Combien faut-il gagner pour être riche en France ? La somme de 3 860 euros mensuels après impôts pour une personne seule, 5 790 euros pour un couple, 9 650 euros pour une famille avec deux adolescents, répond l’Observatoire des inégalités, dans la troisième édition de son rapport sur les riches, publié mercredi 5 juin.
Dès lors, 4,7 millions de Français sont riches, calcule l’Observatoire, en se basant sur les données 2021 de l’Insee. Cela représente 7,4 % de la population. C’est moins qu’en 2011, lorsqu’on recensait 5,5 millions de riches dans le pays, un record sur les vingt dernières années.
Le nombre de riches a donc diminué de près de 800 000 personnes entre 2011 et 2021 – mais ceux-là, surtout tout en haut de l’échelle, sont de mieux en mieux lotis. La moitié d’entre eux jouissent en effet d’un niveau de vie supérieur à 1,28 fois le seuil de richesse, contre 1,26 en 2011. De plus, les plus fortunés captaient 7,7 % de l’ensemble des revenus avant impôts au début des années 1980 : ce chiffre est monté à 12,6 % en 2022. « Depuis le précédent rapport publié en 2022, on a plutôt observé une intensification de la richesse qu’une augmentation globale des inégalités », résume Louis Maurin, directeur de l’observatoire. Des riches de plus en plus riches, mais moins nombreux, en somme.
Mais le sujet pose l’épineuse question de la définition de la richesse, loin de faire consensus. Comment l’Observatoire des inégalités a-t-il fixé le seuil de 3 860 euros pour une personne, alors qu’il n’existe pas, en France, de définition statistique et « officielle » de la richesse ? Tout simplement en se basant sur le seuil de pauvreté, qui lui est défini par l’Insee, et qui permet de cibler les politiques publiques sur les plus modestes.
Une question politique
Ce seuil de pauvreté est déterminé à partir du niveau de vie médian, qui partage la population en deux parts égales : actuellement, il est de 1 930 euros après impôts et prestations sociales, toujours pour une personne seule. L’Insee considère donc que l’on appartient à la frange la plus pauvre de la population lorsqu’on gagne moins de 60 % de ce niveau de vie médian, un chiffre également retenu dans les autres pays de l’Union européenne.
Il existe aussi un seuil à 50 % : c’est celui qu’utilise l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et celui repris par l’observatoire. « Nous avons considéré que les riches étaient ceux qui percevaient le double de ce niveau de vie médian », explique M. Maurin. D’où le chiffre de 3 860 euros.
En Europe, ces gouvernements favorables au « travailler plus » pour relancer l’économie
L’Insee, qui produit moult études et documents sur la pauvreté, mais aussi sur la redistribution des revenus et les inégalités, estime qu’il n’est pas de son ressort de décider qui est riche et qui ne l’est pas, la question étant éminemment politique. L’autre argument avancé par le statisticien public est que cette notion est ambivalente : on peut être riche parce qu’on gagne bien sa vie, mais aussi parce que l’on dispose d’un patrimoine – les deux allant souvent de pair, mais pas toujours. Le cas des agriculteurs, dont les revenus sont souvent modestes mais qui possède des terres, des machines ou des bâtiments agricoles, illustre cette complexité.
« Le terme riche est ambigu »
D’autres éléments peuvent nuancer la notion de richesse, comme le lieu de vie. A revenu égal, on vit moins bien à Paris que dans une ville moyenne. L’âge est un autre point à prendre en compte : il est logique que les revenus augmentent et que l’on se construise un patrimoine au fur et à mesure que l’on vieillit.
« Certes, définir un seuil de richesse relève d’une convention, cela aurait un côté un peu arbitraire, observe le sociologue Julien Damon. Mais cela permettrait de documenter les évolutions dans le temps, de faire des comparaisons internationales. » « Il serait intéressant de pouvoir fixer un seuil de richesse pour évaluer les politiques publiques, poursuit Pierre Madec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste des inégalités. Par exemple, il serait intéressant de savoir combien de personnes vont changer de catégorie et basculer dans la richesse lorsqu’on a modifié le barème de l’impôt sur le revenu. »
Egalement économiste à l’OFCE et spécialiste de la pauvreté, Guillaume Allègre suggère, lui, de poser le sujet différemment. « Le terme riche est ambigu, souligne-t-il, les termes “hauts revenus” ou “hauts patrimoines” sont préférables. Au final, l’indicateur de la part de revenus perçue par les 10 % des plus hauts revenus est plus transparent et véhicule moins d’affects qu’un seuil de richesse. »
Quoi qu’il en soit, le Conseil national de l’information statistique, dont le rôle est de faire des recommandations à la statistique publique, préconise, dans son programme de travail 2024-2029 publié en février 2023, « de mener des travaux afin d’examiner la pertinence d’indicateurs monétaires et non monétaires, qui seraient les pendants des indicateurs de pauvreté ».