--- ADéLIE MOREAU --- La nuit où Adélie et Aloïs vinrent au monde, la lune disparut du ciel. Pas une étoile ne brilla pour annoncer leur naissance. Un orage gronda au loin, bien qu’aucune pluie ne tomba. Certains dirent que c’était un signe, un présage funeste annonçant l’arrivée d’êtres qui n’auraient jamais dû voir le jour. D’autres, plus avisés, savaient que leur venue était une conséquence, le résultat d’un pacte scellé bien avant leur naissance. Adélie vit le jour en premier. Mais dès qu’on la sortit du ventre maternel, elle hurla d’un cri si aigu qu’il en fit trembler les vitres. Elle hurlait non pas par douleur, mais par manque. Une partie d’elle n’était pas encore là. Ce n’est que lorsque son frère jumeau fut extrait à son tour qu’elle se calma, comme si un équilibre venait enfin d’être restauré. Lorsqu’on les posa côte à côte, leurs minuscules doigts se cherchèrent instinctivement. Ce fut à cet instant que leur mère comprit que rien ne pourrait jamais les séparer. Les Moreau appartenaient à une lignée de sorciers noirs, occultistes et praticiens de la magie interdite depuis des siècles. Leurs ancêtres avaient signé des pactes avec des forces inconnues, marchant toujours sur le fil du rasoir entre puissance et damnation. Mais aucun membre de la famille n’avait jamais vu de jumeaux naître sous son nom. Et aucun enfant Moreau n’avait jamais manifesté un lien aussi absolu avec un autre être. Dès leur plus jeune âge, Adélie et Aloïs étaient inséparables. Lorsqu’on les éloignait, ils hurlaient jusqu’à en perdre la voix, leurs corps rejetant la séparation comme une maladie. Ils partageaient bien plus qu’un lien fraternel : leurs esprits semblaient être deux moitiés d’une même âme. Lorsqu’Adélie se blessait, c’est Aloïs qui saignait. Lorsqu’il pleurait, ses larmes coulaient sur les joues de sa sœur. Lorsqu’ils dormaient, leurs rêves s’entremêlaient, créant un monde à part dans lequel ils n’étaient que deux, toujours seuls, toujours ensemble. Très tôt, Adélie développa une fascination pour la magie. Mais là où les autres enfants étaient guidés par la curiosité, elle, était mue par une faim dévorante. Elle voulait comprendre ce qui les liait, découvrir pourquoi leur existence semblait défier les lois naturelles. Était-ce un don ? Une malédiction ? Une simple anomalie ou le fruit d’un pacte ancestral ? Ses recherches la menèrent aux textes les plus obscurs, aux grimoires que même les sorciers les plus téméraires hésitaient à ouvrir. Elle y découvrit les secrets des malédictions, des pactes de sang et des âmes enchaînées. Elle apprit que certaines entités pouvaient lier deux vies pour l’éternité, les condamnant à ne jamais exister l’une sans l’autre. Et plus elle lisait, plus elle sentait qu’une force invisible tissait son destin et celui d’Aloïs, bien avant leur venue au monde. Adélie grandit en devenant une jeune femme d’une beauté troublante. Son regard, d’un bleu perçant, semblait voir à travers l’âme de ceux qui osaient le croiser. Son sourire était aussi doux qu’empoisonné, chaque mot qu’elle prononçait calculé avec une précision chirurgicale. Elle ne haussait jamais le ton. Elle n’en avait pas besoin. Son simple regard suffisait à glacer le sang. Elle ne s’intéressait pas aux autres. Les autres étaient des pions, des jouets qu’elle aimait briser puis reconstruire. Ce qui comptait, c’était Aloïs. Il était son centre de gravité, l’unique être pour lequel elle aurait tout sacrifié. Loin d’être une simple sorcière, Adélie était une artiste de la manipulation. Elle n’attaquait jamais de front, préférant infiltrer l’esprit de ses victimes, s’insinuer dans leurs pensées comme un venin lent et mortel. Elle aimait les jeux psychologiques, les confrontations feutrées où elle poussait ses adversaires à se détruire eux-mêmes. Et lorsque ses mots ne suffisaient pas, sa magie prenait le relais. Adélie excellait dans l’art des malédictions. Elle pouvait sceller un destin d’une simple incantation, condamner une âme à l’errance éternelle, ou plier une volonté à la sienne sans que sa victime ne s’en rende compte. Son sang était son arme la plus précieuse, utilisé pour signer des pactes occultes avec des forces dont les noms étaient depuis longtemps effacés de l’histoire. Mais derrière son calme inquiétant, derrière cette intelligence perverse et ce sourire énigmatique, une obsession grandissait en elle : percer le secret de leur lien. Était-ce une bénédiction ou une condamnation ? Et surtout, était-il possible de l’étendre… à l’éternité ? Adélie et Aloïs n’avaient que faire des querelles du Coven. Ils ne se battaient ni pour la reconnaissance des sorciers, ni pour la suprématie des créatures surnaturelles. Leur seule allégeance était envers eux-mêmes. Les autres membres du Coven les craignaient autant qu’ils les méprisaient. Mais aucun d’eux ne connaissait leur véritable but. Car Adélie et Aloïs avaient un plan. Un objectif bien plus ancien et bien plus grand que toutes les querelles qui agitaient le Coven. Adélie savait que leur existence même était une anomalie. Que leur lien était une clé. Et elle comptait bien en découvrir l’origine. Peu importait le prix à payer. Et si, au fond, ils n’étaient pas deux âmes liées… mais une seule, brisée en deux corps ?