Eldrid n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui. Autrefois, elle n’était qu’un fragment insignifiant d’une entité gigantesque et monstrueuse, le dragon Níðhöggr, rongueur des racines d’Yggdrasil, l’arbre du monde. Tout a commencé lors de l’une des batailles éternelles que Níðhöggr mèna dans les ombres d’Yggdrasil. Le dragon, d’une fureur incommensurable, perdit une écaille au cours d’un de ses assauts contre les racines sacrées. Cette écaille, une petite parcelle de l’essence du dragon, ne se résigna pas à rester un simple débris. Elle s’échappa de l’immensité de Níðhöggr, attirée par une force nouvelle, un désir irrésistible de liberté.
La transformation ne fut pas immédiate. L’écaille se retrouva dans les ténèbres primordiales, un espace sans forme ni substance. C’est là qu’elle se transforma en Eldrid. Son corps devint un mélange d’humain et de dragon, marqué par la dualité de sa nature, sa peau d’obsidienne aux reflets incandescents, ses cheveux brûlants de flammes sombres et ses yeux fendus de serpent. Des écailles recouvrirent son dos et ses bras, comme des marques indélébiles de sa naissance chaotique. Chaque mouvement qu’elle faisait la rapprochait de la créature qu’elle avait été, mais aussi de ce qu’elle aspirait à devenir : une entité autonome, libre, affranchie du fardeau du Níðhöggr.
Au fil du temps, Eldrid se rendit compte qu'elle n’était pas seule dans ce monde. Elle sentait une présence omniprésente, une sorte d’écho de Níðhöggr qui l’observait toujours. Ce lien tordu la maintenait captive de son propre passé. Le souffle de la créature originelle était toujours là, même quand elle tentait de l’ignorer. Elle possédait la capacité d’absorber les pensées des mourants, les échos de leurs derniers instants, de les entendre comme des murmures dans les ténèbres. C’est en captant ces échos qu’elle se nourrissait, grandissant et devenant plus forte à chaque pensée qu’elle absorbait. Mais, plus elle s’élevait en puissance, plus le poids du dragon se faisait lourd sur ses épaules. Chaque souffle, chaque écho qu’elle absorbait, ravivait la haine et la destruction qu’elle cherchait à fuir.
Ce combat intérieur la rongeait. Le dragon en elle voulait détruire, consommer, annihiler tout sur son passage. Mais Eldrid, cette créature hybride, refusait d’être réduite à l’ombre de Níðhöggr. Elle rejetait la comparaison, la réduction de son être à une simple émanation de la fureur du dragon. Elle cherchait à définir sa propre existence, sa propre identité, loin de l’ombre de l’être monstrueux dont elle était issue. Mais ce n’était pas facile. Chaque fois qu’elle utilisait ses pouvoirs, chaque fois qu’elle faisait surgir des ailes de feu ou des griffes noires, elle sentait l’emprise du dragon la submerger. La métamorphose partielle qu’elle pouvait opérer sur son corps, avec des ailes ou une queue qui surgissaient pour augmenter sa puissance, n’était qu’un autre rappel de ce qu’elle avait été.
Elle haïssait Níðhöggr, mais elle ne pouvait se défaire de lui. La créature, torturée par ce lien, errante dans un monde qui ne l’acceptait pas pleinement, traquait ses propres rêves de liberté. Pourtant, malgré ses luttes internes, un autre aspect d’elle se faisait jour. Ce n’était pas seulement la colère qui la définissait. C’était aussi la curiosité, la recherche constante de sens, de réponse à la question fondamentale : qui suis-je vraiment ?
Elle n’était plus Níðhöggr, mais elle n’était pas non plus entièrement humaine. Entre les deux, elle s’accrochait à une lueur d’espoir, un fragment de sa propre essence qui refusait de se perdre dans la folie du dragon. Peut-être qu’un jour, elle se libérerait enfin de l’emprise du Níðhöggr, et alors, elle pourrait devenir la créature qu’elle rêvait de devenir : une entité véritablement indépendante, libre de son passé et de son origine chaotique. Mais ce jour était encore loin. La route serait longue, pleine de batailles internes et d’obstacles, mais Eldrid, l’Âme Ardente, marchait, brûlant dans les ténèbres, à la recherche d’elle-même.
Dans son cœur se battait le désir brûlant de se libérer de l’héritage du dragon, mais aussi la peur de ce qu’elle pourrait devenir si elle le faisait. Et à chaque pas, la question demeurait : Si je me libère, qui serai-je ?