Le père traversa les plaines et les montagnes, son paquetage sur le dos et le nourrisson blotti en sécurité dans ses bras. Plus il passait de temps avec l’enfant, moins il avait envie de la confier à des inconnus, mais il n’avait pas le choix. Il le faisait pour sa famille. Il resta absent pendant de nombreux jours, car personne ne voulait accueillir cet enfant maudit. Tous trouvaient étrange qu’un homme qui aimait tant sa fille veuille à ce point s’en débarrasser.
L’homme était perdu et ne savait plus quoi faire. Sa famille commençait à lui manquer, alors il prit une décision lourde de conséquences… Il déposa ce magnifique enfant dans le creux d’un arbre et l’abandonna, rempli de regrets. Lorsqu'il rentra chez lui, il raconta à son épouse qu’il avait trouvé la famille parfaite pour leur enfant, mais ce qu’il avait fait continuerait à le hanter.
Heureusement, l’enfant ne mourut pas. Une vieille femme, attirée par les pleurs de l’enfant, finit par trouver l’endroit où elle était cachée. Cette vieille femme décida de renoncer à sa tranquillité pour accueillir cet enfant si étrange. Cathalina grandit, mais la femme qui l’avait recueillie ne lui apporta jamais d’amour. Elle se prénommait Grisanda et était une puissante sorcière au cœur de glace. Elle n’éleva pas Cathalina comme sa fille, mais plutôt comme son apprentie.
Bien que Cathalina était encore un nourrisson, Grisanda avait décelé la magie qui coulait dans ses veines. La vieille femme en savait long sur elle, y compris la malédiction qui pesait sur sa famille. La source de son savoir restait un mystère pour la petite Nina. Comme elle l’avait prévu, Grisanda initia Cathalina à la magie ; elle lui enseigna de nombreuses formules et incantations, les recettes de poisons et leurs antidotes, ainsi que l’art du rituel de la chair et du sang. À chaque pleine lune, quand la lune atteignait son point culminant, Grisanda l’emmenait dans les bois pour pratiquer ce rituel. Il consistait à sacrifier un animal noble en l’offrant aux dieux régnant sur ce monde, avec quelques gouttes de sang humain, en l'occurrence celui de Cathalina.
Grisanda lui assurait que tant qu’elle pratiquait ce rituel, Cathalina serait en sécurité et vivrait, car les dieux sont des êtres avares et égoïstes. Tant qu’ils recevraient ce qui leur était dû, ils resteraient en retrait. Cathalina put donc mener une vie tranquille. Elle se croyait à l’abri, jusqu’au jour où, alors qu’elle cueillait des plantes médicinales, une douleur fulgurante transperça sa poitrine. Elle s’effondra violemment au sol et commença à convulser tandis que son esprit quittait son corps pour voyager jusqu’à une grande maison qui lui était inconnue.
Elle vit une petite fille d’une dizaine d’années, comme elle, jouant dans le jardin. Cet enfant lui semblait familière, comme si elle la connaissait… Puis son esprit quitta l’enfant pour se retrouver face à deux adultes, un homme et une femme, beaux et riant ensemble, échangeant les derniers potins du village. En les voyant, Cathalina fut submergée d’émotion. Bien qu’elle ne les connaisse pas, elle avait la sensation d’être à sa place avec eux. Soudain, Nina se mit à hurler, la douleur qu’elle avait ressentie était encore bien présente, grandissant en elle comme un démon cherchant à s’échapper. Sa vision devint floue tandis que son esprit restait figé près de cet homme et de cette femme.
Puis elle se rendit compte qu’elle n’était pas la seule à crier, eux aussi hurlaient de douleur. Elle comprit ce qui se passait quand elle remarqua les flammes qui dévoraient les murs. Elle aurait voulu les arrêter, mais elle ne pouvait rien faire. Ensuite, il y eut le bruit assourdissant d’une explosion, puis plus rien. La douleur se dissipa et juste avant que son esprit ne regagne son corps, Cathalina eut le temps d’apercevoir le visage de la fillette en larmes dans le jardin, regardant les flammes, impuissante. Okimi... C’est alors qu’elle comprit qu’elle venait de tuer ses propres parents.
À partir de ce jour funeste, Cathalina se promit de tout faire pour retrouver sa sœur et devenir la famille qu’elle lui avait enlevée. Elle eut beaucoup de mal à s’en remettre… Elle avait cru que les rituels appris de Grisanda protégeraient aussi sa famille, mais elle s’était trompée. La vieille femme s’était bien gardée de lui expliquer ce détail. Elle lui en voulut beaucoup et aurait souhaité partir immédiatement pour retrouver Okimi, mais Grisanda refusa de la laisser partir tant qu’elle n’avait pas terminé son apprentissage.
Nina resta donc auprès de cette femme qu’elle détestait de plus en plus. Elle ne lui pardonna jamais et sa rancœur grandissait chaque jour davantage. Les années passèrent et Cathalina devint une grande sorcière. Il fallait reconnaître que Grisanda était un bon professeur, sévère, mais efficace. La veille de ses 23 ans, Cathalina acheva enfin son apprentissage, elle n’avait plus rien à apprendre de la vieille sorcière. La jeune femme aurait pu partir sans se retourner, mais elle n’avait pas oublié… Désormais au sommet de sa puissance, elle n’avait plus à craindre Grisanda, elle avait surpassé son maître. Alors, pour assouvir son besoin de justice, Cathalina prit la vie de Grisanda et s'en alla sans regret.
Elle voyagea pendant des jours avant d’atteindre enfin le village où vivait Okimi. Son père s’était donné beaucoup de mal pour éloigner sa fille de leur famille. À la pensée de son père, tel qu’elle l’avait vu dans sa vision, son cœur se serra. Elle n’arrivait pas à lui en vouloir… Elle comprenait pourquoi il avait agi ainsi et se disait que s’il n’avait pas réussi à la tuer, c’est qu’il devait l’aimer, au moins un peu.
Lorsqu’elle arriva enfin au village, Cathalina était épuisée, mais elle ne souhaitait pas se reposer. Le désir de retrouver sa sœur était bien trop fort. Elle se mit à arpenter les rues, posant des questions aux passants qu’elle croisait, jusqu’à ce qu’elle trouve enfin sa trace. Elle apprit qu’Okimi avait vécu de nombreuses années dans la rue avant d’être reconnue pour ses talents de musicienne et qu’elle travaillait désormais dans un restaurant. Impatiente, Cathalina trouva une chambre d’auberge près du restaurant où Okimi travaillait. Elle alla se reposer et se rafraîchir avant de s’y rendre.
Elle fut l’une des premières clientes à arriver et fut installée près du magnifique piano à queue qui trônait au centre de la pièce. On prit sa commande et enfin, Okimi entra dans la salle. Cathalina eut le souffle coupé en l’apercevant. Elle était si belle avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus, si pure… Comparée à elle, Cathalina se sentait laide et insignifiante. Bien qu'elles soient sœurs jumelles, elles étaient si différentes.
Elle observa la jeune femme s’installer derrière son piano et, lorsque la musique commença, Cathalina oublia tous ses soucis et se laissa emporter par la mélodie. Heureusement, elle avait volé l’argent que Grisanda gardait, ce qui lui permit de se faire plaisir en attendant que sa sœur termine son service. Mais plus le temps passait, plus elle devenait nerveuse. Et si Okimi la rejetait ? Cathalina ne s’en remettrait pas...
Enfin, le moment tant attendu arriva. Cathalina quitta sa table pour aller rejoindre la jolie blonde qui rangeait ses partitions. À mesure qu’elle s’approchait, elle ressentit un profond sentiment de complétude, ce qui lui donna le courage d’aborder Okimi. Elle se présenta comme sa sœur jumelle. D’abord, Okimi ne la crut pas. Visiblement, leurs parents ne lui avaient jamais dit qu’elle n’était pas fille unique…
Cathalina réprima le pincement au cœur que cette révélation lui provoqua et entreprit de tout lui expliquer. Elle lui raconta tout : l’existence de la malédiction, l’abandon de leurs parents, et sa vie auprès de la sorcière qui l’avait recueillie. Heureusement, Okimi finit par la croire. La jeune femme se disait qu’il était impossible d’inventer une telle histoire…
Durant les mois qui suivirent leurs retrouvailles, diverses catastrophes firent trembler la terre et les océans. Les dieux étaient en colère. Ils avaient toléré que l’enfant maudit ne soit pas sacrifiée en échange des offrandes de Cathalina à chaque pleine lune. Mais depuis qu’elle avait retrouvé sa sœur, Cathalina avait négligé ses obligations et n’avait plus sacrifié d’animaux… Un oubli qui aurait de lourdes conséquences.
Un après-midi, Cathalina et Okimi décidèrent de se rendre sur les anciennes terres de leur famille. Celles-ci, ravagées par la malédiction, étaient devenues des ruines hantées par les souvenirs d’un passé révolu. Tandis qu’elles avançaient dans ce paysage désolé, un puissant tremblement de terre secoua le sol. Les dieux, furieux, se manifestaient enfin.
Cathalina, sachant que le moment était venu, décida d’affronter leur courroux. Elle entama une incantation ancienne, tirant la magie des profondeurs de la terre et des cieux. Okimi, terrifiée, l’observait. Cathalina lui demanda de se tenir prête et de ne pas intervenir. La déesse apparut alors, lumineuse et terrifiante, entourée d'une aura d'énergie brute.
« Pourquoi avez-vous négligé vos devoirs ? » Gronda-t-elle d’une voix tonitruante qui fit trembler l’air.
Cathalina, le cœur battant, répondit d’une voix ferme :
« J’ai retrouvé ma sœur. Je ne sacrifierai plus. Si vous devez prendre une vie, prenez la mienne, mais laissez Okimi en paix. »
La déesse ricana, un son qui résonna comme un tonnerre.
« Vous croyez pouvoir négocier avec moi, mortelle ? » Une lumière aveuglante enveloppa Cathalina, la faisant léviter au-dessus du sol. « Vous avez défié les lois de ce monde. Votre vie ne suffira pas à apaiser ma colère. »
Cathalina, malgré la douleur croissante de l’énergie divine qui la traversait, resta résolue.
« Alors faites ce que vous avez à faire, mais sachez que je ne céderai jamais. »
« Vous ne pensiez tout de même pas que cela serait si facile… » Déclara la déesse avant de se tourner vers Okimi et de la faire disparaître en un claquement de doigts.
« Non ! Okimi ! Qu’est-ce que vous lui avez fait, espèce de salope ! » hurla Cathalina.
Folle de rage, le visage inondé de larmes, Cathalina se précipita vers la divinité avec l’intention de l’attaquer. Un acte désespéré, presque absurde, car elle n’avait évidemment aucune chance contre une déesse. Comme prévu, elle fut repoussée avec une facilité déconcertante, projetée comme une simple poupée de chiffon. La déesse s’avança alors vers elle et, sans la moindre hésitation, plongea sa main dans sa poitrine pour lui arracher le cœur avec une violence inouïe. Une fois son méfait accompli, la divinité disparut, laissant le corps inerte de Cathalina derrière elle.
Cependant, la mort de Cathalina ne produisit pas l’effet escompté. La brutalité de l’acte avait lié l’âme de la jeune femme à ce qu’elle chérissait le plus au monde : sa sœur.
Elle se réveilla aux côtés d’Okimi, enveloppée dans un étrange cocon de givre et de neige. Ses souvenirs étaient flous, embrouillés. Elle peinait à se rappeler ce qui s’était passé.
« Tiens, c’est bizarre… » murmura-t-elle.
Aucune réponse. Elle vit Okimi sortir du cocon et la suivit, intriguée.
« Tu sais où nous sommes ? » demanda-t-elle à nouveau.
Toujours pas de réponse.
« Hé, Okimi ! Arrête de faire comme si je n’étais pas là, s’il te plaît. Ce n’est pas drôle ! »
Silence.
« Okimi ! » cria-t-elle encore, désespérée.
Mais rien n’y fit. Okimi ne l’entendait pas. Cathalina la vit chercher autour d’elle, hurlant son nom, et son cœur se serra.
Son cœur ?
Les souvenirs revinrent brusquement. Elle se revit charger la divinité, être repoussée sans effort, puis la déesse plongeant sa main dans sa poitrine pour en arracher son cœur.
Elle était morte…
La réalité de sa situation l’accabla. Elle était morte, devenue un esprit, et maintenant sa sœur était transformée en un monstre sanguinaire. Cathalina la vit perdre le contrôle, massacrer des innocents sans pouvoir intervenir pour l’aider.
Tout cela était de sa faute. Si elle n’avait pas cherché à retrouver Okimi, elle n’aurait pas négligé le rituel maudit, et elles vivraient encore paisiblement sur Kost’hale. Rongée par le remords, Cathalina décida de s’éloigner, de laisser Okimi seule. Peut-être qu’en disparaissant, elle pourrait offrir à sa sœur une chance de mener une vie meilleure…
Pendant des années, Cathalina erra sans but. La vie d’un esprit était loin d’être palpitante, et elle s’ennuyait profondément. Puis, un jour, quelque chose d’inattendu se produisit : au lieu de passer à travers une porte comme elle en avait l’habitude, elle se cogna contre elle, ressentant même une douleur vive.
Tiens donc ?
Cette découverte lui redonna espoir. Si elle pouvait se matérialiser, elle pourrait interagir avec le monde réel. Après beaucoup d’entraînement, Cathalina apprit à passer d’un monde à l’autre, à changer de forme à sa guise.
Désormais, Cathalina passait la plupart de son temps dans le monde des vivants. Elle avait coupé ses magnifiques cheveux roux et adopté un style rebelle. Elle aimait fréquenter les lieux où les humains venaient s’amuser, profitant de cette nouvelle existence pour flirter avec les plus belles femmes qu’elle rencontrait, les séduisant sans effort. Sa réputation de femme aux mœurs légères se propagea rapidement, mais elle s’en moquait. La vie lui offrait une seconde chance, alors pourquoi ne pas en profiter pleinement ?
Néanmoins, elle n’oubliait pas sa chère sœur. Parfois, elle se demandait ce qu’elle devenait, ressentant le désir de la revoir. Mais jamais plus elle ne défierait les dieux. Se faire arracher le cœur avait été une leçon amèrement apprise.
Nervaria, autrefois une déesse douce et compatissante, changea à jamais le jour où elle rencontra Jack Octavius, dans la contrée de Kost'hale sur Vi'hale. Jadis, elle était vénérée pour ses dons, des pouvoirs qu’elle tenait de Dame Nature elle-même. Elle maîtrisait les quatre éléments — le feu, la terre, l’eau, et l’air — et, grâce à ces capacités, créa de nombreuses merveilles. Vi'hale était l’une de ses plus belles créations, une œuvre majestueuse, née de ses efforts passionnés. Elle avait façonné un monde qui n'aurait jamais dû exister, une terre riche et féconde. Là, elle créa une nouvelle espèce d’humains, plus sages, plus forts, et plus intelligents que l’humanité originelle. Une espèce supérieure à celle créée par le Dieu divin lui-même. Ambitieux, n’est-ce pas ? Mais n’est-il pas nécessaire d’être audacieux pour réaliser ses rêves ?
Nervaria savait rêver. Dotée d'une force mentale incroyable, elle était prête à tout pour atteindre son objectif : créer l’être parfait. Elle était sur le point d'y parvenir... Mais la perfidie d’un homme insignifiant changea le cours de l'histoire. Elle pensait que rien ne pourrait mettre en péril sa création, mais il ne fallut qu'un seul homme, un misérable humain, pour tout remettre en question.
Jack Octavius fut le premier de sa lignée à s'aventurer sur les terres de Kost’hale, une contrée riche et inexploitée. Après un long voyage, assoiffé d’aventure et avide de découvertes, il trouva en ces lieux une aubaine, une chance de recommencer une nouvelle vie. Premier arrivé, il eut le privilège de choisir la portion la plus fertile du territoire. Durant des semaines, il dormit à la belle étoile, le temps de préparer le terrain pour construire sa maison. Il passa des heures à dessiner des plans, à réfléchir à la disposition des pièces. Il fit de nombreux allers-retours vers la ville la plus proche pour se ravitailler et chercher des outils. Jack tailla lui-même les pierres et coupa son propre bois. Une fois tout prêt, il posa la première pierre, puis la seconde, et ainsi de suite, jusqu'à ce que les murs commencent à s'élever. Ce fut un travail dur et éprouvant, mais Jack n’abandonna jamais. Dix longues années furent nécessaires pour achever sa maison.
Les allées et venues de Jack finirent par attirer l’attention d'autres colons, qui vinrent s’installer à Kost’hale. Parfois, ils s’entraidaient ; d'autres fois, ils se réunissaient pour partager des moments de convivialité. À ce moment-là, personne ne se doutait de ce qui allait se passer.
Lorsque Jack termina enfin la construction de son manoir et commença à exploiter officiellement les richesses de ses terres, il devint obsédé. Il ne parvenait plus à se satisfaire de ce qu’il possédait. Il en voulait toujours plus, toujours davantage. Ce désir insatiable de richesse se transforma rapidement en une guerre sanglante. Jack se révéla être plus puissant que quiconque ne l’avait imaginé. Sa folie le rendit redoutable, et il finit par être craint de tous. À tel point qu’il n'eut bientôt plus besoin de se battre pour obtenir de nouvelles terres.
Dans le monde des dieux, Nervaria observait cette scène sans savoir quoi faire. Elle s’était juré de ne pas intervenir si les choses tournaient mal. Si son expérience échouait, elle avait décidé de reconnaître sa défaite et de laisser son monde périr sans agir. Mais voir ses créations se déchirer à cause d’un seul homme la peinait profondément. Cette douleur la rongeait. Un jour, ne supportant plus cette souffrance, elle décida de descendre sur terre pour confronter cet homme.
Au début, elle ne souhaitait pas lui faire de mal. Elle voulait simplement lui montrer qu’il existait des forces supérieures afin de l'effrayer et de le pousser à se remettre en question.
« Si tu renonces à toute source de pouvoir, je te promets une vie qu'aucune somme d’argent ne pourra jamais acheter. » lui dit-elle.
Offensé par cette proposition, Jack n’en tint pas compte. Après tout, que pouvait-il désirer de plus ?
Il continua donc à vivre dans la violence et à grimper les échelons. Déçue, Nervaria revint le trouver pour le menacer.
« Je t'ai offert l'opportunité de purifier ton âme et tu m'as rejetée. Jack Octavius, je condamne ta descendance à payer pour tes crimes. Tous les cinquante ans, des jumeaux naîtront. L'un sera douceur et amour, tandis que l'autre apportera mort et destruction. Il tuera tous ceux autour de lui, mais l'innocent survivra pour perpétuer la lignée. »
Cependant, elle ne pensait pas un mot de cette malédiction; elle ne comptait pas vraiment aller jusqu’au bout. Elle espérait seulement qu’il tirerait une leçon de cette peur qu’elle cherchait à éveiller en lui. Mais Jack ne la craignait pas. Il se moqua d’elle et l'ignora de nouveau. Pourtant, un jour, Jack trouva l’amour. Cette expérience le changea profondément. Il se maria et son épouse tomba enceinte. Les mois passèrent et Nervaria fut satisfaite de son comportement. Elle aurait pu lever la malédiction, mais elle ne le fit pas, la curiosité l'emportant. Elle voulait voir jusqu'où son emprise irait.
Comme prévu, l’épouse de Jack donna naissance à des jumeaux, un blond et un roux. C’est alors que Jack réalisa que la déesse ne mentait pas. Il remit toute sa vie en question et commença à restituer les terres qu’il avait volées. Pourtant, Nervaria ne leva toujours pas la malédiction. Pour une raison qu’elle mit longtemps à comprendre, elle fut déçue par le changement de comportement de Jack. Ayant cru avoir obtenu le pardon de Nervaria, Jack vécut pleinement sa vie aux côtés de ses deux fils pendant dix ans. Dix ans avant que la malédiction ne frappe, ne laissant comme seul survivant l'un des jumeaux, le blond, celui chargé de perpétuer la lignée.
Nervaria attendait ce moment depuis longtemps. Elle savait qu’elle était puissante, mais c’est alors qu’elle prit pleinement conscience de l’étendue de ses pouvoirs. La malédiction... Voir Jack, son épouse, et leur enfant maudit périr sous son sortilège... C'était tellement grisant, si jouissif. Elle n'avait jamais ressenti une telle puissance, cette sensation de contrôle, ce goût du sang versé pour elle... À ce moment-là, elle comprit qu'elle ne voulait jamais que cela s’arrête.
Les années passèrent, et cette malédiction, qu’elle avait elle-même déclenchée, l’entraîna toujours plus profondément dans les ténèbres. Elle devint accro au goût du sang, incapable de s'en défaire.
Puis, une nuit, après la naissance de nouveaux jumeaux, l’époux, effrayé pour sa famille, prit l'enfant et l'éloigna de sa mère afin qu'elle ne s'y attache pas. Il ne voulait pas mourir. Il décida alors de tenter une expérience. À la première pleine lune après la naissance, il réalisa un rituel et sacrifia le bébé, l'offrant aux dieux.
Nervaria fut étrangement surprise par la réaction de cet homme. Après toutes ces années, ces humains parvenaient encore à l’étonner. Et quelle surprise... Certes, elle n'avait pas obtenu la vie de plusieurs personnes, mais ce nourrisson... Mon Dieu, quel délice ! C’était tellement mieux… Un être encore si pur et innocent... Une âme que le mal n'avait pas encore corrompue... Elle accepta ce sacrifice, avec l’espoir de recevoir à nouveau son paiement.
Les cinquante années qui suivirent ce sacrifice lui parurent atrocement longues. Elle qui avait toujours été d'une patience exemplaire trouvait maintenant l'attente insupportable. Elle attendait avec une impatience maladive cette prochaine naissance. Elle était devenue complètement folle... Au point que les dieux et déesses qui la connaissaient commencèrent à s’inquiéter pour elle. Au début, ils pensaient que ce n'était qu'une phase passagère, qu'elle finirait par se ressaisir. Jamais ils n’auraient imaginé qu’elle développerait un goût pour le sang... Jamais ils n'auraient cru qu’elle sombrerait autant dans la folie.
Un soir, sa plus proche amie, Obsidienne, une déesse puissante et impressionnante, déesse de la guerre et des dragons, vint lui rendre visite. Ayant elle-même connu le goût du sang, elle pensait être la mieux placée pour ramener Nervaria à la raison. Nervaria avait un bon fond; la voir sombrer ainsi brisait le cœur d’Obsidienne. Elle était persuadée que Nervaria n’avait aucune idée du mal qu'elle faisait. En toute honnêteté, Obsidienne n’avait pas tort. Nervaria n'avait absolument pas conscience des atrocités qu'elle commettait. Et elle ignorait également que son comportement nuisait à son propre monde.
Elle se croyait en contrôle de tout, alors qu’en réalité, elle n'était plus maître d'elle-même depuis longtemps...
« Nervaria… Mon amie, je pense qu’il est temps que nous ayons une discussion, toi et moi. »
À l'entente de la voix de son amie, Nervaria se retourna, les yeux brillants d'excitation.
« Oh, Obsidienne ! Tu m’as caché ça ! Cette sensation de puissance, ce sentiment d’avoir le droit de vie ou de mort sur autrui… C’est tellement exaltant ! Je ne me suis jamais sentie aussi vivante ! Pourquoi ne m'as-tu jamais fait partager cette expérience ? »
« Allons, Nervaria… Tu sais très bien que ce n’est pas ton rôle de décider de la mort de quelqu’un. Tu es une déesse de la vie, pas de la mort. Ce n’est pas ce à quoi tu es destinée… La création de belles choses ne te manque-t-elle donc pas ? »
« Mais j'ai créé ! J'ai conçu une puissante malédiction qui perdurera pour l’éternité, m'apportant toujours plus de puissance. C’est la plus belle chose que j'aie jamais réalisée… »
Les mots de Nervaria laissèrent Obsidienne sans voix. Elle ne cacha pas sa surprise.
« Quoi ? Non, tu te trompes ! Tu as créé un monde à partir de rien et tu y as insufflé la vie. Tu as accompli cela seule, sans l'aide de personne... Il n'y a rien de plus beau que la vie, Nervaria. Tu n’es plus la même… Nous ne te reconnaissons plus. »
« Nous ? Que veux-tu dire par là ?! On t’a envoyée, n’est-ce pas ? Tu n’es pas venue parce que tu es mon amie, mais parce que tu penses que je ne suis pas assez forte, c’est ça ! » répliqua Nervaria, ses yeux s’assombrissant de colère, son corps se tendant brusquement.
« Mais non, Nerva… »
« TAIS-TOI ! Ne dis plus un mot ! Vous allez voir, vous tous, de quoi je suis capable ! Vous allez regretter d'avoir douté de moi ! »
Face à la fureur et à la détermination de son amie, Obsidienne comprit qu’elle était définitivement perdue.
Les années passèrent, et Nervaria s'enfonça toujours plus dans sa folie. Les Octavius, ayant découvert qu'en sacrifiant l’enfant maudit, leurs propres vies étaient épargnées, poursuivirent cet horrible rituel, au grand plaisir de la déesse. Mais un jour, les choses prirent une tournure inattendue.
Une nuit d’hiver, un couple s’apprêtait à accueillir leur premier enfant. À leur grande surprise, la femme donna naissance à non pas un, mais deux enfants : deux petites filles, l’une blonde et l’autre rousse, Okimi et Cathalina. Bien que les parents sachent pertinemment ce que cette naissance signifiait et qu’ils devaient sacrifier Cathalina pour éviter la malédiction, ils n’eurent pas le cœur de le faire. Ils s’étaient attachés à la petite. Alors, au lieu de la sacrifier, le jeune père prit l’enfant et s’enfuit, espérant l'emmener loin.
Mais Nervaria, qui n’avait rien manqué de la scène, n’approuva pas ce choix. Une colère noire s’empara d’elle.
« Ils osent se jouer de moi… Je veux cet enfant et je l’aurai. »
Elle commença alors à suivre l’homme à distance, se servant d’un de ses oiseaux pour surveiller ses moindres faits et gestes, cherchant une faiblesse à exploiter. Et elle ne tarda pas à en trouver une.
Durant son voyage pour trouver un foyer à sa fille bien-aimée, le père fut maintes fois tenté de rompre les vœux qu’il avait promis à son épouse. De nombreuses femmes croisèrent sa route, toutes plus séduisantes les unes que les autres. Il résistait, déterminé à ne pas trahir sa bien-aimée, mais la mission lui pesait, tout comme sa solitude. Il avait besoin de réconfort.
Nervaria sentait le poids de la solitude qui écrasait le cœur de l'homme. Il était triste, rongé par la culpabilité. Il se sentait responsable du malheur qui s'était abattu sur sa famille, se convainquant qu’il n’aurait jamais dû prendre le risque de concevoir un enfant…
Les tourments de l’homme amusaient grandement la déesse. Elle voyait là une opportunité de s’amuser. Un soir, alors que le père s’était installé dans une auberge, la divinité s'introduisit dans sa chambre, prenant l’apparence de son épouse. D'abord incrédule, il finit par céder à l’illusion, pensant rêver. Il se laissa aller dans les bras de la femme qu’il prenait pour son amour, tandis que le nourrisson dormait profondément.
Cette nuit-là, la déesse abusa du corps d’un homme innocent, récoltant sa semence. Pendant l'acte, elle planta une idée dans son esprit : celle d’abandonner le nourrisson à son sort. Et c’est ce qu’il fit. Le lendemain, le père quitta l’auberge avec l’enfant dans ses bras. Il pénétra dans une forêt dense, où il déposa le bébé dans le creux d’un arbre, avant de partir sans un regard en arrière, le cœur dévoré par la tristesse.
Tout aurait dû se passer comme prévu. Elle avait tout planifié. Du moins, c’est ce qu’elle croyait. Non seulement la petite Cathalina survécut, trouvant refuge chez une sorcière, mais en plus, la manigance de Nervaria se retourna contre elle. Elle découvrit qu'elle était enceinte. Quelle humiliation ! Tomber enceinte d’un humain qu’elle avait tenté de piéger ! Mais elle songea que cet enfant pourrait lui être utile… Elle décida de le garder, non par instinct maternel, mais par ambition de pouvoir. Cet enfant, fruit d’un humain maudit, serait un demi-dieu, immortel, avec des capacités extraordinaires. Elle pourrait l’élever dans la haine pour qu'il devienne une arme contre sa propre famille…
Les mois passèrent et Nervaria observa de loin les agissements de Cathalina. La sorcière qui l’avait recueillie lui apprit la magie et lui imposa de sacrifier un animal noble chaque mois pour apaiser sa fureur. Nervaria s’en amusa. Pensait-elle vraiment qu’un simple animal suffirait à calmer sa colère ? Heureusement pour elles, Nervaria était bien plus préoccupée par sa grossesse. Elle décida de ne pas intervenir, laissant la malédiction s'occuper des choses.
Le jour de l’accouchement arriva enfin. Ce fut d'une douleur indescriptible. La déesse hurlait tandis que la sage-femme s’affairait entre ses cuisses.
Quand la sage-femme tira enfin le premier enfant du ventre de Nervaria, elle continua de souffrir. Que se passait-il ?
« Il y en a un autre… »
La voix de la sage-femme la sortit de ses pensées. Elle se redressa, le visage soudain livide.
« Quoi ? Mais c’est impossible ! »
« Et pourtant, Ma Dame, je vous assure qu’il y a un second enfant. »
Non ! Sa malédiction ne pouvait pas s’être retournée contre elle ! C’était impensable ! Complètement paniquée, elle se remit au travail pour faire sortir le deuxième enfant.
Dès que le deuxième enfant fut né, elle se redressa pour examiner la couleur de leurs cheveux. Tous deux étaient blonds. Elle poussa un soupir de soulagement et se laissa retomber contre ses oreillers, l’agacement visible sur son visage.
« Vous avez un magnifique petit garçon robuste et une petite fille en bonne santé. Voulez-vous les prendre ? »
« Sans façon. Va les nettoyer et appelle mes servantes pour ma toilette. Je les nourrirai plus tard. »
« Comme vous le souhaitez, Ma Dame… Leur avez-vous trouvé un prénom ? »
« Le garçon s’appellera Aydan. Quant à la fille… Marissa fera l’affaire. Va maintenant. Je souhaite être tranquille. »
La voilà avec non pas un, mais deux enfants ! Dans quoi s’était-elle encore embarquée ? Mais après tout, deux armes valent mieux qu’une. Elle décida donc de laisser le bénéfice du doute à ses enfants.
Dix années passèrent et Nervaria fut impressionnée par les talents de son fils. Il était remarquable ! Plein de talent et de ressources… Et il avait hérité de ses propres dons ! C’était fascinant. Sa fille, en revanche, fut une grande déception. Bien qu'intelligente, elle n’était pas à la hauteur de ses attentes. Nervaria la délaissa alors pour se consacrer entièrement à son fils.
Mais là encore, les choses ne se passèrent pas comme prévu. La malédiction s’abattit sur la famille Octavius, mais seuls les parents périrent. Cathalina aurait dû mourir elle aussi… Pourquoi ne l’avait-elle pas fait ? Que s’était-il passé ?
Nervaria ne pouvait pas tolérer que les deux sœurs aient survécu. Elle s’apprêtait à descendre sur Kost’hale pour tuer Cathalina elle-même lorsque Obsidienne lui barra la route.
« Tu n’iras nulle part. »
« Pousse-toi de mon chemin, traîtresse ! »
« Il n’en est pas question ! Tu as déjà assez causé de problèmes sur Vi’hale. Reste en dehors de ça. C’est un ordre qui vient directement de Lui. Si tu désobéis… Tes actes seront punis. »
Nervaria sentit la colère monter en elle, agacée par l’intervention d’Obsidienne. Mais elle n’avait pas le choix. Si elle Lui désobéissait, Il la ferait disparaître, Il la réduirait à néant. Et cela, elle ne pouvait l'accepter. Elle avait encore trop de choses à accomplir.
Alors elle se résigna à observer. Elle regardait les deux sœurs avec une rage contenue, les voyant grandir avec dégoût, tout en sachant que Cathalina lui causerait des problèmes. Elle voulait récupérer sa sœur, et cela, Nervaria ne pouvait le tolérer. Peu à peu, un plan prit forme dans son esprit… Il ne lui restait plus qu’à attendre le moment propice.
Cathalina continuait à exécuter ses sacrifices pour se protéger. Pour l’instant, Nervaria n’avait d’autre choix que de les accepter. Elle attendait le moindre faux pas pour enfin pouvoir agir… Elle n’avait qu’une envie : faire payer Cathalina d’être encore en vie.
Elle observait Cathalina développer ses dons magiques tandis qu’Okimi luttait pour survivre dans la rue. Les deux sœurs étaient si différentes. Okimi était d’une pureté incroyable, d’une innocence touchante. Cathalina, en revanche, était bien plus sombre. Animée par un désir de vengeance, elle était prête à tout pour retrouver sa sœur. Et le jour où Cathalina décida qu’il était temps de partir et tua la sorcière, Nervaria sentit l’impatience l’envahir.
Elle y était presque.
Comme Nervaria l’avait espéré, Cathalina retrouva sa sœur perdue. Et, comme prévu, Cathalina oublia de réaliser le rituel qui lui permettrait de survivre… Quelle aubaine ! Mais Nervaria n’intervint pas immédiatement. Elle leur laissa croire que le Mal s’était éloigné d’elles.
Elle attendit, encore et encore, jusqu’au jour où elles décidèrent de se rendre sur la terre de leurs ancêtres.
Ce jour-là, estimant qu’elle était dans son bon droit, Nervaria quitta le Royaume des dieux pour descendre sur Kost’hale. Elle apparut dans la propriété des Octavius, juste devant les deux femmes, un sourire cruel aux lèvres.
« Vous n’espériez tout de même pas que cela serait aussi facile… »
Depuis des années, elle préparait ce qu’elle leur ferait subir. Elle se tourna vers Okimi et, d’un geste de la main, la fit disparaître. Un destin cruel l’attendait. Nervaria l’avait envoyée dans un autre monde, sur Terre, et avait changé sa nature. Elle fit d’elle un monstre assoiffé de sang, une créature qui devait se nourrir d’innocents, effaçant toute trace de pureté… Un vampire, une créature immortelle qui ne connaîtrait la mort que si elle le décidait.
Chaque fois qu’Okimi s’endormirait, les souvenirs de ses pires actes la hanteraient pour la pousser à s’en prendre à des innocents. Nervaria s’était créée un jouet qu’elle pourrait manipuler à distance.
Quant à Cathalina, seule la mort l’attendait. Profitant de la rage de la sorcière, Nervaria plongea sa main dans sa poitrine lorsqu’elle lui sauta dessus, lui arrachant le cœur.
Tuer quelqu’un de ses propres mains… Sentir le cœur de quelqu’un s’arrêter dans sa paume… C’était tellement différent ! Un frisson de plaisir parcourut tout son corps alors que le cœur glissait au sol.
Elle n’eut cependant pas le temps de savourer sa victoire. Obsidienne la rejoignit sur Kost’hale, accompagnée de plusieurs de ses hommes.
« Je t’avais prévenue, Nervaria… Nous ne pouvons plus te laisser continuer. »
Nervaria ne chercha même pas à fuir. Elle laissa son ancienne amie l’arrêter et l’emmener devant Lui. Elle ne L’avait jamais vu. Personne ne L’avait jamais vu d’ailleurs, et personne ne connaissait son nom. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’Il était plus puissant que tous les dieux réunis. Mais peu importe. Elle avait réussi. Son plan était en marche.
Elle fut condamnée à vivre cinquante mille ans enchaînées aux Enfers. Mais cela n’avait pas d’importance… Car elle savait que son fils, Aydan, accomplirait la mission qu’elle lui avait confiée avant de partir… Ce n’était qu’une question de temps…
Les hommes, peu importe les mondes et les univers, sont des créatures faibles. Le père d’Okimi et de Cathalina l’était plus encore que les autres. Lors de son voyage pour trouver un doux foyer pour sa chère fille, il faillit à maintes reprises rompre les vœux faits à son épouse. Les femmes qu’il croisait étaient nombreuses, toutes plus belles les unes que les autres. Il résistait. Il ne voulait pas trahir sa bien-aimée, mais la lourdeur de sa mission et sa solitude le pesaient terriblement.
Il ignorait qu’une force supérieure le surveillait. La divinité qui avait maudit la famille Octavius des siècles auparavant n’avait jamais cessé de les observer. Elle savait donc parfaitement ce qu’il avait en tête en partant avec Cathalina.
Les dieux sont des êtres avares et manipulateurs, capables de créer des merveilles juste pour le plaisir de mieux les détruire. Cette déesse avait jeté sa malédiction sur Jack Octavius pour transmettre un message. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ses intentions étaient pures. Elle voulait simplement montrer à Jack que l’argent ne fait pas tout et que la véritable richesse réside dans la noblesse de l’âme. Cependant, il se passa quelque chose qu’elle n’avait pas anticipé…
Elle prit goût au sang.
Sans que le père de famille ne s’en rende compte, la divinité avait envoyé un de ses oiseaux pour le suivre. Elle voyait, entendait et ressentait tout ce que l’oiseau percevait. Elle savait donc qu’il voulait trouver un foyer pour l’enfant. Et elle ne pouvait pas l’accepter ! Elle désirait que le rituel soit accompli, que l’enfant soit sacrifié. Victime d’une rage incontrôlable, elle chercha un moyen de se venger de cet homme. Elle ne pouvait tolérer ces manigances. C’est alors qu’elle perçut le sentiment de solitude qui emplissait son cœur. Il était triste, rongé par la culpabilité. Il s’en voulait, pensant être responsable du malheur qui frappait sa famille. Jamais il n’aurait dû prendre le risque d’avoir un enfant…
Les tourments de l’homme divertissaient grandement la déesse. Elle allait pouvoir jouer avec lui. Un soir, alors que le père de famille s’était installé dans une auberge, la déesse entra dans la chambre, ayant pris la forme de son épouse.
Au début, il douta, mais la déesse fut convaincante. Il finit par croire qu’il rêvait et se laissa aller dans les bras de la femme qu’il prenait pour son amour, tandis que le nourrisson dormait paisiblement. Cette nuit-là, la déesse abusa du corps de l’homme innocent et récolta sa semence. Pendant l’acte, elle introduisit une idée dans son esprit : celle d’abandonner le nourrisson à son sort. Et c’est ce qu’il fit. Le lendemain, le père quitta l’auberge avec l’enfant dans ses bras, pénétra dans la forêt et déposa l’enfant dans le creux d’un arbre. Puis il partit, sans un regard en arrière, mais avec un cœur meurtri par la tristesse.
Mais la déesse fut une fois de plus surprise. Cette nuit-là, après avoir profité du corps de cet homme, elle découvrit qu’elle était enceinte. Elle n’avait pas prévu cette éventualité. Voilà qu’elle portait l’enfant de l’homme, celui qui subissait la malédiction qu’elle avait lancée… Quelle horrible humiliation.
Cependant, malgré la honte, elle ne se résolut pas à se débarrasser de cet enfant, non par instinct maternel, mais par esprit de pouvoir. Elle portait l’enfant de l’homme qu’elle avait maudit, et cet enfant serait donc à demi-dieu, immortel et doté de pouvoirs incroyables. Elle envisagea de le élever dans la haine, afin qu’il devienne une arme pour se venger de sa propre famille…
Les mois passèrent et la grossesse fut pénible. Dans son état, la déesse était très limitée, incapable d’utiliser ses capacités comme elle le souhaitait. Elle avait hâte que le jour de l’accouchement arrive pour retrouver l’intégralité de ses pouvoirs. Enfin, le jour tant attendu arriva. La douleur était intense, et la déesse hurla de désespoir alors que la sage-femme s’affairait entre ses cuisses. Elle cria si fort que le ciel se couvrit de nuages noirs et un puissant orage éclata.
La sage-femme tira enfin l’enfant du ventre de sa mère, mais la déesse continua de souffrir. Que signifiait cela ?
« Il y en a un autre… »
La voix du médecin la tira de ses pensées, et elle se redressa, le visage livide.
« Quoi ! Mais c’est impossible ! »
« Et pourtant, Ma Dame, je vous assure qu’il y a un deuxième enfant. »
Non ! Sa malédiction ne pouvait pas se retourner contre elle ! C’était impossible ! Complètement paniquée, elle n’eut d’autre choix que de se remettre au travail pour faire sortir le second enfant.
Dès que le deuxième enfant fut né, elle vérifia la couleur de leurs cheveux. Ils étaient tous les deux blonds. Elle poussa un soupir de soulagement et se réinstalla contre ses oreillers, son agacement palpable.
« Vous avez un magnifique petit garçon robuste et une petite fille en bonne santé. Voulez-vous les prendre ? »
« Sans façon. Nettoyez-les et appelez mes servantes pour ma toilette. Je les nourrirai plus tard. »
« Comme vous le souhaitez, Ma Dame… Leur avez-vous au moins trouvé un prénom ? »
« Le garçon s’appellera Aydan. Quant à la fille… Marissa fera l’affaire. Va maintenant. Je souhaite être tranquille. »
La sage-femme s’inclina respectueusement devant la déesse, puis prit congé avec les deux nourrissons.
Comme prédit, Aydan était un garçon robuste. Dès son jeune âge, sa mère détecta en lui le potentiel qu’elle avait tant espéré. Contrairement à sa sœur, qui ressemblait davantage à son père humain, Aydan avait hérité de tous les pouvoirs de sa mère, ce qui la ravissait. Elle délaissa donc sa fille pour se consacrer uniquement à son fils. Elle ne lui donna pas d’amour, mais à chaque fois qu’il accomplissait des prouesses, Aydan se contentait du sentiment de fierté qui animait le regard de sa mère. Il comprit rapidement qu’elle ne serait jamais capable de l’aimer comme une mère, alors il s’efforça de ne jamais la décevoir.
Aydan grandit, et bien qu’il ne soit qu’à demi-dieu, il était très puissant. Comme sa mère, il maîtrisait les quatre éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air. Il apprit à les utiliser avec une grande habileté. Une fois ses dons parfaitement maîtrisés, il fut formé au combat, aussi bien en utilisant ses pouvoirs qu’en l’absence de ceux-ci. Sa mère attendait de lui l’excellence dans tous les domaines. Elle voulait qu’il soit capable de se battre, même sans ses capacités, pour accomplir sa destinée. Un enfant faible ne l’intéressait pas. Elle avait placé beaucoup d’espoir en lui.
Lorsque les enfants furent assez grands pour comprendre, la déesse leur parla de leur père biologique. Elle le décrivit comme un homme mauvais. Elle raconta qu’il l’avait abusée un soir où elle était descendue parmi les humains, se sentant seule parmi les dieux, en quête de réconfort et d’une oreille attentive. Un homme s’était approché d’elle, prétendant offrir cette écoute qu’elle cherchait, et avait profité de sa faiblesse. Elle était tombée enceinte de lui. En le retrouvant, elle découvrit qu’il était marié et avait des enfants, deux filles. Elle raconta que, bien que le doute se fût installé, il était trop tard pour revenir en arrière. Lorsqu’elle l’aborda, il ne l’avait même pas reconnue ! Quand elle lui annonça qu’elle était enceinte de lui et qu’elle ne voulait pas que ses enfants grandissent sans père, il lui ria au nez et la traita de folle, affirmant qu’il ne voulait pas risquer son mariage pour un enfant qui pourrait ne pas être le sien.
Elle expliqua qu’elle était devenue folle de rage et qu’elle avait juré de se venger ! À ce moment de l’histoire, elle fixa Aydan et poursuivit en expliquant qu’elle espérait que son enfant hériterait de ses capacités pour pouvoir venger cette offense. L’enfant tant attendu était donc lui. Elle dit à son fils que, lorsque le moment viendrait, il devrait descendre sur les terres des hommes pour détruire les derniers représentants de cette horrible famille, Okimi et Cathalina.
Aydan grandit en pensant qu’il n’avait pas été désiré. Sa mère n’ayant pas voulu de cette grossesse et son père ayant refusé de le reconnaître, il ignorait ce qu’était l’amour parental. Plus les années passaient, plus une haine insondable obscurcissait son âme. Il comprit rapidement qu’il pouvait puiser une grande force dans cette colère. Il se construisit des murailles épaisses pour se protéger du monde extérieur, refusant de ressentir autre chose que cette colère.
Pour lui, les sentiments tels que l’amour, la joie et la tristesse n’étaient que des faiblesses dont il ne fallait pas s’encombrer. Aydan devint alors un homme froid et calculateur. Loin d’être idiot, il était un manipulateur hors pair, une qualité héritée de sa mère.
Aydan n’est ni un homme bon ni fréquentable. Il ne s’intéresse qu’à sa quête, et les rares fois où il montre un semblant d’intérêt pour une femme, c’est dans un but purement égoïste. Malgré les interdictions de sa mère, il s’est rendu à plusieurs reprises dans le monde des hommes pour observer et comprendre leur fonctionnement. À ce jour, le cerveau humain n’a plus de secrets pour lui, une connaissance qu’il utilise tantôt pour ses propres fins, tantôt pour ses desseins les plus sombres.
Méfiez-vous des apparences ; elles sont souvent trompeuses...
« Okimi... Cathalina... Soyez sur vos gardes, car je serais bientôt là... Ah, si vous saviez depuis combien de temps j’attends ce moment... Profitez tant que vous le pouvez. » - Paroles prononcées par Aydan alors qu'il observait ses sœurs, confortablement installé au Royaume des dieux.
« Vous avez un magnifique petit garçon robuste et une petite fille en bonne santé. Voulez-vous les prendre ? » demanda la sage-femme.
« Sans façon. Occupe-toi de les nettoyer et appelle mes servantes pour ma toilette. Je les nourrirai plus tard, » répondit la divinité.
« Comme vous le souhaitez, Ma Dame… Leur avez-vous au moins trouvé des prénoms ? »
« Le petit garçon s’appellera Aydan. Quant à la fille… Marissa fera l’affaire. Va maintenant. Je souhaite être tranquille. »
Marissa fera l’affaire… Voilà tout ce qu’elle représentait aux yeux de sa propre mère : rien. La divinité avait accepté de donner naissance à un enfant, mais deux ? C’était trop pour elle. Elle n’avait jamais désiré être mère. Elle avait couché avec cet homme uniquement pour se venger. Elle n’avait pas prévu de tomber enceinte. Mais avec le temps, elle s’était faite à cette idée, se disant que son enfant hériterait de ses dons uniques et pourrait lui servir à perpétuer sa vengeance. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Marissa arriver juste après Aydan, son jumeau. Si elle avait pu jeter cet enfant indésirable comme un déchet, elle l’aurait probablement fait. Mais elle ne le fit pas. Elle décida de lui laisser le bénéfice du doute. Peut-être, se disait-elle, aurait-elle aussi hérité de dons extraordinaires.
Malheureusement, plus Marissa grandissait, plus elle décevait sa mère. Contrairement à son frère, Marissa n’avait hérité que de l’immortalité et d’un seul don : celui de voir les morts et d’interagir avec eux par le biais de rêves parapsychiques. Un pouvoir que la divinité jugeait inutile. Aux yeux de sa mère, Marissa n’était qu’une bonne à rien. La déesse se désintéressa alors de sa fille pour se consacrer entièrement à son fils.
Mais Marissa était encore une fillette, elle avait besoin d’attention. C’est alors qu’une autre divinité, Obsidienne, déesse des dragons et de la guerre, s’intéressa à elle. Obsidienne voyait en Marissa ce que sa propre mère ne voyait pas : un talent impitoyable et un potentiel incroyable. Elle prit donc l’enfant sous son aile et devint sa tutrice.
Obsidienne était une femme extrêmement… imprévisible. Ses humeurs changeaient pour un oui ou pour un non. La côtoyer tous les jours n’était pas facile, mais Obsidienne considérait Marissa comme sa propre fille. Cette attention était une source de réconfort pour Marissa, qui se sentait enfin appréciée. Avec Obsidienne, elle apprit à maîtriser son don et à en faire une arme redoutable. Obsidienne avait une passion morbide pour la mort, qui, aussi étrange que cela puisse paraître, fut d’une grande aide. Marissa apprit non seulement à contacter les morts à volonté, mais aussi à pénétrer les rêves des autres. Elle développa ainsi la capacité d’envoyer des esprits vengeurs et malveillants dans les rêves d’autrui, les amenant à l’auto-destruction. Plus elle causait la mort d'innocents, plus elle gagnait en puissance.
Un pouvoir terrible qui semblait à première vue inoffensif. Peu à peu, le cœur de Marissa se plongea dans les ténèbres. Posséder le pouvoir de décider de la mort des autres n’était pas une chose à prendre à la légère. Ce pouvoir pouvait transformer la plus pure des créatures en être de ténèbres.
Ce nouveau pouvoir donna à Marissa un objectif : surpasser son frère. Elle voulait prouver à sa mère qu’elle avait eu tort de la négliger. Elle voulait montrer qu’avec l’âge et l’expérience, elle aussi était devenue une arme redoutable.
Un jour, elle demanda à sa mère et à son frère de la rejoindre dans le monde des hommes pour leur montrer ce qu’elle avait appris avec Obsidienne. Sa mère observa sa fille en silence, la regardant s’endormir jusqu’à ce que l’homme qu’elle avait choisi de tuer se donne la mort. À son réveil, la divinité éclata de rire avant de fixer sa fille avec amusement.
« C’est avec ça que tu comptais me convaincre de te reprendre ? Allons, Marissa… Hormis t’endormir, que fais-tu donc ? Tu attends simplement que l’être que tu as choisi de tuer se donne lui-même la mort… Un peu de sérieux, ma fille. Aydan, lui, est capable d’utiliser ses pouvoirs en combattant. Il n’a pas besoin de dormir pour donner la mort. Es-tu réellement folle au point de croire que tu pourrais le surpasser un jour ? Regarde-toi. Regarde comme tu es pathétique. Ma fille, tu es une telle déception. Tu n’arriveras jamais à rien, tu ferais mieux d’abandonner cette idée folle. »
Aydan se mit à ricaner en entendant les dernières paroles de sa mère. Puis, ils prirent tous deux congé, laissant Marissa seule, au bord des larmes.
La jeune femme retourna auprès d’Obsidienne pour lui raconter ce qui s’était passé. C’est alors qu’elle fit une découverte. Obsidienne lui révéla qu’elle ne pourrait jamais rivaliser avec Aydan. La raison était simple : Aydan était un jumeau ischiopage. Chez les humains, cela signifie jumeau cannibale ; cela se produit lorsque deux fœtus jumeaux s’entrelacent lorsque l’un d’eux cesse de se développer. L’autre fœtus « absorbe » alors les membres et organes du jumeau « parasite ». Dans leur cas, Aydan, le fœtus dominant, avait « absorbé » les pouvoirs de Marissa. Normalement, elle n’aurait jamais dû survivre. Obsidienne pensait que sa survie était due à la malédiction que sa mère avait lancée sur la famille de son père biologique.
Mais Marissa ne comprit pas immédiatement ce que cela signifiait. Elle expliqua à sa tutrice que sa mère leur avait raconté, à elle et à son frère, que leur géniteur avait profité d’elle dans un moment d’égarement et qu’il avait refusé de les reconnaître. Elle ajouta qu’elle n’avait jamais entendu parler d’une quelconque malédiction.
À cette révélation, Obsidienne éclata de rire.
« Décidément… Ta mère est aussi manipulatrice que dans mon souvenir. »
Elle entreprit alors de lui raconter la véritable histoire. Elle expliqua tout, depuis ce qui s’était passé avec Jack Octavius jusqu’au moment où sa mère avait pris l’apparence de l’épouse de son père biologique pour l’abuser et le manipuler.
Marissa en fut estomaquée. Alors, depuis le début, leur mère ne faisait que leur mentir, à elle et à son frère. Leur père n’avait jamais été au courant de leur existence.
Un instant, elle envisagea de prévenir son frère pour détruire le lien entre lui et leur mère. Puis elle revit l’expression moqueuse d’Aydan lorsque leur mère l’avait traitée comme une moins-que-rien. Une idée germa alors dans son esprit.
« Obsidienne… Est-il possible de reprendre à Aydan les pouvoirs qui m’ont été volés ? »
À cette question, la divinité parut mal à l’aise.
« Eh bien… Oui. Vous êtes jumeaux, un lien vous unit non seulement par le sang, mais aussi par la magie. Si tu parviens à lui prendre la vie… Ses pouvoirs te reviendront. Mais Marissa… Tu ne comptes pas faire cela, n’est-ce pas ? »
« Non, bien sûr… C’était purement hypothétique. »
Marissa esquissa un sourire qui rassura Obsidienne… Et pourtant, elle n’aurait pas dû. Sa pupille était devenue bien plus sombre que prévu, ses dons lui ayant ôté toute pureté. Marissa n’avait pas posé cette question par pure hypothèse ; elle voulait s’assurer que c’était possible. Elle désirait se venger de ce qu’elle avait subi. Elle voulait que l’on reconnaisse sa valeur.
Elle prit alors une décision qui pourrait changer le destin de tous : elle décida de tuer son frère. Mais pas de la même manière qu’elle le faisait avec les humains… Non, elle serait beaucoup plus subtile. Chaque nuit, jusqu'à ce qu’elle juge le moment venu, elle insinuerait des éléments, des personnes, dans les rêves de son frère pour le rendre fou. Elle voulait qu’il perde pied, qu’il ne soit plus maître de lui-même. Elle souhaitait que sa mort soit lente et douloureuse… Elle voulait qu’il souffre autant qu’elle avait souffert. Elle voulait qu’il sache ce que c’était que de souffrir.
Et lorsque le moment serait venu, elle lui prendrait la vie. À ce moment-là, ce serait au tour de leur mère de payer pour ses actes. Pour elle, c’était un mal pour un bien. En tuant son frère, elle sauverait plusieurs vies. En tuant son frère, elle vengerait les morts.
La guerre. Le sang. La mort. Les sueurs froides glissant le long du dos. La saleté collée à la peau. L’adrénaline. Les palpitations. Le stress. La peur. L’appréhension. La remise en question. Le choix. Le moment décisif. Les cris de guerre. La lame d’acier qui transperce la chair. Le sang. La chair déchirée. Les cris de douleur. Une lueur s’éteint. Un duel remporté. Au suivant. Les corps tombent. Un à un. Sans pitié. C’est traumatisant. Mais on s’y habitue. Le goût du sang persiste. Un sentiment de pouvoir. Un sentiment de puissance. Avoir le droit de vie ou de mort sur quelqu’un. Un allié ou un ennemi. Au fond, peu importe. Celui qui fera le plus délicieux sacrifice sera sauvé. C’est la loi de la vie. Et la vie est dure.
Les divinités guerrières jouent un rôle majeur dans les batailles. Qu’elles mènent une armée divine pour le contrôle de l’univers ou qu’elles affrontent héroïquement des êtres surnaturels menaçant l’équilibre ou la vie des hommes. Leur fonction principale est de protéger les combattants humains en intervenant directement dans leurs vies ou en influençant les forces cosmiques susceptibles de changer le cours des batailles. Comme tous les dieux, les soldats cherchaient à gagner leurs faveurs par des offrandes et des sacrifices, qu’ils soient humains ou non. Et Obsidienne ne faisait pas exception.
Sur les champs de bataille, les femmes sont rares, et pourtant, les déesses de la guerre sont nombreuses. Sekhmet, la déesse égyptienne. Athéna, la déesse grecque. Kali, la déesse hindoue. Morrigan, la déesse celtique. Certaines sont de formidables combattantes, tout aussi belliqueuses et vindicatives que leurs homologues masculins. D’autres influencent les combats de manière plus indirecte, en prédissant les batailles à venir.
Obsidienne, déesse de la guerre et des dragons, est, comme ses consœurs, une guerrière incroyablement puissante. Elle a combattu aux côtés de nombreux peuples, gagné de nombreuses guerres, protégé bien des humains… Et pourtant, elle n’a jamais reçu aucune reconnaissance. Les humains ne la connaissent pas. Pour eux, elle n’existe pas.
Dès que le combat était terminé, les humains l’oubliaient. Purement et simplement. Ils oubliaient sa présence et son implication. Obsidienne, la guerrière chevaucheuse de dragon, n’était personne.
Obsidienne souffrait énormément de cette solitude et de ce manque de reconnaissance. Un jour, une déesse nommée Nervaria profita de cette faiblesse. Cette femme lui annonça qu’elle allait créer un nouveau monde, vierge de toute croyance. Comme pour toute civilisation, il fallait croire en quelque chose de supérieur pour maintenir un certain équilibre. Elle fit une proposition qu’Obsidienne ne put refuser : une place de choix dans ce nouveau monde, la gloire et la reconnaissance qu’elle désirait depuis toujours. Obsidienne accepta.
Les deux femmes devinrent amies, et Nervaria put compter sur Obsidienne pour l’épauler dans sa mission. Nervaria était une déesse extrêmement ambitieuse, rêvant de créer une race supérieure à toutes les autres, un monde où les monstres n’auraient pas leur place et où les humains seraient les plus puissants des êtres. Obsidienne ne comprenait pas vraiment cette idylle, mais peu importe. Elle allait enfin obtenir ce qu’elle désirait le plus au monde.
Nervaria atteignit son but. Elle créa un monde d’une beauté extrême, peuplé d’humains dotés d’une intelligence et d’une force incroyables. Obsidienne fut impressionnée et fière de participer à un tel projet. Les années passèrent, et le monde évolua. Cependant, un problème persista : le monde était tellement parfait qu’aucune guerre n’éclatait. Il n’y avait ni conflit, ni mésentente, ni problème. Certes, Obsidienne était devenue une déesse reconnue, comme elle le souhaitait. On avait construit des temples en son honneur, des poèmes et des chants étaient dédiés à elle. Une fête portait même son nom. Au début, c’était agréable d’être ainsi honorée par le peuple, mais cela finit par ne plus lui suffire. Elle avait l’impression d’être inutile, présente seulement pour faire bonne figure. Elle s’ennuyait, et la guerre lui manquait. Alors, un jour, elle prit une décision qui changerait le cours de l’histoire.
Obsidienne descendit sur Vi’hale sous une forme humaine pour circuler parmi les mortels. Elle voyagea plusieurs semaines, cherchant sans vraiment savoir quoi. Elle voulait semer la discorde, le malheur. D’un côté, elle avait honte d’agir dans le dos de Nervaria, mais elle n’arrivait pas à se contenir. Elle attendait plus de la vie. La déesse était une femme d’action, elle avait besoin de plonger dans la mêlée pour se sentir vivante. Elle savait que ce qu’elle faisait était égoïste : une déesse devait protéger les mortels et instaurer une paix durable. Mais la guerre était sa raison de vivre, et sans guerre, elle n’avait pas besoin d’être là.
Ce qui la poussa à choisir, par le plus grand des hasards, une petite famille. Ils n’avaient rien d’exceptionnel. Pas très riches, ils vivaient dans une petite maison. Le père était atteint d’un cancer du cerveau, incurable malgré les compétences médicales avancées de ce monde. La tumeur était trop proche du tronc cérébral pour être enlevée. Cette maladie empêchait l’homme de travailler correctement, de subvenir aux besoins de sa famille. La mère, quant à elle, devait s’occuper de son époux malade et élever leur jeune fils.
Obsidienne vit dans cette famille, surtout dans leur fils, l’opportunité qu’elle cherchait. Malgré les efforts de Nervaria pour créer un monde parfait, tout le monde n’était pas heureux et gâté par la vie. Cette famille en était la preuve. Elle décida alors de changer le destin de ce petit garçon, qui n’avait plus rien à perdre, mais tout à gagner. Elle prédit qu’il deviendrait un homme fort et puissant, ambitieux, parcourant le monde à la recherche de nouvelles terres et de nouvelles connaissances. Elle prédit également qu’il deviendrait un homme avide de pouvoir et partirait en guerre contre les territoires voisins pour accroître son pouvoir. Il deviendrait un homme puissant, craint de tous. Jack Octavius serait son salut.
Jack Octavius grandit. Et comme Obsidienne l’avait prédit, il devint robuste et fort. À sa majorité, il quitta la maison familiale pour explorer les contrées de Vi’hale. La déesse était fière de sa création ; Jack était un homme prometteur, et elle était certaine qu’avec lui, elle trouverait enfin sa place dans ce monde.
Jack découvrit les terres de Kost’hale, encore riches et vierges de toute civilisation. Il avait parcouru un long chemin pour arriver jusque-là et vit en ce lieu une aubaine, un point de départ pour une nouvelle vie. Étant le premier arrivé, il choisit la partie du territoire la plus riche. Il dormit à la belle étoile pendant des semaines, préparant le terrain pour construire sa maison. Il mit des heures à élaborer les croquis et à décider où seraient les différentes pièces. Il fit de nombreux allers-retours entre la ville la plus proche et ce nouveau territoire pour chercher des vivres et des outils. Il tailla lui-même les pierres pour construire sa maison et coupa son propre bois. Lorsque tout fut prêt, il posa la première pierre, puis la deuxième, et ainsi de suite jusqu’à ce que les murs prennent forme. Ce fut un travail dur et éprouvant, mais Jack ne renonça jamais. Il mit dix longues années à construire sa maison. Ses allées et venues attirèrent l’attention, et d’autres vinrent s’installer à Kost’hale. Parfois, ils s’entraidaient, parfois ils partageaient des moments conviviaux.
Ce n’est que lorsque Jack termina son manoir et commença à exploiter les richesses de ses terres qu’il devint fou. Il n’arrivait plus à se contenter de ce qu’il avait. Il en voulait toujours plus. Alors, il commença à se battre pour obtenir plus de terres et de richesse. Ce qui avait commencé comme une simple recherche de richesse se transforma en une guerre sanglante. Jack était puissant, plus que quiconque ne l’avait imaginé. La folie le rendit encore plus fort, et il finit par être craint de tous. Bientôt, il n’eut même plus besoin de se battre pour obtenir de nouvelles terres.
Enfin ! Ce moment qu’elle attendait était arrivé. Cela faisait des années qu’Obsidienne l’observait en secret, attendant le jour où le guerrier en lui se réveillerait ! Et quel guerrier ! Elle avait réussi son œuvre. Jack était l’homme craint de tous qu’elle avait prédit… C’était tellement grisant ! Elle sentait la puissance gonfler en elle chaque fois qu’il remportait une bataille, qu’il sacrifiait un animal pour obtenir ses faveurs, qu’il faisait couler le sang pour elle… C’était un vrai plaisir pour elle, et pour Jack aussi, qui ignorait totalement que sa destinée avait été scellée par la déesse.
Mais il y avait une chose qu’Obsidienne n’avait pas anticipée. Nervaria avait pris très mal la tournure que Jack Octavius avait donnée à sa destinée. Elle voulait que son monde soit parfait, et cet homme le détournait de cet objectif. La violence était intolérable à ses yeux.
Nervaria observait la scène, désemparée. Elle s’était promis de ne pas intervenir si les choses tournaient mal, de reconnaître sa défaite et de laisser la chute de son monde se faire sans interférer. Mais voir ses créations se déchirer à cause d’un seul homme lui était insupportable. Elle en était devenue malade. Un jour, incapable de supporter plus longtemps cette situation, elle décida de descendre elle-même voir Jack. Son but était de lui faire peur et de le pousser à se remettre en question pour qu’il revienne sur le droit chemin.
« Si tu renonces à toutes sources de pouvoir, je te promets une vie qu'aucune somme d’argent ne pourra acheter, » lui avait-elle dit.
Mais Jack, offensé par cette proposition, n'en tint guère compte. Après tout, que pouvait-il vouloir de plus ? Il continua à vivre dans la violence et à gravir les échelons du pouvoir. Déçue, Nervaria revint le menacer.
« Je t'ai laissé l'opportunité de purifier ton âme et tu m’as rejetée. Jack Octavius, je condamne alors ta descendance à payer pour tes crimes. Tous les cinquante ans, des jumeaux naîtront. L'un d'eux sera rempli de douceur et d'amour, tandis que l'autre n’apportera que mort et destruction. Celui qui apportera la destruction tuera tous ceux qui croiseront son chemin, mais l'Innocente vivra pour perpétuer la lignée. »
Mais Nervaria n’en pensait pas un mot ; elle n’avait pas l’intention de mener cette malédiction jusqu’au bout. Elle voulait seulement le faire réfléchir, espérant éveiller en lui une leçon précieuse. Cependant, Jack ne manifesta aucune peur. Il se moqua d'elle et continua à ignorer ses avertissements.
Obsidienne avait observé la confrontation, les lèvres pincées. Elle se sentait mal d’avoir blessé son amie, regrettant d’avoir agi de façon égoïste. Mais il était trop tard ; la malédiction était lancée. Ne pouvant rester les bras croisés, Obsidienne décida de parler à Nervaria dès son retour.
« Nerva… Ma chérie… J’ai tout vu… Je sais que c’est difficile pour toi… Mais une malédiction, n’est-ce pas un peu excessif ? C’est dans la nature de l’homme de se battre… » dit-elle, hésitant à révéler qu’elle était derrière toute cette histoire.
« Non, Obsidienne. Cet homme est intrinsèquement mauvais, je le sens. Si, comme tu le prétends, tous les hommes sont faits pour se battre, pourquoi est-il le seul à se comporter ainsi ? » répondit Nervaria en secouant la tête. « Non. Cette malédiction est nécessaire. Quand il comprendra que je suis sérieuse, il changera. Je lèverai la punition à ce moment-là. »
Obsidienne n’osa rien ajouter et se contenta de hocher la tête avant de retourner dans ses appartements. Cherchant à rectifier les choses, Obsidienne renonça à son emprise sur Jack Octavius pour lui permettre de se racheter auprès de Nervaria. Comme prévu, Jack changea finalement. Il trouva l’amour, se maria, et son épouse tomba enceinte.
Jack avait changé, et pourtant, Nervaria n’abrogea pas la malédiction. Obsidienne, perplexe, retourna voir son amie.
« Je vois bien qu’il a changé. Mais je vais attendre que ses enfants naissent pour être certaine qu’il ait compris le message. » expliqua Nervaria.
Obsidienne sentit une inquiétude grandissante en voyant la lueur dans les yeux de son amie. Mais elle ne pouvait pas agir contre les désirs de son seigneur. Elle attendit donc patiemment.
Comme prévu, l’épouse de Jack donna naissance à des jumeaux, l’un blond, l’autre roux. Jack comprit alors que Nervaria ne mentait pas. Il remisa sa vie en question et commença à restituer les terres qu'il avait usurpées. Pourtant, Nervaria n’abrogea toujours pas la malédiction. Jack, croyant avoir gagné le pardon de Nervaria, vécut dix ans de bonheur avec ses deux fils. Dix ans plus tard, la malédiction s’abattit sur la famille, ne laissant qu’un survivant, le fils blond, celui chargé de perpétuer la lignée.
« Nervaria ! Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi as-tu tué Jack et sa famille ? Tu m’avais promis que tu lèverais la malédiction dès qu’il aurait compris le message ! » s’exclama Obsidienne avec force en retrouvant Nervaria.
Mais en croisant le regard de Nervaria, Obsidienne comprit que son amie était perdue. Et tout était de sa faute. Elle assista à sa chute avec impuissance. Malgré ses efforts pour l’aider à retrouver la raison, Nervaria ne l'écoutait plus. Elle avait pris goût au sang et désirait toujours plus. Obsidienne la regarda sombrer dans la folie.
Les années passèrent, et sa culpabilité ne fit que croître. Voir son amie se perdre ainsi la tourmentait. Mais un jour, elle retrouva espoir. Nervaria, jouant avec le destin de cette famille maudite, finit par se faire prendre à son propre jeu. Elle tomba enceinte d’un descendant direct de Jack Octavius. Peu importait l’homme ; un bébé reste un bébé, un être pur et innocent. Obsidienne espérait que l’arrivée d’un enfant réveillerait ses meilleurs instincts… Elle l’espérait sincèrement.
Mais une fois de plus, elle se trompa. Nervaria sous-estima la rage et la folie qui désormais habitaient son cœur et son âme. Elle mit au monde des jumeaux, mais leur offrit peu d’amour. Obsidienne veilla sur les enfants de loin et découvrit que Nervaria comptait les transformer en instruments de destruction contre les Octavius. Il était temps d’agir.
Elle alla alors voir Lui. Elle ne connaissait ni son nom ni son apparence précise, mais elle savait qu’il était le Dieu des dieux, le suprême, celui qui savait tout. En quête de son aide, Obsidienne se rendit au temple du Dieu Unique et demanda une audience.
« Mon Seigneur… Le temps est grave… Il s’agit de Nervaria… Elle… »
« Je sais très bien ce qu’elle est en train de faire, Obsidienne. » répondit-il calmement.
« Et vous ne faites rien ?! » s’offusqua-t-elle.
« L’heure n’est pas aux représailles, mon enfant. Nervaria doit accomplir une dernière chose avant de payer pour ses actes. »
« Comment ?! Mais Nervaria ne cause que malheur et souffrance… Nous ne pouvons pas la laisser faire ! »
« Pas aujourd’hui. »
« Mais… »
« Il est temps pour toi de prendre congé, mon enfant. »
Obsidienne serra les mâchoires et acquiesça, bien que contre son gré, avant de prendre congé. Elle ne comprit jamais pourquoi Il n’avait pas voulu intervenir à ce moment-là… Mais elle ne pouvait pas aller à l’encontre des souhaits de son seigneur. Alors elle prit son mal en patience.
Toutefois, elle ne cessait jamais d’observer Nervaria et ses enfants à distance. Elle était horrifiée par le manque d’amour et d’indulgence dont sa déesse était capable, surtout envers sa petite fille, Marissa. La pauvre enfant était maltraitée psychologiquement par sa mère et corrigée par son frère, qui utilisait la force physique. Marissa n’avait rien demandé, elle cherchait simplement à être à la hauteur des attentes de sa mère. Les années passaient, et malgré tous ses efforts pour se surpasser, rien n’était jamais suffisant.
Un jour, Obsidienne trouva Marissa recroquevillée dans un coin sombre, les joues mouillées de larmes fraîches.
« Marissa ? Pourquoi te caches-tu ainsi ? »
« J-Je… J’ai encore é-échoué… J-Je… J-Je… Je ne serai jamais assez forte pour elle… Elle a demandé à Aydan de me punir… A-A-Alors, je me suis cachée… » répondit la fillette en sanglotant.
« Oh… Mais tu sais, te cacher n’améliorera pas les choses. Tu devrais retourner voir ta mère et… »
« Non !! S’il te plaît, Obsidienne ! Je ne veux plus jamais y retourner ! Ne m’oblige pas à y retourner… Je… Je ne veux pas… S’il te plaît… Ne leur dis pas où je suis… »
Les larmes de la fillette se déversaient maintenant en torrents sur son joli visage. Obsidienne était touchée par sa détresse. Dans d’autres circonstances, elle n’aurait pas craqué aussi facilement. Peut-être se sentait-elle responsable de ce qu’il arrivait à l’enfant. Elle décida alors de la prendre dans ses bras et de la garder ainsi jusqu’à ce que Marissa se calme. Ce geste marqua le début d’une décision qui allait changer le cours de sa vie.
« D’accord… D’accord… Je ne te forcerai pas à y retourner. Mais tu ne peux pas rester seule. Viens avec moi. »
« Quoi ! Tu… Tu ferais ça pour moi ?! » s’exclama Marissa, les yeux écarquillés devant le visage souriant de son aînée.
« Marissa… À partir de ce jour, je serai ta tutrice. Je t’apprendrai tout ce que tu dois savoir. Je ferai de toi la déesse que ta mère regrettera. »
Ainsi, la puissante déesse se retrouva avec une enfant à charge… Était-ce une bonne ou une mauvaise décision ? Seul l’avenir le dira.
Les années passèrent, et Obsidienne s’avéra être une instructrice exigeante mais juste. Grâce à elle, Marissa devint une déesse remarquable. Elle maîtrisait son pouvoir avec une précision redoutable, capable de mener un homme à la mort rien qu’en pénétrant ses rêves. Un pouvoir souvent sous-estimé, mais impitoyable. Obsidienne était fière de ses progrès, bien que des doutes persistaient.
La maltraitance subie par Marissa sous la garde de sa mère et de son frère continuait de la hanter. Elle savait que cette expérience avait cultivé un désir de vengeance secret. Ses inquiétudes furent confirmées lorsque Marissa voulut montrer ses talents à sa mère, espérant obtenir ne serait-ce qu’un compliment. Mais Nervaria et Aydan se moquèrent d’elle.
Lorsque Marissa revint, dévastée, Obsidienne fit une erreur en lui révélant qu'elle ne serait jamais aussi puissante qu’Aydan. La raison était simple : Aydan était un jumeau ischiopagus, un phénomène rare où un fœtus absorbe les membres et les organes de son jumeau « parasite ». Aydan, le fœtus dominant, avait « absorbé » les pouvoirs de Marissa, et elle n’aurait normalement jamais dû survivre. Obsidienne expliqua qu’elle pensait que sa survie était due à la malédiction que sa mère avait lancée sur la famille de son père biologique.
Marissa, choquée par cette révélation, comprit qu’elle et son frère avaient été utilisés toute leur vie… Elle posa alors une question terrible.
« Obsidienne… Y a-t-il une chance de reprendre à Aydan les pouvoirs qui m’ont été volés ? »
Obsidienne parut mal à l’aise.
« Eh bien… Oui. Vous êtes jumeaux, et un lien vous unit, non seulement par le sang mais aussi par la magie. Si tu parviens à lui prendre la vie… Ses pouvoirs te reviendront. Mais Marissa… Tu n’as pas l’intention de le faire, n’est-ce pas ? »
Marissa affirma que c’était simplement une hypothèse et qu’elle n’agirait pas. Obsidienne n’eut d’autre choix que de lui faire confiance.
Les jours passèrent, et Obsidienne dut détourner son attention vers une autre préoccupation. Pendant qu’elle s’occupait de Marissa, Nervaria continuait sa chute vers l’Enfer. La malédiction qu’elle avait lancée sur la famille Octavius n’avait pas eu l’effet escompté sur la dernière génération. L’enfant maudite avait survécu et, pire encore, avait retrouvé sa sœur. Okimi et Cathalina Octavius allaient bouleverser l’équilibre. Nervaria n’appréciait pas leur présence et ne comptait pas les laisser faire.
Elle attendit pourtant avant d’intervenir, leur laissant croire que le Mal était désormais loin d’elles. Elle attendit encore et encore, jusqu’au jour où les sœurs décidèrent de retourner sur la terre de leurs ancêtres.
Ce jour-là, estimant avoir suffisamment attendu, elle quitta le Royaume des dieux pour se rendre sur Kost’hale. Elle apparut sur la propriété des Octavius, juste devant les deux femmes, un sourire cruel aux lèvres. Cela faisait des années qu’elle planifiait ce qu’elle allait leur faire subir. Elle se tourna vers Okimi et, d’un geste de la main, la fit disparaître. Un destin cruel l’attendait : elle l’envoya dans un autre monde, sur Terre, en changeant sa nature pour faire d’elle un monstre assoiffé de sang, un vampire immortel condamné à chasser les innocents. Nervaria la maudit, lui faisant revivre en rêve les pires actes qu’elle ait commis pour l’affamer et l’inciter à se nourrir de pureté. Nervaria s’était créé un jouet qu’elle manipulerait de loin.
Quant à Cathalina, seule la mort l’attendait. Profitant de la colère déchaînée de la sorcière, Nervaria plongea sa main dans sa poitrine et lui arracha le cœur.
Obsidienne dut observer la scène de loin. Elle était prête à intervenir, ses soldats à ses côtés, mais elle devait attendre Son feu vert. Que pouvait-il bien attendre ? Nervaria venait de tuer quelqu’un !
« Obsidienne, tu sais ce qu’il te reste à faire. » dit-Il enfin.
La déesse donna le signal à ses hommes, qui descendirent sur Kost’hale pour arrêter Nervaria. Mais cette dernière ne chercha même pas à fuir. Elle laissa son ancienne amie l’emmener et la conduire vers Lui. Peu importe. Elle avait réussi. Son plan était en marche.
On condamna Nervaria à vivre cinquante mille ans enchaînés aux Enfers. Obsidienne l’emmena et la confia à son geôlier. Elles n’échangèrent pas un mot, et Obsidienne remonta sans un regard en arrière. Cependant, le comportement de Nervaria la perturbait. Elle ne comprenait pas son absence de réaction. En fait, Nervaria semblait… heureuse. Il y avait quelque chose de suspect. Elle en était certaine.
Se fiant à son instinct, elle décida de surveiller Okimi à distance. Si Nervaria planifiait quelque chose, elle ou Aydan pourraient bientôt s’en prendre à elle. Il était hors de question de les laisser faire. Tout était de sa faute, et il était temps qu’elle agisse. Cela ne pouvait plus continuer. Elle était prête à donner sa vie pour protéger cette famille.
Un petit garçon vêtu de vieux vêtements en lin, troués par l’usure et sales de terre. Ils étaient trop grands pour lui, ou peut-être était-ce lui qui était trop mince. Son ventre était creux, ses cheveux sales et hirsutes. Il avait de la terre coincée sous les ongles. Pourtant, il souriait. Il jouait, assis sur le sol, avec des pierres rondes. Une femme était là. Sa mère, sans doute. Sa robe était également sale, et les coutures étaient déchirées. Elle étendait le linge sur un fil tendu entre deux arbres, chantonnant pour se remonter le moral, malgré la difficulté de sa tâche.
Un homme arriva. Son père. Il semblait fatigué. Ses vêtements étaient vieux et usés, et une barbe broussailleuse ombrageait son visage. Il paraissait ailleurs, et s’avança, passant devant eux sans s’arrêter.
« Chéri, nous sommes ici », dit sa mère avec bienveillance.
« Oh… » Son père sembla surpris et la regarda sans vraiment la voir. « Je… J’ai attrapé un lapin. »
Il désigna le lapin pendu à sa ceinture. Un lapin pour trois personnes, ce n’était pas beaucoup. Mais ils n’avaient pas le choix. Et puis, ils mouraient de faim. C’était leur premier repas depuis longtemps. La vue du lapin mort horrifia l’enfant, même si son ventre émit un gargouillis. Il avait faim. Il aurait pu manger n’importe quoi.
Non…
Papa ne va pas bien. Maman s’inquiète, mais elle dit que ce n’est rien, juste un mal de tête. Mais il n’est pas dupe. Il voit bien que ça ne va pas. Papa ne sort plus du lit, et parfois, il lui demande qui il est. Pourquoi papa ne le reconnaît-il pas ? Et maman, pourquoi pleure-t-elle ? Elle se cache, mais il voit bien ses yeux rougis lorsqu’elle revient. Il ne comprend pas ce qui se passe. Pourquoi mentent-ils ? Il est grand maintenant, pourtant ! Il est triste. Alors il sort prendre l’air. Il s’avance un peu dans l’herbe.
Il choisit un arbre, grand et touffu. Il aime ses couleurs. Ça l’apaise. Alors il s’assoit à ses pieds, soupire et passe le temps en arrachant des brins d’herbe. Soudain, une ombre se dresse devant lui. Il lève les yeux, stupéfait. Une grande femme se tient devant lui. Il n’avait jamais vu une femme de telle taille. Elle était immensément grande, avec une peau d’un brun chaud. Étrange. Et le plus étrange encore était ses yeux, blancs et sans couleur. Il n’y avait pas ce petit point noir qu’on appelle la pupille. Cela signifiait-il qu’elle ne voyait pas ? Pourtant, son regard était posé sur lui.
Non…
La femme eut un étrange sourire. Un frisson le parcourut. Elle était impressionnante, et ses vêtements étaient bizarres, avec du métal partout. Il n’avait jamais rien vu de tel.
« Tu as l’air d’avoir faim, mon petit… Quel est ton nom ? »
Contrairement à son apparence, sa voix était bienveillante. Le garçon sourit.
« Je m’appelle Jack. Jack Octavius. Et vous, qui êtes-vous ? »
« Ça n’a pas d’importance, Jack. Je suis une amie. Je veille sur toi depuis un moment. »
« Ah bon ? Pourquoi feriez-vous ça ? Je ne suis personne. »
« Pas encore… Mais je suis sûre que tu deviendras un grand homme fort. Tu as envie de devenir fort ? »
« Oh ! Oui ! Comme ça, je pourrais aider maman à guérir papa ! Mais comment puis-je devenir fort ? »
« Brave petit… Ne t’inquiète pas, je m’occupe de tout. »
Non…
Jack est devenu grand maintenant, grand et fort, comme elle l’avait promis. Il ne la revit plus jamais. Peut-être avait-il rêvé. Il ne sut pas cependant comment aider son père, qui était mort depuis longtemps. Il était encore trop jeune. Sa mère, incapable de supporter son absence, se donna la mort. Il se retrouva tout seul. Ce fut dur, mais il réussit. Aujourd’hui, il a dix-huit ans, et il a besoin de nouveauté, d’aventure. Il veut se trouver un nouveau but. Il est devenu un bel homme, mais l’amour ne l’intéresse pas. Il est donc parti, sans se retourner.
Il voyagea longtemps, rencontra de nombreuses personnes, et un jour, il trouva ce qu’il cherchait : une terre vaste et verdoyante, avec des arbres aux écorces noueuses et aux couleurs attrayantes, regorgeant de richesses encore inexploitées. Alors, il décida de s’y installer.
Non…
Il mit de nombreuses années à construire son manoir, choisissant le meilleur emplacement et mettant du cœur à l’ouvrage. Ses allées et venues attirèrent l’attention. D’autres arrivèrent pour s’installer, et bientôt, une nouvelle ville vit le jour : Kost’hale. Jack se fit des amis, dîna souvent avec eux, riait, s’entraidait, faisait la fête. Le manoir était terminé et se dressait fièrement. Après avoir connu la misère, il allait enfin devenir quelqu’un, devenir riche, avoir du pouvoir. Après des années, il commença à exploiter ses terres, accumulant richesse et argent. C’était magique, incroyable. Il n’avait jamais connu une telle vie. Il en voulait plus. Comment se limiter à si peu ?
Il cherchait la bagarre, le conflit. Il voulait plus de terres, plus de richesse, toujours plus. Mais tout était pris, occupé. Il devait se battre.
« Fais-le… Fais-le et deviens l’homme que tu as toujours voulu devenir… Fais-le. »
Il entendait souvent cette voix dans sa tête. Il se rendit chez un homme, un ami, non, son meilleur ami. L’homme ouvrit la porte et sourit en le découvrant. Mais son sourire se ternit rapidement. Jack avait le visage sévère.
« Je veux tes terres. »
« Quoi ? Qu’est-ce qu’il te prend, Jack ? »
« Je veux tes terres ! »
« Non ! Il en est hors de question ! »
Le ton monta, et les hommes commencèrent à se hurler dessus. Jack devint fou. Il cogna le premier coup. Une droite dans la mâchoire. L’autre fut sonné mais essaya de riposter. Jack était plus fort. L’homme ne fit pas le poids et tomba au sol. Mais Jack ne s’arrêta pas. Il frappa encore et encore, au visage. Il y avait beaucoup de sang. Il en était couvert, mais ce n’était pas le sien. Peu importe.
« Tue-le… »
Encore cette voix. Jack cogna encore plus fort. Un bruit horrible retentit. L’homme ne cria plus, ne respira plus. Il était mort, le crâne fracassé. Jack se redressa, couvert du sang de son ami. Sa femme était là, le visage tordu par la peur et la tristesse. Elle ne comprenait pas pourquoi. Jack n’était pas attendri par ses larmes. Il se tourna vers elle, sans compassion.
« Quel âge ont vos fils ? »
« Dix ans et quinze ans… » sanglota-t-elle.
« À partir de demain, vos fils exploiteront vos terres pour moi. Compris ? »
« Je… Je… »
« Compris ? »
Elle hocha la tête, tremblante. Jack eut un drôle de sourire. Il regarda le cadavre. C’était la première fois qu’il tuait, et il aimait ça.
Non…
Les années passèrent. Sa réputation le précéda. Il était craint par tous. Il n’avait plus besoin de tuer, on lui offrait les richesses sur un plateau. Mais il tuait quand même, par plaisir, par envie, pour s’amuser.
Un soir, il reçut une visite étrange. Une femme se tenait dans son jardin. Elle était très petite, ressemblait à une poupée, avec une taille fine, une peau blanche comme de la porcelaine, des yeux bleus trop grands pour son visage, et des cheveux noirs et raides. Elle dégageait quelque chose de fort et de puissant, impressionnant. Mais Jack n’avait pas peur. Elle parla une première fois.
« Si tu renonces à toutes sources de pouvoir, je te promets une vie qu'aucune somme d’argent ne pourra acheter. »
Renoncer ? Elle était folle. Qui renoncerait à une telle vie ? Il ne tint pas rigueur de sa visite et poursuivit sa vie. Deux semaines plus tard, la femme revint.
« Je t'ai laissé l'opportunité de nettoyer ton âme, et tu m'as rejetée. Jack Octavius, je condamne alors ta descendance à payer pour tes crimes. Tous les cinquante ans, des jumeaux naîtront. L'un sera douceur et amour, tandis que l'autre apportera mort et destruction. Tous, il tuera, mais l'Innocente vivra afin de faire perdurer la lignée. »
Jack rit. Quelle drôle de femme.
Non !
Jack se tenait dans la chambre parentale, aux côtés de sa femme en travail. Elle était sur le point d’accoucher, et lui, l’alliance au doigt, était inquiet pour elle. Il l’aimait profondément et la douleur qu’elle endurait lui était insupportable. Que ferait-il sans elle ? Les cris de l’enfant résonnèrent enfin. Un soulagement passa sur son visage. Mais l’angoisse persista. La sage-femme, le visage inquiet, annonça qu’il y avait un autre bébé. Des jumeaux. La malédiction évoquée jadis ressurgit dans son esprit. Et si c’était vrai ? Le second enfant naquit, et la sage-femme emporta les bébés pour les nettoyer. Pendant ce temps, un médecin sauva la mère, qui fut finalement hors de danger. La sage-femme revint avec les deux enfants. Jack les découvrit pour la première fois : l’un était blond, l’autre roux. Une sueur froide coula le long de son dos.
NON !
Des années plus tard, deux petits garçons jouaient dans la cour, insouciants. Jack, assis sur un banc, les observait avec fierté. Ses cheveux grisonnants et un sourire fier aux lèvres, il les aimait plus que tout. Mais la malédiction persistait dans son esprit. Il ne savait toujours pas si elle était vraie, ni combien de temps il lui restait. Il profitait de chaque instant, ayant renoncé aux terres et aux richesses qu’il avait accumulées. Il cherchait la rédemption, regrettait ses actions passées. Ses pensées vagabondaient alors qu’il regardait l’horizon, une étrange sensation l’envahissant. Mais il préféra ne pas y prêter attention.
NON… NON !
Il se retrouva allongé sur le sol, dix ans plus tard. La douleur était intense, le froid mordant. Il était couvert d’un liquide étrange, du sang, le sien. Incapable de bouger, il tenait quelque chose dans ses bras : l’un de ses fils, le roux, sans vie. Son corps était couvert de plaies horribles. Que s’était-il passé ? Il n’en avait plus aucun souvenir, la panique l’envahissait. Où était sa femme ? Il la chercha du regard, la trouvant étendue, le regard vitreux, sans vie. Il entendit des sanglots. Son autre fils, recroquevillé contre un mur, était couvert de sang, mais n’était pas blessé. Est-ce ainsi que se terminait tout cela ? Quelle fin tragique… Sa mort était lente, il l’avait méritée. Le froid l’envahissait de plus en plus, et il perdait lentement conscience… « Je t’aime mon fils… Je t’aimerai toujours… »
NON !
***
Samuel Sparks se redressa brusquement dans son lit, couvert de sueur, les cheveux trempés, peinant à reprendre son souffle. Encore ce rêve ! Depuis plusieurs mois, Samuel vivait ce rêve étrange, toujours le même. Chaque nuit, il revivait la vie de cet homme, une vie entière en quelques heures de sommeil. Ses nuits étaient devenues un tourment perpétuel. Chaque nuit, il rêvait de Jack Octavius. Ses rêves finissaient par se mélanger à sa propre réalité, le laissant épuisé et à bout de forces. Malgré sa fatigue, il retardait le moment de se coucher, espérant éviter ces cauchemars. Il désirait une nuit tranquille, sans rêves.
Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Pourquoi rêvait-il de cet homme ? Non, il ne se contentait pas de rêver ; il vivait sa vie, ressentait ses émotions, et la main qui tuait était aussi la sienne. Jack et lui se ressemblaient physiquement, comme des copies conformes. Samuel avait d’abord pensé qu’il rêvait d’un ancêtre, mais quelque chose n’allait pas. Ses rêves se déroulaient dans un monde différent du sien. Comment était-ce possible ?
Il avait de nombreuses questions, sans réponses. Mais ce jour-là, comme tous les autres, il n’aurait pas le temps de chercher des réponses. Samuel regarda l’heure : 5h30. Se rendormir serait une perte de temps. Il se traîna hors de son lit avec l’intention de prendre une douche. En passant devant la grande baie vitrée de son appartement, il s’arrêta un instant pour admirer la vue splendide : un New-York encore endormi s’étendait au pied de son immeuble. Quelle ville magnifique, il ne se lasserait jamais de ce spectacle.
Il entra dans sa salle de bain, se débarrassa de son bas de pyjama, et se glissa dans la grande douche italienne. Il prit son temps pour éliminer les dernières traces de fatigue, se lava, se sécha, puis se rendit dans son dressing. Il choisit avec soin l’un de ses somptueux costumes, d’une valeur minimale de cinq mille dollars – peu pour quelqu’un comme lui. Il enfilait ses boutons de manchette, une cravate élégante, des chaussures vernies hors de prix, et choisit sa plus belle montre. Enfile sa veste, et il était enfin prêt. Son empire l’attendait ; il ne fallait pas faire attendre le pouvoir.
L'homme que vous voyez devant vous est enveloppé de mystère. Mais ne vous y trompez pas : cet homme n'est pas ce qu'il semble être. Ce n'est pas simplement un homme, ni même un être humain. Non, cet homme que vous observez est un dieu. Un dieu qui a délibérément choisi de marcher parmi nous — hommes et femmes, humains et créatures surnaturelles.
Sa véritable forme reste un mystère que personne n’a jamais percé. Ce que vous voyez n’est qu’un masque, une apparence soigneusement choisie pour se fondre parmi les mortels, pour échapper à tout regard soupçonneux. Il a pris un nom : Sébastien. Un nom banal, sans éclat, qui glisse dans les conversations sans attirer l’attention. Un nom que l'on oublie presque aussitôt qu’on l’a entendu.
Mais pourquoi un dieu voudrait-il vivre parmi nous, les simples mortels ? Est-ce par simple curiosité, pour observer de près nos vies éphémères et nos passions volatiles ? Est-ce par devoir, une mission secrète connue de lui seul ? Peut-être cherche-t-il à comprendre, à ressentir les émotions humaines, à se confronter à notre condition si fragile et si complexe. Ou alors, son but est-il plus sombre, plus mystérieux encore ?
Personne ne connaît la raison de sa présence parmi nous. C’est un secret qu’il garde jalousement, un mystère qu’il ne partage avec personne. Mais une chose est certaine : cet être divin ne fait jamais rien sans raison. Chaque geste, chaque mot, chaque regard a un sens caché, une intention voilée.
Quel est son véritable dessein ? Cherche-t-il à nous guider, à nous tester, ou à se divertir à nos dépens ? À moins qu’il ne prépare quelque chose de plus grand, de plus terrifiant, un événement que seul un dieu peut prévoir. Les réponses à ces questions se perdent dans le silence, là où réside son secret. Mais une chose est sûre : cet homme, ce dieu, ne se dévoilera pas si facilement. Il est une énigme enveloppée dans un mystère, et son histoire est encore à écrire.
Ainsi, vous continuez à le regarder, sans savoir que c’est lui qui vous observe, qui vous étudie, cherchant peut-être en vous ce qu'il est venu trouver parmi les hommes.
Dans un quartier populaire de Londres, caché entre des ruelles étroites et des façades vieillies par le temps, se trouve un bar-restaurant à la réputation grandissante : l'Idylle. Ouvert depuis seulement quelques mois, cet établissement a déjà conquis le cœur de la ville. Mais son succès ne repose pas seulement sur la qualité de ses plats ou l'ambiance feutrée de ses soirées. Non, l'Idylle doit son charme envoûtant aux deux gérants qui le dirigent : James et Désirée.
James et Désirée ne sont pas des hôtes ordinaires. Ils ont un secret que personne ne pourrait deviner. Ils partagent une capacité extraordinaire qui leur permet de changer d’apparence à volonté. Ils peuvent passer d'un personnage masculin à un personnage féminin en un instant, sans perdre leur personnalité ni leurs pensées. Ils sont les mêmes sous toutes leurs apparences, mais chaque forme qu’ils prennent révèle un aspect particulier de leur être.
Quand vous entrez à l'Idylle, vous pouvez rencontrer James, un homme séduisant aux yeux perçants, ou Désirée, une femme d'une beauté captivante. Mais ce n’est qu’un début. Un regard plus attentif vous révélera des facettes plus profondes de leur caractère. Chaque transformation met en lumière un trait distinctif de leur personnalité : séducteur, loyal, érudit, altruiste. Peu importe la forme qu’ils prennent, ces traits transparaissent, rendant leur présence à la fois familière et énigmatique.
Leurs clients sont captivés par cette dualité fascinante. Ils ne savent jamais qui ils rencontreront lorsqu’ils franchiront les portes de l’Idylle. Mais ce qui les intrigue le plus, c'est le mystère qui entoure ces deux êtres insaisissables. James et Désirée ne parlent jamais d’eux-mêmes. Leur passé est un livre scellé, leurs véritables intentions cachées derrière des sourires énigmatiques et des regards perçants.
Personne ne sait qu’ils sont en fait les enfants d'Okimi, une femme tout aussi mystérieuse, qui vit désormais à Londres sans que ses enfants ne le sachent. Leur lien avec elle, et la raison pour laquelle ils sont ici, dans cette ville, restent un mystère complet.
Alors, oserez-vous pousser la porte de l’Idylle ? Parviendrez-vous à percer ne serait-ce qu’un peu de cette carapace infranchissable ? James et Désirée vous attendent, prêts à vous envoûter et à vous surprendre. Mais prenez garde, car une fois que vous entrez, vous ne ressortirez jamais tout à fait le même.
Visz est né de l'union mystique entre l'esprit de la Lune et celui du Soleil, un héritage céleste qui le place au-delà du simple monde mortel. Doté des dons des premiers dragons, Visz possède une puissance insoupçonnée et un lien unique avec les forces primordiales de la nature. Encore jeune, alors qu’il explorait ses capacités et apprenait à maîtriser son immense pouvoir, il fit une rencontre qui allait bouleverser son destin : Obsidienne, la redoutable Déesse de la Guerre.
Cette rencontre changea tout pour Visz. Il y a de nombreux siècles, le peuple des dragons se trouvait au bord de l’extinction, menacé par des forces mystérieuses et implacables. Obsidienne, voyant le danger pesant sur ces créatures majestueuses, décida d’intervenir. Avec une bravoure inégalée, elle se jeta au cœur du conflit et sauva la vie de nombreux dragons, y compris celle de Visz. Marqué à jamais par cet acte de courage, Visz se jura de rester à ses côtés. Ensemble, ils formèrent une alliance redoutable, combinant leur force et leur sagesse pour repousser l’ennemi et sauver le peuple dragon d'une destruction certaine.
Pour son héroïsme, Obsidienne reçut la bénédiction de la Mère des Dragons, un honneur rare et sacré qui scella son lien avec ces créatures mystiques. Visz, touché par la même grâce, devint son protecteur dévoué, son partenaire fidèle et son ami intime. Un lien indestructible s'était formé entre eux, forgé dans les feux du combat et nourri par une compréhension mutuelle profonde.
Lorsque Obsidienne choisit de descendre sur Terre, Visz la suivit sans hésiter, son allégeance inébranlable et sa dévotion totale. Cependant, les chemins du destin sont souvent sinueux. Sur Terre, les deux compagnons durent se séparer pour accomplir des missions différentes. C’est alors que Visz fit la connaissance d’Okimi, une femme mystérieuse dont la présence le captivait.
Quand Okimi rencontra son futur compagnon, Visz comprit que son rôle auprès d’elle touchait à sa fin. Il décida alors de s'effacer, laissant à cet homme la tâche de protéger celle qu'il avait tant admirée de loin. Ressentant le besoin de solitude et d’un environnement où il pourrait vivre en paix, Visz s’installa en Arizona, attiré par le climat désertique qui rappelait certains aspects de ses origines draconiques.
Il ne sait pas ce qui est arrivé à Okimi. Visz ignore tout des épreuves qu’elle a traversées après leur séparation. Il ne connaît ni les luttes ni les dangers auxquels elle a dû faire face. Il vit dans l'ignorance. Malgré tout, il espère secrètement qu'elle est en sécurité, quelque part, même si cette pensée ne suffit pas à apaiser son esprit.
En Arizona, Visz mène une vie tranquille, entre contemplation et apprentissage, se fondant parmi les hommes sans jamais dissimuler entièrement sa nature exceptionnelle. Il est un être de mystère, souvent perçu comme une énigme par ceux qui croisent son chemin. Pourtant, il reste accessible, prêt à partager un peu de son savoir à ceux qui en sont dignes. Visz sait que ce calme n’est que temporaire, une pause dans le grand jeu du destin. Il attend patiemment, toujours prêt, car il sait qu'un jour viendra où Obsidienne, sa compagne de toujours, l’appellera de nouveau à ses côtés pour combattre de nouvelles menaces. Jusqu'à ce jour, il veille et attend, comme un dragon endormi sous les étoiles désertiques, la puissance toujours prête à éclater lorsque le moment viendra.