Édité le 21 juillet 2022
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Qui raconte ?

Charles a 45 ans. Graphiste, directeur artistique pour des sites web, il a deux fillettes d’une dizaine d’années d’une précédente union, en garde partagée. Sa compagne Noémie, 34 ans, n’a pas d’enfant. C’est elle qui gère ces vacances. Ensemble, ils forment une jolie famille recomposée. Ils sont parfaits : bienveillants, drôles, sympas, ouverts… et bien sûr, ultra tolérants. Bref, un prototype de couple bobo parisien, « limite caricaturale », dit Charles. Jusqu’à ce que cette loc à Rambouillet les oblige à se remettre en question.

Le contexte

« Comme toujours, Noémie a géré de A à Z l’organisation de ce week-end. C’était en pleine sortie du premier confinement qu’on avait passé dans notre petit appartement parisien, on avait vraiment besoin de se mettre au vert. On préfère généralement le bord de mer, mais on était contraint par la limite des 100 kilomètres. Noémie adore repérer les maisons de charme, les jolies chambres d’hôtes. Elle élabore des listes, avec des chouettes endroits “où on ira un jour”, “quand on aura le temps”. C’est son truc, elle est à fond et elle a l’œil. Il y a plusieurs sites qu’elle surveille, Airbnb et bien d’autres, et j’avoue qu’on est rarement déçus. Je la laisse faire. Quand c’est moi qui m’en occupe, c’est souvent la catastrophe. On a déjà eu quelques expériences malheureuses. Un appartement qui avait l’air sympa et atypique en Normandie qui s’est, en fait, avéré être un truc atroce, pas du tout cosy contrairement aux photos, retapé à l’arrache pour faire du Airbnb, et envahi de cafards…

Mais on a beaucoup appris de nos erreurs, on zoome sur les photos, on connaît maintenant les trucs des propriétaires pour enjoliver leur annonce.

J’avoue qu’on est assez exigeants. Notre critère numéro un, c’est la propreté. Le charme compte, bien sûr, mais ce n’est pas l’essentiel. Une fois, à La Ciotat, par exemple, on a réservé un appartement lambda, le genre impersonnel spécifiquement retapé pour de la location courte durée, sans aucun charme particulier, mais ça avait le mérite d’être simple, nickel et efficace. Au moins, on ne se sentait pas chez des inconnus, envahi par leur univers et leurs névroses, contrairement à ce qui s’est passé à Rambouillet.

Avant

En sortie de confinement, on avait cette limite des 100 kilomètres. Noémie a un peu galéré pour trouver cette loc. C’était une belle villa avec un étage indépendant, mais notre espace se trouvait tout de même dans la maison des propriétaires. Je n’aime pas trop ça, mais on n’avait pas le choix. Nos hôtes, un couple de trentenaires gay, avaient trois gros chiens, dont un saint-bernard et un golden retriever… On savait que les filles allaient adorer. Alors banco ! On loue une voiture, et nous voilà partis pour la forêt de Rambouillet.

Le séjour

Ça commence mal. Le jardin est beau, la maison est jolie, mais tout est craspouille. Une des chiennes a ses chaleurs, il y a du sang partout. Ça sent hyperfort le chien. La cuisine que l’on doit partager n’est pas très propre non plus. Premier red flag.

Il y a un immense drapeau bleu-blanc-rouge dans le jardin, genre 3 mètres de long… On ne le voyait pas sur les photos, mais là on ne voit que ça. Deuxième red flag…

J’ai envie de partir en courant, mais les filles sont aux anges, alors, on ne dit rien. Les propriétaires nous proposent d’utiliser la piscine, au fond du jardin… On sent qu’ils nous font une faveur, qu’ils veulent nous faire plaisir. On va voir, c’est un pauvre truc gonflable, une pataugeoire pour enfants posée à côté d’un terrain en friche, sur lequel “il ne fallait surtout pas marcher”. Je suis peut-être snob mais je n’appelle pas ça une piscine, en tout cas pas question de se baigner là-dedans. Merci, mais non merci. On remercie poliment, mais franchement, on ne se sent pas très bien dans cette maison.

La déco est ignoble. A la fois prétentieuse et cheap, pseudo-aristo et faussement rustique, avec des faux chandeliers, des trucs en plastiques… Déprimant. Dans le jardin, il y a un mini-potager pas très bien tenu, des poules aussi… Ils ont l’air d’être installés dans une espèce de logique survivaliste. En gros, ils ont construit ce qui pour eux est une espèce de paradis de vie en autarcie, et qui ressemble pour moi à un cauchemar. Ils nous parlent beaucoup, ils sont non seulement bavards, mais assez intrusifs.

Personnellement, de manière générale, je n’ai pas très envie de copiner avec les propriétaires. Je loue un logement, je ne viens pas faire ami-ami avec eux. Et encore moins avec ceux-là. Je sens vite qu’on n’a peu de choses en commun. Je fais quand même service minimum, pour ne pas avoir l’air désagréable et ne pas plomber le week-end. Après tout, l’essentiel, c’est qu’on passe tous un bon moment, les chiens sont affectueux, et puisque les filles sont heureuses, on prend sur nous. Mais c’est sûr, j’aime de moins en moins cet endroit.

Noémie, elle, essaie de temporiser, elle ne veut pas gâcher cette escapade familiale mais elle voit aussi que je me sens de plus en plus mal… Le lendemain, j’essaie de préparer un barbecue. Les propriétaires, qui veulent décidément sympathiser, commencent à nous entraîner dans des discussions politiques. Ils sont non seulement beaufs, mais complètement réacs. Ils nous racontent qu’ils ont essayé de monter un commerce à Nantes, mais malheureusement ça n’a pas marché : “trop d’étrangers”, “trop de racailles”, “trop d’insécurité”… On sent que pour eux, clairement, “la France part à vau-l’eau”, le monde extérieur est dangereux, il y a “bien trop de migrants”, “la France accueille n’importe qui”.

D’un seul coup, tout est clair. Le drapeau bleu-blanc-rouge, la logique survivaliste… En fait ces gens sont clairement d’extrême droite. Ça ne va plus du tout. L’un des types me met particulièrement mal à l’aise. Je sens en lui une violence contenue, une frustration, un besoin de revanche sur la vie. L’autre est plus gentil. Ils tâtent le terrain pour voir si on les suit, si on partage leurs idées. Je me sens sali, j’ai envie de vomir. Je ne dis rien, mais je commence à me sentir hyper mal, et même carrément oppressé. Je suis peut-être une petite nature, trop sensible, mais j’angoisse, j’ai l’impression d’être pris dans un traquenard, de m’être fait avoir. Je coupe court aux discussions, et j’évite au maximum les conversations. Le deuxième soir je craque. Je n’en peux plus. Noémie n’insiste pas. Au petit matin, avant le petit-déjeuner, on a préparé nos bagages, on est prêts à partir. Les filles ne comprennent pas. Elles pleurent et nous en veulent. Au départ, on était censés rester une nuit de plus.

J’ai prétexté une urgence professionnelle. Nos hôtes ont gentiment proposé à Noémie de rester avec les filles dans la maison 24 heures de plus, comme prévu. Ils ont même offert de les accompagner à la gare plus tard, pour qu’elles profitent de la journée, comme prévu. On a dû inventer des bobards pour partir. Une fois dans la voiture, on s’est senti immensément soulagés. On a respiré, comme si on avait été en apnée depuis 24 heures. On n’a rien dit aux filles, elles n’ont jamais su ce qui s’était vraiment passé.

Après

Je ne suis pas très fier de cette histoire, je me vois dans la peau d’un type intolérant, ce que je ne pense pas être, une caricature de bobo parisien. En bref, de l’extérieur, on pourrait dire que c’est la mésaventure d’un petit snob confronté à la réalité d’une France profonde. Là encore, ce n’est pas moi. Si encore ça avait été des mecs du coin… Mais pas du tout. C’était des urbains réacs, qui transposaient leurs angoisses et leurs fantasmes dans cette ruralité. Je sais bien que dans l’absolu, il faut être capable de discuter avec des électeurs du RN, ne pas les ostraciser. Il est très probable que j’ai déjà dormi sous le toit d’électeurs d’extrême droite sans le savoir… Mais cette fois, je ne pouvais pas l’ignorer, et mes bonnes intentions n’ont pas résisté à l’épreuve.

Honnêtement, je pense que s’ils n’avaient pas été fachos, j’aurais pu accepter le reste, l’hygiène douteuse, la déco oppressante, mais là, c’était trop. Ce qui est affreux, c’est qu’ils nous ont mis une très bonne note sur Airbnb, avec des super commentaires genre “famille très agréable, avec des enfants charmants”. Nous, on n’a rien posté. Pas une note, pas un mot. C’est dommage. Peut-être un peu lâche, pas très citoyen, au fond, mais on ne voulait pas les trasher non plus. En tout cas, c’est notre pire expérience Airbnb. Elle m’a permis d’expérimenter mes propres limites. »

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