse très rassurante. Si mon départ se concrétise et qu’elle accepterait ce poste, sa sœur pourrait la remplacer chez elle, pour la laisser s’installer ici. Nous pourrions aussi accueillir Zeng Zifu, que tu avais vu tu sais quand-
-Oui oui je m’en rappelle très bien, la coupe Wounw avec agacement et effroi. Elle devinait ce qu’on était en train de lui révéler et il était très difficile d’apprécier l’idée. Elle voulait que Miiko enchaîne, et vite.
-Zeng Zifu son conseiller donc, un homme sage et posé. Ils sauront sans doute faire de meilleurs choix que moi dans la situation actuelle.
-Je ne comprends pas. Tu as décidé ça ce matin ? Entre trois fraises pistachées ? Tu vas simplement laissé cette décision revenir à quelqu’un qui ne nous connait pas ? Qui d’autre est au courant ?
-La Garde Étincelante et les garçons. Keroshane pense que c’est une très bonne idée et m’encourage à réfléchir dans cette direction. Nevra insiste pour que ce ne soit pas un vampire et Ezarel… Ezarel est resté fidèle à lui-même.

Wounw ne comprenait même plus ce que Miiko racontait. Pourquoi diable embaucher Huang Hua à la place de Miiko ? C’était là la pire idée de la Garde après avoir fait croire à Erika qu’elle avait un lien avec l'état de leur monde.

-Donc si je comprends bien… Tout le monde approuve cette idée que tu as eu entre deux cauchemars de ton ancien petit copain revenu de la mort pour nous tuer ?
-Fais attention à tes propos Wounw.

Elles étaient peut être proches, mais Miiko ne manquait pas d’utiliser la hiérarchie si besoin lorsque Wounw, tel un chien bien éduqué, nécessitait un recadrement. Mais si Miiko s’apprêtait à quitter son poste d'Étincelante, par quel procédé s’appliquaient encore ses ordres ? Alors Wounw renifle et termine sa boisson avec aigreur.

-Ce ne sont que des faits, et tu le sais. Tu pourrais choisir de l’éliminer. Je pense que personne d’autre ici si ce n’est toi ne s’en formaliserait.
-C’est justement ça le problème, et que tu ne le réalises pas m’attriste.

Se toisant mutuellement avec une colère endeuillée par l’annonce révélée, les deux finissent d’un commun accord par baisser leur garde en soupirant doucement. Lissant ses gants par dessus ses coudes, Wounw cherche un moyen de reprendre contenance alors que Miiko s’accapare de nouveau la parole.

-Je ne tiendrais pas rigueur de cette matinée. Après tout, tu es… tu n’es pas en service… Et je comprends que cette nouvelle puisse te chambouler aussi. Sache que quitter la Garde après tant d’années ne me laissera pas indifférente.
-Je ne comprends pas comment tu peux le laiss-
-Ce n’est pas à toi de comprendre. Tout ce qui doit t’occuper, c’est l’avenir de la Garde. Huang Hua est une femme pleine de maturité, et parfaitement capable de se décentrer… Toi qui veut le meilleur pour la Garde, tu- tu devrais être rassurée de ce choix.

Incapable de lui répondre, la Rouge baisse les yeux en se mordant la lèvre. Toute l’apaisement et la tranquillité que lui avait apporté sa semaine de congés, ou simplement sa nuit, s’était envolée en une conversation ce matin. Complètement trahie, elle se lève en hochant la tête simplement, et se saisit de son plateau. Les recrues autour, impressionnées par l’aura que révèle sa moue, se taisent à leur insu quelques secondes.

-Je tacherais de l’être dans ce cas.

Elle ne le promettait pas, parce qu’elle savait qu’elle ne le serait pas. Elle n’avait croisé Huang Hua que deux fois dans sa vie, et en avait entendu beaucoup de bien, mais elle ne l’avait jamais supportée. Sa proximité avec Miiko sans doute. Son ton maternalisant aussi. Quelle terrible idée de vouloir la mettre à la tête de la Garde. Son visage tordu par la contrariété, Wounw débarrasse sa place puis le plancher. Ce n’est qu’une fois dans le Hall qu’elle comprend que ce n’est autre que Huang Hua qui se chargerait de la nomination du prochain Chef Obsidien. Et cette idée suffit à insuffler ce qui manquait à sa colère pour faire battre sa tempe avec ferveur.

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