Comment le Stade de Reims accompagne ses nombreux joueurs étrangers
Sous l'impulsion de son directeur général, Mathieu Lacour, le Stade de Reims s'est largement internationalisé en quelques années.
Cyril Olives-Berthet, à Bétheny (Marne)
publié le 9 avril 2023 à 00h00
En cours de français, le Serbe Ognjen Lukic, l'Australien Mohamed Touré, l'Équatorien Maiky de la Cruz et l'Américain Kobi Henry ne parviennent même pas à prononcer « Reims ». Ces quatre jeunes joueurs pros en rigolent aux éclats, avec leur bienveillante professeure, Anca Mandi-Bredy. « Elle est presque à temps plein chez nous et donne quatre à cinq classes par jour, explique Mathieu Lacour, dont le coach anglo-belge, Will Still (30 ans), a déjà aligné une équipe de départ avec dix nationalités. Petit à petit, nous avons mis le club à l'anglais, même les kinés. »
Lorsqu'il est devenu directeur général début 2018, douze nationalités étaient représentées. Ce chiffre a déjà presque doublé. « Avec Pol-Édouard Caillot (directeur sportif), on écrit un projet sur cinq ans, basé sur l'international. » La première phase du plan a vu le Stade de Reims se concentrer sur la Belgique, les Pays-Bas, le Portugal et des éléments francophones (Engels, Foket, Konan, Doumbia, Romao en 2018). La deuxième partie a permis à des anglophones de débarquer (Rajkovic, Maresic, Donis, Zeneli, Munetsi en 2019). « Mais pas n'importe comment, précise Lacour. On a recruté Miguel Comminges comme coordinateur sportif à l'été 2019. Il connaît l'ADN du club (il y a joué de 2003 à 2007) mais a aussi évolué six ans en Angleterre et aux États-Unis (Swindon, Cardiff, Carlisle, Southend, Stevenage, Colorado). » En 2020, Yann Kombouaré a suivi, étant notamment directeur du développement international.
« On veut étendre notre réseau au maximum en trouvant des passerelles avec le plus de clubs possibles, se réjouit le fils du coach de Nantes (39 ans). Arsenal a poussé pour que Folarin Balogun (21 ans, prêté sans option d'achat l'été dernier et révélation en L1 avec 17 buts inscrits) vienne ici car il sait comment on bosse. On veut évangéliser notre projet, mettre le club sur la carte du monde. C'est chronophage, mais notre réussite sportive facilite cela. »
Sans cellule de recrutement ni scout, son triumvirat avec Lacour et Caillot (fils du président, Jean-Pierre) performe sur le marché des transferts grâce à son réseau et aux nouvelles technologies (data, vidéos). « On utilise beaucoup TransferRoom, plateforme qui connecte les clubs et organise trois conférences annuelles où on rencontre d'autres dirigeants en mode speed dating, révèle Kombouaré, prônant l'efficacité d'une chaîne décisionnaire réduite. À trois, on est agiles. On gagne du temps, donc de l'argent, en ne surpayant pas des joueurs car on est souvent les premiers dessus. Il n'y a pas d'intermédiaires. On a notre rythme de croisière. »
La Pro 2, un outil crucial
En plus du volet international, il est directeur des prêts (14 joueurs concernés) et directeur sportif adjoint en charge du groupe Pro 2, qui occupe huit personnes à temps plein. Créée à l'été 2018, cette structure dont l'équipe évolue actuellement en National 2 représente un sas de développement vers le haut niveau, surtout pour les étrangers. Il s'agit d'un outil global, avec classes de diététique, aides aux démarches administratives. « C'est une couveuse, où on a pu prendre des paris comme Boulaye Dia, El-Bilal Touré, Axel Disasi, Nathanaël Mbuku, Hugo Ekitike, Dion Lopy », détaille Lacour, qui regrette qu'elle n'ait pas vu le jour dès 2014 pour éviter l'échec d'intégration du milieu camerounais André-Frank Zambo-Anguissa (Naples).
« Dans ce groupe, il y a des Africains, des Australiens, des Nord-Américains, détaille Yannick Menu, directeur du centre de formation. Cette diversité renforce d'abord l'homme, mais aussi le joueur. Quand on sort un garçon de son contexte, on le bouleverse. Le choc est immense dans sa culture, sa façon de vivre, de se nourrir, l'éducation, le rapport à l'adulte et bien sûr, dans son jeu. Ainsi, ils se blessent fréquemment à cause du choc climatique (les Australiens Mohamed Touré et Yaya Dukuly ont découvert la neige cet hiver) ou du changement de surface de jeu. Il faut prendre beaucoup de temps pour les intégrer sportivement. » Ce que la Pro 2 permet. « Ce n'est pas une réserve, c'est de la post-formation individualisée, selon Lacour. On y accueille des étrangers de 18 ans, qui ont besoin d'un temps d'adaptation à la L1, à la France, mais qui sont confrontés à une concurrence interne étrangère, alors qu'ils sont censés la découvrir au quotidien bien plus tard. »
Le latéral gauche équatorien Maiky de la Cruz, premier hispanophone recruté par un club qui va désormais se mettre à l'espagnol et au portugais, a souffert malgré ces aménagements. « Tout était nouveau, j'ai repris à zéro. Cela a été compliqué », ne cache pas celui qui a traversé une dépression après six mois à l'internat, où personne ne parlait sa langue. « Même le riz est différent ici, sourit Menu. Les repas n'étaient même pas un moment de plaisir. C'était un bouleversement de plus parmi tous ceux qu'il a connus. Quitter sa famille pour aller à l'autre bout du monde à 18 ans, c'est très compliqué. On sait mieux gérer les Africains, par exemple. »
Depuis quelques années, Reims a par exemple tissé des liens puissants avec le Mali (Moussa Doumbia, El-Bilal Touré) et une maison de trois chambres a été mise à disposition des joueurs de ce pays. Une assistante de vie franco-malienne la dirige. Elle cuisine des plats locaux, leur apprend à faire les courses, à gérer un appartement. « Ils l'appellent tata ou maman, elle est en lien avec les familles. C'est un relais émotionnel capital, assure Menu. Elle les amène à plus de responsabilités, d'indépendance. Quand le joueur est prêt, il devient autonome et prend un appartement. » C'est ainsi qu'en janvier Kamory Doumbia a cédé sa place à Abdoulaye Gory, arrivé de l'académie AFE (Bamako).
Reims dispose d'un autre atout pour poursuivre son développement international : le partenariat signé en 2020 et courant jusqu'en 2024 avec Paços de Ferreira (D1 portugaise). « Cela ouvre une troisième phase sur les marchés latinos, explique Lacour. Prendre un Brésilien et le mettre là-bas avant, après ou même à la place de la Pro 2, aurait une logique. On va passer une semaine en Argentine. On se sent prêts pour ça. »
Cet axe fera partie de la nouvelle feuille de route dessinée par les Champenois pour la période 2023-2028, qui doit voir le club « s'installer en haut de la L1 et accrocher l'Europe tous les trois ou quatre ans. » Ambitieux programme.