N'est-ce pas frustrant de voir des millions de logements inoccupés sur le long terme ou une partie de l'année ? Des maires font tout pour les regagner et ainsi loger des locaux.
3,6 millions. C’est le nombre de logements vacants en France en 2024, selon les données du ficher Lovac, publié par le Cerema. Et c’est encore plus impressionnant quand l’on sait que cela représente près de 9 % du parc immobilier.
Ce chiffre a connu une hausse de 60 % entre les années 1990 et aujourd’hui, selon une étude de l’Insee. Dans le même temps, les crises du logement s’accentuent. Sachant que de plus en plus de Français ont du mal à se loger, n’est-ce pas frustrant de savoir que des millions de logements sont vides à l’année ?
Autre cause de frustration : les résidences secondaires. Tout aussi nombreux que les logements vacants, ces logements sont occupés les week-ends ou seulement quelques semaines dans l’année.
Les premiers à être désabusés par cette situation : les maires, qui constatent bien que, de l’autre côté du marché immobilier, certains riverains peinent à trouver un toit.
Déjà, il faut savoir de quoi on parle. Un logement est vacant lorsqu’il n’est pas occupé. Cette inoccupation peut être de courte durée (moins d’un an). Par exemple, les résidences en attente de vente. Ce ne sont pas vraiment celles-là qui nous intéressent.
Nous, on va parler de vacance structurelle. Quand les logements sont inoccupés depuis plus d’un an. Il y a plusieurs raisons pour l’expliquer :
le bâti est si dégradé qu’il nécessite des travaux pour être habitable. Travaux que les propriétaires ne font pas ;
des successions bloquées ;
l’emplacement du logement se trouve dans une zone en déprise avec très peu de demandes.
« La vacance est surtout constatée dans les zones peu tendues et les logements sont souvent dans un état dégradé. C’est ça la vraie vacance », précise David Rodrigues, juriste habitat de la CLCV (Consommation Logement et Cadre de Vie), à actu.fr. Ce qu’on vérifie bien dans cette carte de l’Observatoire des territoires, ci-dessous.
[url=https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/outils/cartographie-interactive/#bbox=-556101,6329733,875813,488344&c=indicator&i=insee_rp_hist_1968.part_logt_vacant&s=2021&view=map72]Part des logements vacants (%)[/url]
« La vacance est un vrai serpent de mer. Pour agir de façon efficace, cela nécessite un traitement en dentelle », note Roselyne Conan, directrice générale de l’Anil, l’agence nationale pour l’information sur le logement, pour actu.fr. La difficulté ? Entrer en contact avec les millions de propriétaires qui laissent un bien à l’abandon.
On ne peut pas dire que les services de l’État se tournent les pouces. La plateforme Zéro Logement Vacant permet aux collectivités de recenser les logements vacants de leurs communes, puis de contacter les propriétaires en se basant sur des modèles de lettres.
Depuis sa création en 2020, 400 000 m² ont été regagnés en France et 100 000 propriétaires ont été contactés. Autrement dit, il reste du boulot.
Les maires ne sont pas passifs dans cette histoire. Loin de là. A force de volonté, Daniel Chevée, le maire de Bretoncelles (Orne) a divisé par trois le nombre de logements vacants dans sa commune, comme le rapporte notre rédaction locale Le Perche, en janvier 2025.
Après un gros travail de recensement, l’élu a usé d’une arme administrative disponible dans sa manche : l’arrêté de péril ou d’abandon.
Citation
En général, ça réveille les propriétaires. Ils font le nécessaire ou ils revendent.
Daniel Chevée,Maire de Bretoncelles
Depuis, il n’y a plus de logements vacants dans le centre-bourg. Daniel Chevée, lui, professe la bonne parole dans d’autres communes.
Permettre aux maires de réquisitionner des logements vacants ?
Malgré la mobilisation des services de l’État et les actions de maires comme celui de Bretoncelles, la vacance progresse un peu plus chaque année, comme le confirment les données de l’Insee. Et s’il fallait véritablement confier le problème aux élus locaux ?
C’est ce que souhaite La France insoumise (LFI). Le 11 mars 2025, le groupe politique a déposé une proposition de loi visant à étendre le pouvoir de réquisition des logements vacants aux maires.
« Étendre le pouvoir » car oui, il existe déjà. Et depuis 1945. En effet, l’État a la possibilité de réquisitionner des locaux inhabités et de les mettre à disposition des plus pauvres, pour une durée temporaire et moyennant une indemnité d’occupation.
Mais peu de préfets, pour ne pas dire aucun, se sont aventurés là-dedans. Les dernières réquisitions conséquentes, portant sur 308 logements, datent de 2001, soit il y a plus de vingt ans.
Anil et CLCV sont sur la même ligne : cela risque d’être complexe à mettre en œuvre.
Citation
Le droit de propriété est un principe sacrosaint donc fatalement, on ne peut y porter atteinte que dans certains cas sous contrôle du juge.
David Rodrigues, Juriste habitat pour la CLCV
Le juriste compare même la réquisition à une « arme nucléaire ». D’autant plus à un an des élections municipales. Eh oui, quel maire en quête d’une réélection s’amuserait à user d’une arme si impopulaire ? Ce serait explosif.
Finalement, en matière de vacance, la balle est dans le camp des propriétaires. Ce n’est pas Monsieur le maire qui va venir avec sa caisse à outils pour faire des travaux dans les logements vacants de sa commune, après tout.
La « vacance » peut prendre une autre forme. Une forme qui irrite certains maires français : les résidences secondaires qui restent les volets fermés la majeure partie de l’année.
Dans certaines communes, les maisons de vacances sont présentes à perte de vue. Le plus souvent face à la mer ou dans les montagnes. L’Observatoire des territoires a calculé la part des résidences secondaires du parc immobilier global commune par commune.
Part des résidences secondaires (%)
Grâce à cette carte, on devine aisément les spots prisés : les côtes bretonnes, le littoral atlantique, la région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur, les Alpes françaises…
Et là, certains élus rivalisent d’inventivité pour limiter leur impact sur le dynamisme de leur commune.
À Trégastel (Côtes-d’Armor), plus d’un logement sur deux est une résidence secondaire, créant une ville à deux vitesses. Cette station balnéaire de la côte de granit rose compte environ 2 400 habitants à l’année. Sa population est multipliée par cinq en saison estivale.
C’en était trop pour le maire qui, lors d’un conseil municipal de 2024, a décidé de taper aux portefeuilles de ces propriétaires qui se montrent trop peu. Comment ? En augmentant la taxe d’habitation sur les résidences secondaires au taux le plus élevé permis par la loi, à savoir 60 % de la valeur locative.
Cette même année 2024, 539 communes ont également voté cette majoration de 60 %, selon les données de la direction générale des Finances publiques (DGFiP).
Les propriétaires seraient ainsi « incités à remettre sur le marché des biens non affectés à l’habitation principale », avait alors entendu notre journaliste du Trégor présent au conseil municipal.
Le maire de Trégastel pense bien faire, mais en réalité, ça ne pourrait être qu’un coup d’épée dans l’eau. « Ce plafond n’est pas assez élevé pour être dissuasif », souffle Jacques Baudrier, adjoint à la mairie de Paris en charge du logement, à actu.fr.
On peut effectivement supposer que des personnes propriétaires de plusieurs biens immobiliers, a minima deux donc, sont en mesure de mettre 1 000 ou 2 000 euros sur la table chaque année. « Ca coûte toujours moins cher que des vacances à l’étranger », remarque David Rodrigues, le juriste de la CLCV.
C’est bien là le problème : l’arsenal fiscal dont disposent les maires n’est pas suffisant pour inverser la balance.
Face à ce constat, le sénateur communiste Ian Brossat a déposé une proposition de loi en février 2025 pour tenter d’apporter une réponse. Jacques Baudrier a participé à l’écriture de cette PPL.
L’idée : fusionner trois taxes (la taxe d’habitation, la taxe sur les logements vacants et la taxe d’habitation sur les logements vacants) pour que la fiscalité soit enfin dissuasive. La loi prévoit également de tripler les plafonds actuels.
Selon les calculs de Jacques Baudrier, les résidents secondaires devraient plutôt s’acquitter de 4 500 euros de taxe par an (contre 1 000 euros en moyenne aujourd’hui).
Citation
Ça fait beaucoup pour venir seulement quelques jours dans l'année.
Jacques Baudrier, Adjoint à la mairie de Paris en charge du logement
Toujours selon les prévisions de l’adjoint à la maire de Paris, cette PPL permettrait de regagner jusqu’à un million de logements en France. Une belle réponse à la crise du logement actuel, sur le papier.
En attendant qu’elle soit examinée, « dans les prochains mois » selon notre interlocuteur, les maires doivent compter sur leur inventivité pour tenter d’apporter des réponses eux-mêmes à la crise du logement.
Loin du tumulte du Parlement, Eric Grall, maire de l’Ile-de-Batz (Finistère), a été mis devant le fait accompli quand il a enfilé son écharpe tricolore en 2021. Sur cette petite île de 450 habitants à l’année, trois maisons sur cinq ne sont ouvertes qu’une partie de l’année.
L’élu Horizons a alors eu une idée. Pour lutter contre la pénurie de logements pour les locaux, Eric Grall a tenté de persuader les propriétaires de résidences secondaires de louer leur bien à l’année à la mairie, au prix du marché.
Derrière, la mairie sous-loue ses biens à des locaux, à un tarif avantageux : 6,50 euros du mètre carré, soit 455 euros pour un 70 m² par exemple. L’objectif : loger des locaux, mais aussi repeupler l’école de l’île, qui n’accueille aujourd’hui que 18 enfants, âgés de 2 à 11 ans.
Aujourd’hui, deux familles bénéficient de cette initiative, confirme la mairie à actu.fr. Deux couples avec un et deux enfants de part et d’autre. Le maire, lui, n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Dans d’autres communes, on prend le problème des résidences secondaires à la racine. Avant même que l’arbre pousse même d’ailleurs. À Saint-Vaast-La-Hougue (Manche), élu village préféré des Français en 2019, on fait de la préférence locale.
Le maire, Gilbert Doucet, excédé par les résidences secondaires, a décidé de casser les prix des terrains. Pour les jeunes du coin uniquement.
Dans cette commune du Cotentin, les habitants sont 1 700 l’hiver… et 6 000 l’été, chiffre Pauline Mauger, instructrice en urbanisme pour la mairie, pour actu.fr.
Citation
On manque de logements pour les gens qui travaillent ici, ils sont obligés de se loger dans les communes voisines.
Pauline Mauger,Instructrice en urbanisme pour la mairie de Saint-Vaast-La-Hougue
Pour « alimenter l’école » et « faire vivre la commune », Gilbert Doucet a réservé cinq parcelles aux « primo-accédants, aux jeunes ménages, aux familles avec enfants ».
Aujourd’hui, trois lots ont trouvé preneur. Deux restent encore à attribuer. Saint-Vaast-La-Hougue ne compte pas s’arrêter là. La mairie projette de réitérer le projet, cette fois sur une trentaine de parcelles.
De l’autre côté de l’Hexagone, dans les Alpes françaises, certains ont décidé d’arrêter les frais. C’est le cas d’Eric Fournier, maire de Chamonix (Haute-Savoie). Au pied du Mont-Blanc, près de 70 % des habitations sont des résidences secondaires. Le haut du panier en France.
La mairie a dit stop. En mars 2025, la commune de 8 600 habitants a acté un nouveau Plan local d’urbanisme (PLU) interdisant la construction de nouvelles résidences secondaires. Une première en France.
Eric Fournier espère ainsi créer et reconvertir 1 000 logements dans les dix prochaines années et aussi imposer « 50 % de mixité sociale », comme on peut le lire dans un communiqué. Objectif premier : loger les travailleurs, notamment les saisonniers. A chaque mètre carré sa spécificité.