Posté le 20 octobre
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Cela faisait quatre ans maintenant qu’elle était d’astreinte. Alors certes, on ne l’avait pas éjecté du cercle comme elle s’y était attendue, mais elle désespérait de connaître la vie au-delà du village. Quelques membres d’astreinte assuraient un renouvellement des ressources, et l’élite du coven allait et venait à sa guise en emportant dans leur délégation élitiste tel ou tel confrère, et parfois quelques initiés prometteurs. Elle n’avait jamais vu ce qu’il y avait au-delà du désert qui encerclait le village, et peu importait ce qui s’y trouvait, elle commençait à préférer une vie sauvage dans les terres sableuses que continuer à vivre cloîtrée ! Ce n’était pas une vie ! Nettoyer après les rituels c’était un enfer ! L’odeur du sang oxygéné, de la chaire qui tourne et tous ses os… il n’y a rien à apprendre d’un rituel terminé ! Si au moins elle pouvait les mettre en place. Mais non, on l’avait l’initié pour la forme, mais personne n’avait prit en charge son inclusion, alors elle flottait là, comme une plante verte que l’on hésite à arroser ou à laisser crever.

C’était décidé, elle allait à la rencontre de sa nouvelle vie. Dans son sac elle avait pris quelques affaires, mais rien de trop lourd parce qu’il lui fallait avant tout de l’eau. Elle ne savait pas combien de temps ça lui prendrait d’atteindre un autre lieu, mais elle y arriverait. Il lui sembla que trois bouteilles c’était raisonnable. Elle jugeait boire peu au quotidien, mais ne prenait pas en compte la fraîcheur des murs de terre qui la protégeaient, les systèmes de ventilations naturels, et l’effort malgré tout assez moindre qu’elle fournissait chaque jour. En plus de l’eau, elle avait quelques babioles chipées à droite à gauche qu’elle espérait vendre, et surtout elle avait de quoi tirer les cartes. Même ici on trouvait des clients pour ces choses-là, et elle était si douée que certains étaient dépendant de ses prédictions et réclamaient des tirages dès le saut du lit afin de connaître l’issue de leur journée.

Il faisait nuit, et elle avait déjà quelques minutes qu’elle marchait. Le village était encore bien visible derrière elle, lorsqu’elle commença à entendre des pas derrière elle. Ça y est, on l’avait repéré ! On la poursuivait ! Elle fit encore quelques pas, ralentie par la raideur de l’angoisse qui lui coupait les jambes… puis se mit à courir de toutes ses forces. Dans son dos, elle discernait qu’on criait et qu’on accélérait également. Non. Son épopée ne pouvait pas s’arrêter là ! Elle entendait qu’ils n’étaient pas nombreux, l’alerte n’avait pas été donné, on avait dû juste la reconnaître et se questionner, et ce n’est qu’au bout d’un moment, après avoir vu clair dans ses intentions qu’on s’était décidé à l’arrêter. C’était juste un coup de pas de bol. C’est vrai qu’elle n’avait jamais eu beaucoup de chance. Le sol était sec, couvert de poussière, de cailloux, d’herbes sèches qui lui griffaient les mollets lorsqu’elle passait en courant, elle ne voyait pas très clair, mais ça signifiait qu’on ne la distinguait pas bien non plus également. En rejoignant les roches, elle pourrait se cacher ! Alors, à s’en décoller les poumons, le sac lui martelant douloureusement le dos, elle courut jusqu’aux dénivelés rocheux. Elle glissa sur une pente, s’éraflant les cuisses et les paumes des mains, retira son sac pour le jeter dans un creux, et rampa précipitamment pour se glisser sous une énorme roche. Elle avait senti les toiles d’araignée se déchirer au passage de ses bras, et se prendre dans ses cheveux, mais elle était trop paniquée pour s’en inquiéter. Son cœur lui tambourinait les oreilles, elle n’entendait rien. Il battait si fort qu’elle avait peur que les vibrations décèlent la roche au-dessus d’elle et qu’elle ne lui tombe dessus ! Au moins, elle ne mourrait pas là-bas ! Tout plutôt que d’y retourner.
Lorsqu’une main lui attrapa la cheville, elle hurla. Ses doigts tentèrent de s’enfoncer dans le sol, mais il était si sec qu’elle ne réussit qu’à se casser des ongles. On l’extirpait de sa cachette, son ventre était râpé par la caillasse. Pour se défendre, elle mit des coups de pieds dans le vide, repoussant des bras qui, c’est certain, auraient le dessus si ils réussissaient à la saisir. Mais après plusieurs secondes à se débattre dans le vide, elle cessa de crier pour observer.
Il n’y avait qu’Ignacio, planté là devant elle avec un air inquiet. Il avait treize ans, mais il était déjà presque plus grand qu’elle. Cependant on aurait dit qu’on l’avait juste étiré, comme un élastique, il n’avait pas du tout pris en largeur et avait juste l’air d’un enfant très grand. C’était donc lui qui la poursuivait ? Elle se redressa, et mugit comme un animal, de colère, et de honte aussi.

-Qu’est-ce que tu fais là ?! Je ne rentrerais pas ! Alors casse toi !

Elle frotta ses vêtements, le bouscula d’un coup d’épaule et alla récupérer son sac. Il ne manquait plus que lui ! Cela faisait un moment qu’elle ne l’avait plus vu. Personne n’avait vraiment de ses nouvelles, à peine si on l’apercevait lorsqu’il rejoignait la salle principale. Il mangeait dans sa chambre et se reposait tout le temps. En tant que médium, il était très sollicité, cela l’affaiblissait, et on le tenait isolé pour ne pas aggraver son état. C’était étonnant qu’il ait réussi à la rattraper, et encore plus à passer la vigilance de ses gardiens. Quoi que… il avait toujours su passer sous les radars. En tout cas, si quelqu’un devait la convaincre de rentrer, ça ne serait certainement pas lui ! Ana Sofia sortait son sac du trou poussiéreux où elle l’avait balancé, le tapa énergiquement pour en retirer les saletés, et s’apprêtait à lui aboyer à nouveau dessus lorsqu’il la devança :

-Je viens avec toi.

Déroutée, Ana observa ce jeune ado qui s’exprimait avec une détermination et un aplomb millénaire. Contrariée, mais malgré tout soulagée de ne finalement pas partir à l’aventure seule, elle tourna les talons en râlant dans sa barbe. Bon… là, c’était certain, elle n’avait pas pris assez d’eau.

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