Posté le 21 avril
Télécharger | Reposter | Largeur fixe

Naturopathie, numérologie, biodynamie... Quand la presse régionale fait la pub des charlatans


Thomas Rabino

En décembre dernier, on a commencé par s’étonner d’un article paru dans La Montagne : « Magnétisme, hypnose, coupeurs de feu et rebouteux : des ‘‘pratiques de guérison’’ d’autrefois dans les campagnes. » Son contenu ? La présentation de l’un de ces « rebouteux » évoquant « différentes magies », mais aussi « l’astrologie » et la « parapsychologie », le tout sans la moindre réserve de l’autrice du papier. Le même journal, au demeurant sérieux et diffusé à près de 130 000 exemplaires en Auvergne et dans le Limousin, fait tranquillement la promotion d’une école privée hors contrat se revendiquant de la controversée pédagogie Steiner-Waldorf – rattachée à la multinationale de l’ésotérisme qu’est le mouvement anthroposophique – dont plusieurs établissements ont déjà fait l’objet de plaintes, voire de fermetures administratives.

Le cas de ce titre de presse quotidienne régionale (PQR) n'est pas isolé : dans La Dépêche, on découvrait ainsi le destin d’une victime de la route ayant « choisi de se faire amputer sous le genou droit. Juste après, il a senti une chaleur dans les mains. Il est devenu magnétiseur ». Citons aussi la Presse de la Manche ouvrant ses colonnes à une « photo-thérapeute » et ses « outils de décodage biologique »… soit une « médecine Hamer » déjà condamnée par la justice car fondée, rappelle la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sur les « capacités libérées d’auto-guérison du malade, à condition que n’interfèrent pas dans ce processus, les traitements conventionnels ». À condition donc de ne pas prendre son traitement prescrit par les médecins...

1 453 articles recensés


Pour mieux saisir l’ampleur du phénomène, Marianne a passé au crible l’ensemble de la PQR sur l’année écoulée, de mars 2024 à mars 2025. L’inventaire réalisé avec le Groupe d’étude du phénomène sectaires (GéPS) prend en compte 40 des 50 titres de journaux « locaux » tirant au minimum à 15 000 exemplaires, filtrés au moyen de mots-clés relevant des pseudo-sciences et autres thérapies ésotériques, comme « auto-guérison », « ayurvéda », « biodynamie », « chamanisme », « ennéagramme », « fasciathérapie », « kinésiologie », « naturopathie », « numérologie », « psycho-généalogie », « réflexologie », « sophrologie », « auriculothérapie », « décodage biologique », « géobiologie », « magnétiseur », « énergéticien » ou encore l’incontournable adjectif « quantique ».

Résultat ? Pas moins de 1 453 articles font état de l’une ou l’autre de ces pratiques, rarement discutées pour leur bienfondé dans les textes. En tête, la sophrologie et la naturopathie, dénuées de toute assise scientifique, raflent près de 30 % du total. La biodynamie, technique de viticulture brassant bio et croyances en un surnaturel foutraque émanant encore de l’anthroposophie, se retrouve dans 10 % des articles, un score égal à celui du développement personnel à la sauce « New Age ». Voyance, géobiologie, kinésiologie, réflexologie, numérologie et réflexologie oscillent autour de 5 %.

Doit-on en conclure que ces journaux ont été gagnés par l’appétence d’une majorité de Français pour ces « médecines douces », comme le souligne une récente enquête Odoxa ? Pas vraiment. Notons d'abord qu’un certain nombre de ces articles portent sur l’ouverture de « centres de bien-être » dans des régions rurales devenues des déserts médicaux. « Des élus ont construit des centres de santé, c’est-à-dire des structures dotées de professionnels de santé, explique Pierre de Brémond D’Ars, médecin et président du collectif No Fakemed. Mais ces professionnels ne sont pas ou peu venus. Ces locaux se sont alors ouverts à d’autres professionnels, du bien-être cette fois. Des personnes fraîchement reconverties, formées en masse après la période du Covid en quelques heures sur internet et en quête de clients. » D’où la floraison de ces « centres de bien-être » assimilés à tort à des centres de santé.

Pourquoi des journalistes font-ils la confusion ? « Précisément parce qu’il ne s’agit pas vraiment de journalistes », réagit, en « off », le rédacteur en chef d'un important titre de PQR. « La plupart de ces articles sont le fait de correspondants locaux », précise-t-il. En clair, des personnes exerçant une autre profession que le journalisme et écrivant pour la presse à leurs heures perdues. « Il nous est impossible de contrôler l’intégralité des 200 000 papiers annuels écrits par nos 1 500 correspondants sur la vie de telle ou telle localité », nous glisse ce rédacteur en chef, qui ajoute : « Il est aussi probable que des ‘‘rebouteux’’ mis en lumière soient des connaissances de ces correspondants… Des papiers passent entre les mailles du filet alors qu’on leur fait la chasse. »

« Multiplication de ces pratiques depuis le covid »


Même son de cloche du côté de La République des Pyrénées, dont le rédacteur en chef Nicolas Rebière explique : « Nous avons bien remarqué depuis le Covid la multiplication de ces pratiques de médecines parallèles qui peuvent confiner à la pseudothérapie et aux pseudosciences. Nous avons d’ailleurs fixé des règles à l’attention de nos correspondants » : pas de portraits de naturopathes ni d’écho à l’installation d’art-thérapeutes. Outre le fait que des centaines d’autres pseudo-soignants peuvent passer sous ce radar, force est de constater que des naturopathes ont bien eu droit à une forme de publicité, notamment lorsque leur cabinet jouxte ceux d’authentiques professionnels de santé au sein d’une même structure.

Un aléa également évoqué par le Dauphiné libéré, qui revendique une objective neutralité : « Nos articles visent à informer le public sur des sujets d’actualité, sans prise de position ni caution implicite », se défend Guy Abonnenc, rédac chef du Dauphiné libéré. Le Groupe d’étude du phénomène sectaires note cependant : « Les titres couvrant l’Est du pays se révèlent plus sensibles à l’anthroposophie, toute puissante en Allemagne, et dont le QG se situe à Bâle ». Xavier Antoye, rédacteur en chef du groupe Ebra (L’Est Républicain, Le Bien public, etc.) précise : « Nous nous efforçons d’assurer un équilibre dans le traitement de ces sujets en donnant la parole à différents acteurs, y compris ceux qui alertent sur les risques de certaines pratiques. » Et notre confrère de citer une vingtaine d’articles critiques.

En pointe sur la prévention – y compris au sein de ses équipes, destinataires en 2022 d’une note répertoriant une cinquantaine de pratiques douteuses, voire sectaires, à bannir du journal – Ouest France n’est pas parvenu à barrer totalement ses pages aux délires New Age, malgré des contacts suivis avec la Miviludes. «Nous sommesun journal de proximité, qui publie aussi des ‘‘infos services’’, donnant une ‘‘vitrine rédactionnelle’’ à de nouveaux commerces. Dans le lot, il peut y avoir, très rarement, des ‘‘thérapeutes’’ douteux », déplore le rédacteur en chef Philippe Boissonnat.

Comme un symbole, la rubrique « Citation du jour » du journal a mis à l’honneur, parmi des milliers de maximes, le mage Georges Gurdjieff (père tutélaire du New Age et de nombreuses psycho-sectes), Élisabeth Horowitz (promotrice de la psycho-généalogie, dénoncée par la Miviludes, selon laquelle la cause de nos maladies se trouve dans la vie de nos aïeux), sans oublier Osho (gourou de la secte tantrique criminelle éponyme), ou Serge Marjollet (animateur du mouvement « Perle de lumière »). « Ces éléments m’avaient échappé », concède Philippe Boissonnat...prompt à annoncer la « suppression de ces pages ».

Ultime problème : « Des articles sur un charlatan d’un lointain village n’étaient auparavant consultables qu’au fin fond de l’édition locale du journal, constate le rédacteur en chef anonyme déjà cité. Maintenant, un papier atteignant une certaine longueur et illustré par une photo sera automatiquement mis en ligne et restera visible très longtemps. » Au point d’escamoter des articles critiques ?

x
Éditer le texte

Merci d'entrer le mot de passe que vous avez indiqué à la création du texte.

x
Télécharger le texte

Merci de choisir le format du fichier à télécharger.