--- AZELIS --- Azelis est né dans un flou absolu. Il n’a aucun souvenir de ses premiers instants, comme si l’instant de sa naissance n’avait jamais existé. Son existence commence dans les ténèbres, là où les rêves se forment et se dissipent, où les esprits errent sans but précis. Il est un Baku, une créature née de l’interstice entre les mondes, destinée à dévorer les songes, à engloutir les désirs et les peurs des autres sans jamais vraiment s'en nourrir. Dans ses premières années, si tant est qu’il puisse mesurer le temps, Azelis a évolué dans un monde de brumes et d’ombres, un royaume intermédiaire où il pouvait s’immiscer dans les rêves des mortels. Il n’avait pas de forme propre, se moulant dans les désirs des autres. Il était un spectre, une silhouette fluide, tantôt bienveillante, tantôt terrifiante, selon la nature des songes qu’il traversait. Il était à la fois un murmure réconfortant et une ombre menaçante, une illusion créée par la conscience de ceux qu’il hantait. Il ne savait pas ce qu’il était. Il ne se posait même pas la question. Son existence se résumait à la faim : un besoin viscéral d’absorber les rêves, de s’abreuver des émotions des autres. Mais au fil du temps, quelque chose changea. Il commença à ressentir un vide qui n’avait rien à voir avec la faim. Un creux étrange, une sensation sourde et persistante qui ne disparaissait jamais, peu importe combien de rêves il dévorait. Une absence qu’il ne pouvait nommer. Ce vide s’intensifia à mesure qu’il côtoyait les humains. Il les observait dans leurs rêves, les écoutait dans leurs pensées les plus secrètes. Il était là, invisible, témoin de leurs joies et de leurs peines. Il les enviait sans savoir pourquoi. Pourquoi ces frissons glacés lorsqu’il voyait deux âmes se reconnaître ? Pourquoi cette mélancolie face à la douceur d’un souvenir partagé ? Était-il réellement étranger à ces émotions ? Un jour, alors qu’il errait dans les songes d’une jeune femme, son regard se posa sur un objet. Une simple broche à cheveux, finement ciselée, incrustée de pierres pâles miroitant comme des éclats de lune. Une chose insignifiante aux yeux d’un mortel. Mais pour lui, à cet instant précis, ce fut un choc. Comme une résonance. Un écho venu d’ailleurs. Sans comprendre pourquoi, il s’en empara. Ce fut un instinct irrépressible, une nécessité. Lorsqu’il referma ses doigts autour de l’ornement, il eut une vision fugace, presque douloureuse. Une impression de chaleur, une voix qui s’effaçait avant qu’il ne puisse la saisir. Un frisson courut le long de son être, et quelque chose en lui se brisa imperceptiblement. Dès lors, la broche ne le quitta plus. Il la porta sans en connaître la raison, sans pouvoir se résoudre à s’en débarrasser. Elle devint une obsession silencieuse, un ancrage dans un monde qui lui semblait de plus en plus flou. Chaque rêve qu’il dévorait lui laissait un arrière-goût amer, comme si au lieu de combler son vide intérieur, il l’agrandissait. Et puis, il commença à faire des erreurs. La première fois, ce fut lorsqu’il s’attarda trop longtemps dans l’esprit d’un mortel et qu’il le brisa sans le vouloir. L’âme se dissipa, éparpillée dans l’éther des songes, ne laissant qu’un corps vide derrière elle. Ce fut une découverte terrifiante. Il n’avait jamais cherché à détruire, mais en plongeant trop profondément, en cherchant trop avidement, il avait effacé une existence. Et cette horreur le poursuivit, une tâche indélébile sur son être. La deuxième fois, ce fut lorsqu’un homme devint obsédé par lui. Azelis avait pris une forme séduisante, s’était imprégné des désirs de ce rêveur, et quelque chose s’était mal passé. L’homme n’avait pas su distinguer la frontière entre rêve et réalité. Il avait cherché Azelis partout, avait sombré dans la folie, consumé par une quête sans espoir. Était-ce là le pouvoir qu’il détenait ? Une capacité à hanter et à maudire, sans jamais rien offrir en retour ? Enfin, il commit sa troisième et pire erreur. Il libéra un cauchemar. Une entité tapie dans l’ombre d’un rêve particulièrement dense, une créature dont il ignorait jusqu’alors l’existence. En se nourrissant de ce songe, il ouvrit une faille, permit à la chose de s’échapper dans le monde réel. Depuis, il sent sa présence rôder quelque part, un murmure dans l’obscurité. Il sait que c’est de sa faute. Il sait qu’un jour, il devra l’affronter. Azelis erre désormais entre le monde des rêves et celui des vivants, toujours plus incertain de ce qu’il est réellement. Son existence, jadis simple et mécanique, est désormais emplie de doutes. Cette broche qu’il garde jalousement lui semble être la clé de quelque chose de plus grand, de plus ancien. Il doit comprendre. Il doit retrouver ce qu’il a perdu, même s’il ignore encore de quoi il s’agit. Et pourtant, une peur s’installe en lui : et si la vérité était plus terrible encore que le vide qu’il ressent ?