Christine Kelly : Charlotte d'Ornellas, on parle tout le temps de la chute de la natalité en France. Emmanuel Macron avait évoqué l'idée de réarmement démographique sans que rien ne se passe vraiment. Première question : comment l'expliquer ? Charlotte d'Ornellas : Il y a, en effet, le mouvement de la chute de la démographie (alors Gabriel Cluzel va nous faire sa réponse au "no kids" parce qu'on en parle beaucoup). On parle à la fois de la chute de la natalité et du mouvement "nos kids" comme s'il s'était emparé de tous les esprits ; entre les deux, il y a quand même une réalité qui existe. Alors cette chute de la natalité s'est accompagnée de manière macro, comme on dirait en économie, d'un discours assez destructeur vis-à-vis de la famille, de la famille en général. • d'abord dans la dimension du couple : de sa solidité, de sa stabilité qui continue à être cité comme des conditions synéquanones à l'arrivée d'un enfant • la liberté : il y a eu tout un mouvement qui a associé la liberté à la jouissance, qu'elle soit sexuelle ou pas, à la jouissance de l'individu, à la consommation sans engagement et au divorce. C'est assez frappant de voir que la question du divorce n'a pas été abordée dans le débat public comme une possibilité accordée, évidemment, à des adultes, mais comme une question de liberté et de liberté uniquement. Ça a été revendiqué au nom de la liberté. • ensuite, il y a eu la question vis-à-vis de l'enfant. L'enfant a été perçu, dans l'histoire de l'humanité, c'est encore vrai partout ailleurs qu'en Occident, comme un don. L'enfant est un don et il est reçu comme tel. Chez nous, il est devenu un choix : un projet, ce qui le rend beaucoup plus impressionnant à assumer. Alors, on comprend l'idée, la question du projet, la question de l'enfant désiré... Mais c'est plus impressionnant à assumer. Pourquoi ? Parce qu'on ne peut plus se permettre d'y voir seulement une pulsion de vie, il faut le préparer. Ça veut dire avoir un métier, ça veut dire se considérer toute la logistique et toutes les questions matérielles, considérer la question et l'avenir potentiellement du couple quand vous avez dans le même mouvement une fragilité de ces couples-là, ça rentre en jeu, évidemment ! • et enfin, il y a eu un discours vis-à-vis de la femme elle-même. Avec un discours assez contradictoire qui réduit la question de la grossesse à un sujet extrêmement féminin (notamment quand on parle de "c'est mon corps"). Et donc c'est un sujet qui ne concerne que la femme. Et en regrettant, en parallèle, que les hommes ne soient pas suffisamment impliqués dans les conséquences de cette même grossesse, à savoir la venue de l'enfant au monde. Alors le mouvement individualiste, de manière générale, a voulu se libérer de la famille, de l'attachement, et à travers la famille, de l'attachement et de la dépendance, et il y est parvenu. Et pourtant ce weekend, vous savez, on avait reçu la femme qui organisait le forum "Viva" sur la question de la famille, et ce forum a demandé à commander un sondage à l'IFOP ce weekend. Et il y a deux chiffres qui retiennent l'attention ; quand on pose la question au sondé : "en cas de coup dur, voire d'accident de la vie, vers qui voulez-vous vous tourner ?" Vous avez 73 % des Français qui répondent : "la famille !" et 40% d'entre eux, (il y avait deux réponses possibles) répondent : "un ami". 40 % seulement répondre "un ami", si vous voulez, par rapport au chiffre de 73%... Et à la question de savoir "avec quoi rime l'arrivée d'un enfant dans une famille ?", 90% des Français répondent "C'est une source de bonheur." Et ce qui est intéressant, c'est que d'abord, ça transcende tous les clivages politiques, et que le chiffre atteint 93% chez les parents d'un enfant (donc ça se confirme quand vous avez eu l'enfant : ce n'est pas la mauvaise surprise "Oulà ! Je pensais que c'était bien ; en fait, non !) et ça atteint même 98 % chez ceux qui ont plusieurs enfants. Plus largement, le désir d'enfant, qui est mesuré encore une fois par des études IFOP pour l'Union Nationale des Associations Familiales cette fois-ci, demeure aujourd'hui à 2,39 enfants. Et dans les faits, nous n'en avons que 1.8. Il y a un différentiel entre les enfants que nous avons et les enfants que nous désirons. Le désir d'enfant étant conçu comme : "Vous n'avez aucune contrainte dans un monde merveilleux. Combien d'enfants aimeriez-vous avoir ?" Et Emmanuel Macron, pour revenir à votre question, avait abordé un sujet relativement tabou. D'ailleurs, on avait vu des hurlements, en réponse chez certains, en y répondant par la seule question de l'infertilité. La question de l'infertilité est une question importante, évidemment, mais c'est loin d'être le seul sujet. Et c'est finalement peut-être pas le plus pertinent sur le terrain politique.