L'Institut des politiques publiques (IPP) analyse les erreurs de prévisions de l'administration concernant le rendement de l'impôt sur les sociétés. Des pistes d'amélioration existent.
Les recettes de l'impôt sur les sociétés en 2024 devraient être inférieures de 14,5 milliards d'euros aux prévisions initiales.
Comment la Direction du Trésor a-t-elle pu à ce point surestimer les recettes fiscales ? Sur l'année 2024, le manque à gagner par rapport aux prévisions initiales dépasse 40 milliards d'euros. La question est au coeur des auditions parlementaires de plusieurs responsables de l'ex-gouvernement (Bruno Le Maire, Thomas Cazenave, Gabriel Attal et Elisabeth Borne), sommés de s'expliquer sur la dégradation spectaculaire des comptes publics.
Un article, publié vendredi sur le site de l'IPP (Institut des politiques publiques), permet d'y voir plus clair sur un point essentiel : le très mauvais chiffrage des recettes d'impôt sur les sociétés (IS).
L'économiste Laurent Bach s'est penché sur cet impôt particulier, acquitté par toutes les entreprises qui réalisent un bénéfice sur le territoire français, car il est le noeud du problème. Un tiers de l'erreur de prévision en 2024 est lié au seul IS, alors qu'il ne représente qu'environ 5 % des recettes. En analysant les prévisions de Bercy sur les vingt dernières années, le chercheur arrive à une double conclusion : les erreurs sur l'IS sont très fréquentes et bien plus importantes que pour n'importe quel autre impôt.
En moyenne, depuis 2005, le ministère revoit ses prévisions d'IS à la baisse de 9 % chaque automne. Est-ce à dire que le gouvernement est volontairement trop optimiste lors de l'élaboration du budget ? « Non, écrit Laurent Bach, car sur cette même période, les recettes d'IS ont été supérieures aux prévisions plus d'une année sur trois » - et souvent avec des écarts tout aussi importants. Bref, Bercy se trompe systématiquement. Et « c'est plutôt la qualité que la malice des prévisions d'IS qu'il faut essayer de comprendre », estime l'économiste.
La première explication est que l'IS est ponctionné sur le bénéfice fiscal des entreprises, qui surréagit aux mouvements de l'économie. Quand la croissance ralentit, les comptes des entreprises sont davantage affectés que l'activité économique dans son ensemble. Les recettes d'IS sont ainsi mécaniquement diminuées plus brutalement que la simple évolution du PIB.
Mais ce n'est pas tout. Laurent Bach relève que l'IS est versé selon un système d'acomptes, sur lequel les entreprises peuvent jouer pour amortir leurs difficultés financières. « Lorsque ça va mal, l'entreprise va, de sa propre initiative, limiter ses acomptes, soit en anticipant une baisse de déficit fiscal, soit en espérant qu'elle ira mieux lorsqu'il s'agira de solder l'impôt dû ».
Ces jeux de trésorerie ne sont pas anecdotiques. En 2024, les moindres bénéfices des entreprises auraient dû se traduire par une chute des recettes d'IS de 8,8 milliards d'euros. Or, le trou dans la caisse atteint en réalité 14,5 milliards. « Cette grosse erreur résiduelle s'explique très probablement par une évolution du comportement de paiement de l'IS », explique Laurent Bach.
Bercy est-il condamné à faire des prédictions au doigt mouillé, contredites par le comportement des entreprises redevables au risque de faire déraper les comptes publics ? Heureusement non. D'une part, l'Etat pourrait restreindre ce « partage du risque financier » que constituent les latitudes de paiement d'IS. C'est d'ailleurs déjà le cas : depuis 2005, il exige, par exemple, des plus grandes entreprises un « cinquième acompte », en fonction de l'augmentation prévisionnelle du résultat de l'année en cours. Laurent Bach estime que l'Etat pourrait utilement cibler les entreprises qui n'ont pas de difficultés de trésorerie afin d'exiger un paiement plus instantané de l'IS.
Et concernant le strict exercice de prévision, de nombreuses sources d'information (les relevés mensuels de TVA, ou ceux de la future facturation électronique) actuellement inutilisées par Bercy pour estimer les résultats à venir des entreprises pourraient être mobilisées. De même, de nombreuses entreprises cotées en Bourse fournissent déjà des informations précises sur leurs résultats et flux de trésorerie.
Pourraient-elles le faire avec Bercy, sur le seul périmètre français, et avant la toute fin d'année ? « Cela ne semble pas insurmontable », euphémise Laurent Bach - qui note par exemple que TotalEnergies avait communiqué en septembre 2022 sur son seul bénéfice fiscal français attendu pour l'année… « Des améliorations du système de prévision actuel sont donc envisageables, conclut l'économiste. C'est peut-être l'occasion de s'en saisir ».