Alors qu'une mission parlementaire planche sur la création d'un statut du bailleur privé, la plupart des organisations professionnelles et associatives limitent leurs propositions sur ce sujet à la question fiscale, s'étonne Henry Buzy-Cazaux, président-fondateur de l'Institut du management des services immobiliers.
Le plus lourd risque encouru par un bailleur est celui que son locataire ne paie plus la contrepartie du service qui lui est apporté, le loyer.
Branle-bas de combat dans la filière immobilière : on s’agite de toutes parts pour bâtir un statut du bailleur privé, disons de façon plus simple de l’investisseur locatif privé. Des groupes de travail dans toutes les organisations professionnelles, les ministères du logement et de l’économie en émoi, une mission parlementaire confiée par Valérie Létard à un sénateur ancien ministre du logement et à un député…qui n’a pas empêché des initiatives individuelles telle celle de Charles de Courson, rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, et la liste n’est pas exhaustive. Bref, si l’enfant ne naît pas dans la prochaine loi de finances pour 2026, il ne naîtra jamais.
Avec justement un bémol : faudrait-il encore que toutes ces forces soient centrifuges et non centripètes, ou pour user d’une métaphore rugbystique, qu’on pousse en mêlée et que le secteur ne donne pas le spectacle de la dispersion des forces. Pour l’instant, les efforts manquent de coordination : on attendra de la ministre du logement, chef de file dans cette affaire, qu’elle tente la synthèse et la porte jusqu’à la préparation du projet de budget et au vote définitif. On espèrera aussi la stabilité institutionnelle de notre pays, menacé par une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale comme par une motion de censure du gouvernement, qui mettraient à bas le chantier d’une refondation de la condition de l’investisseur immobilier.
Et un second bémol : les acteurs de cette tentative de création d’un statut à part entière, qui ne relève plus de la niche ou de l’exception, disparate et agglomérant plusieurs dispositifs, limitent étonnamment leurs propositions à la question fiscale. Certes, elle est centrale et une partie de la commande ressort du champ de la fiscalité, dans un pays où les revenus, qu’ils soient d’origine foncière ou proviennent du travail, sont lourdement imposés…et où il est improbable que cela change quand il est urgent de réduire un déficit public abyssal. Pour autant, le sujet n’est pas là : il réside dans la nécessité que les revenus finaux issus d’un placement dans l’immobilier résidentiel à destination locative rapportent suffisamment à l’investisseur qui s’y est risqué. La question de l’attractivité économique est centrale, et la fiscalité est bien sûr l’un des leviers sur lesquels jouer. Le dispositif Pinel jusqu’à la fin de l’année dernière, tous ceux qui l’ont précédé, Loc’Avantages, le déficit foncier, le loueur en meublé non professionnel ou professionnel, tout cela était jusqu’alors censé reconnaître que l’investisseur apporte avec son épargne et sa capacité d’endettement un service à la collectivité en logeant un ménage et devait à ce titre recevoir une considération fiscale particulière.
Le bilan économique du propriétaire bailleur est néanmoins impacté par d’autres effets, et sur ces sujets, silence ou presque. Deux, majeurs, méritent qu’on les joigne au débat en vue de la construction d’un authentique statut du bailleur privé, la révision des charges récupérables et la sécurisation des loyers. Ces deux questions ont des conséquences non marginales sur ce qui reste à la fin au propriétaire investisseur et conditionnent puissamment l’intérêt d’aller ou pas vers l’investissement locatif privé. Ils ont une seconde vertu, considérable en ces temps de misère budgétaire : ils ne coûtent rien à l’État. Ils relèvent de la relation entre le bailleur et son locataire et de l’équilibre précisé par la loi et le règlement entre les deux. En clair, ce sont des textes de nature civile et non budgétaire qui les encadrent. Ils sont en outre en général moins polémiques que les textes financiers.
La liste des charges que le propriétaire acquitte et dont il peut demander remboursement au locataire est fixée par un décret datant de…1986. Accessoirement, elle concerne aussi bien le logement public, HLM pour utiliser une appellation convenue, que privé. Un texte spécifique, en vigueur depuis le 1er janvier 1987, aligne le régime des charges en logement social sur celui du logement privé. 1987-2025… On voit où est le problème. Les évolutions techniques des bâtiments, le déploiement d’équipements nouveaux au sein des immeubles, le besoin de plus de services et l’appétence des locataires à y recourir, l’obsolescence d’autres équipements et services, tout cela motive une actualisation pure et simple de la liste. Certes, on peut vouloir faire de ce sujet un thème idéologique, qui va opposer propriétaires et locataires et rouvrir une guerre de religion. En fait, il est technique, ni plus ni moins.
On mesure qu’il peut y avoir discussion sur la récupération de telle ou telle charge, mais il ne sera pas insoluble. Qui trouverait normal que l’usage d’équipements ou de services dont bénéficie à bon droit un preneur soit assumé par le seul propriétaire et que son rendement locatif en soit dégradé? Voilà le fond du sujet, sans passion.
Quant à la sécurisation, c’est une vieille lune. Le plus lourd risque encouru par un bailleur est celui que son locataire ne paie plus la contrepartie du service qui lui est apporté, le loyer. Le durcissement des circonstances économiques et les mutations sociales, ininterrompus depuis vingt ans, font croître tendanciellement ce risque. On se fait licencier davantage, on se sépare davantage, on assume des dépenses contraintes plus importantes. Un député de la première législature macronienne, aujourd’hui conseiller spécial du ministre de l’économie, Mickaël Nogal, avait rendu un rapport et rédigé une proposition de loi à la demande du ministre du logement de l’époque, Julien Denormandie, en vue «Louer en confiance», au profit de la sécurité économique tant du bailleur que du preneur, qui pouvait s’épargner en particulier une procédure pouvant mener jusqu’à l’expulsion.
Pourquoi n’exhume-t-on las ces propositions? Il y était question par exemple de rendre obligatoire par les gestionnaires professionnels le couplage entre mandat de gestion et assurance contre les impayés et les dégradations locatives,-à tout le moins l’obligation de présentation d’un produit d’assurance, qui pouvait être privé ou issu de l’offre des partenaires sociaux, Visale. À ce jour, moins d’une location sur cinq est assortie d’une sécurisation. En somme, quatre locations sur cinq sont exposées au risque d’impayé. Dans ce cas, si un impayé apparaît, le rendement locatif, qu’on s’évertue à vouloir booster par une fiscalité adaptée, avec par exemple un amortissement possible du bien, est mis à bas et compromis. Assurer le versement du loyer est plus important au fond qu’optimiser les revenus de la location par la fiscalité.
Il serait heureux que le Sénateur Marc-Philippe Daubresse et le Député Mickaël Cosson étende leur réflexion et le périmètre de leur rapport à ces questions cruciales. Qu’ils en fassent au moins mention, et que les acteurs professionnels et associatifs qu’ils vont auditionner élargissent leur champ de vision à ce qui n’est pas fiscal, tout en constituant des thèmes économiques déterminants pour le bailleur et en relevant d’évidence de son futur statut. Une opportunité historique s’ouvre, qu’il serait coupable de ne pas saisir.