Posté le 24 janvier
Télécharger | Reposter | Largeur fixe

Les entreprises ont tendance à accorder des avantages aux salariés parents. De quoi agacer certains de leurs collègues sans enfant, qui le vivent parfois comme une injustice.

Une partie des salariés sans enfants en ont assez de se voir imposer des vacances hors période scolaire

« Elle prend août uniquement pour m'emm***der ». Mathilde*, 35 ans, a reçu un jour par erreur ce sms d'un collègue alors qu'elle venait de poser des jours pour faire un voyage en Islande avec sa soeur. Dès le début, ces vacances, « c'était source de tensions », se souvient la salariée du secteur médical. Elle, qui n'a pas d'enfants, s'interroge - et s'agace - des largesses dont bénéficient ses collègues parents.

Ce mécontentement est désormais porté à voix haute par une partie des salariés sans enfants qui en ont marre de se voir imposer des vacances hors période scolaire, d'avoir moins de places passagers assurées dans leur voiture de fonction ou encore de voir leurs collègues parents obtenir des congés supplémentaires et dans certaines entreprises plus de jours de télétravail. Après tout, « ils ont choisi d'avoir un enfant », souligne Léa. Sous-entendu : assumez les conséquences.

Selon un sondage lancé par Les Echos Start sur sa page LinkedIn (non représentatif de la population française), près d'un tiers des 523 votants estime que les avantages dont bénéficient les salariés parents sont injustes. « Aujourd'hui être maman suffit à justifier de prendre son mercredi après-midi ou de partir plus tôt, quand les autres doivent fournir une raison », témoigne Mathilde, qui travaille désormais en tant qu'indépendante. Dans son ancienne entreprise, c'étaient aussi les salariés sans enfants qui se voyaient refuser leurs vacances si tout le service décidait de les prendre en même temps.

Des jours de baby-sitters en cas de grève

D'après l'Insee, 73 % des mères françaises qui ont des enfants de plus de 3 ans, et la quasi-totalité des pères, travaillent. Alors, les entreprises multiplient les mesures pour faciliter l'équilibre avec leur vie de famille. Elles recourent par exemple au label ParentsAtWork qui certifie les dispositifs en faveur des parents ou se dotent d'une charte de la parentalité en entreprise pour instaurer des bonnes pratiques et/ou se fixer des objectifs.

L'entreprise de conseil Extreme Agency a adopté son « Family Act » fin 2023. Les salariés parents bénéficient désormais de deux semaines de congés supplémentaires, une aide pour financer trois jours de baby-sitting en cas de grève des transports ou encore des places en crèches réservées et en partie payées par l'entreprise (la famille aura à sa charge la part famille identique à celle d'une crèche municipale basée sur ses revenus).

« Si on ne s'occupe pas de ces sujets de qualité de vie au travail, les entreprises seront empêchées de travailler, car on n'aura plus d'employés », insiste Jean Valentin, CEO d'Extreme Agency, qui a vu le sujet monter depuis la pandémie de Covid-19. 59 % des parents disent d'ailleurs réussir à mieux poser leurs limites au travail depuis les confinements, souligne l'étude Travail & parentalité publiée par le cabinet de conseil The Boson Project en 2023. Et les entreprises s'adaptent : 34 % des hommes, et 30 % des femmes ont des horaires de travail plus flexibles depuis qu'ils sont devenus parents, note l'étude.

Un risque de faire fuir les salariés sans enfants

Avec ces mesures pro-parents, les entreprises ne risquent-elles pas à l'inverse de faire fuir les salariés sans enfants ? « C'est un sujet délicat, je peux entendre que certains ressentent un déséquilibre », admet Pénélope Cadoret, DRH chez le fournisseur d'énergies vertes Ilek qui s'est longuement interrogé avant de mettre en place une salle d'allaitement, des horaires flexibles, des congés supplémentaires, etc. Les entreprises tâtonnent sur le sujet. « Il faut être empirique et corriger. Si on ne prend pas garde, on sera excluant », souligne Jean Valentin. Dans leur Family Act, ils ont d'ailleurs introduit un « jour de fragilité, sans raison à donner », ou encore une bourse aux RTT, où chaque employé peut offrir un jour aux parents mais aussi aux salariés aidants.

Mais pour beaucoup, il n'est pas anormal que les parents soient davantage aidés du fait du déséquilibre introduit dans leur vie. « Ces mesures, ce sont plutôt un rattrapage qu'un avantage », estime Marie Pellerin, cofondatrice de la plateforme d'emplois Parents on Board, elle-même mère de trois enfants. « Ces mesures sont justes, car ce n'est ni un luxe, ni un choix de devoir s'absenter quand son enfant est malade », abonde Sophie*, salariée dans un cabinet de conseil, qui attend son premier enfant. Et d'ajouter : « Si je n'avais pas été en télétravail pendant une partie de ma grossesse, j'aurais dû être arrêtée, et ça aurait été pire pour l'entreprise. »

Et c'est ce déséquilibre qui rend légales les mesures différenciantes. « Le fait d'avoir un enfant peut en effet être considéré comme un élément objectif permettant de traiter différemment les salariés », estime l'avocat Xavier Berjot.

« Permettre aux parents de partir plus tôt va banaliser ce comportement, et bénéficier à tous les salariés, anticipe Marie Pellerin. C'est un cercle vertueux. » C'est aussi un signal qu'envoie l'entreprise à tous ses salariés, peut-être futurs parents. Mais seront-ils à l'avenir aussi nombreux qu'auparavant, alors que le mouvement « child free » (en français : sans enfants) gagne la France ? En 2022, 18 % des Françaises de plus de 15 ans comptent avoir des enfants, contre 28 % en 2006, selon un sondage Ifop.

*Les prénoms ont été modifiés.

[Cet article a initialement été publié sur le site des Echos START le 16 janvier 2024.]

x
Éditer le texte

Merci d'entrer le mot de passe que vous avez indiqué à la création du texte.

x
Télécharger le texte

Merci de choisir le format du fichier à télécharger.