Posté le 7 avril
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Alors qu'à la demande du gouvernement, une mission parlementaire planche sur un futur statut du bailleur privé, chaque organisation professionnelle de l'immobilier formule ses propres propositions. Il serait sans doute plus efficace que toutes parlent d'une même voix, estime Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l'Institut du management des services immobiliers.

Le futur statut du bailleur privé doit reconnaître son rôle dans l'économie.

Il y a pourtant des années que la communauté immobilière, comme un seul homme, réclame un statut du bailleur privé. On observera d’ailleurs que l’expression, si elle a fini par être dans toutes les bouches, est assez obscure : qui sait dans la rue, ou même sur les bancs de l’Assemblée nationale ou du Sénat, en dehors des initiés, ce qu’est un bailleur privé? Le terme investisseur serait sans doute plus clair et plus populaire. Des années de revendication, et pourtant pas de position commune. À l’inverse, on assiste à une efflorescence de propositions, identitaires des organisations qui les formulent au gouvernement. Faut-il voir là l’expression d’une richesse que Bercy utilisera à propos ou un affaiblissement de l’action de conviction des acteurs de l’immobilier? Le second écueil est vraiment à redouter et il est temps de l’éviter.

La question de la richesse liée à la diversité mérite d’être évoquée. Rien de pire sur un sujet complexe que la pensée unique. On citera ici François Bayrou, alors qu’il était loin d’être Premier ministre et décrivait son idéal de l’intelligence démocratique, «si on pense tous la même chose, c’est qu’on ne pense plus rien.» Soit. Il est normal que ceux qui théorisent l’amortissement du bien immobilier d’exploitation cohabitent avec ceux qui veulent un système plus simple, fait d’exonérations forfaitaires, normal encore que certains soient résolument nostalgiques des bonnes vieilles niches fiscales, qui ont fait leurs preuves, et qui rapportaient finalement plus qu’elles ne coûtaient à l’État. Normal toujours que les chantres du neuf estiment que la considération fiscale doive se porter sur cette partie de l’offre par priorité. Bref, chacun est légitime. Ce qui est surprenant, c’est que des années de débats internes à la filière n’aient pas réduit les positions, du moins ne les ai que peu rapprochées. Pis encore, on peut déplorer, à supposer même que les copies ne soient pas trop différentes les unes des autres, qu’il y en ait autant.

Chacun y va de sa proposition de statut du bailleur privé

Pour gagner le match contre l’inertie politique, il va falloir pousser en mêlée, et non tirer à hue et à dia. C’est un principe physique, que les rugbymen ou les tireurs à la corde de la force basque ont assimilé dès la naissance : les efforts réalisés dans le même sens additionnent les forces individuelles et peuvent avoir raison de forces supérieures, mal organisées ou moins bien coordonnées. Loi de la physique, que les savants ont su modéliser et que nous avons apprise au collège, qu’on se rappelle ou pas nos équations, et qu’elles nous aient permis de décrocher de bonnes notes ou au contraire nous laissent un souvenir moins heureux de nos études. En tout cas, l’évocation du Quinze de France atteste que sur ce sujet, le bon sens sportif et les réflexes travaillés peuvent dispenser de la recherche fondamentale et agir pour l’efficacité. Pour l’instant, on voit que toutes les organisations professionnelles ont à souci de signer leur thèse, dans le meilleur des cas en échangeant avec telle ou telle autre de façon transparente et confraternelle, mais avec la préoccupation d’imprimer sa marque. Au demeurant, on peut le comprendre, notamment envers leurs adhérents, mais la collectivité des syndicats va-t-elle gagner selon cette méthode?

Dans l’immobilier, on ne sent pas assez cette volonté de renverser des montagnes, alors que c’est de cela qu’il s’agit. Bercy est une citadelle idéologique et il faut la convertir à l’idée que ne rien faire va coûter au pays, en insatisfaction des besoins en logements locatifs et en tensions sociales, en moindre rentrées fiscales pour l’Etat et les collectivités, en emplois dans le bâtiment. Parce qu’autrement, tout va bien pour le ministère de l’économie, qui argue non sans raison de réponses existantes, le LLI (logement locatif intermédiaire), présenté comme le substitut avantageux du Pinel, la mesure sur les donations exonérées de taxation, le très ancien et éprouvé dispositif du déficit foncier, le Loc’Avantages pour les investisseurs à la fibre sociale, le Denormandie pour les amoureux de la revitalisation des villes moyennes, ministère de l’économie qui ne voit pas vraiment de recul de l’investissement ni d’attrition du parc locatif privé. Le manque d’attractivité de l’investissement locatif ne saute pas aux yeux de Bercy. En revanche, ce ministère gardien des cordons de la bourse, plus encore aujourd’hui que naguère, voit que toute innovation aura un coût en moindres rentrées pour le pays, et n’est guère enclin à miser sur les rentrées induites. Bref, l’approche étroitement comptable l’emporte sur l’approche économique de moyen terme.

Le risque d'enterrement du statut du bailleur privé n'est pas nul

Face à cet Everest, ne faudrait-il pas une unique et puissante cordée plutôt que de nombreuses expéditions? On est en droit de le penser. C’est le moment que l’Alliance pour le logement perle d’une seule voix, forte. Le temps de frotter les idées n’est-il pas dépassé? Tout de même, les épisodes se sont multipliés qui ont créé des occasions de débattre ou de réagir… Pour ne citer que les plus récentes, le Conseil national de la refondation pour le logement, le rapport Le Meur sur la restauration de l’attractivité de l’investissement locatif -qui comportait une partie passée inaperçue sur ce thème, en contrepoint de la question des locations meublées touristiques-, le rapport du 119e Congrès des notaires de Caen, celui du Conseil national de l’habitat signé de Loïc Chapeaux, et tant d’autres livres blancs.

Certes, une nouvelle mission a été donnée par la ministre du logement à deux parlementaires, Marc-Philippe Daubresse, ancien ministre et sénateur, et Mickaël Cosson, député. Ils pourront se livrer à l’exercice intellectuellement gratifiant de la synthèse des positions, mais la filière pourrait aussi leur faciliter la tache en proposant deux ou trois scenarii par exemple. Au demeurant, ils n’auront pas le temps de reprendre à nouveaux frais la réflexion, et vont devoir constater des divergences sur lesquelles il ne faudrait que Bercy joue. On entend d’ici un échange entre le ministre de l’économie et un conseiller: «Monsieur le Ministre, non, il n’y a pas vraiment de consensus. Et les choses ne vont pas mal aujourd’hui. En plus, l’effondrement des Bourses redonne de la compétitivité au logement locatif, même si le rendement est en effet assez bas.» Le risque d’enterrement de première classe est non nul. Il est vital de s’en préserver.

Pourquoi pas un conclave sur le statut du bailleur privé ?

Pourquoi pas, monté en hâte, un symposium -ou un conclave…- des familles immobilières pour que les idées se frottent et s’affrontent, et pour éviter la dispersion des idées? Pour éviter le spectacle d’auditions successives par les deux parlementaires missionnés qui témoigneraient de désaccords, ou plus grave le spectacle d’auditions groupées au cours desquelles les divergences apparaîtraient. Un tel événement aurait une vertu supplémentaire: élargir le débat et dépasser les seules considérations fiscales, comme la ministre Létard le veut. Qui parle de sécurisation des loyers? De rééquilibrage des rapports locatifs? D’actualisation de la liste des charges récupérables? De la grille de vétusté promise par la loi ALUR de 2014? C’est une chance historique qui se présente pour l’investissement locatif, et la gâcher pour des raisons de méthode d’influence publique serait coupable.

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