Posté le 13 avril
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Depuis le 1er janvier, les logements dont le DPE est classé G sont jugés comme "indécents", et sont censés être interdits à la location.

Face aux travaux coûteux et à la nécessité d'obtenir multiples autorisations, certains propriétaires préfèrent vendre leur bien.

Un petit studio de 26 mètres carrés avec mezzanine, situé sous les combles d’un immeuble du quartier très prisé de l’Île verte, à Grenoble, vendu pour 93 000 euros : lorsque Françoise* et son époux tombent sur cette annonce immobilière, en 2008, le couple n’hésite pas longtemps avant d’acheter. Bien desservi par les transports en commun, proche du CHU et proposé à 430 euros par mois charges comprises, l’appartement se loue "sans difficultés" pendant plus de 15 ans, il rapporte aux Grenoblois un "petit complément de revenu". Il y a quelques mois, Françoise déchante en apprenant que son studio, dont le diagnostic de performance énergétique (DPE) a été classé G en 2018, ne pourra plus être loué à partir du 1er janvier 2025 si d’importants travaux de rénovation ne sont pas réalisés.

Isolation de trois murs et du plafond, changement d’une petite fenêtre, mise en place d’une nouvelle VMC et d’une pompe à chaleur - dont l’installation doit être acceptée par la copropriété -, peintures… En effectuant plusieurs devis avec des artisans indépendants, la propriétaire obtient une estimation de travaux "à plus de 10 500 euros". Un chiffre presque "multiplié par deux" lorsque cette retraitée de l’Éducation nationale réalise la même expertise sur le site du gouvernement, qui estime, lui, le montant total des travaux à 19 640 euros en passant par des professionnels reconnus garant environnement (RGE) - les seuls permettant aux propriétaires de bénéficier des aides garanties par l’État, notamment via le dispositif MaPrim’Rénov.

Vendre plutôt que de rénover

"Le montant estimé des aides était dérisoire : entre 1860 et 5580 euros, pour un reste à charge d’au moins 14 000 euros !", souffle la sexagénaire, qui préfère prendre la décision de vendre. "Entre le coût des travaux, la toute récente mise en place d’un encadrement des loyers à Grenoble et le temps passé à convaincre la copropriété, nous avons considéré que c’était un gain de temps et d’argent", confie-t-elle, précisant que la valeur de son bien a depuis chuté de "5 à 20 %". En trois mois sur le marché, seuls quatre acheteurs potentiels ont visité son studio. Alors que 1,3 million de logements du parc locatif privé étaient classés F ou G début 2024 - soit 15,9 % du parc, selon les chiffres du ministère de l’Écologie -, de nombreux propriétaires bailleurs se sont récemment retrouvés dans la même situation que Françoise.

De nombreuses passoires à Paris et dans les territoires ruraux

Poussés par l’instauration de la loi Climat et résilience votée en 2021, certains ont réagi : entre 2023 et 2024, 191 000 logements ont ainsi été rénovés dans le seul parc locatif privé. Mais une large part reste frileuse à l’idée de réaliser de tels travaux, qui atteignaient en moyenne 55 065 euros par dossier l’année dernière, pour une aide de 36 271 euros, selon l’Agence nationale de l’habitat (Anah). "On arrive dans des situations où les propriétaires de passoire thermiques préfèrent revendre leur bien, le laisser vacant, voire le louer illégalement. Ce qui est dommageable pour les locataires, quand on sait par exemple que la ville de Paris a déjà perdu près de la moitié de son parc locatif privé depuis 1990", regrette Jacques Baudrier, adjoint à la mairie de Paris en charge du logement.

"Je suis plus que perdant"

Dans la capitale, la majorité des propriétaires de passoires thermiques semblent peu se préoccuper de l’isolation de leurs biens. Interrogés par le site de recherche immobilière Particulier à Particulier (PAP) en janvier dernier, 68 % d’entre eux indiquaient leur intention de ne pas réaliser de travaux : 45 % souhaitaient "ne rien faire", et 23 % souhaitaient vendre. Patrick*, propriétaire d’un 17 mètres carrés au pied de la butte Montmartre, a ainsi préféré se séparer de son studio, acheté en 2020 et loué depuis trois ans pour "un peu moins de 700 euros par mois".

Initialement classé E, le bien a été réévalué en janvier dernier, et diagnostiqué G… À la grande surprise du retraité, qui a lui-même vécu une année dans l’appartement, sans constater de dépenses importantes au niveau du chauffage. "Un architecte a fait le point sur l’immeuble, et il y a beaucoup à faire en termes d’isolation sur le toit, les murs… Les estimations évoquent 10 000 à 12 000 euros de travaux", lâche Patrick, qui regrette "une maigre aide de l’État, estimée à moins de 1000 euros". En reculant de deux lettres sur son DPE, le sexagénaire se dit "plus que perdant" sur la revente de son appartement : en cinq ans, le bien aurait perdu "entre 5 et 10 % de sa valeur".

Mais alors que 29,3 % des passoires thermiques du parc locatif privé sont possédées par les 10 % des ménages les plus riches en France (cf graphique), d’autres préoccupations que le coût des travaux interrogent certains propriétaires. "Il y a d’abord des complications techniques qui ne permettent pas toujours de réaliser des travaux, ou des votes obligatoires de la copropriété qui font traîner en longueur le début d’un éventuel chantier" explique Corinne Jolly, PDG de PAP. D’autres propriétaires font également part de leur scepticisme sur la méthode de calcul même du DPE. "Il ne faut pas sous-estimer la contestation de principe à l’engagement de travaux. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi ils sont pénalisés sur le chauffage électrique, par exemple, dont le coefficient s’élève à 2,3 contre 1 pour le chauffage au gaz", explique la cheffe d’entreprise.

Les passoires énergétiques concentrées dans les mains des plus aisés

D’autant que certains ajustements de la méthode de calcul ont été réalisés l’année dernière, et qu’une évolution possible de la loi est en cours - le 1er avril, le Sénat a voté pour assouplir l’interdiction de mise en location des passoires thermiques les plus énergivores, avec le soutien du gouvernement. "Les propriétaires préfèrent patienter quelques mois avant d’agir - certains ont le sentiment qu’ils pourraient se faire flouer à financer trop vite des travaux qui pourraient ne plus avoir lieu d’être dans quelques mois", conclut Corinne Jolly.

"Négociation officieuse"

Propriétaire d’un 30 mètres carrés à Paris, Louis* fait ainsi partie de ces Français "en attente", expliquant être "sans réelle solution" face à la mise en application de la loi, il y a trois mois. Malgré une remise à neuf de son appartement il y a quatre ans, avec un remplacement de tous les radiateurs et l’installation de double vitrage, un récent diagnostic l’a classé en DPE G. Une mauvaise surprise pour ce Parisien, qui précise que la consommation estimée d’énergie "est deux fois supérieure à la consommation réelle" de son locataire. "Le problème, c’est que la taille de la cour ne permet pas d’installer une pompe à chaleur, et une isolation par l’intérieur ne permettrait plus de se servir de la salle de bains qui fait 70 cm de large", décrit-il.

Reste la solution d’une isolation par l’extérieur, estimée "entre 8000 et 10 000 euros" pour son seul logement, et qui devrait être votée en amont par la copropriété. "S’il faut refaire l’immeuble entier de six étages, ça se compte en centaines de milliers d’euros", expose Louis, dépité. Dans l’intervalle, le propriétaire regrette de légères tensions avec son locataire, qui a mis en place "une négociation officieuse" et lui réclame une baisse de loyer en attendant que des travaux soient effectués.

"En l’état actuel de la loi, le locataire peut saisir le juge judiciaire et faire condamner le propriétaire à exécuter les travaux, en exigeant une suspension de tout ou partie de son loyer. Cela fait peser une insécurité juridique totale au propriétaire", souligne Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM). Dans un tel contexte, le syndicaliste regrette le risque de développement d’un "marché gris", dans lequel des propriétaires risqueraient de ne pas respecter la loi pour continuer de louer leur bien classé en DPE G. En mars dernier, la ministre du Logement Valérie Létard condamnait justement le développement de "DPE de complaisance" réalisés par des diagnostiqueurs peu scrupuleux. En 2024, 70 000 faux documents sur 4 millions auraient circulé en France - soit 1,7 % du total des diagnostics. "Ce sont 70 000 de trop", fustigeait la ministre, en proposant dix mesures pour "crédibiliser" le DPE.

Un mois plus tôt, en février, une étude du site Se Loger indiquait par ailleurs que 2,3 % des annonces en ligne dont le DPE était renseigné concernaient encore des biens classés G, et que 18 % des annonces ne respectaient tout simplement pas l’obligation de publication du DPE. La ville de Paris était alors la plus concernée par ce manquement à la loi : une annonce sur trois ne mentionnait pas le DPE du bien, et 4,7 % proposaient encore des biens classés G.

*Les prénoms ont été modifiés.

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