Le ministre de l’Économie a déclaré le 17 janvier que les entreprises devraient à l’avenir «accepter d’être moins rentables» pour financer leur transition écologique. Une phrase qui restera dans les annales de la pensée ubuesque et technocratique française, ironise l’essayiste Jean-Paul Oury.
Jean-Paul Oury est docteur en histoire des sciences et technologies, consultant et essayiste. Dernier ouvrage paru De Gaïa à l’IA, pour une science libérée de l’écologisme
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« Les entreprises devront accepter d’être moins rentables »
. Cette déclaration du ministre de l’Économie et des Finances Éric Lombard sur le plateau de BFM TV le 17 janvier dernier devrait sans doute le propulser à tout jamais dans les annales de la pensée ubuesque et technocratique française. Elle s’inscrit dans la logique d’une philosophie décroissante et n’est pas sans rappeler l’esprit éhonté des « dévendeurs » de l’ADEME, cette campagne de publicité dans laquelle on voyait des « commerçants » empêcher des clients potentiels de consommer, au prétexte qu’il s’agissait d’un acte inutile et nuisible à la planète. Le plus absurde étant de se dire que l’État utilise les impôts des Français et en particulier ceux des créateurs de richesse que sont les commerçants pour faire passer un message contre la société de consommation.
Nos dirigeants empreints de technocratie et vivants dans leur bulle se sont laissés totalement influencer par la collapsologie, cette science auto-proclamée qui picore les informations les plus catastrophistes et qu’elle relie à la civilisation des Lumières, pour montrer que celle-ci va s’effondrer. Ce mouvement qui s’enracinait dans le malthusianisme puis a refait surface dans les années 1970 avec le club de Rome et les prédictions de Paul Ehrlich était jusqu’à présent resté dans la théorie ; il semble bien que nos politiciens soient déterminés à le faire advenir en pratique. De la collapsologie à la «collapsocratie», il n’y a qu’un pas, et nos technocrates orchestrent la décroissance de la société à coup de «dévendeurs» et d’entreprises dont l’objectif est d’être moins rentables. Comment expliquer aux Français que tout cela a des conséquences sur leur niveau de vie ?
Puisque pour Éric Lombard, il ne fait aucun doute que les entreprises vont devoir accepter de décroître, il semble évident que les salariés de ces entreprises vont devoir accepter de gagner moins. Avant de brusquer le marché du travail et de provoquer le retour des «gilets jaunes», il serait intelligent d’effectuer un test avec des salariés uniquement volontaires. Pourquoi ne pas lancer le RDA ou « revenu de décroissance assumée » qui donnerait la possibilité pour tous ceux qui croient fermement en la nécessité d’une décroissance de voir chaque mois leur salaire décroître ? Le ministre de l’Économie pourrait montrer l’exemple aux Français : on l’imagine tenant un point presse pour exhiber sa feuille de salaire décroissante aux journalistes.
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Il semble difficile d’organiser la décroissance, même avec des volontaires, car on observe toujours un effet rebond
Ce système pourrait être ensuite déployé sur tous les volontaires. De nombreuses célébrités politiques - c’est certain - s’en empareraient pour montrer qu’elles sont cohérentes : de Jean-Luc Mélenchon à Marine Tondelier en passant par Sandrine Rousseau toutes opteraient volontiers pour des revenus qui rapetissent. Ce système pourrait s’étendre ensuite aux fonctionnaires puis aux patrons et aux salariés des entreprises qui le souhaitent.
Tout se déroulerait parfaitement jusqu’à ce qu’un salarié contrariant pose la question ingénue : « mais où passe le solde non versé ? » Reste-t-il dans les poches de l’entreprise, faisant du RDA un moyen déguisé d’accroître les profits de l’actionnariat qui pourrait se le verser sous forme de dividendes ? Cette idée est intolérable à l’esprit de gauche. Imaginons alors que le décroissant volontaire choisisse de reverser la somme à une œuvre de charité. Cette solution qui semble plus en phase avec la justice sociale est toutefois une aberration du point de vue de l’idéologie verte car elle consiste à transférer la responsabilité de l’empreinte écologique aux plus pauvres. La meilleure solution consisterait à reverser l’argent dans le financement d’un plan de décarbonation. Mais, là encore, c’est au risque de créer de l’activité via des techno-solutions. Comme on le constate, il semble difficile d’organiser la décroissance, même avec des volontaires, car on observe toujours un effet rebond.
De telles expériences de pensée prouvent l’absurdité de « l’idée d’entreprises moins rentables » surtout quand on sait que la France a accumulé plus de 3.000 milliards d’euros de dette et qu’il est plus que jamais urgent de renouer avec la croissance. Mais, pour cela, encore faut-il avoir un ministre qui pense par lui-même et n’est pas sous la coupe de l’écologisme radical. On sait que ce dernier a tétanisé les techno-prophètes avec sa formule « il n’est pas possible d’avoir une croissance infinie dans un monde fini », un problème toujours présenté de manière caricaturale qui évoque spontanément l’image d’un patron avec un cigare dans sa limousine.
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Le rôle du décideur n’est-il pas plutôt de tout faire pour encourager les ingénieurs à trouver des solutions pour bien exploiter les ressources existantes ?
Or, la croissance représente par exemple la possibilité pour une famille africaine de passer du charbon de bois à l’électricité issue d’un petit barrage hydraulique. Ou la commodité de disposer de l’eau courante pour une population. Cela peut même être l’opportunité pour une nation de disposer d’une énergie décarbonée, abondante et bon marché avec le plan Boiteux-Messmer, etc. Bref, de maîtriser un savoir-faire technologique qui améliore la situation d’un individu ou d’un groupe en les extirpant d’une mauvaise passe et les aidant à mieux s’adapter.
L’idée selon laquelle il faut décroître a toutefois la vie dure, car cela semble tomber sous le sens que viendra un moment où les ressources deviendront trop difficiles d’accès ou trop coûteuses à exploiter. Pourtant, cette limite recouvre plusieurs incertitudes. D’une part, elle suppose une connaissance exacte des ressources et, d’autre part, que l’imagination humaine qui est a priori infinie soit un jour bridée. Or ces deux variables sont inconnues car rien ne nous dit que ces limites existent, ni quand nous les toucherions ; de fait cela ne peut pas servir d’argument pour limiter a priori la croissance. On ignorait tout des réserves de gaz de schiste avant d’avoir inventé la technologie pour l’extraire.
Tous ces arguments, comme on le voit, sont très théoriques. Aussi est-ce bien au politique d’encourager la décroissance, lui qui se trouve dans l’action ? Le rôle du décideur n’est-il pas de tout faire pour encourager les ingénieurs à trouver des solutions pour bien exploiter les ressources existantes ou explorer afin d’en trouver de nouvelles, de même qu’il doit aménager un cadre positif pour inciter les entreprises à créer de la croissance, de la richesse et de l’emploi… après, libre à lui de se verser un RDA s’il le souhaite ! On peut parier que les Français, de plus en plus afueristes, sauront comment utiliser la part décroissante soustraite sur les revenus de monsieur Lombard.