Dans les légendes oubliées et les murmures échappés des cryptes silencieuses, un nom revient toujours, porté par les âmes errantes et les vents chargés de cendres : Vaën Solmaras.
Personne ne se souvient du jour exact où il est né. Il n’existe aucun registre, aucun arbre généalogique qui pourrait l’inscrire dans la lignée d’un peuple ou d’un royaume. Comme s’il était déjà un fantôme avant même d’avoir vécu.
Pourtant, il fut un enfant. Un fils prodige, né au sein d’une lignée ancienne, où la magie était un héritage et la connaissance un fardeau. Dès son plus jeune âge, il avait cette lueur dans les yeux, ce regard qui perce les illusions et défie l’ordre établi. Ses maîtres, fiers d’avoir sous leur tutelle un esprit si affûté, lui enseignèrent tout ce qu’ils savaient. Mais ce ne fut jamais assez.
Vaën voulait comprendre l’indicible.
Là où les autres mages glorifiaient la lumière, il traçait des runes dans l’ombre. Là où l’on louait la pureté de l’âme, il écoutait les secrets murmurés par les morts. Non pas par ambition, mais par nécessité. Car la mort lui semblait une anomalie, une énigme laissée irrésolue par des dieux capricieux. Pourquoi devait-elle être une fin, quand tout dans l’univers obéissait au cycle de la transformation ?
Alors il commit l’irréparable.
Un soir d’équinoxe, dans une chambre aux murs recouverts de glyphes oubliés, Vaën se livra à un rituel que nul avant lui n’avait osé accomplir. Il ramena un homme à la vie. Pas un cadavre animé, ni une coquille vide guidée par un ordre simple, mais un être doué de conscience, de souvenirs, d’émotions. Un miracle. Une transgression absolue.
Mais il y avait une faille.
Au début, l’homme ramené d’entre les ombres semblait parfait. Il parlait, respirait, riait même, avec cette même étincelle d’humanité que dans son existence précédente. Pourtant, au fond de ses yeux, quelque chose n’allait pas. Une fissure, minuscule et insidieuse, s’élargissait. Une nuit, il hurla. Un cri inhumain, déchirant, comme si son âme se brisait en mille éclats. Puis il devint autre chose. Une abomination. Une coquille vide, rongée par un mal invisible, qui massacra tout sur son passage avant de s’effondrer en poussière.
Le châtiment fut immédiat.
Accusé d’hérésie, de profanation et de trahison contre les lois naturelles, Vaën fut traqué par ses propres maîtres, ceux-là mêmes qui l’avaient autrefois acclamé. Il ne chercha pas à se défendre. Que pouvait-il dire, après ce qu’il avait vu ?
Les flammes purificatrices léchèrent sa peau. Les chaînes en argent s’enfoncèrent dans sa chair. On le jeta dans un gouffre, scellé par des malédictions, pensant ainsi l’effacer de l’histoire.
Mais on ne peut pas tuer quelqu’un que la mort elle-même refuse.
Quand il revint, il n’était plus un homme, mais une ombre.
Il avait brisé ses chaînes. Il avait traversé l’obscurité, arpenté les frontières du néant, et était revenu chargé d’un savoir qui échappait même aux dieux. Son regard n’était plus celui d’un simple mortel. Ceux qui croisèrent sa route plus tard dirent que ses yeux portaient la trace de ce qu’il avait vu de l’autre côté.
Désormais, il n’appartient plus à aucun ordre, à aucun coven.
Vaën marche seul. Il se tient au seuil des mondes, entre la vie et la mort, là où les âmes vacillent avant de sombrer. On ne le trouve pas, c’est lui qui décide de se montrer. Il n’a pas de temple, mais les tombeaux lui servent de sanctuaire. Il n’a pas d’alliés, seulement des spectres qui chuchotent à son oreille.
Son pouvoir est devenu un murmure dans les hautes sphères du savoir interdit. Il peut relever un mort et lui rendre son apparence, son intelligence, ses souvenirs. Il peut faire renaître un être aimé, rendre un fils à sa mère, un amant à sa bien-aimée.
Mais ce n’est qu’un simulacre.
La mort a toujours un prix, et il est souvent plus terrible que l’oubli.
Les hommes le cherchent, dans l’espoir d’obtenir une armée immortelle. Les désespérés l’implorent, rêvant de retrouver ceux qu’ils ont perdus. Certains trouvent son chemin. Peu en ressortent indemnes.
Vaën ne promet rien. Il ne donne ni bénédiction, ni malédiction. Il se contente de montrer ce qui se cache derrière le voile. Mais ceux qui osent regarder…
… ne voient jamais plus le monde de la même façon.