Alors que les besoins financiers des copros pour leur transition énergétique sont colossaux, les banques font toujours la sourde oreille à leurs appels. Une grave erreur, selon Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l'Institut du Management des Services Immobiliers.
Face à des travaux d’un montant considérable, l'épargne des copropriétés est loin de suffire.
600 000 immeubles en copropriété qui doivent faire leur mue environnementale : voilà sans doute le plus gros défi de la transition écologique du pays, par son importance et le nombre des bâtiments concernés, aussi par le mode de décision qui gouverne les copropriétés. C’est en outre dans les copropriétés que se trouvent l’essentiel des logements locatifs privés, pour partie menacés d’interdiction de louer, et c’est là qu’il est urgent d’agir pour éviter l’attrition de l'offre locative. Sans compter que la mutation énergétique, de l’aveu de tous les syndics de copropriété, crée l’occasion d’embarquer des travaux d’entretien et de restauration tous azimuts : les copropriétaires les avaient différés et les obligations de diagnostiquer et de programmer des améliorations du bâti pour des raisons énergétiques les entraîne à engager en même temps d’autres gestes de réfection et de modernisation de l’immeuble. En somme, voilà vraiment le chantier du siècle.
On peut estimer que le frein le plus difficile à lever tienne à l’éclatement du pouvoir de décider. Ce constat est indéniable. En cette année où on l’on célèbre les 60 ans de la loi qui a institué le régime de la copropriété en France, promulguée le 10 juillet 1965, les acteurs de la copropriété ne remettent pas en question le principe de cette sorte de démocratie censitaire, seul logique valable pour organiser la vie dans des immeubles dont la propriété des parties communes est partagée. On observera juste que dans la plupart des cas, il faut rechercher la cause dans ce qui empêche une majorité de se dégager, la question de la capacité contributive des copropriétaires, individuelle et collective.
Face à des travaux d’un montant considérable, qui se monte à plusieurs centaines de milliers d’euros, l’épargne de chacun et de tous - le fonds travaux créé par la loi ALUR du 24 mars 2014 - sont loin de suffire et une authentique ingénierie financière doit être déployée. Les syndics doivent acquérir une culture du financement et savoir le plus souvent mobiliser les bonnes compétences spécialisées externes, en recourant à un assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) financier. Certes, il s’agit de réunir les aides publiques auxquelles la copropriété peut prétendre, mais également de trouver les solutions complémentaires en termes de crédit. Les fameux prêts collectifs ont vu le jour il y a 20 ans et on n’a jamais autant parlé d’eux. Si leur marché était confidentiel, sa profondeur s’est accentuée avec les contraintes de la lutte contre le dérèglement climatique. Le législateur s’en est même mêlé en inventant, à côté de la formule préexistante du prêt collectif à adhésion individuelle, un prêt à adhésion systématique, sauf volonté contraire exprimée dans les deux mois suivant la notification du procès-verbal de l’assemblée générale ayant voté l’emprunt.
On serait fondé à penser que l’arsenal est complet et que tout va bien. En fait, les banques ne se précipitent pas comme un seul homme vers le financement des copropriétés. Les deux grandes enseignes historiquement familières du prêt à adhésion individuelle sont les plus allantes. Les autres, incitées par le gouvernement et le Parlement, sont réticentes à considérer la communauté des copropriétaires comme un emprunteur un et indivisible et à comprendre de quel risque elle est vraiment porteuse. Elles considèrent n’avoir pas de visibilité ni de maîtrise. Plus encore, ce sont les sociétés de caution qui manquent d’enthousiasme. Ces acteurs ont d’ailleurs approuvé à l’inscription dans la loi qu’ils interviendraient dès la défaillance du copropriétaire, alors que stricto sensu c’est la défaillance du syndicat des copropriétaires qui sera actée, elle-même évidemment causée par l’un de ses membres. Il a aussi fallu ferrailler pour que le décret d’application de la loi précisant les modalités du prêt collectif n’exigent pas que le syndic fournisse au banquier une longue liste de documents relatifs à chaque copropriétaire emprunteur…
Les banques françaises et leurs garants, qui ont en fait le dernier mot sur l’acceptation d’un crédit, doivent changer leur regard sur le risque réel attaché aux copropriétés :il est infime. D’abord, aucune raison de penser que les mensualités du prêt, venant s’ajouter aux charges générales, calculées en sorte d’être supportables par le coemprunteur, ne génèrent des impayés. Aucune raison non plus d’imaginer une sorte de négligence au motif que le prêt est consenti, mis en force et qu’il n’y aura pas de conséquence sur la réalisation des travaux… Le prêteur sera plutôt moins conciliant que le syndic lorsqu’il constatera un impayé… La peur du gendarme sera plus forte qu’elle l’est aujourd’hui. En outre, le regard des voisins sur les mauvais payeurs n’est pas amène et il est une pression permanente de nature à éviter la négligence coupable… On parle là de manque de rigueur, et pas d’accidents de la vie objectifs, respectables en soi. Enfin, quelle est la garantie ultime en cas d’impayés non résorbés ? La cession du lot appartenant au copropriétaire défaillant. Sa valeur est telle que la créance sera évidemment absorbée. Comment dans ce contexte les banques et les garants ne foncent-ils pas comme un seul homme sur ce marché ?
Certes, la gestion administrative d’un prêt collectif est plus complexe, mais à l’heure des logiciels et de l’intelligence artificielle, qui croirait que les prêteurs puissent être dissuadés par cet embarras ? Qui plus est, en contrepartie de cette complexité de chaque dossier, il est en moyenne d’un montant peu commun : une copropriété moyenne d’une vingtaine d’appartements a besoin d’un million, un million et demi voire deux millions d’euros… De quoi justifier quelques développements informatiques et des formations spécifiques d’équipes spécialisées. A ce jour, on estime que moins de 10% des travaux indispensables à la mise à niveau de performance énergétique des copropriétés ont été réalisés, sur un montant estimé entre 200 et 400 milliards d’euros !
Les banques ne peuvent pas ne pas donner des gages de verdissement de leurs bilans. La copropriété leur offre à cet égard le marché le plus prometteur. L'histoire ne leur pardonnerait pas d’avoir retardé ou empêché la réussite de la transformation environnementale des copropriétés françaises. Au demeurant, c’est du patrimoine collectif de leurs clients qu’elles favoriseront la valorisation : il est bien plus qu’une garantie en cas de défaillance, il constitue le socle de richesse qui incite les ménages à consommer et à s’endetter pour leur vie courante et leurs investissements.