ENTRETIEN.« La liquidation du Brest Armorique, une plaie ouverte »: que deviens-tu Maurice Bouquet ?
Il a été le capitaine emblématique du Brest Armorique à la fin des années 1980. Maurice Bouquet (61 ans) raconte ses riches souvenirs finistériens. Avec émotion et nostalgie. Entretien.
Ouest-France
Recueilli parYannick LE COQUIL.
Les nostalgiques du Brest Armorique ne peuvent pas l’avoir oublié. Il a fièrement porté le brassard brestois, entre 1985 et 1991. « Momo » Bouquet, le mythique milieu de terrain et « Cap’tain Ti-Zef », jette un œil dans le rétroviseur pour nous.
Maurice Bouquet, que devenez-vous ?
J’ai été entraîneur et directeur technique du Blois Foot 41 (N2). Ensuite je suis parti trois ans à Chartres pour mettre en place une politique de jeunes, mais qui ne correspondait pas à ce que j’attendais. Je suis donc revenu sur Blois et, comme j’étais libre, mon président m’a proposé de venir à ses côtés en tant que conseiller. Afin de continuer à œuvrer pour faire fonctionner au mieux notre club. Aujourd’hui, j’occupe aussi une place au conseil d’administration.
En 1985, à vos 22 ans, comment s’était décidée votre arrivée à Brest ?
Je jouais au Puy-en-Velay et, en 1984, je suis parti à Vannes, au Véloce, qui était alors en D3. J’y ai fait six mois, et le président François Yvinec est venu me chercher. Il est malheureusement décédé (en novembre 2021, à 89 ans). C’est un personnage qui a énormément compté dans ma carrière.
En jetant un coup d’œil dans le rétroviseur, quel regard portez-vous sur vos années finistériennes au Brest Armorique (225 matches de D1 - 15 buts - de 1985 à 1991) ?
Déjà, c’est le club qui m’a permis de faire une carrière, d’éclore dans le milieu professionnel. Ce n’est pas donné à tout le monde et ça reste marqué à vie. On en garde automatiquement un très grand souvenir. Mon premier match c’était à Lens. Le coach, c’était Robert Dewilder et on n’oublie jamais le premier entraîneur qui vous donne votre chance.
Si vous deviez ressortir un souvenir en particulier…
C’est peut-être un match contre Montpellier, à Le Blé. On avait gagné 4-0 (en septembre 1987). J’avais marqué deux buts, ce qui ne se produisait pas très souvent… (rire). En plus c’étaient deux très beaux buts, contre une défense où évoluait notamment Jùlio César, qui avait lui aussi joué au Brest Armorique (en 1986-1987, avant de rejoindre Montpellier puis la Juventus en 1990).
Un stade Le Blé avec un public connaisseur et amateur de foot…
Oui, absolument. De toute manière, ma carrière s’est faite à travers le public. Les Brestois m’ont accepté parce que j’avais des valeurs footballistiques qui correspondaient à la mentalité bretonne. Tout au long de mon passage à Brest, ça a été une communion entre eux et moi. J’ai toujours eu leur soutien et, au fil des années, j’ai vraiment eu l’impression d’être devenu un Breton.
Aussi parce que vous mouilliez le maillot à chaque match…
Je compensais certaines qualités que je n’avais sans doute pas par cette envie qui me donnait un enthousiasme, une volonté sur le terrain. Être tout le temps un gagneur, ne jamais rien lâcher… C’est une période où cela fonctionnait très bien à Brest, parce qu’on était dans les vraies valeurs du foot. On se surpassait, on se remettait en question à chaque match.
Vous paraissiez aussi être un vrai relais dans le vestiaire pour vos entraîneurs auprès de vos coéquipiers. Un rôle qui vous tenait particulièrement à cœur ?
Disons que de par mon attitude sur le terrain j’avais acquis une identité de leader. Tout naturellement, les coaches que j’ai connus m’ont confié le brassard. Comme j’ai eu la chance d’avoir des entraîneurs avec lesquels ça s’est toujours bien passé, j’ai en effet été ce relais-là. Je donnais le maximum pour que le collectif reste la priorité de l’équipe. Je voulais être un meneur, un référent dans le vestiaire. Ça a toujours marqué ma carrière.
Justement, quels sont les coaches qui vous ont le plus marqué dans votre carrière pro ?
Comme je l’ai dit, Robert Dewilder. J’ai aussi eu Raymond Kéruzoré. Une figure bretonne, un meneur qui avait marqué son époque et qui aimait le beau jeu. Ça a été quelque chose de magnifique de travailler avec lui. En fait, ils ont tous compté pour moi parce que je n’ai pas eu de souci avec eux. On a toujours eu des relations saines, qui représentaient les valeurs du football. J’ai aussi, bien entendu, eu Bernard Maligorne, qui était un merveilleux formateur. Après j’ai également eu la chance d’être dirigé par Slavo Muslin, avec qui j’avais joué auparavant. Donc la relation était encore plus fusionnelle.
Et quant à vos partenaires ?
On a toujours des joueurs avec lesquels on crée un relation, une amitié. À Brest, ça été bien souvent Vincent Guérin avec lequel j’ai beaucoup joué car on est de la même génération. Il y a aussi un partenaire qui a beaucoup compté dans mon éclosion, c’était Vladimir Petrović. Je l’ai beaucoup écouté et il m’a beaucoup appris. Ses nombreux conseils m’ont fait énormément progressé. Je me souviens qu’on l’appelait « Pigeon ». C’était son surnom, mais je n’ai jamais trop su pourquoi… Je pense aussi à Gérard Bernardet, Henri Zambelli, « Bobosse » (Jean-Pierre Bosser), Paul Le Guen, et évidemment Roberto Canañas. Mais il y en a beaucoup d’autres…
En 1991, avec la liquidation judiciaire du Brest Armorique, votre aventure finistérienne prend fin. Finie la page Rouge et Blanc, celle des Verts va s’ouvrir pour deux ans…
J’ai découvert un club d’une autre dimension, avec un côté moins « amateur », des structures plus professionnelles. Et, comme François Yvinec à Brest, à nouveau un grand président, André Laurent. J’ai eu des relations humaines très fortes avec eux. Et à Saint-Étienne, j’ai eu la chance de jouer avec des Joseph-Antoine Bell, Lubomir Moravcik, Sylvain Kastendeuch ou encore Gérald Passi, qui est devenu un très grand ami.
Même si vous découvriez alors un « autre monde », on imagine que quitter Brest dans de telles conditions avait été un vrai déchirement ?
Totalement. Sans cela, j’aurais fait ma carrière entière à Brest puisque le président m’avait proposé de signer un très long contrat pour prendre le centre de formation après. Finir comme ça, ça a été très compliqué, même un peu dramatique, et cela a marqué notre carrière à tous. Même si on a retrouvé un club derrière, c’est quand même une plaie qui est longtemps restée ouverte.
Vous continuez à suivre de près le parcours du Stade Brestois, et notamment ses remarquables résultats (4 victoires, 1 nul et 1 défaite) en Ligue des champions ?
C’est le club que je suis tous les week-ends. On ne peut pas y avoir passé autant d’années sans être profondément marqué. J’ai vécu l’aventure de l’année dernière. Ce qui me dérangeait un peu, c’est que l’on remettait en cause le fait qu’ils se qualifient en Ligue des champions, alors qu’ils l’avaient totalement mérité. Ce sont eux qui l’ont fait, qui ont eu les résultats pour. Certains ont voulu minimiser cela. Aujourd’hui je suis très heureux de ce qu’ils réalisent en Ligue des champions. Dans le football, il n’y a pas que la valeur argent qui compte, il y a aussi la valeur collective, l’envie de faire des efforts les uns pour les autres, la sueur. À Brest, je vois des joueurs qui progressent individuellement, mais pour un collectif. Selon moi, ils représentent ces valeurs qui se perdent, et ils sont peut-être en train de les remettre au goût du jour. Je suis persuadé que c’est comme ça que le football pourra enfin rallumer des étoiles dans les yeux des enfants.
Et mardi soir dernier, il y a eu cette nouvelle victoire de prestige face au PSV Eindhoven (1-0)…
Ce soir-là, j’ai ressenti une très grande fierté d’avoir porté ce maillot rouge et blanc à une époque. Encore une fois, personne ne croyait aux chances de Brest en Ligue des champions. Ils viennent de gagner leur quatrième match, avant les deux gros morceaux qui arrivent (à Gelsenkirchen en Allemagne contre le Shakhtar Donetsk le 22 janvier, et à Guingamp face au Real Madrid le 29 janvier). C’est fantastique ! Ils font honneur au football français et affichent des valeurs insoupçonnées. Je suis très heureux pour le club et surtout pour son fabuleux public qui, à chaque rencontre de Ligue des champions, a montré qu’il est derrière son club. Bravo à eux.