1. Naissance & renaissance
Le bruit des pas allant et venant avait cessé de résonner depuis plusieurs heures. Du moins c'est ce qu'il lui semblait, tant l'obstination du chercheur le distrayait de tout le reste. Il n'avait pas le temps et n'en aurait jamais assez tant que ses recherches n'auraient pas abouties. Cela faisait déjà quarante ans qu'il travaillait sur ce projet, prétendant que le but était de permettre la synthèse d'humains destinés à devenir des soldats, ce à quoi le clergé d'une époque depuis longtemps oubliée croyait naïvement. La finalité réelle était toute autre, en effet, le chercheur qui se présentait sous le nom de Majestic, avait depuis longtemps découvert grâce à un grossier système de lentilles assemblées ainsi qu'à l'aide d'un peu de son sang, que le corps était constitué de multiples micro formes de vies. De plus, leur cycle de vie ne fonctionnait pas de la même façon que celui de l'être qu'elles constituaient. En effet au terme de longues heures passées à les observer, il put contempler leurs subdivisions. Mais cette information ne lui avait pas paru d'une utilité cruciale la première fois car il ne voyait pas de quelle manière le processus de vieillissement s'insérait dans le schéma, cette division devait en toute logique assurer une longévité infinie. Ce n'est que quelques années plus tard qu'il comprit à force d'observer, que les copies semblaient de moins en moins conformes, et leurs formes trahissaient des dégradations multiples. Cela lui permit de faire le rapprochement, n'importe quel copiste de l'époque ne pouvait reproduire un document à la perfection, et, à chaque fois la copie présentait beaucoup de différence. Il ne lui fut pas difficile de comprendre que l'apparition de dégradations sur un système aussi fragile que la vie et le vieillissement n'étaient autres que le même aspect de cette copie imparfaite. Il l'avait vérifié en comparant divers échantillons de sang de personnes d'âges variés. Car en effet tel était le but de cet homme, il cherchait à tout prix le moyen de rendre cette division parfaite, quant à la motivation de ses recherches, celle-ci différait nettement de celle de ses employeurs.
Ainsi donc dans ce silence bienvenu, il pouvait retourner à la réalité de ses recherches. Il sentait qu'il avançait car il avait réussi à stabiliser un échantillon de son sang dans une division perpétuelle, parfaite. Celui-ci n'avait pas présenté les signes habituels de dégradation depuis dix ans, mieux encore, il lui arrivait parfois d'en prélever une partie pour effectuer des tests et le dit échantillon revenait à une vitesse assez sidérante à sa forme et son volume d'origine. Il semblait capable de se nourrir seul car cette régénération impliquait un retour à sa masse originelle. À partir de ces faits, il ne fut pas difficile au chercheur de comprendre une chose fondamentale : la matière créé l'énergie et l'énergie créé la matière. Toutes ces révélations convergeaient vers le fait qu'il se rapprochait de son but, mais la peur de ne pas y arriver à temps le tenaillait toujours. Il devait trouver le moyen sûr d'arriver au même résultat sur un être humain dans son intégralité. Les tests qu'il avait conduits en ce but sur des prisonniers fournis par ses employeurs avaient tous échoués, ceux ci avaient au contraire vu leur vieillissement s'accélérer et non disparaître. Ce n'est qu'au crépuscule de sa vie qu'il tenta sa dernière chance. Il avait essayé tout ce qui était matériellement possible, mais les tests échouaient toujours de la même façon. Il en était arrivé à la conclusion que ce qui différenciait ces hommes de son échantillon de sang immortel était la volonté, ce sang issue de son être possédait une volonté assez forte pour rester en vie quoi qu'il lui arrive. En effet pendant des décennies il avait dû en prélever plusieurs litres pour ses expériences, pourtant, ce minuscule échantillon était capable de se régénérer, à partir d'une quantité infime de l'initiale tant qu'elle n'était pas détruite. Sentant sa mort proche, il tenta donc sa dernière chance et alla s'isoler dans un lieu désert et reculé avant de s'inoculer le précieux liquide dans l'espoir que celui-ci contaminerait le reste de son corps. Il en avait la conviction. Après tout ce sang, bien qu'ayant subi de nombreuses modifications, était issue de son être. C'est avec cette idée en tête qu'il sombra dans un profond sommeil. Depuis ce jour, ses anciens maîtres n'entendirent plus jamais parler de lui, ou si c'était le cas, ils n'en surent jamais rien.
Les hommes sont ainsi fait que la disparition de la personne à l'origine d'un projet, provoque dans la plupart des cas un abandon brutal des recherches. Ce fut-ici le cas, et les travaux pour créer les soldats tant désirés par ce culte ne furent jamais parachevés.
Majestic s'était éveillé recouvert d'une épaisse couche de givre, sa mémoire ne lui revenait que très lentement tandis qu'il était allongé là, observant les étranges couleurs du ciel à travers le filtre glacé qui s'était déposé sur ses pupilles. La première chose qui lui vint à l'esprit était qu'il avait réussi, mais il ne put dire quoi tant sa mémoire était brouillée. Après un moment qui lui sembla durer une éternité, il tenta de se redresser, tout son corps était douloureux, et il en déduisit qu'il devait être proche de la mort. Pourtant, une fois qu'il se fut péniblement relevé et retombé à genoux, son regard tomba sur ses mains et, dès cet instant, tout commença à revenir. Sa mémoire se réveillait, les mains qu'il avait devant les yeux n'étaient plus celles d'un vieillard proche de la mort. Sa respiration bien que douloureuse n'était plus le râle sifflant qui le gênait tant dans ses travaux. Et malgré le feu qui semblait brûler chaque muscle de son corps chaque fois qu'il le sollicitait, il avait retrouvé l'intégralité de sa vigueur. Il avait réussi. De longues heures durant, il se demanda combien de temps avait pu s'écouler car dans son brutal éveil, sa mémoire lui indiquait que lors de son apparente mort il s'était isolé au début d'un printemps riche en promesse climatiques, les arbres étaient en fleurs et l'herbe retrouvait son vert le plus brillant. Pourtant en promenant ses yeux alentours il vit que tout était gelé, les arbres étaient nus et l'herbe était blanchie par le froid. La douleur s'atténuant au fur et à mesure qu'il suscitait ses muscles, il se mit difficilement en marche en direction du lieu de ses anciennes recherches. Il ne reconnaissait rien de ce qu'il voyait lors de son trajet et les gens qu'il croisait lui jetaient un regard étrange, mélange de suspicion et de peur, convaincus qu'ils avaient la affaire à un fou. Car dans leurs esprits, seul un fou pouvait se déplacer ainsi affublé d'une tunique de lin, prête à tomber en morceau, et d'un pantalon de toile qui ne semblait guère en meilleur état, ainsi que d'une vieille corde pour seule ceinture. De même, aux yeux de Majestic les gens paraissaient vêtus de costumes étranges, inutilement criards tant par leurs couleurs que par leurs formes extravagantes. Il lui sembla reconnaître la langue parlée par les gens, bien qu'elle lui apparut comme abâtardie et le sens de certains mots lui échappaient.
- « ... des frusques pareilles...
- Que fait-il devant le palais de sa grâce ? ... »
Un homme vêtu tout de rouge et de bleu sembla dire : Cet hurluberlu doit être un fou, bien qu'il soit aussi mal affublé que les mendiants qui enlaidissent la grandeur de la cour du palais de sa grâce, il ne semble pas être ici pour mendier, or tout homme digne de ce nom ne saurait se présenter en ces lieux vêtu autrement que d'un pourpoint flambant neuf.
Tout paraissait sortir d'un autre monde aux yeux de Majestic, et il n'avait jusqu'alors jamais entendu parler de vêtements portant un tel nom. Il en déduisit rapidement que ce devait être ce dont était affublés tous les gens à l'air évaporés qui l'entouraient, des vêtements aussi ridicules qu'inutiles à ses yeux tant ils paraissaient lourds à porter, et ne semblaient pour autant pas offrir plus de protection contre le froid qu'une simple veste de laine sur une solide tunique. Quoi qu'il en soit, il avait atteint sa destination mais à la place de l'enchevêtrement complexe de ruelles qui menaient à son laboratoire se trouvait un bâtiment à la taille démesurée, et, lorsqu'il tenta d'y pénétrer, il fut brutalement éconduit sous les rires gras des badauds. Cela au moins n'avait pas changé, les hommes étaient toujours aussi mauvais. Cette rudesse acheva de le réveiller, et tout lui apparut clairement. Son expérience était un succès total, il avait réussi à retrouver toute sa force, et même plus encore. Car le choc lorsqu'il avait été jeté par terre ne lui avait pas provoqué de douleur malgré la dureté du sol. Le temps semblait avoir passé à toute vitesse pendant que son corps retrouvait cet état ... non, obtenait cet état de force et de vigueur qu'il n'avait jamais possédé auparavant. Il fut sûr dès lors que le sang qui avait réintégré son corps était responsable de cette modification, et comprit ainsi qu'il avait eu la bonne intuition. Ce qui le différenciait des autres hommes sur qui l'expérience avait échoué était la volonté de vivre, non pas pour simplement vivre mais afin de mener à bien un but profond et qui avait bien failli le mener à la folie lors de sa jeunesse idéaliste. En effet Majestic avait dès la fin de sa petite enfance pu observer que le monde était pourri et n'était pas comme il devrait être. Cette conviction s'était faite de plus en plus forte et le hantait à tel point qu'il n'était pas capable de penser à autre chose. Il lui apparut rapidement qu'il n'aurait jamais le temps d'apporter au monde les changements nécessaires afin de lui donner la forme qui devait être sienne. C'est cette volonté de nettoyer le monde qui l'avait différencié de tous les sujets d'expériences ratés. Cette volonté nette et inébranlable qui avait permis à son corps de tirer de ce qui l'entourait l'énergie dont il avait besoin afin de vivre dans ce seul but. Non, c'était même plus que ça, il sentait que son corps était différent de ce qu'il avait pu être durant toute sa vie sans pouvoir dire pour autant quels changements concrets le caractérisaient, cela, il ne devait le découvrir que bien plus tard.
Les années passèrent et Majestic ne perdit pas de temps, comprenant que sa mort apparente lui apportait une liberté totale dans ce monde où tout était porté sur l'importance personnelle et le rang social. Sa liberté ne lui coûterait pas plus cher que de renoncer à porter une identité définie, chose qui lui sembla bien dérisoire en échange de ce qu'elle offrait. Mais les années se transformèrent en décennies, puis en siècles, lors desquels Majestic réalisa qu'il avait été bien naïf. Le temps n'était pas la seule chose qui lui manquait, il avait pu observer que son corps ne vieillissait pas tandis que les ères passaient, et que le monde changeait d'apparence sans pour autant changer de fond, toujours aussi rongé par la pourriture qui le dégoûtait. Les siècles qu'il avait passé à "nettoyer" le monde des impuretés qui l'emplissaient, par des méthodes allant de la parole simple au meurtre d'individus bien trop vils pour tout amendement, n'avaient pas suffit. Il n'avait pas cessé, de tout ce temps à consacrer toutes ses forces à la purification de ce monde, pourtant celui-ci n'en pourrissait que de plus belle. C'est ainsi que Majestic se retrouva enfermé dans un cycle qui ne devait point amoindrir sa volonté, au contraire, mais le dégoût l'avait rendu amer et cynique. Il en vint à la conclusion que l'éternité ne lui suffirait pas à purger le monde, il lui fallait plus de pouvoir. Et bien qu'il découvrit qu'il possédait certaines capacités qu'il mit souvent en pratiques au cours des siècles de "purge" qu'il offrait au monde, celles-ci malgré le fait qu'il était le seul à les posséder étaient insuffisantes.
Toutefois, il ne renonça jamais devant l'échec, et continua d'oeuvrer dans l'espoir perpétuel que le fruit de ses efforts serait un jour récompensé. Chose curieuse, lui qui avait renoncé à toute individualité pour pouvoir se mouvoir au gré de sa volonté de par le monde, gardait malgré tout quelque chose sur lui qui le caractérisait assez insolitement. Une pomme, qui semblait noircie, comme pourrie, mais qui a l'instar de son propre corps ne changeait pas au fil des années. Cette pomme représentait l'état du monde a ses yeux et il la maintenait en l'état par la seule force de sa volonté, afin de raffermir celle ci chaque fois qu'il flancherait. Un simple regard sur ce fruit lui permettait de retrouver toute sa résolution d'agir, ce fruit noirci lui disait que l'heure n'était pas encore venue pour lui se de se reposer.
Ces évènements sont bien lointains et oubliés de tous, l'existence même de l'ordre religieux qui avait loué ses services avait été elle même effacée de l'histoire. Pourtant, cet homme agit toujours en notre ère, se déplaçant de par le monde entier afin de ne pas donner naissance à des rumeurs de morts soudaines concentrés dans un périmètre précis. Toujours seul malgré la solitude lourde et mordante, il n'avait rencontré au cours des siècles, aucune âme partageant le même dessein que lui.
2. Vivre pour savoir
Le bruit irrégulier mais perpétuel des voitures emplissait la ville d'un vacarme auquel la plupart des habitants s'étaient habitués, le vent charriait les relents de gaz d'échappement des véhicules et le sol d'asphalte faisait résonner les sons produits par les passants.
C'est bien pour cette raison qu'Elenwë avait depuis longtemps délaissé les soi-disant bienfaits de la civilisation pour vivre en parfaite autarcie à l'écart de cette agitation incessante, et plus précisément, à l'écart des gens le causant. Sa maison bien que robuste passait pour une cabane de bûcheron aux yeux des improbables passants, et lui apportait tout ce qu'il lui en demandait. Le mobilier à l'intérieur, bien qu'austère, était principalement utilitaire et de bonne conception, et la demeure était ainsi placée qu'il avait un accès proche à la rivière, et assez éloignée de la forêt afin de prévenir aux feux de forêts fréquents dans la région. Sa garde-robe était pour ainsi dire limitée, il disposait d'une solide veste en laine grise qu'il avait réalisé lui même, ainsi que d'un pantalon de toile robuste. A coté de celui ci contrastait un costume qui avait l'air parfaitement déplacé à côté de ces vêtements simples et utilitaires. En effet la deuxième tenue était composée d'un tee-shirt à manches longues rouges et d'un pantalon de jean qui correspondait bien plus au contexte des grandes villes qu'à celui de ce petit coin reculé de tout.
De fait, Elenwë était un solitaire et vivait ainsi afin de ne pas être perturbé par le monde extérieur, mais il lui arrivait parfois de se rendre dans les villes qu'il détestait tant, dans le but de se tenir au courant des évènements du monde. Rare furent les fois où il apprit quoi que ce soit d'intéressant, et pourtant l'une de ces sorties devait à jamais changer sa destinée.
En l'occurrence, celui-ci venait de se baigner dans la rivière afin de se laver des souillures de l'air de la ville, et rentrait chez lui pour revêtir ses habits normaux, encore qu'aux yeux des habitants du monde, les habits normaux n'étaient pas tout à fait de cet aspect. Une fois sec et à l'intérieur, il entreprit de reprendre son empire sur lui même car à chaque fois qu'il se rendait en ville, son esprit était profondément déstabilisé par la démence qui caractérisait à ses yeux le «reste du monde». De là à dire qu'Elenwë était complètement fou, il n'y a qu'un pas, mais ce n'était pas tant une folie classique qui repose habituellement sur l'incohérence du raisonnement. Non, cette folie était plus en fait le résultat du rejet total de son esprit pour le monde extérieur qu'il considérait comme un tissu d'absurdités, et se manifestait entre autres par cet isolement volontaire. Toutefois, ces années passées à l'écart du monde ne furent pas laissées tombées dans l'oisiveté, car de fait, Elenwë, bien que détaché géographiquement du monde réel, était en perpétuelle réflexion sur les causes et les effets des évènements sur l'état du monde en ce jour. Il savait pertinemment qu'il ne pouvait rien changer seul et n'avait jamais rencontré quiconque partageant sa vision du monde. L'on pourrait facilement croire qu'il avait ainsi renoncé à son humanité et préféré adopter le mode de vie des animaux car il trouvait que la nature dans sa simplicité fonctionnelle était beaucoup plus cohérente que le monde créé par ses semblables, mais tel n'était pas le cas. Elenwë se savait résolument être un humain et comprenait qu'il y avait une différence majeure entre l'homme qu'il était, et les animaux qui vivaient dans les alentours. Cela-dit, il pouvait compter sur les doigts d'une main les gens qu'il avait trouvé digne d'être qualifié du terme d'humain, et encore de façon bien imparfaite, au cours de ses soixante-sept années d'existences. Ce n'était pas de la vanité car ce concept est bien vide de sens pour un ermite, mais il se considérait comme un humain dans un monde où les gens vivaient de façon malsaine. Pour lui, quelques soient les peuples en question, les gens se comportaient de cette manière malsaine qu'est le mélange d'un comportement animal avec la capacité de l'homme à créer le mal, car c'est bien ce qui les différenciait à ses yeux. Si un animal ne pouvait comprendre le concept de cruauté, en revanche les humains avaient la capacité de le faire, mais bien peu prenait en considération celle-ci, et bien moins nombreux encore étaient ceux qui y portaient un quelconque intérêt.
Ce fut quelques mois plus tard que tout bascula. Lorsqu'il descendit dans la ville la plus proche pour recueillir des informations, il écouta sans en donner l'air plusieurs personnes parler d'une façon chargée d'un enthousiasme malsain qui caractérisait souvent les évènements sanglants. Apparemment des certaines de personnes seraient mortes dans un patelin proche de la grand-ville, toutes de causes diverses et variés, et même pour certains sans cause connue. C'était en effet le nombre de mort concentré dans un même endroit qui rendait la chose curieuse car même s'il arrive des accidents, lorsque ceux-ci se passent tous dans la même ville, cela ne peut être une coïncidence. Cette information intéressa Elenwë, non pas pour la raison qu'elle le sortait de l'ennui mortel et vide de sens de son quotidien, raison qui semblait être celle qui intéressait les gens qui en parlaient de façon plutôt indécente. Sa raison était purement basée sur la curiosité et c'est mû par celle-ci qu'il prit la direction de la ville concernée par le carnage. Malgré le fait que l'évènement ait eu lieu ici, les habitants semblaient ne rien savoir de ce qui s'était passé, aussi dut-il se résoudre a retourner chez lui. Cependant, avant cela il voulait avoir la certitude que personne en ville ne savait rien afin d'avoir l'esprit tranquille. Après tout, dans ce qu'il appelait pour lui même son «déguisement de ville» il passerait pour n'importe quel curieux parmi tant d'autres. Cela ne lui prit pas longtemps de remarquer que cette ville puait la corruption et était peuplée pour la plupart de gens sans scrupules, Elenwë n'avait pas une très haute estime de ses semblables mais cette ville particulière était encore plus rongée par le vice que toute celles qu'il avait pu visiter. Ayant appris que tout les morts avaient succombé au coeur de la nuit, il décida donc d'arpenter ses rues lorsque la lune serait haute afin de jeter un oeil à la personne qui semblait s'acharner à dépeupler cet endroit. Cela ne fut pas vraiment difficile car tous les habitants restaient chez eux par peur d'être tués, aussi était-il seul à circuler lorsqu'au détour d'une ruelle il aperçut un homme qui sortait résolument d'une demeure sans prendre la peine d'en fermer la porte avant de s'engager sur le trottoir. La logique ajoutée à son intuition le fit suivre cet homme, Elenwë était presque sûr qu'il avait découvert le responsable de toutes ces morts, une fois qu'il l'eut rattrapé, il remarqua que l'homme ressemblait à un citadin comme un autre, indifférenciable parmi la masse. Pourtant il dégageait de lui quelque chose qui acheva de persuader Elenwë qu'il avait vu juste.
L'homme avait remarqué qu'on le suivait et s'était retourné, afin de voir qui l'épiait ainsi, il fut assez surpris lorsque l'homme qui l'avait suivit s'avança nonchalamment vers lui. En effet toute ces morts auraient dû inciter jusqu'au plus bête des citoyens de la ville à rester cloîtré chez lui, mais celui ci ne semblait pas particulièrement être sur la défensive lorsqu'il s'approcha. Il lui adressa même la parole d'une voie assurée et l'interrogea d'une façon qui semblait vide de toute accusation, seulement mue par la curiosité.
- « Es-tu à l'origine de la mort des gens de cette ville ? »
Pris de court , l'homme répondit :
- « Et si tel était le cas ?
- Si tel est le cas, j'aimerais simplement en connaître la raison. »
N'ayant pas peur de tuer à nouveau si nécessaire il répondit sans la moindre gêne :
- « Car ces gens ne me plaisaient pas, leur existence est une insulte à l'humanité.
- Je vois, répondit simplement Elenwë tout en décidant mentalement que cet homme était décidément bien différent des gens qu'il avait rencontré jusque là, je pense que je vais te suivre et t'observer », ajouta-t-il sans la moindre trace de peur dans la voix.
L'autre fut d'abord interloqué par la brutale simplicité de l'annonce qui venait de lui être faite, mais après réflexion, il ne voyait aucune raison de tuer cet homme et si cela changeait, il pourrait toujours y remédier, ainsi lui répondit-il :
- « Fais comme bon te semble mais n'attends rien de ma part, j'ai une tâche à accomplir et je n'ai pas de temps a perdre. »
Elenwë n'ajouta rien et l'homme reparti sans même dire son nom, ce qui ne dérangea ni l'un ni l'autre.
C'est ainsi que ce curieux duo reparti pour s'engager dans une ruelle sombre, l'homme étrange précédant Elenwë qui se contentait d'observer en silence et en réfléchissant au sens des actes qui se déroulaient sous ses yeux.
3. La confrontation
Un homme courrait, semblant fuir une demi-douzaine de poursuivants armés de pied-de-biche. Cela dit, cela ne semblait pas tant le fatiguer et l'on ne pouvait lire aucune panique dans son regard. Il aperçut alors la rue qu'il recherchait et se dirigea vers celle-ci, entraînant les braillards qui le coursaient derrière lui. La ruelle en question était un cul de sac et il le savait bien. À peine eut-il tourné pour s'engager dans le croisement qu'il se cacha derrière une poubelle afin de laisser passer les belligérants. Ceux-ci s'aperçurent que la rue était déserte, et se mirent à insulter leur proie de tous les noms en l'incitant à sortir de sa cachette, ce que l'homme en question avait bel et bien pour intention de faire. Il envoya valser la dite poubelle d'un coup de pied et se redressa, un sourire sans joie inscrit sur le visage, et annonça sobrement :
- « Maintenant que vous êtes là, vous ne pourrez pas fuir lorsque ça va mal tourner pour vous. »
Les énergumènes qui l'avaient suivi jusqu'ici prirent cela comme une insulte assez ridicule venant de la bouche de quelqu'un qui semblait fuir quelques minutes auparavant. Cet homme les avait dérangés et provoqués pendant qu'ils faisaient commerce de produits relativement illicites à la faveur de la nuit, puis avait pris ses jambes à son cou une fois qu'il avait vu qu'au moins six personnes le suivaient. Pourtant ce qui se passa ensuite ne fut pas joli à voir. La présumée proie avança vers eux d'une démarche rigide quasiment militaire, et une fois à portée, se jeta sur eux sans autres formes de procès. Il reçut bien quelques coups de barre de fer dans le dos et dans les jambes, mais semblait ne pas y prêter attention jusqu'à en recevoir un au visage qui ne lui laissa qu'une petite coupure. Il empoigna donc celui qui lui avait donné le coup, avant de le délester de son arme et de le balancer à terre, après quoi il tordit le pied de biche comme s'il n'était pas plus résistant que du fil de fer, et le jeta derrière lui. La suite est bien trop sordide pour être relatée ici en détail, le bagarreur solitaire cassa beaucoup de dents et d'autres choses diverses sans faire de favoritisme entre les os et les articulations. Lorsqu'il émergea de la ruelle avec pas mal de sang maculé sur sa veste et son visage, de fait le liquide en question ne sortait pas de son propre corps, il reprit calmement sa route comme si rien ne s'était passé, se dirigeant vers une petite baraque abandonnée dans laquelle il vivait depuis un moment déjà.
Ancien militaire, cet homme portait le nom de Dez. C'était un homme brisé car il avait vite vu ses rêves de justice et de pacification du monde voler en éclat lorsqu'il faisait partie de l'armée de son pays. Tout allait bien lorsqu'il n'était que soldat, il n'était au courant de rien et allait sur le champ de bataille là où on le lui disait. Mais ceci changea lors de sa première promotion. Inévitablement, celle-ci impliqua une plus profonde immersion dans le monde militaire, et, lorsqu'il se rendit compte de tous les motifs politiques puérils et vide de sens qui avaient coûté la vie à de braves soldats, il quitta l'armée sans même donner sa démission. Il alla même jusqu'à refuser intérieurement de récupérer l'argent de ses payes mensuelles précédentes, car pour lui, cet argent était souillé du sang de ses camarades tombés au combat. Ce profond dégoût l'avait rapidement amené à être hargneux et il préférait éviter dans la mesure du possible de rencontrer trop de monde. Sauf, évidemment, lorsque sa colère était à son paroxysme, il avait de fait pris pour habitude de faire justice lui même à petite échelle en massacrant régulièrement des voyous de secondes zones, parfois par dizaine, et vivait de l'argent qu'il récupérait sur eux. Il avait tendance à rapidement dilapider cet argent, car il en disposait de manière assez peu commune. Il n'hésitait pas à laisser tomber ce que d'aucun appelleraient une fortune dans la sébile de certains mendiants, parfois par compassion, parfois par désir d'être à court d'argent tout simplement pour pouvoir à nouveau disposer d'un prétexte de se défouler sur une bande de dealer ou d'autres voyous quelconques. Même s'il se rendait bien compte que ses actes n'avaient aucun impact à grande échelle, cela suffisait à le satisfaire et cette vie de bagarre incessante, toujours seul contre une multitude, avait développé chez lui une force physique peu commune. De même, il avait si souvent subi plaie et bosse que son corps cicatrisait rapidement, ses os s'étaient durcis car chaque fois que l'un d'entre eux se brisait au combat, celui-ci se ressoudait plus solidement encore.
Cette vie bien qu'étant la seule qu'il ait réussi à mener jusque là, n'était pas celle dont il avait rêvé, mais dans sa brusque désillusion il avait pu comprendre qu'il n'arriverait pas à faire mieux. C'est ainsi qu'il avait décidé de passer le restant de ses jours. Tant qu'il aurait la force de se battre, il continuerait ainsi, les «victimes» n'étant pas du genre à aller se plaindre à la police car de fait, porter plainte pour vol de l'argent venant de la vente de drogue ou d'objets volés n'était pas chose courante. Il avait acquis quelques bases rudimentaires sur la médecine, il était bien loin d'être versé dans les mécanismes biologiques intérieurs du corps, mais le rafistolage des membres cassés et la désinfection des plaies n'avaient plus de secret pour lui, il n'avait pas eu besoin d'aller à l'hôpital depuis des années et cela lui convenait parfaitement, évitant ainsi des questions qu'il préférait ne pas aborder. Comme la source de ses blessures par exemple.
Vivant ainsi, lorsqu'il ne se battait pas ou n'était pas en train de se remettre des blessures de sa dernière bagarre, il déambulait en ville sans autre but que de se balader et parfois repérer d'éventuelles personnes louches dont il notait mentalement la localisation afin de s'en occuper plus tard. C'est lors d'une de ces sorties nocturnes de «nettoyage» des rues qu'il tomba sur un duo qui se déplaçait nonchalamment dans une ruelle sordide. Malheureusement pour eux, Dez n'était pas de très bonne humeur ce soir là et de ce fait, n'avait aucune envie de finasser. Deux personnes se déplaçant en pleine nuit dans un quartier aussi mal famé ne pouvaient qu'être animées d'intentions malveillantes. Il s'avança donc à leur rencontre et lorsqu'il les eut rattrapés, il jeta un rapide coup d'oeil aux deux personnages qui s'étaient retournés pour le voir venir. L'un d'entre eux était un vieil homme à la courte barbe grise et à la calvitie bien avancée, et Dez décida rapidement qu'il ne se battrait pas contre une personne âgée. L'autre avait les cheveux sombre mais il n'arrivait pas à lui donner d'âge, il aurait pu tout aussi bien avoir tout juste la vingtaine ou tout autant aller sur ses quarante ans. Quoi qu'il en soit, c'est lui qu'il prit pour cible et tandis qu'il s'apprêtait à se jeter dessus sans crier gare, il s'arrêta comme paralysé juste devant lui, des sueurs froides dans le dos. La situation l'effrayait, non pas qu'il eut peur de l'homme en question, encore que celui-ci dégageait une sensation particulière de calme absolu, il était en effet plutôt apeuré par le fait que jamais de sa vie il ne s'était retrouvé stoppé dans son élan de déchaînement de violence. La situation ne dura que quelque battements de coeur mais sembla infiniment plus longue à Dez, d'autant plus que les deux hommes n'avaient pas fait mine de réagir le moins du monde à son assaut ni même au brusque arrêt de celui-ci. Dez s'assit, haletant en proie à une curieuse sensation d'épuisement, chose qui lui était peu familière, et le duo continua de le regarder sans rien dire, puis, au bout d'un moment d'observation, l'homme qui paraissait le plus jeune des deux fit mine de repartir et de poursuivre son chemin.
Lorsqu'il eut repris ses esprit, Dez ne lança qu'un mot :
- « Attendez ! »
Les deux hommes, bien qu'ayant avancé de quelques dizaines de mètres, s'arrêtèrent laissant le temps à l'autre de les rattraper puis continuèrent leur route sans dire mot. Quant à lui, Dez se sentait étrangement vivant, rien ne l'avait plus intrigué et la curiosité était morte en lui depuis longtemps, pourtant il se sentait comme attiré par cet homme sans âge apparent qui n'avait pas fait mine de s'écarter devant son assaut. Pour la première fois depuis des années, il ressentit le besoin de satisfaire sa curiosité afin de comprendre pourquoi il n'avait pas pu se résoudre à le frapper comme il en avait tant l'habitude. Il les suivit donc et chose étrange, le duo qui le précédait semblait indifférent à sa présence, il nota même qu'eux deux ne parlaient pas entre eux et cette atmosphère particulière dura plusieurs heures, avant que le meneur du groupe qui était apparemment le plus jeune des deux décide de s'arrêter pour la nuit une fois sortis de la ville. Dez n'avait pas dormi à la belle étoile depuis des années, encore que l'on eut difficilement pu qualifier sa résidence habituelle de maison. D'ailleurs, il ne dormit pas beaucoup cette nuit là et passa la majeure partie de celle-ci à s'interroger sur les évènements récents, ne cédant au sommeil que peu avant l'aube. Chose curieuse qu'il constata en se réveillant, les deux autres n'étaient pas partis pendant son sommeil et ne se remirent en marche qu'à cet instant.
C'est ainsi qu'il les suivit, déterminé à comprendre le fin mot de l'histoire.
4. Collusion, coalition et union.
De la fortune qu'il avait hérité de ses parents aujourd'hui décédés, il ne reste plus grand chose à Shoriu, encore que ce plus grand chose eut été qualifié de fortune par le commun des habitants, mais la façon dont il vivait était pour le moins coûteuse. Il avait démarré dans la vie comme fils unique, couvé et protégé des dures réalités de ce monde par ses parents, tant et si bien que lorsqu'il démarra dans la vie sociale, le choc fut rude. Il n'avait pas eu à faire d'études car devait tout simplement reprendre l'entreprise familiale, et, de ce fait n'était pas habitué à fréquenter d'autres personnes que des enfants de parents riches et tout aussi surprotégés, autant dire qu'il ne connaissait rien au monde extérieur. Le brusque décès de ses parents survint lors de sa vingtième année, et c'est à cet âge précoce qu'il se retrouva à la tête de l'empire financier qui lui avait été légué. Les choses se déroulèrent bien pendant quelques temps, mais les gens qui travaillaient pour ses parents ne tardèrent pas à remarquer que Shoriu n'était en aucun cas capable de se défendre si jamais ceux qui avaient accès aux finances de la famille s'accordaient quelques libéralités avec celui-ci. Mais bien qu'il fut incapable d'expliquer le déficit soudain d'une grande société qui avait toujours été florissante, Shoriu était peut-être ignare sur la question mais n'était pas stupide pour autant. De fait, son action prit au dépourvu pas mal des serviteurs qui s'étaient encroûtes dans le luxe grâce à la direction sans restriction de Shoriu. Celui-ci vendit sans crier gare sa société et répondit aux protestations des employés qui voyaient très bien que changer de patron signifiait ne plus avoir d'occasion de profiter de celui-ci. C'est ainsi qu'il se retrouva détenteur d'une fortune colossale placée sur un compte en banque sans investissement, sans taux d'intérêt, dans une banque fiable loin d'ici. Il disposait de fonds quasi illimités mais n'avait plus de revenus et surtout, il était seul désormais, mais à ses yeux la solitude valait mieux que d'être entouré de personnes mal intentionnées, à l'hypocrisie flagrante.
Shoriu se réveilla brusquement, des sueurs froides dans le dos en plein milieu de la nuit. Il avait encore rêvé de sa jeunesse naïve et bien qu'il aurait pu s'habituer à cela, ce n'était pas le cas. À chaque fois que cela recommençait il ne pouvait s'empêcher de maudire sa stupidité de l'époque. S'il avait su quoi faire, s'il ne s'était pas laissé dorloter dans le coton pendant sa jeunesse, il aurait pu utiliser le pouvoir de son empire financier afin de mener à bien certaines tâches. Désormais il devait mener la lutte seul. Il savait bien que ses employés ne lui auraient pas obéi par fidélité mais par intérêt, il lui arrivait d'ailleurs fréquemment de réquisitionner contre paiement comptant les services de divers individus, le plus souvent pour des renseignements. Devenu bien plus dur qu'il ne l'aurait souhaité à cause du choc qu'il avait eu lors de ce qu'il considérait comme la trahison des employés de l'entreprise familiale, il n'hésitait pas à annoncer clairement aux informateurs qu'ils risquaient gros, dans l'intérêt de la continuité de leur vie, s'ils lui faisaient parvenir des renseignement fallacieux. Car telle était la vie de Shoriu désormais, il menait une vie de façade de riche héritier n'ayant pour autre but que de vivre dans le luxe, reclus de tous ayant pour seule compagnie son mobilier. Derrière cette façade, il se renseignait sur le monde qui l'entourait et de manière plus ciblée sur les criminels qui peuplaient les grandes cités. Il avait plus d'une fois fait appels aux services de tueurs à gages pour mettre un terme aux activités, et par la même occasion à la vie, de certaines pourritures notoires. La vie de ses hommes lui importait peu car ceux qui étaient prêts à tuer pour de l'argent n'était pas ce qu'on pourrait qualifier d'enfants de coeur. Les années allaient bon train sur ce mode de vie, mais il ne restait pas oisif tandis que les grandes têtes du crime tombaient les unes après les autres. Il avait embauché un ancien tueur à gage qui s'était retiré du métier, il ne lui avait jamais demandé sa raison car il s'en fichait pas mal, tout ce qui l'intéressait était d'acquérir lui même une maîtrise complète de tous les types d'armes à feu existants. Car de fait, une fois que sa fortune aurait été dilapidé pour l'embauche de ces tueurs peu scrupuleux, il devrait lui même mettre la main à la patte.
Cela dit, en parallèle à tout ceci, il employait des informateurs dans un but différent de celui de la recherche et du meurtre des grands pontes du crime. Il avait dressé grâce à ces gens une liste de personnes qui semblaient avoir des idéaux pour le moins élevés et une forte tendance à vouloir la justice avant tout. Il se doutait bien que moins d'un dixième conviendrait à son goût, mais il rencontrerait ces gens personnellement afin de se faire une idée plus précise que celle rendue sur papier. Cette rencontre se faisant bien évidemment après une certaine durée d'espionnage de sa part, il voulait être sûr de ne pas se tromper en donnant sa confiance. De fait il ne l'avait accordé à personne depuis longtemps et aucune précaution n'était de trop car à l'idée d'être à nouveau trahi, Shoriu sentait qu'il ne s'en relèverait pas. Il avait repéré depuis longtemps un homme qui semblait se déplacer de par le monde entier, tuant de façon parfois exotique, parfois inexpliquée, nombre de personnes, mais les gens en questions étaient tous plus ou moins trempés jusqu'au cou dans des affaires immorales et illégales. Ainsi cela ne lui prit pas longtemps à additionner deux et deux et à comprendre que d'autres gens que lui avaient le même objectif. Mais contrairement à lui dont les victimes étaient toutes exécutées par l'arme blanche ou le fusil, l'autre semblait disposer de capacités particulières sans lien aucun avec l'argent et c'est cela qui l'intéressait. Son plan était simple, espionner puis rencontrer les gens qu'il avait fait lister comme potentiellement intéressés par la justice, réunir ceux qui en valaient la peine et remonter la piste du tueur mystérieux afin de lui proposer alliance.
Quelques mois après le lancement de son plan, il eut le déplaisir de réaliser qu'il avait été bien optimiste. Sur plus d'une centaine de candidats potentiels, seuls trois avaient retenu son attention. Les deux premiers avaient été pendant leur jeunesse des manifestants engagés et avaient abandonné après avoir réalisé que la seule parole ne les mènerait à rien, ils s'étaient isolés pour s'entraîner, l'un à la maîtrise des armes blanches et des armes à feu légères, ainsi que de certains arts martiaux. L'autre était beaucoup plus affaibli et ne s'entraînait qu'à la maîtrise de l'épée, comme si l'objet en question était la seule chose qui le rattachait à la vie. Le troisième faisait parti d'un corps de marines, il avait été recueilli étant enfant par un haut gradé à la retraite et y avait fait carrière en démarrant en bas de l'échelle, refusant le piston qui aurait été facile par le biais de son père adoptif. Il décida donc de commencer par les deux premiers. Ils vivaient seuls et ne fréquentaient personne, ce qui lui faciliterait la tâche. Les deux hommes bien que ne se connaissant pas vivaient de leur chasse et de leur pêche dans un coin reculé, une forêt encore sauvage située en altitude. Ils s'étaient installés tous deux dans une partie de la forêt en quittant la civilisation avec le strict minimum comme matériel, quelques lames et hachettes à bois, et des vêtements solides et bien peu urbains.Cela dit l'un d'eux avait amené avec lui un prodigieux arsenal de poignards, de lames courtes et même d'armes a feu. Géographiquement Shoriu était plus proche de celui qui se prénommait Njio et il commença donc par celui ci. Tactiquement ce choix était judicieux car le dénommé Njio s'entraînait ainsi en l'attente d'un groupe puissant à rejoindre et la proposition de Shoriu l'intéressa de but en blanc, il accepta de le suivre bien qu'ayant précisé au préalable qu'il n'avait pas intérêt à lui avoir raconté des salades au sujet de cet homme étrange, qui semblait faire justice comme bon lui semblait sous le nez des autorités impuissantes à réagir. On aurait facilement pu croire que cet homme qui s'entraînait en pleine nature depuis ses seize ans, qui en avait désormais environ une trentaine, serait d'une rudesse et d'une sécheresse désagréable, mais il faisait preuve d'un certain sang-froid et parlait de façon calme et posée. C'est ainsi qu'ils se dirigèrent en bavardant au sujet de leur but final vers le deuxième homme. Celui-ci était plus jeune de quelques années et il était infiniment moins à l'aise dans la discussion que Njio. Son visage n'arborait aucune expression sinon le manque de volonté, et il ne posait jamais son épée. Après quelques explications, il accepta de les suivre, bien que doutant profondément que l'homme que le dénommé Shoriu voulait rejoindre partage les mêmes idéaux que lui. De fait, son désespoir était né du fait qu'il avait toujours pensé qu'il était seul et le resterait, sa lame pour seule compagnie. Il ne voulut pas expliquer sa provenance car ce genre d'armes archaïques étaient bien peu courantes de nos jours, mais il semblait l'avoir utilisé violemment lors de ses entraînements sans que le tranchant ne s'émousse le moins du monde. C'est ainsi que les trois hommes repartirent à l'instigation de Shoriu, à la recherche du troisième homme. Le convaincre serait plus compliqué car celui-ci avait un emploi, et, bien que partageant les mêmes idéaux, ses méthodes et sa façon d'agir semblait lui imposer de rester dans la stricte légalité, ce qui n'aidait pas. Shoriu savait d'expérience que cette barrière devait être brisée si l'on voulait réellement nettoyer le monde.
Et pourtant, les choses se passèrent assez facilement bien que la raison ne fut pas aussi simple qu'elle paraissait au premier abord. Shoriu avait contacté l'homme anonymement et lui avait annoncé la chose de manière directe. Il voulait rejoindre un certain homme qui tuait pour la justice et avait pour ça besoin de gens capables de se battre, et il avait pour cela besoin de lui. L'interlocuteur en question se nommait Sarkastik, et, le hasard, si l'on en admet l'existence, avait fait en sorte que celui-ci était à la recherche du tueur en question, mais ses raisons étaient plus officielles et ses intentions étaient de l'arrêter. Aussi lorsqu'il accepta la proposition, ce fut uniquement dans le but de se rapprocher de sa cible. C'est ainsi que le groupe curieusement assorti se lança sur la piste du justicier hors la loi. Les derniers renseignements que Shoriu avait pu obtenir étaient assez frais et lorsqu'il eut finit ses préparatifs, en l'occurrence retirer tout ce qu'il restait de son compte en banque sous forme liquide et revendre son domicile, il paya un contrebandier pour les emmener par les airs sur les lieux indiqués par ses hommes. La quinzaine de morts datait d'à peine deux jours et il ne leur fut guère difficile de suivre la trace en se renseignant sur les décès de criminels récents. Lors du trajet, Shoriu réfléchissait quant à l'approche qu'il convenait d'adopter tandis que Sarkastik mettait au point son plan, mieux valait ne pas appeler directement ses supérieurs une fois qu'il aurait trouvé l'homme, il fallait qu'il comprenne ses méthodes afin de pouvoir le confondre devant un tribunal. Les deux autres suivaient. Njio semblait être intéressé par l'obstination de Thoner à refuser de s'entraîner ou de combattre autrement qu'à l'épée, et plus précisément cette épée-ci et aucune autre. Aussi les deux hommes discutèrent longuement pendant la route, et bien que mal à l'aise dans un premier temps, l'épéiste sembla s'ouvrir un peu plus d'heure en heure. Shoriu informa son trio que leur cible avait passé la frontière et s'était engagé dans une zone non peuplée, c'était la méthode que l'homme employait pour profiter de la lenteur des autorités à réagir en ces circonstances. À partir de là, la poursuite fut aisée, l'entraînement militaire de l'un et la vie en pleine nature des deux autres leur permettait de suivre la piste. Ils remarquèrent cependant que le tueur n'était pas seul, deux autres hommes marchaient derrière lui.
La rencontre eut lieu en début de soirée lorsqu'ils aperçurent un feu de camp isolé à la lisière des bois. Shoriu demanda à ses trois recrues de le suivre à quelques mètres, et s'avança à découvert afin de manifester que ses intentions n'étaient pas hostiles. Lorsqu'il atteint le campement, il y trouva trois silhouettes assises en face du feu et demanda sans ambages à parler à la personne qui dirigeait la marche. Personne ne répondit mais un homme aux cheveux ailes-de-corbeau se leva et le regarda en guise d'invite à la parole. Bien qu'il ait réfléchi et mis au point son approche pendant plusieurs jours, l'homme en face de lui dégageait quelque chose de particulier, qui n'était pas à proprement parler hostile, mais sa présence était imposante. Aussi Shoriu laissa tomber les propos qu'il avait prévu, il allait devoir improviser.
Il décida que la franchise était de mise et annonça sans passer par quatre chemins :
- « J'ai eu vent de vos activités depuis un moment déjà, je me suis renseigné sur les personnes auxquelles vous ôtez la vie et j'en déduis que votre but est plus ou moins similaire au mien, la seule chose que je ne sais pas, c'est la façon dont vous procédez mais ce n'est pas pour ça que je suis venu ici. J'ai réuni ces trois personnes avant de venir vous voir, je serai franc et direct, nous avons tous les quatre pour but de voir régner la justice en ce monde et vous semblez tenter de dépeupler le monde criminel à vous seul. Cela ne suffira pas, je le sais car j'ai longtemps agi ainsi, bien que, si j'en crois certaines rumeurs invraisemblables, vous agissez depuis plus longtemps que l'on ne saurait dire. Ces hommes et moi-même sommes prêts à mettre nos vies en jeu pour nettoyer la planète des pourritures humaines qui l'infestent, et je pense que nous avons tout intérêt à agir de concert plutôt que de façon isolée. »
Pendant que Shoriu annonçait ceci, ses trois compères étaient en proie à certains chocs. Sarkastik fut complètement ébranlé dans sa certitude, la seule présence de cet homme avait suffit à effacer sa certitude qu'il devait le faire arrêter, il ne ressemblait en aucun cas au genre de personne qui tue pour le plaisir et il émanait de lui quelque chose de complètement déconcertant. Njio et Thoner, quant à eux, comprirent que Shoriu n'avait en aucun cas exagéré, ils avaient là affaire à un leader-né potentiel et l'aura qu'il semblait dégager en disait plus que des mots sur sa détermination. C'était bel et bien l'homme qu'il leur fallait, Thoner cherchait la détermination et Njio recherchait un chef puissant.
Lorsque Shoriu eut fini de parler, le silence s'installa pour ce qui leur parut une éternité, bien qu'en réalité, seules quelques secondes s'étaient écoulées.
Majestic, car ils avaient bel et bien retrouvé la trace du tueur mystérieux, fut d'abord surpris par la proposition abrupte de Shoriu, un homme normal aurait tout de suite vu cela comme suspect, mais ce n'était pas le cas. Majestic avait vécu suffisamment longtemps, assez longtemps pour être incapable lui-même de dire combien de temps, pour savoir déceler le mensonge ou les intentions cachées derrière les paroles de façade. Cet homme était sincère de toute évidence, la chose qui l'avait surpris venait en fait d'un constat qu'il avait fait et que cette proposition venait de faire voler en éclat. Il avait toujours cru, bien que certaines personnes qu'il avait croisé durant sa longue vie aient un avis similaire au sien, qu'il était le seul à avoir la détermination suffisante pour tout sacrifier à ses idéaux. Et voilà que quatre hommes se présentaient à lui et lui proposaient de façon implicite de disposer d'eux afin de l'aider dans ses activités. Leur sincérité était démontrée par leur seule présence, ils étaient venus le trouver malgré les difficultés que cela impliquait, ils s'étaient avancés bien en vue et ne manifestaient aucune intention hostiles.
Au terme de cette réflexion à leur sujet il leur annonça qu'il n'avait pas de temps à perdre, et que bien que Shoriu ait dit vrai au sujet de l'efficacité supérieur d'un groupe à des individus isolés, cela ne pourrait marcher que s'ils étaient tous prêts à dédier leur vie et donc tout leur temps à l'idéal de justice. Il leur précisa qu'il fallait être prêt à sacrifier toute la vie qu'ils avaient derrière eux, et à renoncer à leur identité sans quoi l'entreprise serait vouée a l'échec. Tous acquiescèrent et, chose qui le surpris, même les deux personnes qu'il avait tout simplement pris pour des observateurs curieux déclarèrent être prêts à tout pour l'aider dans cette tâche. Même Sarkastik qui était venu déterminé à l'arrêter, avait réalisé que la justice ne pouvait être institutionnelle. Il avait toujours pensé que la corruption naissait de la présence de criminels mais il ne le pensait plus désormais. C'est ainsi que les six personnes réunis prêtèrent serment de le suivre et de l'aider dans sa tâche d'épuration du monde. Majestic ne put qu'accepter cet élan de brutale sincérité et eut un choc, il ressentit quelque chose qu'il n'avait pas éprouvé depuis des siècles, il n'était plus seul désormais, mieux, il était accompagné par des gens déterminés à poursuivre les mêmes idéaux que lui. Majestic ne versa pas de larmes, mais sur une pomme noirâtre posée près du campement, une petite parcelle se mit à blanchir.
5. Barrières
Dans un vieil immeuble abandonné, sept personnes étaient regroupées près d'un feu de camp placé derrière un mur à moitié abattu, afin que la lueur ne soit pas visible depuis la route. Six d'entre eux dormaient à même le sol, le septième montait la garde et songeait aux grands changements qui avaient fait irruptions dans sa vie. Certes l'on ne pouvait pas considérer qu'il accordait une confiance absolue au petit groupe qui l'avait rejoint de façon disparate, mais le seul fait d'accepter l'aide de quelqu'un était un bouleversement majeur de ses habitudes, car depuis des temps immémoriaux, il avait toujours agi seul. Et voilà que ces gens s'étaient imposés à lui, et avaient accepté sans réserve de mettre leur vie en jeu pour la cause qu'il servait lui-même. Lui qui avait vécu des siècles sans rencontrer qui que ce soit d'aussi déterminé se voyait désormais entouré de six personnes en quelques semaines à peine, et cela le laissait perplexe. À contrecoeur, il devait rejeter l'hypothèse selon laquelle le problème venait du coeur même des hommes, la seule raison qui laissait le monde sans protection face à la vermine qui l'infestait n'était pas l'intention, mais la force du peu de gens désirant agir pour le bien de celui-ci. Aucun homme seul ne pouvait agir car il serait impitoyablement écrasé par la masse grouillante autour de lui. Personne, pas même lui, n'en aurait eu la force lorsqu'il n'était encore qu'un homme comme les autres. Ces réflexions l'amenèrent à la conclusion qu'il pouvait employer de façon bien plus efficace ses dons particuliers. Plutôt que d'agir seul et de façon dénuée de risque, il avait devant lui le choix de prendre un pari risqué, celui de réunir autour de lui ceux qui étaient prêts à se battre. La solitude était le fléau qui privait l'humanité du bien qu'il y avait en elle, car ceux qui manifestaient un vif désir de réformer le monde pour son plus grand bien étaient immédiatement isolés et réprimés par une foule si bien esbaudie dans son confort servile, qu'elle se refusait à tout changement. C'est ainsi que Majestic prit la décision de mener deux combats de concert. Il continuerait de faire couler le sang des déchets qui salissaient le monde, et recueillerait les solitaires qui désirent servir une cause juste.
Les jours avaient passé depuis que Shoriu avait tout aussi maladroitement que sincèrement proposé son aide, proposition qu'avaient rejoint les cinq autres. Les membres de cette petite compagnie avaient appris à se connaître. Dez, qui était assez expert dans l'art de sauter dans le plat à pied joint, tentait sans cesse d'inciter Shoriu à la discussion, ce qui n'était pas le point fort de celui-ci. Dez n'avait jamais utilisé d'arme de sa vie et les divers fusils de longue portée qu'utilisait son compagnon improvisé l'intriguaient. À côté de cela, Njio était interpellé par l'obnubilation de Thoner pour son épée. Njio s'était entraîné à manier toutes les armes légères, à feu comme les lames, et il ne comprenait pas pourquoi cet hurluberlu se bornait à n'utiliser que cette arme, il ne la quittait jamais, il allait même jusqu'à dormir avec. Pour des raisons propres à chacun, Elenwë et Sarkastik étaient plutôt silencieux, le premier se contentant d'observer sans en louper une miette, car de sa vie, c'était peut-être la seule chose vraiment intéressante qu'il avait pu voir. Le second était en proie à un dilemme qui venait ébranler toute sa résolution. Il était venu empli de certitude mettre fin aux actes de l'homme auquel il avait prêté allégeance. Il avait bel et bien été sincère lors de ce geste et c'est bien là que se situait le problème. Comment pouvait-il s'être trompé durant toute sa vie sur la manière dont la justice devait être appliquée ? Pour lui, la loi et la justice ne faisaient qu'un, et voilà qu'un homme absolument hors-la-loi se battait pour la justice sans rien recevoir en retour. Ce n'est que quelques jours plus tard que Dez, remarquant le malaise du militaire qui les accompagnait, engagea la conversation avec lui, sa propre expérience bien que courte des sphères militaires d'où naissaient les décisions lui permit d'aider Sarkastik à réaliser le concept de corruption. Ce concept qui avait toujours appartenu au monde illégal pour ce dernier, mais, devant la réalité des faits, il ne pouvait qu'admettre que la corruption était universelle.
Majestic avait évalué la situation de manière mathématique. Lorsque l'on agit seul, une seule volonté nous aide, de toute évidence la nôtre. Dès lors qu'une personne offre son soutien, si l'on retourne cette faveur les deux reçoivent autant d'attention. Mais si plusieurs le font, chaque membre se retrouve individuellement soutenu par plusieurs personnes, le potentiel de ce fait pouvait bien être ce qu'il lui manquait. Combattre pour des valeurs honnêtes lorsque l'on ne dispose d'aucun humain avec qui les partager n'avait pas de sens. Malgré tout le temps dont il avait disposé, il avait fallu l'apparition de ces six inconnus pour le lui faire réaliser. S'il arrivait à les fédérer et à les aider, instaurer une loyauté sans faille entre chacun, il pourrait parvenir à ses fins. En fin de compte la situation était plutôt ironique, il avait tenté de lutter seul contre la solitude et les méfaits qui en découlaient. Cette barrière invisible qui divise les hommes devait tomber en tout premier lieu avant que quoi que ce soit puisse avancer. Il emploierait désormais sa volonté inébranlable à abattre les barrières qui apparaîtraient entre les gens qui avaient décidé de le suivre. Ainsi peut-être, les choses pourraient réellement changer.
6. Les moyens et la cause
Ce soir, tout devait se passer rapidement avant l'arrivée des autorités locales. Il serait de toute évidence du plus mauvais effet d'être repérés au milieu de cadavres et armes de contrebandes épars. Si tout se déroulait selon le plan, et il l'avait revu maintes fois avec son chef, il ne devrait pas y avoir d'accroc. Cela faisait bien dix ans que Darkgun travaillait pour Magic et il avait survécu jusque là. Bien sûr, quelques fois les choses n'avaient pas tourné comme prévu et il avait fallu improviser, mais ce n'était pas une activité qui laissait place aux indécis. En l'occurrence, ce soir, l'objectif était de faire capoter un échange entre deux gangs afin d'éviter que la pègre locale ne se trouve un chef unique. Si cela devait arriver, dans une cité aussi vaste, une mafia structurée ne tarderait pas à apparaître et c'était la dernière chose qu'ils désiraient. Le deuxième séide de Magic, négociait tout autant en bourse que sur le marché noir et avait fourni le matériel nécessaire. Ymmit avait vraiment le chic pour flairer les bonnes affaires et avait rodé sa stratégie sur quelques trucs tout simples, attitudes et comportement visant à déstabiliser les gens avec qui il faisait affaire. Il était même allé jusqu'à porter en permanence un cache-oeil qui attirait manifestement l'attention dans les milieux mondain et mettait plutôt mal à l'aise les «proies» qu'il s'était choisi pour négocier. Mais revenons en à la concrétisation de cette opération. Darkgun qui avait réussi à infiltrer l'une des deux bandes rivales devait échanger la marchandise prévue, des armes en l'occurrence, avec des modèles plus anciens et moins efficaces afin de détériorer le climat. La suite du plan devait mener une fusillade et le trio était rodé à l'art de les provoquer. Personne ne niait que cela comportait un certain risque, mais ils l'acceptaient.
Tout était prêt, Darkgun était nerveux mais il avait appris à le cacher avec l'expérience et il attendait le bon moment pour agir. Magic était placé à distance en face de ce dernier et il était armée d'un fusil silencieux à longue portée. Darkgun s'était donc adossé à la voiture qui contenait la marchandise délivrée par le gang dans lequel il s'était facticement enrôlé. Il attendait patiemment l'arrivée de l'autre bande, ce qui ne tarda pas. Les négociations étaient cordiales, ce qui est toujours mieux lorsque les deux groupes face à face sont armés, et l'argent avait été apporté, deux hommes de mains allèrent prendre les quatre caisses qui contenaient les armes. À l'intérieur devait normalement se trouver le modèle dernière génération de mitrailleuse semi-automatique employé par l'armée, et dont quelques exemplaires avaient atterri sur le marché noir. Lorsque les caisses furent ouvertes, le ton commença à monter et les deux groupes se regardaient en chien de faïence. C'était ce moment d'indécision que Magic guettait, il visa soigneusement et tira une seule balle, après quoi il rampa en silence mais avec célérité hors de l'entrepôt où se tramaient les négociations désormais plus que tendues. La dite balle atteignit la vitre situé juste à coté de Darkgun et celle-ci vola en éclat. Ce dernier comprit le message et tout en débitant un chapelet de jurons, sortit son revolver et commença à tirer dans le tas et se mit à couvert. Il tira quelques munitions en direction du gang opposé tout en visant discrètement de l'autre main à l'aide d'un revolver équipé d'un silencieux, certains membres du groupe auquel il était mêlé. De cette manière là, il équilibrait plus ou moins la fusillade de façon à ce que la plupart des gens ici présents finissent morts ou pour le moins incapable de se déplacer avant l'arrivée de la police. Ainsi donc après avoir jaugé que la situation était plus ou moins à son goût, il vida un chargeur pour la forme et prit discrètement la tangente et plongea dans les eaux sales du port. Il longea le quai et ressortit quelques centaines de mètres plus loin, Magic l'aida a se hisser hors de l'eau et ils prirent le véhicule de celui-ci afin de s'éloigner rapidement des lieux. Le plan avait parfaitement fonctionné.
Journaux en main, le trio se réunissait afin de prendre connaissance du point de vue officiel sur l'évènement et d'éventuelles pistes qui les mettraient en danger. Mais le rapport des faits était plutôt sommaire et ne faisait allusion qu'à une dispute de gang soi-disant rivaux qui avaient décidé de mettre les choses au clair, l'arme à la main. Trois survivants avaient été hospitalisés en urgence mais sans pouvoir être sauvé de par la quantité trop importante de sang perdue. Il ne restait donc aucune trace, Magic décida donc d'entamer la discussion concernant le prochain objectif. Sur ce coup-là il n'avait que très peu de renseignements, un groupe de personnes, dont il n'avait pu obtenir ni descriptions ni revendications, décimait les groupes de malfrats de la région. Certes ce n'était pas pour lui déplaire mais si le but du dit groupe était de devenir la tête d'une future organisation criminelle structurée et parfaitement organisée, il devait étouffer leur montée avant que cela ne prenne de trop grandes proportions. Au terme de leurs discussions ils décidèrent dans un premier temps une approche passive et Ymmit fut chargé de rencontrer le groupe afin de négocier du matériel, légal comme illégal, et surtout d'obtenir des renseignements. Les pister ne serait pas bien difficile car les bains de sang qui décimaient les populations criminelles locales n'avaient que deux sources, leur petit trio et ce groupe inconnu. Cela ne lui demanda donc que quelques jours avant de les repérer. Il n'utilisa pas de méthode de mauvais goûts, comme les négociations par lettres remises dans des endroits insolites à des heures tardives, comme on en voit tant dans les mauvais films policiers. Sa méthode était simple et efficace, s'approcher de sa cible, habillé de façon simple et de vêtements ne pouvant cacher aucune arme, un attaché-caisse à la main. En l'occurrence, le groupe qui était son objectif était en planque dans un vieil immeuble branlant. Ymmit fit suffisamment de bruit pour être sûr que personne ne vienne à penser qu'il s'approchait furtivement et entra. À peine eut-il le temps d'ouvrir la porte qu'il se retrouva avec une lame sous la gorge. Un homme au visage inexpressif montait la garde adossé au mur à coté de la porte tandis que le reste du groupe se reposait. En bon professionnel Ymmit ne cilla pas, déposa sa valise au pied du gardien et leva les deux mains. Ce dernier rengaina son épée et laissa entrer le visiteur. Les gens présents ici présentaient pour le moins un aspect assez hétéroclite. Le garde alla réveiller l'un d'entre eux qui ne semblait pas vraiment dormir car il se redressa promptement et se dirigea vers le visiteur et s'adressa à lui en ces termes :
- « À quoi devons-nous votre présence ici ?
- Je suis marchand et j'ai entendu parler, disons, de votre secteur d'activité. Je me suis laissé dire que vous pourriez être intéressé par l'achat d'équipement, bien qu'à première vu, vous disposez apparemment d'un bel arsenal.
- Nous n'avons pas d'argent à offrir dans quelque négociation que ce soit, mais tu ne nous dis pas tout et j'aimerais bien connaître ta motivation première », susurra l'homme aux cheveux d'ébène, et même si ses paroles pouvaient sembler douces, son ton avait le mordant de l'acier.
Ymmit était habitué aux négociations tendues et le stress ne l'empêchait pas de réfléchir à toute vitesse. Ces hommes tuaient sans hésitations des malfrats de réputation endurcie, mais affirmaient ne pas posséder d'argent. Ils ne semblaient pas non plus être une bande de voyou tuant pour le plaisir et le choix de leurs cibles était assez significatif. Il ne mit pas longtemps pour additionner deux et deux et en conclure que ces gens étaient en quelques sorte des justiciers improvisés comme il en finit si souvent en prison. Cela dit, ce groupe-ci semblait malgré leur petit nombre, avoir pas mal d'expérience et une aura de solidité émanait d'eux. Le fait que même les renseignements dont Magic disposaient ne lui permettaient pas d'identifier ces hommes en disait long sur leur capacité à échapper aux autorités. Il avait la confiance de son chef et il prit l'initiative de ne pas y aller par quatre chemins. Qui plus est, lui qui avait toujours roulé dans la farine des négociants réputés pour être des requins, se sentait incapable de mentir de façon assez convaincante et quelque chose lui disait qu'il ferait mieux d'éviter. Il reprit donc la parole d'une voix nonchalante :
- « Très bien puisque je n'ai pas le choix, je vais tout vous dire de but en blanc. Je travaille pour quelqu'un et ce dans le but d'armer éventuellement des gangs rivaux ou en affaires, de façon mesurée, sans trop ni pas assez de matériel, la plupart du temps des armes. Tout ceci dans l'objectif de réduire à néant ces nuisibles en les laissant s'entre-tuer et en veillant à l'équilibre afin d'éviter qu'un groupuscule ambitieux et compétent se mette à lorgner vers de plus hauts degrés de criminalité. En ce qui vous concerne je suis venu dans l'objectif de recueillir des renseignements sur vous sous couvert de vente de matériel. En conclusion je ne vous révélerai évidemment pas le nom de mon employeur quoi que vous puissiez me faire, bien que je pense que si je ne me trompe pas nous pourrions avoir des intérêts communs. Si l'un d'entre vous accepte de m'accompagner seul je le présenterai à mes associés. Je vous laisse décider, la balle est dans votre camp désormais. »
Tout le groupe était maintenant réveillé et Majestic intima d'un mouvement du menton à Njio de le rejoindre. Il lui murmura quelques mots a l'oreille et celui-ci alla rejoindre l'homme à l'attaché-caisse, après quoi il s'adressa à lui.
- « C'est d'accord, je t'accompagne jusqu'à ton chef, je viendrai seul mais pas sans armes, de cette manière, si jamais l'un de vos associés ou moi-même tentions quoi que ce soit, il y aurait des victimes des deux côtés, cela vous convient ?
- Parfait, le marché me semble tout à fait honnête, eh bien ne perdons pas de temps et allons-y. »
C'est ainsi que les deux hommes se rendirent au domicile secondaire de Magic qui avait pour l'occasion convoqué Darkgun. Les quatre hommes discutèrent et en vinrent à la conclusion que leurs objectifs étaient les mêmes. Toutefois Magic était interloqué par l'ambition du groupe, tout en sachant que jusque là, ils avaient toujours joué avec deux coups d'avance sur les autorités policières et n'avaient jamais raté leurs coups. Qui plus est, leur mode opératoire ne nécessitait pas tout ce temps de planification, ni la morne obligation d'attendre que les occasions se présentent. Lui qui pensait pouvoir éventuellement recruter de nouveaux associés pour ses opérations commença à penser dans le sens inverse. Si avec l'aide d'Ymmit, il revendait toutes ses possessions autres qu'armes et munitions et rejoignait ce groupe, cela lui offrirait une couverture bien plus efficace que celle d'un PDG connu. Il avait déjà songé à l'avantage de l'absence d'identité mais sans cela, il lui aurait été difficile d'avoir les moyens de se procurer l'équipement nécessaire au nettoyage des divers gangs qui infestaient les rues. Pourtant, le groupe que lui avait décrit l'homme qui affirmait s'appeler Njio ne semblait pas rencontrer ce genre de problème. Magic proposa donc une rencontre globale afin de se rendre compte de lui même si les compagnons de cet homme avaient l'envergure voulue pour la tâche. La rencontre eut lieu dans l'heure qui suivit au même endroit, et il ne fallut pas longtemps pour le convaincre. De tout le groupe ici présent ressortait une détermination inébranlable, une volonté que rien n'arrêterait. Il ne lui en fallait pas plus, il savait que les talents de ces hommes lui seraient utiles et que réciproquement les connaissances, les moyens financiers et l'armement dont ils disposaient lui et ses associés seraient très utiles à ce petit détachement de justiciers.
C'est ainsi qu'en une petite semaine, Ymmit liquida les biens des entreprises de Magic tandis que celui-ci laissait son poste à la meilleure offre. L'expert marchand avait dispersé les fonds dans diverses banques afin de pouvoir les retirer intégralement en liquide. Darkgun quant à lui s'était occupé de réunir les armes et les munitions qui leur restaient et les emballa de façon pratique à transporter sans véhicule. Le groupe commençait vraiment à prendre de l'ampleur tant par ses membres que par son équipement et la nécessité d'avoir un lieu de réserve allait commencer à se faire sentir.
7. Stabilisation ~ Sédentarité
La situation se dégradait sur le plan de la discrétion, et le groupe devait de plus en plus souvent prendre garde aux mailles du filet des autorités qui se resserraient autour d'eux. En effet, il devenait difficile de passer inaperçus lorsqu'on était une dizaine et qu'on transportait constamment une demi-douzaine de sacs lourdement chargés. Ils firent une halte à la sortie de la ville afin de se concerter, ils devaient prendre des décisions afin de remédier à ce problème. La solution fut plus ou moins suggérée par les deux militaires du groupe. Étant les seuls à avoir une expérience du combat à plusieurs en territoire hostiles, Dez et Sarkastik étaient bien placés pour savoir commencer procéder. Ils déclarèrent donc que s'ils voulaient continuer à procéder ainsi, ils devaient agir en groupe moins nombreux lors de petites séparations et tous ensemble lors des attaques majeures. De fait, ils ajoutèrent que pour ceci il leur fallait être facilement mobile, non encombrés par leur matériel et surtout disposer d'un point de ralliement nécessaire à une telle coordination. C'est ainsi que naquit le projet d'établissement d'un quartier général.
Majestic fit suggestion d'une grotte naturelle ne présentant aucun intérêt historique ou géologique qui n'était probablement pas connue de l'homme. Celle-ci n'était en tout cas pas cartographiée sur le plan de la région, et il ne l'aurait probablement jamais aperçue s'il n'avait pas arpenté le monde pendant plusieurs siècles. Après une rapide inspection des lieux, les deux officiers approuvèrent de la solidité de la voûte. Avec quelques charges explosives, des poutrelles d'aciers pour étayer le tout, et quelques séances de piochage pour élargir les gorges trop étroites, le lieu conviendrait parfaitement. La grotte n'était pas humide, ce qui était la première chose qu'ils avaient vérifié. En effet, il aurait été hors de question d'entreposer des armes dans un lieu où le toit dégouline continuellement. La tâche d'achat du matériel fut donc confiée à Ymmit qui était le plus apte non seulement à acquérir le nécessaire à bas prix, mais aussi de savoir dans quels lieux trouver la qualité nécessaire, mieux valait éviter de recevoir la moitié d'une montagne sur le coin de la figure. Il se fit accompagner par Sarkastik afin de transporter le matériel dans un camion payé comptant, duquel ils avaient soigneusement ôté l'immatriculation après avoir ramené les matériaux. Elenwë, qui avait pour habitude de vivre en pleine nature, partit en reconnaissance dans le coin pour trouver l'itinéraire le plus court à la source d'eau la plus proche. Car si la nourriture peut facilement être stockée, l'eau croupit rapidement. Toute cette opération n'était constituée que de détails mais la plupart étaient vitaux. Les équipes de travail furent déterminés ainsi : Dez et Sarkastik devaient poser des charges explosives plus ou moins puissantes selon les endroits afin d'obtenir un lieu de forme relativement rectangulaire. Njio, Thoner et Darkgun étaient chargés de déblayer les gravats et d'affiner les parois à coup de pioche, tout en installant régulièrement les poutrelles, aidés par les deux militaires. Shoriu et Magic n'avaient jamais touché un outil de leur vie, aussi restèrent-ils relativement passif pendant les opérations, aidant ça et là lorsqu'ils le pouvaient.
Les travaux avançaient bien, l'entrée avait été élargie selon les plans de Sarkastik qui s'occupait principalement du convoiement et de l'entreposage du matériel, ainsi que des plans de la structure globale. Dez quant à lui s'était fixé pour tâche de modifier l'intérieur de la grotte et dirigeait l'équipe de piocheurs improvisés afin d'aménager les différents boyaux de celle-ci en salles diverses. Majestic ne tenait pas en place et continuait son oeuvre seul bien qu'il se rendit sur le site plusieurs fois afin de prendre connaissance de l'avancée du travail. Elenwë revint quelques jours après pour déclarer que la meilleur piste consistait à longer le flanc de montagne jusqu'à un bras de rivière qui en descendait, le courant était vif et l'eau ne stagnait pas. S'y rendre avec le camion prendrait une vingtaine de minutes afin de refaire les réserves d'eau et nettoyer les affaires souillées. Sarkastik avait achevé le plan de la grotte, aidé par Dez pour ce qui concernait les différentes salles. La forme finale du repaire était un long couloir débouchant sur une dizaine de salles de tailles variées. Deux d'entre elles serviraient de quartiers lorsque le groupe dormirait sur place. Les huit autres avaient une fonction utilitaire. Le tout avait été construit de façon à pouvoir être agrandi afin de stocker plus de matériel, ou de gens. Les combustibles furent rangés dans une salle éloignée de celles où étaient entreposées armes et munitions. Deux autres encore servaient au stockage de nourriture de longue conservation, telle que des conserves et des aliments séchés. L'une d'entre elle, vaste, aux parois et voûtes solides, fut intégralement renforcée du sol au plafond par du béton armé. La période durant laquelle cette salle avait été créée afin de servir de salle d'entraînement devait à jamais laisser un souvenir au groupe. En effet Njio, Dez et Darkgun qui trouvaient l'ambiance de silence et de sérieux pesante avaient décidé de changer un peu les choses et une partie du béton non séché avait servi de boules de neige improvisées. L'idée était certes peu judicieuse et outre le gaspillage, ils perdirent une journée de travail, mais la caverne retravaillée véhiculait ses premiers échos de rires depuis sa naissance. Les liens se renforcèrent au cours de ces travaux et de ces petits défoulements amicaux, Njio avait finit par dérider l'épéiste et Sarkastik avait finit par cracher le morceau sur ses premières intentions ainsi que sur son changement d'avis. Du petit trio qui les avait joint récemment, bien qu'Ymmit et Magic aient un comportement professionnel et introverti, Darkgun avait rejoint la bande de joyeux lurons qui avaient insisté pour qu'à la liste des provisions en nourriture soient ajoutés quelques bouteilles d'eau de vie. Ils arguèrent en toute hypocrisie que contrairement à l'eau, les alcools ne pourrissaient pas en quelques jours.
Une fois achevée, la grotte ressemblait relativement à un insecte à dix pattes. Un long couloir aux salles symétriquement opposées. Dans l'aile Est se trouvaient la salle d'entraînement, celles des armes et munitions, et les trois autres étaient respectivement occupées par la nourriture , l'eau et les boissons, et le camion. Tandis que dans l'aile Ouest se trouvaient les deux salles qui servaient de dormoir ainsi qu'une qui avait servi d'atelier durant les travaux et servirait probablement encore de cette manière, les pioches et autres outils y étaient stockés. Les deux dernières salles Ouest étaient vides pour le moment. Lorsque Majestic repassa par là, il eut l'agréable surprise de constater que leur nouveau quartier général était un chef d'oeuvre de débrouillardise. Évidemment le luxe et le confort ne primaient pas, mais l'aspect fonctionnel des lieux avait été minutieusement travaillé. Quand il entra, le groupe entier était dans la salle d'entraînement, les travaux précis et mesurés leur avait donné une profonde envie de se défouler. Darkgun et Njio qui s'étaient entraînés seuls au maniement des armes à feu recevaient les conseils de Sarkastik et Shoriu qui eux avaient été minutieusement entraînés par des professionnels. Magic et Ymmit étaient déjà formés aux armes à feu et ils apprenaient désormais à manier des lames de tailles diverses en affrontant Thoner, toujours aussi entêté quant au fait de ne s'entraîner qu'avec son épée. Dez n'était pas intéressé par les armes et s'entraînait seul, bien que de temps à autre, il affrontait et tentait de désarmer à main nue les manieurs de lames, tandis que ceux-ci apprenaient en contrepartie à se défendre au corps à corps. Seul Elenwë ne s'entraînait pas pour le moment, mais cela ne voulait pas dire qu'il n'apprenait rien, car dès lors que le groupe se rendait à la salle d'entraînement, il ne ratait pas une miette de ce qu'il se passait et tentait d'assimiler la théorie de toutes les disciplines pratiquées sous ses yeux. Majestic n'avait jamais eu de chez lui depuis sa nouvelle vie et il trouva la sensation étrange. Ce n'était pas désagréable, plutôt troublant. Quoi qu'il en soit la situation lui convenait, l'efficacité dont avaient fait preuve les gens qui l'avaient rejoint l'assurèrent de leur détermination. Ces gens se battraient jusqu'au bout à ses cotés, ils n'étaient désormais plus seuls. Certains s'entendaient mieux avec d'autres, mais le but, l'entraînement et le domicile commun les rapprochaient, de même que leur dévotion envers celui qu'ils avaient choisi pour chef.
8. Séparation ~ Augmentation
La réunion de ce soir avait un objectif différent des réunions précédentes. Leurs rassemblements quotidien avait pour but de se séparer en équipes de deux ou trois afin d'agir le plus discrètement possible, ainsi que de frapper à plusieurs endroits simultanément. Mais ce soir à l'instigation de Majestic, le groupe devait trouver de nouveaux membres, c'est dans ce but qu'ils évoquaient ce soir là les gens qu'ils pensaient convenables. Shoriu leur parla de l'un des tueurs à gages qui avait pour particularité de n'accepter que les contrats visant des cibles vivant dans le monde de la pègre, tandis qu'Elenwë leur fit part d'un drôle de bonhomme qui vivait avec les animaux dans la forêt pas loin de chez lui. Ce furent les deux seuls considérés comme potentiellement aptes à les rejoindre, aussi s'organisèrent-t-ils en trois groupes distincts. Majestic, Thoner et Njio avaient pris pour charge de continuer le nettoyage tandis que deux autres groupes allaient partir a la recherche des individus pré-cités. Shoriu fut donc accompagné par Magic, Ymmit et Sarkastik, tandis que les trois autres partirent en direction de la forêt.
Tandis que les deux anciens hommes d'affaires discutaient librement le long du trajet, les deux autres ne bavardèrent que très peu. Shoriu n'était pas sûr de retrouver la personne qu'il avait en tête car celui-ci était du genre remuant, ce qui est plutôt sensé lorsque l'on s'adonne au meurtre. Il avait pour habitude de l'appeler sur une ligne téléphonique privée et de lui donner rendez-vous en nommant des lieux qui ne correspondaient pas à l'endroit réel de la rencontre. Ils avaient déterminé un périmètre de la ville, et chaque rendez-vous se situait à l'opposé par le centre de la carte. Comme il le craignait, son appel ne reçut pas de réponse immédiate, aussi laissa-t-il un message concernant un rendez vous devant l'église de la ville, qui correspondait selon leurs codes à l'arrière d'un vieux bar tout ce qu'il y a de plus banal. Ils allaient devoir attendre que Yoh, ou Yoh_asakura pour les clients, fassent le premier mouvement. La tâche consistait maintenant à surveiller le coin sans paraître suspect.
Elenwë appréciait la marche loin des villes sur le petit sentier qu'ils avaient empruntés, mais l'on ne pouvait pas en dire autant de Dez et Darkgun qui s'ennuyaient comme des rats morts. Ils discutaient de temps en temps et bien que la marche ne fut pas particulièrement fatiguante, tous ces détours entre des branches qui prenaient un malin plaisir à vous servir de brosses à dents improvisés leurs tapaient sur le système. Ils firent pas mal de pose tous les deux pour se taper dessus, plus par jeu que par quoi que ce soit bien évidemment, après quoi ils rattrapaient le vieil homme en courant. Celui-ci ne marchait pas très vite car il appréciait de se retrouver ici et les mauvaises langues diront qu'il le faisait exprès pour le plaisir mesquin de les voir s'arracher les cheveux. De toute manière la marche allait être longue car Radagast, l'ermite aux animaux comme il l'appelait, n'avait pas de campement particulier dans la forêt, ils seraient donc obligés de tourner en rond pendant un bon moment.
Si les trois autres tenaient bien l'alcool, Shoriu qui n'en avait guère l'habitude commençait à avoir vraiment mal à la tête. Mais passer la journée dans un bar sans boire autre chose que des cafés ou diverses boissons non-alcoolisées paraîtrait suspect. Les trois autres se sacrifiaient vertueusement en sirotant leurs verres et en les vidant coup sur coup. Malheureusement pour notre buveur inexpérimenté, son estomac commençait à protester vigoureusement. Il aurait bien sûr pu le faire taire en reprenant une petite rasade afin de faire une sieste mais cela devrait attendre, il devait d'abord s'occuper de contacter Yoh. Il décida courageusement de sortir en bravant les roulis du sol pourtant plat, sous les rires gras des piliers de bar. La sortie se montra peu coopérative, elle avait la sale manie de changer de place tout le temps, aussi Shoriu, grisé par l'alcool, fut particulièrement fier de lui lorsqu'il réussit à franchir la porte. Dans un sens on peut dire que c'était une chance pour lui d'être sortit à ce moment la, car il put reconnaître Yoh qui arrivait à l'instant. Mais d'un autre coté, il est à se douter qu'il aurait préféré être en état de mettre un pied devant l'autre lors de la rencontre, aussi lorsqu'il eut vaguement récupéré, il amena l'assassin dans le bar et s'affala dans sa chaise les coudes et la tête sur la table, après avoir assuré que ses camarades étaient fiables. Ceux-ci se débrouilleraient très bien pour expliquer la situation. La première question qui fut posée portait évidemment sur les motifs des actions de Yoh, qui répondit sans trop se mouiller que c'était un gagne pain comme un autre. Ce n'est qu'au bout de quelques dizaines de minutes, ainsi que quelques verres, qu'il en vint à admettre que lorsqu'il n'était pas sous contrat il «travaillait» parfois gratuitement, et sans client. Ce seul aveu suffit pour qu'ils comprennent que son objectif était bel et bien de faire le ménage dans les rangs de la pègre et ils lui racontèrent tout. Yoh fut particulièrement enthousiaste à l'idée de ce groupe structurée qui opérait de façon efficace et rapide, peut-être même un peu trop enthousiaste, mais les deux bouteilles vides sur la table constituaient un parfait alibi. C'est ainsi qu'ils repartirent tous les cinq et malgré que la route soit parfaitement solide et plate, ils tanguèrent beaucoup et eurent tous le mal de mer, à terre.
C'était le dixième arbre qu'ils réduisaient en cure-dent, prétextant que bien que ce fut un bon moyen de se défouler, l'objectif premier était d'attirer l'homme qu'ils cherchaient. Ils avaient tendance à mener leurs recherches de nuit et à dormir la journée, car il est plus facile de tomber sur un feu de camp que de trouver un individu remuant dans une forêt bien fournie. Le troisième soir, ils tombèrent enfin sur une petite lueur au loin et prirent la direction en espérant que ce n'était pas là un groupe de campeurs venu faire une balade dans la forêt. Il s'avéra que non, Radagast se trouvait bien là, mais cela n'empêchait pas de trouver qu'il était plutôt bien entouré. Une petite meute de loups dormait ça et là à ses côtés, ainsi qu'un couple d'ours, et bien que plus petits, une bonne centaine de merles étaient perchés sur les arbres au dessus formant un dais noir inquiétant. Dez et Darkgun étaient plutôt partisans d'une stratégie plus directe, se frayer un chemin parmi les diverses bestioles et parler à Radagast d'homme à homme. Ils finirent cependant par convenir du fait qu'ils auraient plus de chance d'en faire un futur camarade en laissant Elenwë discuter avec lui tandis qu'ils se tenaient un peu à l'écart. La conversation fut longue mais apparemment le belluaire semblait convaincu et le silence de celui-ci et du vieillard n'incita pas vraiment les deux autres à s'informer des arguments employés. Pendant la discussion, un ours encore trop jeune pour faire la différence entre la chasse et le jeu s'était approché de Dez et avait commencé à le renifler. Quelques secondes après les deux roulaient par terre en se tapant dessus pour s'amuser, encore que peu d'hommes auraient trouvé amusant de recevoir des baffes d'une bête de plus de quatre-cent kilos. Ainsi comme si de rien était ils prirent donc la direction du campement en assurant qu'il y avait un petit bois à proximité et que ses compagnons à poils et à plumes ne se retrouveraient pas à la rue, si l'on peut dire. La petite bagarre ludique avait convaincu le jeune animal que Dez était tout à fait acceptable comme ours et il marcha à ses côtés sous le regard amusé de Radagast.
Lorsque Majestic et ses deux compères rentrèrent au repaire, les autres étaient déjà rentrés, accompagnés de leurs nouvelles recrues. Il s'avéra que le groupe de Shoriu venait juste de rentrer, et tous les cinq dormaient dans les quartiers dortoir de la grotte qui réverbérait d'un bel écho leurs ronflements bruyants. Darkgun éclata de rire car connaissant ses deux anciens associés, il devinait plus ou moins ce qu'ils avaient dû ingurgiter pour se retrouver dans cet état. Radagast fut présenté au chef en premier et après leur petite discussion, celui-ci accepta de leur prêter main-forte. Dez avait rejoint Njio et Thoner qui avaient retrouvé avec plaisir la salle d'entraînement, bien que le premier avait au préalable piqué une petite bouteille d'eau de vie dans les réserves. Il avait besoin de se détendre après cette marche dans cette forêt insupportable, et à ses yeux, rien ne valait de boire un petit coup et de se défouler sur quelques blocs de pierre de bois ou toute autre matière qui se présenterait. Entre les ronflements et le bruit des armes et des poings fracassant diverses cibles d'entraînement, la soirée promettait d'être bruyante.
9. Gains ~ Pertes
Désormais ils étaient assez nombreux pour frapper séparément. La prochaine cible était un grand parrain de la mafia asiatique et il aurait été inutile de seulement le tuer. Comme l'un d'entre eux l'avait subtilement fait remarquer, quand on veut tuer un serpent, on lui coupe la queue, au ras de la tête. Ils devaient donc s'assurer de la disparition simultanée du dit gangster et de ses alliés les plus influents, sans quoi il serait aussitôt remplacer avant que l'organisation ne s'écroule. Les choses avaient vraiment évolué au repaire, tout le monde commençait à prendre ses marques et à développer de nouveaux talents. Ymmit qui n'avait jamais eu une minute à lui jusqu'à maintenant s'était révélé être un amateur plutôt doué dans le domaine de la chimie, et il travaillait désormais sur l'élaboration d'explosifs. Pour l'instant ceux-ci n'avaient pas été utilisés pour leurs opérations mais lors des tests, Darkgun s'était montré particulièrement enthousiaste. Il était définitivement conquis par les explosions que c'en était presque un plaisir d'enfant face à un feu d'artifice. À côté de ceci, Dez, Shoriu et Magic avaient planifié le mode d'approvisionnement, ayant tous trois plus ou moins vécu en autodidactes jusque là. Lors de chaque opération, l'argent liquide était récupéré de même que les substances chimiques lors des raids de laboratoires clandestins. Cet argent leur permit d'acheter plusieurs véhicules pour se fondre facilement dans certains milieux ainsi qu'un beau lot de fausse plaque d'immatriculation d'à peu près tout les pays. Mais après une longue concertation de toute la bande, ils avaient décidé d'ajouter quelques touches qui différencierait ces attaques purificatrices. Jusqu'alors personne ne pouvait dire si les massacres étaient l'oeuvre de bandes rivales ou du groupuscule, ils avaient donc décidé de signer en quelque sorte leurs actes. Les locaux et les marchandises illégales telles que la drogue ou les armes et d'autres encore étaient intégralement brûlés, et un drapeau blanc était toujours présent sur le site après immolation. La symbolique classique voudrait signifier la déclaration de paix, et le décalage entre le carnage qui avait toujours lieu au préalable était significatif, ce n'était plus un signe de paix mais de pacification forcée.
Ils avaient donc quatre cibles pour ce soir, le chef mafieux devait évidemment être tué, les trois autres cibles étaient deux hommes qui travaillaient sous ses ordres ainsi que deux douzaines de personnes qui passaient régulièrement chez les marchands, chercher leur part du gâteau comme ils disaient. Les groupes furent ainsi faits, Njio, Thoner et Darkgun allaient s'occuper des hommes de mains qui écumaient les magasins, Majestic se chargerait du chef avec Elenwë et Ymmit. Shoriu et Dez furent chargés d'abattre l'un des associés tandis que l'autre fut confié à Yoh et Sarkastik. À noter que tout le monde ne participait pas à cette opération, Radagast était encore trop peu habitué au monde humain pour se fondre dans le décor, aussi il passa plusieurs semaines à explorer les environs du repaire. Magic quant à lui s'était blessé lors de l'entraînement aux armes blanches, rien de bien grave mais une entorse à la cheville l'empêchait donc de se joindre à la fête. Une fois que tout cela fut établi, cela leur prit plusieurs jours d'observations afin de connaître les habitudes de leurs cibles, car ils devaient frapper pendant la même nuit sans quoi cela serait en vain. Ainsi, une fois prêts, ils se séparèrent en début d'après-midi afin de rejoindre leurs positions respectives.
Ymmit avait convaincu Majestic du fait que tuer uniquement le chef et repartir avant que quiconque s'en aperçoive aurait plus d'impact qu'un massacre généralisé. Ils s'étaient donc choisis des rôles précis pour se fondre dans le milieu. Elenwë, qui était habitué à jongler avec les personnalités, s'investit dans le rôle d'un vieux mafieux Italien aveugle. Les lunettes teintées et la canne blanche avaient deux utilités. Il pourrait regarder autour de lui sans que l'on remarque quoi que ce soit, et sa prétendue cécité justifiait la présence de Majestic, semi guide-bodyguard, Ymmit quant à lui s'occupait de la partie plus terre à terre des arrangements. En effet dans ce genre de milieu, le meilleur passeport était une valise pleine de billets rutilants. Lorsqu'ils pénétrèrent dans le magasin de jouets qui servait de couverture à leur cible, Elenwë se mit dans la peau du personnage et adopta un comportement suffisant et tranchant. Il annonça sans ambages aux deux gorilles qu'il avait une proposition importante à faire à leur patron, argument appuyé par un bref aperçu du contenu de l'attaché-caisse d'Ymmit. Ils furent aussitôt admis en la présence de celui-ci. À compter de ce moment là, ils durent déployer des trésors d'ingéniosité pour que la cupidité du mafieux lui fasse accepter de parler de la prétendue proposition seul à seul avec le vieillard et son guide. Une fois persuadé, les trois hommes quittèrent la pièce laissant le comptable improvisé à l'extérieur du bureau du patron. Une demi-heure plus tard, Elenwë ressortit appuyé sur le bras de Majestic et lança de manière à être entendu de tous :
- « Je vous laisse réfléchir pendant quelques minutes, faites parvenir un message à mon associé ci-présent », dit-il en tapotant de sa canne Ymmit qui s'était rapproché de lui.
Ils quittèrent donc le bâtiment laissant ce dernier seul sur place, guettant l'occasion pendant laquelle il pourrait partir. Tous trois étaient à peine quelques rues plus loin lorsqu'une certaine agitation se fit entendre, apparemment ils avaient désertés les lieux juste à temps.
Les choses furent beaucoup plus simples pour la seconde cible, celui-ci devait négocier ce soir là, des territoires à contrôler en échange d'une certaine somme d'argent. C'était sa méthode d'expansion, il rachetait toutes les petites zones que les Yakuzas de troisième catégorie sillonnaient, agrandissant ainsi sa zone d'influence. Yoh et Sarkastik se séparèrent, le premier prit position à distance de l'échange et équipa son fusil à longue portée d'un silencieux et d'une lunette thermique. Quant au second, il se rapprocha silencieusement en bon professionnel, après tout il était entraîné à ce genre de situation. L'affaire fut réglée rapidement, après qu'il eut fait rouler une grenade lacrymogène en plein milieu de la négociation, Yoh avait gardé l'oeil sur sa cible et il attendit que la fumée soit suffisamment opaque pour tirer, après quoi les deux hommes prirent la poudre d'escampette avant que quiconque n'ait le temps de réagir. Les choses s'étaient passées proprement.
L'homme dont devaient se charger Dez et Shoriu était déjà plus intelligent, celui-ci restait dans son véhicule qui de toute évidence était équipé de vitre pare-balles. Ses hommes de mains lui transmettaient les messages via une fenêtre à peine entrouverte. Ils allaient devoir prendre des risques. Dans un premier temps, la configuration de leurs positions n'était pas bien différente du cas précédent, Shoriu était situé en hauteur et équipé du même type de fusil. Seule différence, celui-ci n'était pas équipé d'une lunette thermique mais infrarouge. Car de fait, il allait devoir provoquer une sacré confusion pour permettre la suite du plan et s'il est facile de tuer une personne à distance, la chose était toute différente lorsqu'il s'agissait de plusieurs cibles. Un minimum d'obscurité était donc préférable afin de ne pas être repéré trop rapidement. Qui plus est, l'échange de ce soir concernait des affaires délicates et les criminels n'avaient pas fait l'erreur de se donner rendez-vous dans un bâtiment. Ils avaient choisie une rue a l'écart des quartiers ruraux, en plein secteur industriel où personne n'était présent de nuit. Une fois que Shoriu fut en place, Dez chercha l'emplacement du groupe électrogène qui alimentait le secteur. Celui-ci était noté sur une carte qu'Ymmit avait réussi à leur procurer en soudoyant un employé de la mairie locale. Il avait les tripes nouées car c'était la première fois qu'il risquait une vie autre que la sienne, aussi lorsqu'il eut arraché tout le câblage du relais électrique à l'aide de gants de caoutchouc épais, il courut peut-être un peu plus vite que de raison. L'extinction des feux était le signal que Shoriu attendait, il commença à tirer aléatoirement afin de semer la panique nécessaire. Après avoir abattu le quatrième homme, il aperçut Dez qui approchait accroupi, de l'autre côté de la voiture et visa les deux gardes qui se situaient de ce coté. En voyant leurs corps s'effondrer celui-ci se précipita et au prix d'un immense effort renversa la voiture sur le dos afin de forcer leur cible à sortir, car c'était là le but de la manoeuvre. Le visage couvert de sueurs froides, Shoriu vit enfin l'homme sortir aidé par l'un de ses hommes de main. Simultanément pendant qu'il tira, Dez, qui avait vu les hommes pointer du doigt la direction d'où venaient les coups de feu, lui hurla de décamper prenant le risque d'être lui aussi repéré. Peu après, les deux hommes courraient poursuivis par les derniers survivants et ils s'arrêtèrent avant chaque tournant afin de pouvoir en abattre quelques-uns. Au bout d'un moment de course éprouvante, la poursuite cessa. Ils étaient en vie mais avaient essuyé plusieurs coups de feu, Shoriu n'avait que quelques éraflures étant donné que pour faire feu il s'allongeait réduisant ainsi la surface à risque. Dez quant à lui, outre une belle quantité d'égratignure, avait reçu une balle en plein dans le bras droit. Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait mais quelque soit l'habitude de ce genre de situation, ce n'était jamais agréable. Après un bandage improvisé à la hâte, ils reprirent donc la direction du véhicule qu'ils avaient laissé quelques rues plus loin.
La dernière frappe fut la plus facile, les cerveaux de la mafia asiatique étaient organisés et dangereux, mais les Yakuzas de seconde zone étaient plus des ivrognes au sang chaud, armés de couteaux et de pistolets qu'ils maniaient avec maladresse. Les premiers furent abattus simplement par Njio et Darkgun qui utilisaient des armes de moyenne-longue portée semi-automatiques munies de silencieux. Thoner avait l'air d'un clown à un enterrement car il avait pour rôle de faire diversion, et son entêtement l'avait empêché de tirer à tout va à l'aide d'une arme à feu pour couvrir les deux autres qui visaient avec soin et précision. À la place il avançait muni de ce qu'on pourrait appeler un bouclier qui avait été conçu pour résister aux balles des armes légères, toujours armée de son épée dans l'autre main. Lorsque leurs adversaires comprirent qu'ils allaient tous finir six pieds sous-terre, ils prirent la fuite. Il ne devait pas rester plus de dix survivants mais leur objectif était de les éliminer sans exception, ils se lancèrent donc à leur poursuite. La scène qui les attendait quelques rues plus loin les surprit. Un jeune homme aux yeux exorbités était en train de tailler en tronçons les fuyards, et ses gestes étaient ponctués par un rire psychotique. Les trois compagnons assistaient à la scène sans vraiment savoir quoi faire. Ils furent surpris de voir que la personne qui démembrait joyeusement les bandits quelques minutes plus tôt était maintenant écroulée à terre, maculée de sang, et en sanglots. Il avait l$aché son sabre de facture assez ancienne, japonaise ou chinoise au premier abord. S'étant approché, ils l'entendaient alterner les émotions à toute vitesse, sanglots, rires et murmures s'enchaînaient les uns les autres. Les mots qu'il répétait sans cesse étaient :
- « Tous morts, tous doivent mourir, tous doivent être découpés, tous comme maman et papa, ils ont pris leur sang, je dois prendre le leur... »
Thoner s'avança car il savait reconnaître la folie née du désespoir, il n'avait jamais raconté son passé à qui que ce soit mais il avait connu cet état, il savait comment procéder. Il parla au fou comme s'il l'avait toujours connu et que ce qui venait de se produire était tout à fait normal. Sans enthousiasme ni réprobation dans la voix, il lui demanda d'un ton neutre s'il voulait pouvoir en tuer plus, les trouver plus facilement. L'homme ne répondit pas par la parole mais hocha vigoureusement la tête. L'épéiste se releva et expliqua la situation à ses deux camarades, ils avaient là affaire à un déséquilibré certes, mais celui-ci n'était pas dangereux pour tout le monde. Bien que Njio et Darkgun ne paraissaient pas convaincus, il leur expliqua que s'ils l'aidaient à récupérer quelque peu ses esprits, il était sûr qu'il se joindrait à eux par reconnaissance. Ce n'était pas la vérité exacte, en réalité il se sentait proche de lui car il avait traversé la même chose. Mais il était sûr de pouvoir arriver à lui rendre raison, et à mettre son aversion pour les Yakuzas à profit de leurs idéaux. Thoner avait été sauvé de la solitude par des gens qu'il arrivait presque maintenant à considérer comme des amis, et il se sentait obligé d'en faire de même avec ceux qui n'avaient pas encore eu cette chance. Après la crise, l'individu leur révéla qu'il se nommait Sakey, après quoi il ne prononça plus une parole, ses yeux allaient de l'un à l'autre, scrutant les trois personnes de façon anxieuse. Njio qui avait un caractère assez prompte pris le risque de poser une main sur l'épaule du dénommé Sakey pour le rassurer, et celui-ci ne sursauta que légèrement. Ils repartirent sans parler pour éviter que leur invité ne se sente mis a l'écart.
À leur retour, bien que toute les opérations aient réussi, une bien mauvaise nouvelle les attendait. Magic gisait à terre près de l'entrée, un filet de sang coulait de sa bouche entrouverte. Il avait reçu une balle en pleine poitrine, et faute de soin, était mort, en se vidant de son sang. Ymmit encaissa difficilement le choc bien qu'il parvint à garder son sang-froid, mais Darkgun entra dans une colère noire et ils furent obligés de le retenir pour ne pas qu'il se lance à la poursuite de gens dont il ne savait ni le nombre, ni la direction qu'ils avaient pris. Ils devaient avant tout comprendre ce qui s'était passé. Sarkastik inspecta la blessure de plus près et annonça que le tir provenait d'un fusil de chasse. Ils trouvèrent plus loin le cadavre de trois loups qui avaient été dépouillés de leur peau et de leurs crocs. Même si aucun n'avait vu la scène, la situation était simple à comprendre. Le loup était en voie d'extinction et le chasser était illégal, des braconniers avaient probablement tué ces trois là et Magic était sorti voir d'où provenaient les coups de feu, il n'avait même pas eu le temps de se servir de son revolver que l'un des hommes lui avait tiré dessus en pleine poitrine. Tout le monde bouillait de ne rien pouvoir faire face à ce qui s'était passé, Radagast était rentré quelques jours plus tard et s'était effondré devant le massacre de ceux qu'il considérait comme sa famille. Les quatre corps furent enterré à proximité sans autre cérémonie que la présence de l'intégralité du groupe. Ils savaient que tôt ou tard la mort frapperait l'un des leurs, mais jamais ils n'auraient pensé que cela se passerait ici et non lors d'une de leurs sorties. Une fois qu'il eurent repris le dessus sur eux-même, ils réfléchirent à un moyen de s'assurer que cela n'arrive plus jamais. Une semaine plus tard, Ymmit avait soudoyé quelques politiciens influents des environs et la somme qu'il avait employé avait incité les fonctionnaires véreux à ne pas demander pourquoi. C'est ainsi qu'un périmètre de plusieurs dizaines de kilomètres alentours fut statufié réserve naturelle. Radagast sous le coup de la colère était allé dans les bois, dans lesquels il vivait jusqu'alors, pour ramener tous les animaux qui y vivaient. Si les braconniers voulaient venir, ils seraient bien accueillis, à coup de crocs et de griffes entre autres choses. Il fut aussi décidé qu'il y aurait en permanence deux personnes qui garderaient le repaire lors des sorties. La zone de réserve naturelle fut entièrement grillagé et le groupe plaça à divers endroits un système de caméras camouflées, adaptées aux milieux humides, achetées par Ymmit. Ils creusèrent un réseau de câbles souterrain qui allait des caméras jusqu'au sol, en passant derrière l'écorce des arbres. Le tout était relié à un générateur placé dans la dernière pièce vide de la grotte qui avait été transformé en salle de surveillance. Toutes les créatures qu'avaient amenés Radagast s'étaient habituées à l'odeur de tous les membres du groupe, et ce dernier leur avait intimé de tuer quiconque s'approcherait des lieux. Le haut grillage empêcherait les curieux et les enfants de s'approcher, et il était relié au générateur de manière à déclencher une alarme discrète à l'intérieur de la salle de surveillance si ces fils de fer étaient coupés. Sur les deux membres qui gardaient les lieux, il devait toujours y avoir quelqu'un qui maniait les armes à feu de longue portée. De cette manière, quiconque tenterait de s'approcher après avoir ouvert une brèche, serait impitoyablement abattu.
10. Fermeté ~ Discrétion
Les récents évènements avaient eu pour effets de dissiper les derniers doutes de tous les esprits. Certes tous savaient que le crime existait, mais savoir et comprendre étaient deux choses bien différentes. Ils avaient perdu un ami, et ce par la faute d'individus qui étaient prêts à ôter la vie pour les quelques billets qu'ils allaient récolter de leur larcin. Ils avaient réagi avec une poigne de fer et outre le système défensif qu'ils avaient construit en hâte, ils prirent plusieurs décisions afin de s'assurer qu'il n'y ait aucune faille. Ymmit avait séparé son temps en deux car il ne pouvait plus se consacrer entièrement à la conception d'explosifs. Sous une fausse identité, accompagné de Darkgun, il investissait dans certaines entreprises qui manquaient de moyens faute de subvention, car elles menaçaient la suprématie des grands de ce monde. Le pétrole, l'uranium, le charbon et encore bien d'autres ressources avaient créé des géants que la planète ne pouvait porter. Des gens avaient le pouvoir, si l'envie leur venait, de réduire à néant la civilisation, ce qui constituait une menace absolue. C'est pourquoi il plaçait une partie des sommes acquises lors des attaques sur des comptes dispersés de par le monde, et à partir de ceux-ci, soutenait certaines firmes afin de faire s'effondrer ces géants. De plus, afin de s'assurer de ne pas avoir de mauvaises surprises, un système avait été mis en place afin de se renseigner sur la stabilité du décret de réserve naturelle des lieux environnant le repaire. Elenwë endossait la personnalité et les attributs d'un vieil homme riche et malade, muni d'une canne et boitant légèrement. Ce rôle avait pour but de justifier la présence de Shoriu à ses côtés, celui-ci avait pris le rôle d'un majordome rigide auquel s'accoudait son compagnon. La leçon avait été bien retenue, aucun d'entre eux ne devait jamais opérer seul, ils avaient vu ce que cela pouvait donner. Ces deux hommes étaient rodés à l'art d'adapter leur personnalité à leurs interlocuteurs, et c'est sous ces personnalités fictives qu'ils s'assuraient tous les quinze jours de l'évolution du statut de réserve naturelle de leur domicile. Le soleil hivernal était aveuglant, et justifiait la présence de ces lunettes teintées si pratiques pour regarder sans être vu. La situation était plutôt stable et le groupe avait mis au point une sorte de calendrier afin de faire comprendre au monde qu'ils existaient. Chaque section du monde du crime était attaquée pendant des périodes déterminées et constantes, signant de cette manière la revendication du carnage. Quant à Majestic, bien qu'il continuait de vivre en ce lieu, il partait la majeure partie du temps seul sans prendre le temps d'expliquer sa destination. Mais les hommes qu'il avait réunis avaient toute confiance en lui et ne ressentaient absolument pas le besoin de lui demander quoi que ce soit, ils savaient quoi faire, de même qu'ils étaient sûrs que leur chef continuait aussi la lutte. Après tout il avait survécu pendant plusieurs siècles sans jamais être capturé.
Lors de l'une de leurs sorties, Shoriu et Elenwë apprirent que les pots-de-vin qui avaient été versés pour placer leur antre en terre de réserve naturelle, avaient éclaté au grand jour. Bien sûr comme toujours, lorsque ce genre de situation était découverte, un bouc émissaire était toujours désigné, la plupart du temps celui-ci n'était même pas responsable du méfait d'origine. Les concernés avaient profité de la situation pour faire d'une pierre deux coups et avaient avancé des preuves conçues de toutes pièces contre un jeune politicien ambitieux qui montait un peu trop vite dans la sphère du pouvoir à leurs yeux. Qui plus est, son influence était d'autant plus dangereuse du fait de ses idéaux particulièrement différents de l'empire qu'avaient établis les concepts de démocratie et de république à travers le monde. Il n'hésitait pas à affirmer que cette politique n'était qu'une alternative passagère à la royauté et que le monde ne s'était que trop encroûté dedans. Le désir de stabilité et la peur du changement avaient favorisé ceux qui avaient lentement converti le monde en une routine basée sur des schémas incompréhensibles pour les gens peuplant le monde. Cet homme affirmait qu'une société n'avait de sens que si tous les gens qui la fondaient avaient un réel pouvoir sur celle à laquelle ils appartenaient. Un pays comprenait plusieurs millions de gens et les différences d'une région, et même d'une ville à l'autre, étaient énormes. Comment des votes sans concertations entre les habitants de ce pays, chose impossible étant donné leur nombre, pouvaient donner naissance à un monde juste?
Quoi qu'il en soit, c'est à cause de ces idées dangereuses que l'affaire lui avait été mise sur le dos. Le procès ne fut pas moins malhonnête que sa raison d'être. Les preuves n'auraient jamais pu passer devant un tribunal objectif, mais si celui-ci avait été acheté au préalable, l'affaire était toute autre. Le verdict fut constitué d'une inéligibilité à vie ajoutée à sept ans de prison ferme pour fraude fiscale et soudoiement. Le vieil homme et son majordome improvisé s'étaient empressés de rapporter la nouvelle car l'éclat de cette nouvelle risquait de faire sauter la sécurité de leur sanctuaire. Ils devaient agir vite avant que les décrets déclarés contre paiement soient annulés. Ymmit qui avait une certaine connaissance du milieu leur annonça d'emblée qu'ils avaient besoin de la personne qui avait été emprisonnée. Il n'avait certainement pas été pris pour cible au hasard et il disposait donc très certainement de divers moyens de pressions. Le lendemain même de son incarcération, le duo de reconnaissance partit rendre visite au soi-disant neveu du vieil homme. L'apparente fragilité du vieillard avait aidé Shoriu à convaincre le garde de le laisser seul avec son proche, il prétexta pour cela que celui-ci avait le coeur fragile. Quelques billets changèrent évidemment de mains, généralement il était facile de soudoyer les employés lorsque ceux-ci ne voyaient apparemment aucun danger dans la requête. Une fois seul avec le prisonnier, Elenwë lui expliqua la situation de manière plutôt abrupte. Le marché était simple, ils le faisaient sortir de prison en échange de quoi celui-ci les rejoignait en renonçant à reprendre son ancienne vie. Il argua du fait que de toute évidence, avec un passé carcéral il n'avait plus aucune chance dans le monde politique. L'ancien politicien accepta le marché mais de par son mode de vie, il avait compris que ce n'était pas là l'intégralité du marché, aussi joua-t-il carte sur table en demandant ce qu'ils attendaient de lui. Fort heureusement, l'idée de faire pression sur ses bourreaux afin de maintenir l'état de réserve naturelle malgré le scandale qui avait éclaté, avait tout pour le satisfaire. Cela constituerait à la fois une vengeance et un acte qu'il considérait comme juste. Quelques explications concernant l'évasion plus tard, Elenwë ressortit de la salle en se traînant péniblement sur sa canne. Shoriu pendant ce temps là, sous pretexte d'attendre la fin de la discussion, avait entamé une conversation à première vue anodine avec le garde concernant son métier. Il n'avait pas été difficile de lui délier la langue car un homme à qui l'on vient de glisser quelques billets à tendance à éviter de fâcher son interlocuteur, celui-ci pourrait lui causer bien du tort. Une fois sortis de la prison ils en avaient appris suffisamment sur les lieux pour pouvoir concevoir un plan d'évasion simple, mais redoutablement efficace.
Deux jours plus tard, ils étaient prêts. Le groupe qui allait devoir libérer le politicien était constitué de Dez, Sarkastik, Shoriu et même Majestic avait pris part à celui-ci. Leur plan reposait sur l'assurance du fait que Majestic saurait convaincre certains gardes de faire ce qu'il faudrait, ils ne lui avaient pas demandé comment, s'il affirmait pouvoir le faire, c'est qu'il le ferait. Une autre équipe était censée créer une diversion, celle-ci était composée d'Elenwë et Ymmit. Les autres étaient restés au camp, Njio et Darkgun montaient la garde tandis que Thoner passait le plus clair de ses journées avec l'homme qu'ils avaient recueilli récemment. Il avait affirmé qu'une fois qu'il l'aurait rassuré et convaincu de les rejoindre, il serait un allié dévoué. La diversion était somme toute très simple, l'ancien négociant avait mis la nuit à profit pour placer des explosifs près de l'enceinte de l'entrée principale de la prison. Tous ne devaient pas exploser en même temps, en fait, le plan de diversion constituait en partie dans l'explosion à trois minutes d'intervalle de trois sections du mur. L'enchaînement des explosions devrait précipiter les gardes dans la direction opposée à celle que les explosifs prenaient. Au cas ou cela ne suffirait pas, Elenwë était chargé de lancer des cordages par dessus le mur de la cour extérieure, afin de faire croire à une diversion ayant pour but une évasion massive par l'arrière. Tout avait été calculé pour ne pas prendre plus d'une centaine de secondes avant qu'ils ne quittent les lieux. Pendant ce temps Shoriu guidait les trois autres, le plan de la prison parfaitement en tête. Ils devaient s'adresser aux gardes de la prison à l'instant même ou exploserait la première charge. Quand cela arriva, ils feignirent la surprise, la première charge avait rempli son rôle et la sortie était complètement obstruée par les gravats. Ils firent mine de paniquer pendant un moment lorsque la deuxième explosion retentit. Majestic saisit alors l'occasion et se servit de ce qu'il avait appris au fil des siècles. Pour la plupart des gens cela aurait paru surnaturel, mais une longévité différente créait des sens et des capacités tout aussi nouvelles. En l'occurrence, pour convaincre les gardes qu'ils devaient tous se mettre à l'abri au coeur de la prison, il modula avec une infinie précision les intonations de sa voix. Cette parfaite maîtrise des mots eut un effet direct sur les gardes qui firent entrer tous les gens venus rendre visite aux détenus dans le complexe. Les gardes paniquaient tandis que les prisonniers produisaient un vacarme monumental, certains inquiets, d'autres espérant que l'explosion avait pour but de les libérer. Ils profitèrent de l'occasion et Shoriu mena Dez là où l'homme avait affirmé être située sa cellule. Sarkastik veillait afin qu'aucun garde ne vienne les déranger. Une fois devant la cellule, Dez commença à écarter deux barreaux, le visage rouge sous l'effort. En quelques instants la place créée fut suffisante pour que le prisonnier sorte de sa cellule, ils se rendirent désormais tous les cinq dans la direction opposée lorsque la troisième charge acheva de semer la zizanie. Les gardes étaient désormais bien trop occupés à détaler en tous sens pour faire attention à eux et ils retournèrent à l'entrée, le pan droit du mur de la salle avait été oblitéré par l'explosion et ils se précipitèrent vers la voiture qui les attendait quelques dizaines de mètres plus loin. Sarkastik prit le volant tandis que les autres montaient rapidement à l'intérieur, les forces de police n'allaient pas tarder à arriver, et de toute évidence, la voiture serait facilement identifiée et poursuivie. Le plan ne s'arrêtait pas là. Au lieu de prendre la fuite des lieux à une vitesse précipité, le véhicule se dirigea à vitesse normal vers un parking quelques rues plus loin, et les sirènes se firent entendre à cet instant. Sans perdre une seconde, Sarkastik monta la passerelle qui descendait du camion, après quoi Ymmit referma immédiatement les portes arrières avant de remonter au volant. Il démarra et s'engagea sur une route dans la direction opposée de la prison. Ce n'est qu'une vingtaine de kilomètres plus loin qu'il s'engagea sur une petite route de campagne afin de contourner la zone qui risquait fortement d'être remplie de barrage de police. Une fois hors de danger, Ymmit prit la direction du repaire.
Avant de retourner à la base, ils s'arrêtèrent dans le village le plus proche. L'homme qu'ils avaient libéré allait maintenant remplir sa part du marché. Il appela l'un des escrocs, probablement celui qui dominait dans le groupe, et lui conseilla de regarder attentivement les informations du soir afin de confirmer qu'il s'était évadait. Après quoi il lui fit part de façon détaillé de toute les révélations qui pourraient malheureusement apparaître au grand jour, et dicta ses exigences concernant la réserve naturelle. De plus, s'il n'obéissait pas, il risquait fortement d'être atteint de mort, et ses chances de rémissions étaient de zéro. Une fois qu'il eut la certitude qu'il s'était bien fait comprendre, il lança pour dernière précision de passer aux autres le bonjour de SFM. Sur la route du retour, Njio poussé par la curiosité lui demanda la signification de ces trois lettres. L'autre éclata de rire, visiblement il s'était beaucoup retenu au téléphone et l'euphorie de la situation prenait le pas sur lui.
- « Très bien, dit-il, puisque je dois renoncer à mon ancienne vie, autant que vous commenciez à m'appeler comme ça. »
11. Loyauté ~ convictions
Depuis trois jours maintenant, SFM réunissait des documents compromettants sur toutes les personnes disposant d'un pouvoir politique dans la région. Ainsi même si les sièges venaient à être pris par d'autres décisionnaires, la protection serait maintenue. Qui plus est, en parlant de protection, cela faisait quelques temps déjà que deux personnes venaient régulièrement près de la grille d'entrée de la réserve et repartaient après un moment. Il fallut que Sarkastik soit de garde dans la salle de surveillance pour éclaircir la situation. L'un des deux hommes s'évertuait à faire passer un message par un enchaînement de gestes de la main. C'était un code militaire et plus particulièrement, celui qui avait été mis au moins dans la section auquel il appartenait. Il ne reconnaissait pas le jeunot qui se tenait à ses côtés mais il connaissait malheureusement l'autre. Le plus grand s'appelait Kakashi, ou Ryo selon le degré d'intimité. Une tête brûlée qui avait tendance à désobéir aux ordres et n'en faire qu'à sa tête sur le champ de bataille. Après une rapide discussion auprès du groupe, ils firent entrer les deux hommes, laissant bien évidemment quelques membres dissimulés et prêts à intervenir, juste au cas où. Apparemment après toutes ces années d'insubordination, Kakashi_Ryo avait enfin réussi à se faire renvoyer, et l'ennui l'ayant vite rattrapé, il s'était décidé à suivre les traces de Sarkastik. Pendant sa traque de Majestic, celui-ci avait laissé des traces telles que des paiements par carte bancaire et il n'avait pas été difficile de diminuer la zone de recherche. Après avoir soigneusement procédé par élimination, il ne restait plus que cet endroit. Si son ancien collègue de peloton était ici, il reconnaîtrait les signes.
La situation était relativement problématique, ces deux personnes savaient maintenant où se situait le repaire du groupe. Et la présence de tout un arsenal ne laissait guère de chance à la possibilité d'un coin de vacances. Mais les tuer de sang froid sans aucune raison irait à l'encontre des idéaux pour lesquels ils se battaient constamment. C'est Njio qui finit par intervenir en jouant franc-jeu, il leur expliqua qu'ils ne pouvaient pas les laisser repartir après avoir vu ça, ils n'avaient d'autre choix que de rester ici, prisonniers, ou de les rejoindre. De toute évidence, la deuxième option allait nécessiter quelques preuves de sincérité. Sarkastik interrompu la conversation pour demander qui était le jeune homme qui le suivait. La réponse fut plutôt vague, apparemment celui-ci s'appelait Max, et son appellation militaire était plus précisément Bdx_Max. Il avait joint l'armée dans le but de progresser, ce qui semblait être une idée fixe chez lui. Mais au cours d'une opération il avait pris des risques inconsidérés. Suite à une tentative d'assaut de diversion, il avait été blessé par des éclats d'obus. Kakashi l'avait traîné sur plusieurs dizaines de mètres, totalement à découvert. Depuis ce jour, le jeune homme s'entraînait quotidiennement et rigoureusement dans l'attente de pouvoir rembourser sa dette. À vrai dire, son sauveur ne lui en demandait pas tant mais il refusait catégoriquement de quitter ses côtés tant qu'il n'aurait pas renvoyé l'ascenseur. Ces quelques détails eurent pour effet d'apaiser la tension, le premier connaissait Sarkastik et le second était parfaitement droit sur sa loyauté. Ce dernier ne voulut pas révéler grand chose de son passé, sinon qu'il avait commis beaucoup d'erreur qu'il devait désormais réparer. Tous deux n'avaient aucune famille et ce critère là jouait en leur faveur, sans attachement extérieur le risque de fuite était bien moindre. Il est à noter que tout le monde n'était pas là, Majestic était encore sorti de son côté en solitaire, Dez et Thoner étaient allés s'occuper d'un groupe de voyous qui agressaient les passants, des agressions qui dépassaient souvent le simple vol. Ils étaient accompagnés de Sakey et bien que celui-ci n'était pas encore à proprement parler saint d'esprit, il avait commencé à émerger de sa frénésie meurtrière pour voir l'ensemble des choses. Ymmit quant à lui était au volant du camion, en train de réapprovisionner la grotte en nourriture et munitions.
Dans un premier temps Kakashi accepta de les rejoindre, plus par curiosité et pour briser son ennui que par réelle motivation, Max quant à lui était prêt à le suivre sans hésitations. Cela ne dura cependant pas. Au retour du solitaire et du trio, lorsque la situation leur fut expliqué, Majestic prit Kakashi à part pour lui expliquer les implications de ce qui se passait ici. La discussion qui suivit ne fut entendu par personne d'autre mais lorsqu'ils ressortirent, il n'avait plus ce regard curieux et vaguement amusé, on y lisait désormais la détermination. Pendant ce bref interlude, son jeune acolyte n'avait pas perdu de temps et s'était rendu à la salle d'entraînement, Yoh l'y avait guidé. Ils passèrent quelques jours sans sortir à attendre le retour d'Ymmit, mettant à profit ce temps libre pour expliquer plus en détail la situation et leurs objectifs. Les deux nouveaux partageaient la plupart de leurs idéaux et l'idée d'avoir enfin le pouvoir de changer les choses les motivaient particulièrement. De par son passé Kakashi était l'alter égo de Sakey, après avoir perdu toute ses proches sous ses yeux, il avait joint l'armée dans l'attente de se faire tuer sur un champ de bataille. Sakey à l'opposé, avait sombré dans la folie meurtrière, même si les choses étaient en train de changer, il se sentait enfin à l'aise dans ce qu'il commençait à considérer comme sa nouvelle famille. C'est ainsi qu'ils furent tous deux acceptés, et les quelques bouteilles qu'Ymmit venait à peine de ramener de la ville pour les occasions spéciales furent aussitôt entamées. Shoriu avait gardé le souvenir de son état et préféra s'éclipser avant que les réjouissances ne commencent. Il sortit prendre l'air et trouva Dez en train de s'amuser si l'on peut dire, avec l'ours qui semblait le considérer comme l'un de ses semblables. Tout deux tentaient de repousser l'autre vers l'arrière et les match nuls s'accumulaient. Il continua sa route pour tomber sur Elenwé, celui-ci était en train de récolter quelques herbes locales. Apparemment la flore du coin comportaient quelques plantes aux vertues antiseptique et coagulantes. Le groupe devenait de plus en plus polyvalent et serait bientôt en mesure de frapper fort.
À l'instigation de Majestic, ils partirent pour une grande ville située plus loin au Nord, la mafia locale y vivait en maître et même s'ils ne pouvaient pas l'abattre intégralement, quelques cas de morts subites devraient calmer leurs ardeurs. C'était au tour de Sarkastik et de Dez de monter la garde, mais Ymmit proposa à ce dernier de prendre sa place en arguant que de toute manière, il ne serait d'aucune utilité pour ce genre d'opération. Radagast quant à lui était chargé de la surveillance extérieure, dans les bois. De cette manière la sécurité des lieux était assurée. Vidéo surveillance et tireur embusquée de la part des deux gardiens, et les animaux qui vivaient désormais ici étaient alertes et prêts à signaler la présence d'intrus.
Les cibles que leur chef avait choisi étaient tous des seconds couteaux, ils devraient commencer par là pour remonter jusqu'aux personnes tirant les ficelles. Ils opérèrent par groupe de trois, alternant sans cesse afin de ne pas donner de signalisation précise. La purge se passait plutôt bien, mais le nombre de petits chefs de gang était assez élevé, ce qui en disait long sur la main-mise de celui qui le dirigeait. De même, si les choses amorçaient un certain changement dans cette ville, une petite surprise les attendait au campement.
12. Renouvellement ~ Retrouvailles
La petite armée de trios qui se battait pour Majestic continuait son oeuvre et leurs cibles tombaient les unes après les autres. Shoriu et Elenwë étaient tous deux en train de vérifier que les politiciens sur lesquels ils faisaient pression par le biais des connaissances de SFM, tenaient parole et ne cherchaient pas de moyen de briser leur parole. Malencontreusement, la régularité de leurs déplacements avait permis à quelqu'un de les reconnaître. La personne en question était l'homme qui avait pris la relève du chef de Cartel que Majestic, Ymmit et Elenwë avaient tué quelques mois plus tôt. Il avait donc pris sa place et recherché les trois hommes qu'il savait désormais responsable du meurtre de son ancien patron. Et c'est ainsi que le vieillard avait été reconnu. La régularité de leurs rondes avait pour défaut de laisser des ouvertures et ce jour là, l'occasion fut saisie. Quelqu'un s'approcha prestement du duo et pointa directement son revolver dans le dos de Shoriu. Il lui expliqua rapidement que plusieurs hommes étaient prêts à intervenir et à les tuer s'il ne coopérait pas. Ils ne perdirent pas leur sang froid et continuèrent de marcher tout en confirmant qu'ils ne s'enfuiraient pas. La petite bande d'hommes de mains les conduisit dans une vieille maison en ruine qui leur servait de lieu d'interrogatoire. Sa localisation loin de la ville avait pour avantage de laisser mourir les cris d'agonie avant qu'ils n'atteignent les oreilles de qui que ce soit. Ils furent tous deux jetés dans une cellule improvisée où était déjà présent un vieil homme à l'air blasé.
Quelques heures plus tard, ils vinrent chercher Elenwë afin de le faire parler, lui seul ne leur suffisait pas, car ils voulaient se venger de l'intégralité des assassins. Shoriu, bien qu'inquiet, était atterré de la stupidité dont faisaient preuves ces hommes. Ils n'avaient même pas laissé de garde, lui laissant le loisir de vérifier s'il n'y avait pas d'échappatoire. Et le comble, c'était qu'ils ne l'avaient même pas fouillé, ils l'avaient emprisonné, armé d'un petit revolver silencieux. Il profita donc de l'absence de surveillance pour vérifier si les barreaux étaient solidement ancrés dans le béton décrépit, car leur cellule n'était pas pour ainsi dire un chef-d'oeuvre d'architecture. Il était occupé à tenter de desceller l'une des barres quand l'autre homme lui lança d'un ton narquois :
- « Eh bah, t'as beau avoir pris quelques centimètres, t'as toujours de la compote dans les bras. »
Shoriu se retourna, interloqué. Il n'avait pas vraiment prêté attention au vieil homme jusqu'à maintenant, mais après réflexion, sa bobine lui disait quelque chose. Un moment plus tard, il se souvint qu'il ressemblait beaucoup au professeur d'arts martiaux que ses parents avaient engagé pour lui, et qui n'était pas resté longtemps avant de laisser tomber, son élève étant bien trop curieux et distrait lorsqu'il était jeune pour s'entraîner sérieusement. Lorsqu'il lui demanda ce qu'il faisait ici, l'autre qui, lui semblait-t-il s'appelait Natsu, lui répondit l'air désabusé :
- « Peuh, j'ai été engagé pour entraîner le fils de l'abruti qui vous a amené ici mais cette andouille a réussi à se casser une jambe tout seul. Évidemment ce sale gosse m'a mis ça sur le dos et je me suis retrouvé ici. Il faut dire que j'avais un peu bu quand ils me sont tombés dessus et je n'étais pas vraiment tenté de négocier avec des armes à feu. »
Ils discutèrent encore un moment, le vieil homme évoquant des souvenirs et Shoriu lui répondant, tout en continuant son examen de la cellule, lorsqu'il trouva ce qu'il cherchait. Le ciment était complètement fissuré à la base de l'un des barreaux et il suffirait de quelques coup dessus pour qu'il bascule. La remarque de son ancien professeur ne lui ayant pas vraiment plu, il lui lança sarcastiquement qu'il n'avait qu'à lui montrer comment procéder pour forcer sur la barre. L'un dans l'autre, cela lui permettait de laisser faire le boulot fatiguant à un autre et en cas d'échec, il pourrait à défaut de sortir, rétorquer qu'il ne valait pas mieux. Mais Natsu n'utilisa pas vraiment ses bras, il se contenta d'envoyer valdinguer le barreau d'un coup de pied et se laissa tomber assis dos au mur. Shoriu se maudit intérieurement de ne pas avoir prévenu cet hurluberlu qu'il aurait préféré éviter un tel vacarme, mais l'autre lui répondit que de toute manière, ils ne pourraient pas aller bien loin sans armes. Après quelques copieux échanges d'insultes bien choisies, il lui expliqua qu'il avait une arme, et qu'ils pouvaient donc sortir s'ils ne sonnaient pas la charge de cavalerie tous les deux pas. En entendant ça, l'ancien professeur d'arts martiaux changea d'expression et sembla tout de suite intéressé par l'idée de prendre la poudre d'escampette. Mais Shoriu refusa, arguant qu'ils devaient d'abord retrouver son compagnon, et le vieil homme céda car dans le fond, il était assez revanchard et l'idée de laisser sur le carreau celui qui l'avait emprisonné n'était pas pour lui déplaire. Ils se déplacèrent donc le plus silencieusement possible, la maison n'était pas très grande et ils atteignirent rapidement la salle où Elenwë était interrogé. Ce dernier s'amusait bien car ayant compris qu'il allait être torturé, il s'était empressé de mâcher quelques feuilles que contenaient l'une de ses besaces. La douleur n'était pas totalement annihilée mais elle était tout à fait surmontable. Il prenait donc plaisir à mener une conversation badine en maintenant un faciès évaporé et stupide, et se régalait de la colère qui se lisait sur les visages alentours. Shoriu arriva près de la salle et entendit la voix de son compère. Il mit rapidement un plan sur place, et quelques instants après, Natsu entrait dans la salle en tanguant, et annonça comme si de rien que l'autre prisonnier s'était échappé. Sans prendre le temps de réfléchir, les cinq personnes qui étaient en train de tenter en vain d'extorquer des réponses à Elenwë sortirent de la salle précipitamment. Shoriu qui s'était placé dos au mur derrière la porte attendit qu'ils soient tous sortis. Il visa soigneusement et leur tira une balle dans la tête l'un après l'autre avant qu'ils n'aient le temps de comprendre ce qui leur arrivait. Ils détachèrent le vieil homme, et après un moment de discussion, Natsu déclara qu'il avait bien envie de rencontrer les personnes que ses bourreaux recherchaient. Avec un peu de chance, il pourrait en profiter pour expliquer à l'aide d'arguments relativement frappants à son ex-employeur, que le fils de ce dernier s'était blessé tout seul. Ils redoublèrent de précaution sur le retour afin de ramener Elenwë qui, s'il n'avait pas trop souffert, était quand bien même recouvert d'ecchymoses.
À leur retour ils furent plus que surpris, les autres étaient déjà rentrés mais ce n'était de là que venait la surprise. Les murs de pierres grossièrement équarris disparaissaient derrière des revêtements de placo-plâtre tapissé, à l'intérieur du dortoir austère se trouvait désormais un sol duveteux et doux. Seule la salle d'entraînement n'avait pas changée. Ils trouvèrent Ymmit confortablement assis dans un fauteuil qui était en train d'expliquer la raison de cet état des lieux. Il s'interrompit voyant ses deux compagnons arriver avec un inconnu, et tous ceux qui étaient présents se levèrent voyant qu'Elenwë était en assez mauvais état. Rien de bien grave, mais ils prirent d'abord le temps de le remettre sur pied, Dez s'occupant de placer les bandages comme il en avait tant l'habitude. Il les enduisait dans diverses poudres diluées, dans un peu d'eau selon les consignes du blessé qui lui avait donné sa besace. Elle était remplie de feuilles, certaines séchées, d'autres non, ainsi que de certaines racines broyées. Une fois qu'il fut en état de se relever, la curiosité l'emportant sur l'envie de se reposer, il demanda à Ymmit de reprendre son récit.
Cela s'était passé une bonne semaine auparavant. Un architecte d'intérieur du nom de Rabbit s'était encore fait renvoyer. Son renvoi n'avait rien à voir avec sa façon de travailler car il était assez bon dans son domaine. L'explication se situait plutôt dans le fait qu'il se baladait toujours sur le chantier en gesticulant avec ses outils, tranchants la plupart du temps. Il n'avait jusque là jamais blessé personne, mais ce comportement effrayait plutôt les clients. Ymmit avait vérifié que son ancien ami habitait toujours dans les environs et avait pris contact avec lui. Car de fait, cet homme d'affaire avait toujours vécu dans des lieux assez confortable et l'austérité de la caverne lui devenait insupportable. Sarkastik s'était révélé être assez tenté par l'idée de dormir sur un vrai matelas. De même la présence d'un sol confortable et plus chaud que la roche glacée qui le constituait jusqu'alors était assez enviable. C'est ainsi qu'après avoir pris contact avec Rabbit et avoir acheminé tous les matériaux nécessaires à la construction, les trois hommes s'étaient mis à l'ouvrage sous la direction de ce dernier. En une semaine à peine ils avaient complètement transformé les lieux et même si cela n'atteignait pas vraiment la qualité d'une maison de luxe, les progrès étaient indéniables. Ils étaient en train de poser les derniers revêtements au sol, lorsque les trios qui étaient partis dans les directions que Majestic leur avait indiqué rentraient les uns après les autres. Dans un premier temps, ce dernier avait pris ce besoin de confort pour une faiblesse, mais en réfléchissant à la chose, il comprit que cela dénotait plutôt du fait que le groupe commençait vraiment à se sentir à l'aise. Cette hypothèse fut confirmé par le plaisir qu'il lut sur les visages en face de ce repaire. La plupart de ces hommes avaient toujours été seuls au fond d'eux-même, et même si certains avaient vécu dans des domiciles de qualité, ils n'y portaient aucun attachement. Et pourtant désormais, les hommes qui avaient prêté serment de l'aider avaient trouvé leur place. Ils chérissaient ce lieu qui les avait éloigné de leur vie solitaire et vide de sens, et le fait de le voir sans cesse devenir plus élaboré et agréable suffisait à les rendre heureux. Ils disposaient tous de ce que l'on peut désirer de mieux, des compagnons prêts à risquer leur vie pour eux, chose qui était réciproque, un refuge dans lequel ils se sentaient vraiment chez eux, et un but dont l'accomplissement leur tenait à coeur. Voyant tout cela, y compris le fait qu'ils commençaient à être vraiment nombreux, Majestic finit par prendre sa décision. Depuis des mois lors de ses sorties en solitaire il avait préparé le chemin d'une action décisive. Le moment était venu de la mener à bien et dans la soirée, pour la première fois depuis la création de ce groupe, leur chef les réunit afin de leur déclarer qu'il avait besoin d'eux pour mener à bien son plan.
13. Inglorious Way ~ Révélation
Chacun savait ce qu'il avait à faire, leur but cette fois-ci était bien au dessus de leurs précédentes actions. Ils allaient anéantir l'un des parents du crime et ils avaient passé plusieurs semaines à mémoriser à la perfection le rôle qu'ils allaient devoir jouer. Jusque là Majestic, leur chef, avait éliminé avec précision les hommes qui servaient de relais au syndicat du crime qui avait la main-mise sur les pays soviétiques. La mafia Russe avait un pouvoir égal à celui du gouvernement, ce n'était pas à proprement parler la pire qui soit, mais c'était un exemple incomparable de puissance, et sa chute ouvrirait la porte à la lutte ouverte pour la justice. Ils devaient frapper simultanément en de nombreux points afin de donner l'illusion d'un groupe amplement plus nombreux. La réalité de ce qu'ils allaient faire avait autant d'importance que le message qu'elle ferait passer. La société mondiale était tombée dans le pacifisme à outrance tant et si bien que les moeurs interdisait presque de se défendre d'une agression. Prendre des mesures de précaution n'était même pas envisageable. S'ils arrivaient à faire comprendre au monde que la force constituait la seule réponse face à une agression organisée, qu'elle soit hors-la-loi ou qu'elle émane des gouvernements eux-mêmes, alors le succès serait total. Ymmit, aidé par Dez et Sarkastik, avait mis au point une quantité non négligeable d'explosifs au potentiel de destruction minutieusement calculé. Chacun était parti en emportant pour la plupart d'entre eux une quantité de ces dispositifs qui étaient déjà programmés pour se déclencher à une heure précise, identique pour tous. De même, ils s'étaient équipés de l'armement qu'ils maniaient le mieux. Une fois que tous auraient mené à bien leur opération, ils devaient se réunir pour porter le coup final afin que jamais ne se relève ce géant du crime organisé. Sarkastik, au volant du camion, déposa avec leur matériel les hommes un à un aux secteurs clefs avant d'atteindre l'objectif final. Sur le deuxième siège et à l'arrière du véhicule, Shoriu et Darkgun surveilleraient les alentours, l'arme à la main afin de couvrir leurs compagnons en cas de fuite précipitée. Beaucoup de leurs cibles étaient des laboratoires clandestins, d'autres encore servaient de point de ralliement, ou d'entreprise fictive dont le seul but était de blanchir de l'argent sale. Tous avaient été désignés pour accomplir une tâche en fonction de leurs capacités et de leurs connaissances, aucune gloire ne les attendait car leurs actes ne seraient jamais revendiqués à titre personnel.
L'objectif le plus proche de leur repaire était en fait un réseau de petits villages reculés dans lesquels un intermédiaire faisait passer de la fausse monnaie afin de l'écouler, ruinant l'économie globale de ces lieux qui avaient déjà tant de mal à subsister. Radagast avait été choisi pour ses capacités un peu particulières. Le message serait d'autant plus fort si la nature elle-même semblait en être complice. Il avait parcouru les forêts tel un général recrutant toutes les personnes valides vidant les résidences de leurs occupants. Seulement, la différence était qu'en l'occurrence, son armée était constituée d'une innombrable quantité de loups et d'autres animaux sauvages. Ces animaux évitaient en général la civilisation et ils n'attireraient l'attention que lorsqu'il serait trop tard. Une fois qu'il eut réuni suffisamment de créatures, il usa de tout ce qu'il avait appris auprès des animaux pour s'établir en chef de meute absolu afin que ses ordres ne soient pas discutés. Dans la tête de cet homme, l'esprit des humains ne divergeait pas beaucoup de celui des êtres parmi lesquels il se sentait si à l'aise. Leurs systèmes sociaux étaient simplement différents. Ainsi donc, une fois qu'il eut la certitude que tous lui obéiraient, il communiqua avec eux par des moyens que nuls ne sauraient reproduire, leur indiquant l'odeur et l'apparence de leur cible. Il ne serait pas difficile à des loups de distinguer la différence entre les villageois et les étrangers car ceux-ci porteraient sur eux l'odeur de la ville. De même, leur vue adaptée à la chasse nocturne leur permettrait de s'assurer que les cibles transportaient aux banques les morceaux de papiers colorés que leur chef de meute leur avait montré. Une fois que tout fut saisi par ses compagnons, Radagast se sépara de la meute afin de se rendre là où était sa propre cible. Une grande bâtisse aux airs d'usine à bois servait de point central pour acheminer la totalité de la fausse monnaie, puis elle était ensuite dispersée dans les villages alentours. À la tombée de la nuit, le bâtiment ne serait plus, et il en irait de même pour ceux qu'il avait désigné comme proie à ses créatures. Il attendit donc que le soleil disparaisse derrière la chaîne de montagne afin que l'obscurité lui soit complice. Le bâtiment se situant en pleine montagne, l'explosif qui lui avait été fourni était très puissant car aucun innocent ne risquait d'en être victime dans un lieu si désert. Il devait simplement l'enterrer près de l'un des murs avant de partir. Toutes les bombes qui avaient été créées disposaient d'un dispositif particulièrement ingénieux. Le déclenchement s'opérait par la réaction de deux liquides. Lorsque la réaction atteindrait son terme, le mélange deviendrait instable et déclencherait l'explosion. Cela permettrait de passer outre tous les dispositifs de détection du métal. Ainsi, après avoir fait le tour du bâtiment pour la troisième fois, il opta pour la face Nord. Un seul homme patrouillait régulièrement de ce coté-ci. Il approcha lentement afin de se glisser derrière lui et lorsqu'il fut assez près, il lui trancha la jugulaire de ses dents à la manière des loups. De cette façon la victime ne produisit aucun son susceptible d'attirer d'autres gardes. Il sortit donc l'objet du sac qui lui avait été confié et commença à creuser à mains nues près du mur afin d'y dissimuler le dispositif. Après quoi, il recouvrit de terre le sang qui maculait le sol stérile et emporta le corps dans la forêt. Il avait accompli sa tâche et ne lui restait plus qu'à se rendre près du repaire afin de rejoindre les autres.
Dez avait été assigné à l'anéantissement d'un laboratoire qui mettait au point diverses drogues. Certaines étaient à but commercial et lucratif, d'autres encore servaient à obtenir des informations de manière bien plus efficace que la simple torture. Même certains médicaments légaux étaient fabriqués ici et vendus à des grossistes corrompus. La tâche serait compliquée car il ne pouvait pas se contenter de faire sauter un bâtiment contenant quantité de produits chimiques, qui plus est situé en zone rurale. Le bâtiment ressemblait à une forteresse et toutes les entrées étaient solidement gardées. Évidemment, cela ne posait pas beaucoup de problème si l'on ne disposait aucunement de l'intention de passer par la porte. L'arrière du bâtiment n'était pas protégé et le béton dont était fait le mur était relativement solide. Il allait devoir passer par dessus. L'escalade ne fut pas une mince entreprise car la paroi était purement verticale, et qui plus est, le sac qu'il transportait pesait son poids. Il grimpait à l'aide de pics métalliques à la seule force des bras, c'est en parti pour cela qu'il avait été choisi pour cette cible. Un équipement de grimpette intégral aurait fait beaucoup trop de boucan. Inversement ces deux pics ne produisaient qu'un bruit sourd, étouffé par les sons constants qui émanaient de la ville. Une fois sur le toit de tôle il se déplaça silencieusement, cherchant une jonction qui lui permettrait d'entrer. Lorsqu'il arriva à la séparation entre deux d'entre elles, il prit en main les bords de l'une d'elles avant d'exercer une traction spasmodique, répétée afin de ne pas être repéré. Lorsqu'elle céda enfin, il se glissa à l'intérieur et se laissa tomber sur ses jambes. Même s'il avait l'habitude de supporter de grands chocs physiques, l'atterrissage lui extorqua une grimace de douleur car il dut amortir l'intégralité de la chute avec ses jambes, étant donné qu'il transportait des explosifs, la prudence le conseillait. Après un bref regard circulaire, il finit par apercevoir ce qu'il cherchait. Un rai de lumière filtrait dans la grande salle dans laquelle se déroulait la fabrication des substances. Il avait donc atterri dans la réserve. Il allait donc devoir disposer la plupart des bombes de puissance modérée dans la salle contenant tous les produits à l'état brut. De cette façon ils devraient être intégralement consumés sans que des vapeurs nocives ne se répandent en ville. Une fois qu'il en eut fini avec cette salle, il partit à la recherche du réseau électrique du bâtiment, celui-ci était situé de l'autre côté de la salle et il planta là sa dernière charge. Il devait maintenant s'assurer que personne ne viendrait ici avant l'aube car toutes les bombes devaient exploser à la venue de celle-ci. Il entreprit de transporter tout le mobilier de la pièce afin de bloquer les issues. Les pousser contre les portes lui aurait été plus facile mais en l'occurrence, il dut les soulever afin de ne pas faire de vacarme. Une fois que tout fut prêt, il put enfin sortir et la discrétion n'était plus nécessaire s'il se dépêchait de quitter les lieux. Il abandonna là son sac désormais inutile et entreprit à l'aide d'un grappin de remonter par l'ouverture même par laquelle il était entré. Lorsque le métal choqua sur les tôles du toit, il entendit des voix émanant de la salle de production, il pressa l'allure et une fois en haut, scruta rapidement en bas afin de trouver un versant non occupé. Il sauta à nouveau et se laissa rouler avant de se rétablir, ce qui fut bien moins douloureux. Il se dépêcha de prendre la tangente avant que l'on ne vienne regarder de ce côté. Après s'être assuré que personne ne l'avait vu, il se rendit à l'endroit qui lui avait été indiqué pour l'opération finale.
La cible que Majestic avait choisie n'était pas des moindres, mais sa destruction était nécessaire pour que le message soit bien interprété. La destruction des autres cibles allaient bien évidemment mettre fin à l'un des plus grands fléaux de ce monde, mais celle qu'il s'était attribuée porterait le sens de leur message. En effet, le Palais de Justice de la capitale Moscou était le lieu qu'il avait décidé de réduire en gravats. Ainsi, ce qu'ils avaient à dire serait compris sans ambiguïté, les gens de lois n'étaient en aucun cas motivés par un désir de justice. Cette notion même avait été réduite à une institution sans âme et sans idéaux qu'il exécrait. Il entreprit donc d'explorer les lieux en attendant l'arrivée des autres, car ce bâtiment était leur cible finale, et il devait avant tout vider la place de tous ses occupants. Car même s'ils étaient faibles, la plupart étaient innocents et ne méritaient pas de mourir. Il entreprit donc de s'assurer que les gardiens et les quelques fonctionnaires qui travaillaient encore tardivement dormiraient pour une bonne douzaine d'heure en exerçant une pression précise sur divers points du cou et des tempes. Après quoi, il entreprit de les faire sortir du bâtiment par les fenêtres arrières et de les cacher dans le jardin situé derrière le Palais de Justice. Il ne restait plus qu'à attendre les autres, ils seraient là dans quelques heures.
Le nettoyage qui avait été remis entre les mains de Njio était certes simple mais n'allait pas sans risques. Il allait devoir se frayer un chemin à travers un immeuble entier et l'impressionnant arsenal qu'il transportait n'allait pas être de trop. Il aurait pu se contenter de placer les charges mais rien ne lui garantissait qu'elles ne seraient pas découvertes avant le moment critique. Il fit le tour du bâtiment observant à l'aide de jumelles infrarouge le placement des gardes et des caméras. Une fois qu'il eut noté leur position, il prit place en haut d'un immeuble délabré et commença à assembler son fusil. L'emplacement qu'il avait choisi lui permettait d'avoir une vue d'ensemble sur la face Est et Sud du bâtiment, ainsi que sur ses deux entrées. Lorsqu'il eut fini d'assembler son arme, il posa deux autres fusils silencieux posés sur trépieds, équipés de détecteur de mouvements. Ces deux là étaient placés sur les portes afin de se charger de la majeure partie des éventuels renforts. Cela lui laisserait les coudées franches pour s'occuper de ceux qui étaient déjà dehors ainsi que des caméras, qui plus est la cadence de tir suggérera la présence de plusieurs tireurs. Personne ne songerait, tout du moins pas assez vite, que le tireur était situé en face de l'angle du bâtiment, et était seul. Tout était en place, il prit une grande inspiration et tira la couverture de fibres sur lui afin de ne pas être repérable via capteurs thermiques. L'une après l'autre, il détruisit les caméras de surveillance, s'occupant d'abord de celles qui n'était pas en vue des patrouilles. Après quoi il tua un à un les gardes, et attendit. Les deux sentinelles automatiques qu'il avait préparées commencèrent à ouvrir le feu et il dut s'occuper d'achever ceux qui n'était pas mortellement touchés par celles-ci. Il resta là, continuant son oeuvre pendant une quinzaine de minutes qui lui parurent durer une éternité. Il ne pouvait pas entrer avant de s'être assuré que plus personne n'essaierait de sortir du bâtiment. Une fois que les choses se furent calmées, il désactiva ses deux automates et les abandonna sur place, et prit la direction du bâtiment. Il troqua son fusil de longue portée contre un automatique muni d'un silencieux. Arrivé près de l'entrée Est, il jeta furtivement un coup d'oeil à l'intérieur, la voie paraissait libre mais l'on n'était jamais assez prudent. Il dégoupilla une canette de gaz lacrymogène et la lança à l'intérieur du bâtiment, avant de se munir d'un masque à gaz jetable. Il entra, et après s'être assuré que la pièce était vide, il déposa là son sac et commença sa sinistre besogne. Les traces de sang ne seraient pas visible avant le lever du soleil, mais l'empilement de corps était une autre histoire. Il traîna un à un les corps à l'intérieur du bâtiment tout en gardant son arme de poing prête à l'emploi. Cela lui prit près d'une demi-heure mais une fois que la rue était vide de corps, il fut un peu rasséréné. Il disposait de trois charges, il les plaça en triangle en les dissimulant du mieux qu'il pouvait. Il enleva la plante d'un des pots près de l'entrée, posa sa charge à l'intérieur et replaça le végétal et son bloc de terre enraciné par dessus. Il positionna les deux autres explosifs près du mur opposé, l'un sous l'escalier qui menait aux étages supérieurs, l'autre derrière le système de climatisation qui était posé dans un coin. Cette disposition devrait faire tomber le bâtiment sur une carrière abandonnée. Après s'être assuré que personne ne l'avait repéré, il reprit son sac vide et enjamba les corps avant de repartir vers son propre point de récupération.
Les choses avaient bien tournés pour Sakey. Quelques semaines auparavant, il avait grâce au groupe qui l'avait accueilli, réussi à venger la mort de ses parents. Il allait maintenant rembourser sa dette en risquant sa vie. Il avait été déposé près des quartiers sordides de la capitale et avait pour instruction de décapiter tous les hommes de mains qu'il pourrait rencontrer. SFM avait obtenu grâce à ses contacts la photo de la plupart d'entre eux via leurs casiers judiciaires. Ce genre de ruelle était couramment fréquentée par des hommes armés, aussi personne ne s'agita en le voyant passer, sabre au clair. Il offrit un décès rapide et sans douleur aux occupants des mansardes qui lui avaient été signalés comme refuge d'hommes de mains et de second couteaux. La majeure partie du travail fut assez facile car les occupants, ivres morts, ronflaient bruyamment et n'opposaient pas la moindre résistance. Toutefois, ceux qui ne dormaient pas encore n'eurent pas plus de chance et furent étêtés avant de pouvoir protester. L'opération en elle-même fut plutôt simple, la difficulté résidait plutôt dans la sortie car cela faisait près d'une heure qu'il semait la mort et les ruelles grouillaient désormais de vermine. Lorsqu'il eut terminé son travail dans la dernière maisonnette qui était un peu plus luxueuse, il essuya son sabre sur les draps de l'une des chambres, brisa un carreau avec le manche et sortit par la fenêtre. Il avait l'habitude de courir et d'être poursuivi aussi, il prit soin de tourner régulièrement et de passer par dessus diverses palissades afin de dérouter ses poursuivants. Une fois sorti des quartiers lugubres de la ville, il prit la direction du Palais de Justice afin d'y rejoindre Majestic, si tout s'était bien passé jusque là, l'endroit devrait être vide.
Lorsque Sakey le rejoignit, Majestic avait entamé la gravure. Ils s'étaient procurés une peinture d'un blanc immaculée qui pénétrait profondément dans le sol poreux de la plaza déserte en face du Palais. Il entreprit de l'aider car pour que ce liquide soit exploité à son maximum, il fallait continuellement chauffer la surface peinte. La plupart du matériel était encore dans le camion, mais si tout se goupillait avec le bon rythme, ils auraient fini avant l'aube.
Thoner avait été envoyé dans un hangar portuaire près d'un fleuve. Ils avaient, encore une fois grâce à la corruption qui régnait dans ces milieux, obtenu des informations contre du liquide. Ce soir, un convoi entier d'une nouvelle drogue proche de l'héroïne avec un facteur d'addiction bien plus élevé allait être stationné ici avant d'être divisé pour être vendu. Jamais il n'avait parlé de la façon dont il s'était retrouvé seul, mais tous avaient compris devant son choix inébranlable de s'occuper de cette cible que cela avait un rapport proche. L'entrepôt était faiblement gardé car tous avaient un accord de non-agression afin d'éviter la présence d'un trop grand nombre de gardes, ce qui aurait inévitablement attiré l'attention des autorités. Cela lui faciliterait donc les choses. Inévitablement, il était armé uniquement de son épée et transportait un sac contenant plusieurs bouteilles d'essence ainsi qu'une charge unique. Il déposa le sac sur un quai abandonné proche de sa destination, il devait avant tout s'occuper de la défense du lieu. Il s'approcha par l'un des versants sans entrée du bâtiment et longea le mur silencieusement. Arrivé à son extrémité, il ferma les yeux et se concentra pour localiser approximativement les gardes au bruit de leurs pas. Il attendit près d'une heure pour que l'un d'eux s'approche de l'angle et il plongea dessus. Sa lame lui passa sous la gorge avant de la trancher et il pivota instantanément afin de déposer le corps hors de vue. Une fois ceci fait, il n'entendait plus qu'une discussion venant de l'intérieur du bâtiment. Après un rapide coup d'oeil à l'intérieur, il repéra les trois derniers gardes qui étaient assis près de l'un des véhicules. Apparemment, ils avaient partagé la nuit en quatre tours de garde. Il devait donc agir vite avant que l'un d'eux ne prenne la relève. Aussi silencieusement que possible, il se glissa à l'intérieur du hangar et profita de l'abri des camions pour se rapprocher. Arrivé à proximité des gardes, il mit la discrétion de coté et frappa directement d'estoc dans le torse de l'un des gardes. Puis, il retira sa lame dans un bruit de feulement et d'os crissant hors du cadavre en le repoussant d'un coup de talon avant de la plonger dans le coeur du second. Le troisième homme qui avait eu le temps de réagir dégaina rapidement son arme et fit feu, Thoner s'était baissé a temps et la balle l'entailla au bras gauche. Il acheva le troisième garde d'un coup de tranche sur la gorge avant de rengainer son épée. Il ne restait plus qu'à prendre les dispositions pour faire disparaître toute cette saleté. Retournant près du quai, il récupéra l'essence dont il se servit pour asperger le contenu des véhicules, il disposa la charge sous l'un d'entre eux et s'éloigna du quai.
Leur nouveau décorateur encore relativement controversé, avait été mis à l'épreuve. Un quartier entier était en reconstruction et quelques fonctionnaires peu courageux avaient cédé à la pression, achetant des matériaux au rabais. Par ce moyen là, ils fraudaient sur le devis total plusieurs millions, et le partage était fait entre l'organisation responsable et ces mêmes fonctionnaires. Encore une fois l'action n'était pas une lutte directe contre la corruption mais un message. Ce genre de pratique devait cesser et Rabbit, de par son ancien travail, était le plus qualifié pour réduire en poussière tout un quartier en construction. Avant de repartir déposer les autres qui attendaient plus loin, Sarkastik accompagné de Shoriu et Darkgun qui s'étaient portés volontaires par précaution, avaient décidé de couvrir leur poseur de charge. En effet, s'il connaissait les points les plus adaptés à une démolition efficace, il n'avait pas vraiment l'habitude du meurtre de sang froid. Ainsi Rabbit portait-il une radio par laquelle les trois tireurs embusqués lui indiquaient quand la voie était libre. Avançant à tâtons, il disposait des charges à faible puissance afin de ne pas être létales pour un quidam qui passerait dans les environs. Le bruit de l'explosion serait suffisant à faire comprendre que mieux valait prendre ses jambes à son cou et laisser tout le délai nécessaire pour déguerpir avant l'effondrement total. La zone à couvrir était assez vaste, aussi le poids était conséquent et la sangle du sac lui rentrait dans les chairs. Le dernier message qu'il avait reçu lui indiquait que l'immeuble central était dégagé de toute surveillance. Il allait pouvoir passer aux choses sérieuses. En terme de moyen d'expression, la chute d'un immeuble en construction d'une cinquantaine d'étage devrait être assez éloquent. Plus d'une dizaine de charges devraient faire tomber l'édifice directement sur les derniers bâtiments, ce qui économiserait quelques charges et soulèverait beaucoup de poussière. Par cette manifestation de chaos ils espéraient faire comprendre que tel était le prix à payer lorsque l'on se livrait à l'avarice au risque des futurs habitants. Une fois ce petit interlude terminé, ils reprirent tous quatre la route afin de disposer des autres cibles.
La suivante était tout à fait adaptée pour un duo, et étant donné que Max ne lâchait pas Kakashi d'une semelle cela n'en serait que plus simple. Cette fois-ci il, n'y aurait pas de scrupules à avoir et de précautions à prendre. Cette usine de contrefaçon ne contenait aucun innocent et tous portaient le sang d'honnêtes travailleurs sur leurs mains. En l'occurrence celle-ci produisait des produits alimentaires et par le biais de pots-de-vin vendaient sans la moindre taxe, menant à la ruine ceux qui obéissaient à la loi. Ils furent déposés à l'entrée et le véhicule reprit la route laissant les deux hommes seuls devant la tâche. Ils avançaient dos à dos afin d'avoir une vision intégrale, c'était un moyen de survie efficace. Chacun était armé d'un petit automatique muni de l'éternel silencieux. Il y eut bien quelques échauffourées mais toutes moururent dans un silence absolu et ils continuèrent leur route à l'intérieur du bâtiment. Selon la suggestion de Rabbit, la destruction des deux cheminées ainsi que des fondations du sous-sol suffiraient à anéantir les lieux. Toujours dos à dos, ils déposèrent leur première charge dans une poubelle à moitié pleine située sous la première cheminée. La deuxième leur causa quelques problèmes car des retardataires étaient restés sur place. Mais leur entraînement militaire ne les portait pas à la pitié, surtout lorsque leur vie en dépendait. Après quelques tirs bien ajustés, ils décidèrent de dissimuler leur explosif dans l'une des machines d'emballage, dont ils avaient au préalable saccagé l'alimentation électrique. La difficulté survint à ce moment là, ils n'avaient pas pu obtenir de plan des lieux et ignoraient absolument où se trouvait l'entrée des sous-sols. Ils optèrent pour un plan à la fois subtil et risqué. Choisissant une salle pour sa proximité avec la sortie, ils dégoupillèrent une grenade qu'ils laissèrent sur place avant de s'éloigner. Attendant que les derniers débris soient retombés, ils s'engouffrèrent dans l'escalier d'éboulis qu'ils venaient de créer. Cela allait être une course contre la montre car le bruit allait rameuter tout le monde et ils avaient prévu de tenter leur chance en repartant par où ils étaient entrés grâce à une diversion. Le souterrain était mal entretenu et ils n'eurent même pas besoin de dissimuler les charges qu'ils semaient ça et là. Les bruits de pas se rapprochaient, plus d'une dizaine d'homme les coursaient et le moment de prendre la poudre d'escampette était venu. Ils dégoupillèrent leur dernière grenade et la lancèrent en avant puis rebroussèrent chemin afin de se mettre à couvert. Les hommes passèrent et se dirigèrent vers le bruit de l'explosion la plus récente. Ils abandonnèrent leurs derniers explosifs ici et coururent vers la sortie. Une fois remontés, ils profitèrent du fait que les souterrains n'étaient pas le genre d'endroit à disposer de fenêtres pour condamner leurs poursuivants à la mort par asphyxie. Une demi-douzaine de bombes lacrymogènes furent lâchées dans le trou avant de recouvrir celui-ci avec les débris de l'explosion. Une fois ceci fait ils s'éloignèrent et prirent position, attendant que Sarkastik reprenne le chemin inverse afin de réunir les membres laissés sur place.
Cette fois-ci encore, un laboratoire était à mettre hors-service mais le bâtiment était infiniment mieux gardé que le précédent, et un assaut frontal en nombre si infime n'aurait aucune chance. Ymmit qui jusque là n'avait fait que préparer le matériel eut pour tâche de s'occuper de ce lieu-ci. Il accompagnait Elenwë qui avait tout à fait l'air à sa place dans ce décor, vêtu comme il l'était. Tous deux avançaient, prenant l'air renfrogné qui était de rigueur pour un patron dont les pensées étaient occupées par divers problèmes. Ils conversaient comme si de rien n'était sur le marché que pouvait intéresser la mise au point de telle ou telle drogue. Et lorsqu'ils passaient par des lieux déserts, propices à la pose d'explosif, ils ne rataient pas l'occasion. La fabrication particulière de ceux-ci avait déjoué le bricolage qui servait de détecteur de métaux à l'entrée et ils avaient subi la fouille comme s'ils avaient fait ça toute leur vie. Tout se passait comme sur des roulettes lorsque l'un des grand pontes présent ici approcha. De toute évidence il n'aurait pu reconnaître les deux compagnons car ceux-ci n'avaient jamais travaillé ici. Aussi, promptement Elenwë qui avait par précaution pris quelques décoctions sur lui avant de partir se servit de l'une d'entre elles pour simuler une attaque. L'écume à la bouche, il simula de façon fort convaincante une crise de convulsion liée à une attaque cardiaque. Profitant de la confusion, Ymmit qui avait aussitôt réagi déblatéra un chapelet de jurons bien choisi avant de brailler de façon autoritaire à quelques ouvriers d'appeler tout de suite une ambulance et d'aider à déplacer son employeur jusqu'à la sortie. De fait, le transport d'un blessé n'est jamais conseillé mais il aurait été encore moins avisé de faire rentrer des ambulanciers dans ce genre de lieu. Pris de court, l'homme qui allait les interpeller ne put qu'assister à la scène et avant d'avoir pu réagir la salle avait été à moitié désertée. Une fois que les trois hommes qui l'aidaient à transporter son soi-disant employeur l'eurent conduit au bout de la rue, Ymmit les remercia assez froidement et leur permit de prendre congé. Sitôt que leur escorte eut quitté les lieux, ils ne perdirent pas une minute avant d'en faire de même.
Enfin, leur dernière cible était là. Seuls SFM et Natsu restaient dans le camion, ainsi que bien évidemment Sarkastik qui était au volant. Ils garèrent le véhicule près de la mairie de la capitale. Tandis que les deux passagers sortaient, Sarkastik repartit en faisant des tours réguliers du bâtiment, prêt à prendre le départ précipité qui allait sûrement être nécessaire. Pour l'occasion, l'ancien professeur d'arts martiaux avait accepté après nombre de protestations véhémentes de se teindre les cheveux en noir. Ce n'était pas tant le fait que l'aspect distingué que lui donnaient les cheveux blanc revêtait une quelconque importance pour lui, mais il n'était pas du genre à aimer être décoré comme un sapin de Noël. Le visage de son coéquipier était bien connu et la présence de ce maître en combat rapproché n'était pas de trop. De plus, son apparence qui avait été concoctée par ses compagnons ne donnait vraiment pas envie de chercher querelle. Il se tenait droit dans un costume trois pièce tout à fait distingué mais sous lequel se devinait facilement la présence d'un garde du corps des plus brutaux. Ils entrèrent ainsi tous deux dans la mairie. Le but de cette opération là ne comportait aucune destruction, c'était une sorte de présentation officielle qui devait rajouter au message qu'ils allaient faire passer, une impression de détermination absolue. En effet, si la revendication d'actes était un moyen d'être entendu, prévenir à l'avance de ceux-ci était encore plus marquant. C'est ainsi que l'ancien politicien, suivi de son garde improvisé fit le tour du bâtiment. Il connaissait bien les habitudes de ses anciens collègues, particulièrement de ceux qui trempaient dans le détournement de fonds. Ce genre d'activité avait une prédilection pour la nuit et il était sûr de trouver quelques têtes bien connues dans les locaux. Cela ne manqua pas, il les prévint tour à tour que ce matin même, la mafia Russe avec laquelle ils avaient tant d'accords allait voler en éclat. Certains qui n'avaient pas le sang froid nécessaire pour réfléchir avant d'agir tentèrent bien de lâcher leurs propres gorilles sur le duo mais en vains. Natsu les renvoya la tête la première aux pieds de leurs employeurs, avec quelques dents en moins. Ils quittèrent le bâtiment, certains d'avoir été bien compris car la froideur et le détachement dont ils avaient fait preuve, était là ce qui différenciait les amateurs des professionnels. Ils remontèrent dans le véhicule, après quoi Sarkastik mit le pied au plancher pour quitter les lieux avant que l'une des victimes ait l'idée de les faire suivre.
Toujours au volant du fidèle camion qui ne les avait plus quitté depuis, Sarkastik refit le parcours en sens inverse, récupérant tous leurs camarades. Et à chaque fois qu'ils approchaient d'un point de récupération, le soulagement était lisible sur tous les visages car aucun n'avait échoué, et par conséquent succombé. L'aube n'allait pas tarder à poindre quand ils arrivèrent tous devant le Palais de Justice. Ils trouvèrent sur les lieux leur chef ainsi que Sakey qui étaient déjà affairés à graver définitivement le sol d'un message qui allait résonner de par le monde. Une fois garés, chacun sortit et s'équipa en conséquence, soit d'un chalumeau, soit d'un seau de cette peinture particulière. Elle avait pour propriété de s'infiltrer verticalement vers le haut comme vers le bas. L'on pourrait creuser aussi profond que l'on voudrait, le texte ne disparaîtrait jamais, et même s'il était recouvert d'une épaisse couche de goudron, quelques semaines plus tard le message serait réapparu à la surface. Cela leur prit près d'une heure et les premiers rayons du soleil commençait à apparaître derrière la chaîne de montagne. Tous les explosifs étaient synchronisés pour se déclencher à sept heures du matin précise et lorsqu'ils eurent fini, il ne leur resta qu'une dizaine de minutes pour repartir. Une fois qu'ils eurent tous pris place dans le véhicule, le soulagement était presque palpable. Personne n'était mort ce soir, de leur côté tout du moins. Ils rentrèrent au repaire, tous étaient épuisés, bien plus sur le plan nerveux que physique, et n'aspiraient qu'au repos.
Ce matin là, le pays était en effervescence, et le monde entier ressentit le choc. Les journalistes ne savaient plus où donner de la tête car la plupart du temps, les attentats divers de causes douteuses qui ponctuaient le quotidien étaient éparpillés tant sur le plan géographique que temporel. Or, ce matin là à l'aube, huit lieux avaient volé en éclat à la même seconde. Certains bâtiments avaient simplement été abattus, d'autres avaient intégralement volé en éclats. La censure qui était le quotidien des médias ne put suivre le rythme et le fait que toutes les cibles appartenaient soit à l'état, soit à la mafia, ne put être caché. Ce lien, même s'il ne prouvait rien, était un cri implicite qui affirmait au monde ce que personne n'avait jamais affirmé officiellement. Cela dit, de toute la destruction que la nuit avait engendrée, l'anéantissement du Palais de Justice fut l'acte qui marqua le plus les esprits. La destruction du crime et de ce bâtiment en totale synchronicité était un message clair qui exprimait purement et simplement que les gouvernements ne valaient pas mieux que les syndicats du crime. Afin que tous ces idéaux implicites ne tombent pas dans l'oubli ou ne soient pas déviés de leur sens réel, un texte d'un blanc immaculé recouvrait la gigantesque plaza qui se situait devant le Palais. Le message était en anglais afin que nul pays n'en ignore le sens, et sur toutes les chaînes de télévisions le contenu était répété sans cesse. Certaines émissions contestaient, quelques rares journalistes approuvaient, d'autres encore questionnaient, mais quelque soit le point de vue qui était exprimé, le monde entier retentissait de l'implacable vérité :
Come to learn the sense of Justice through Some Inglorious Ways.
14. Trahison ~ Espoir
Un homme d'une quarantaine d'années tentait vainement d'enseigner à une trentaine d'élèves mais le coeur n'y était pas. Les restrictions stupides venant de ses supérieurs avaient brisé son désir d'apporter le goût de la connaissance aux plus jeunes, et même ceux qui étaient emplis de bonne volonté ne pouvaient déployer leur potentiel. Il se contentait donc de fourrer industriellement des informations qui seraient aussitôt oubliées après les examens. À vrai dire sa flamme n'était pas tout à fait éteinte, car lorsque son travail était fini il se mettait à la disposition de ceux qui voulaient apprendre pour savoir et non pas par utilité ou nécessité. Si cela ne tenait qu'à lui, il se contenterait d'apporter ses connaissances à ceux qu'il trouvait intéressants, et se contenterait d'un bête travail pour peu qu'il ne piétinne pas ses principes. Mais son sens du devoir l'obligeait à garder son emploi bien payé aussi peu gratifiant soit-il. Cette personne détestait l'ingratitude et s'était promis d'assurer la subsistance de ses parents qui l'avaient soutenu et entretenu durant ses longues études. Il ne s'était jamais marié car le monde qui l'entourait l'écoeurait et jamais il n'aurait pu supporter d'infliger ça à sa descendance. Pourtant, il avait rêvé de fonder une famille, de passer ses journées à enseigner et rentrer chez lui pour mettre en place les préparatifs d'une soirée familliale, des bambins courant en tout sens. Comme la plupart des idéalistes, la vie avait brisé ses rêves, mais lui-même faisait partie des quelques personnes qui malgré ça, continuent à agir en fonction de leurs principes. Il n'attendait plus rien de la vie, mais la vie attendait de lui, et il ne faillirait pas. Il supportait avec fatalisme le fait que les élèves qu'il guidait souffriraient car il ne leur enseignait pas que les mathématiques. Il avait repris le procédé qui lui semblait le plus adapté, il leur apprenait en premier lieu à réflechir, se servant d'ouvrages philosophiques afin de les former à la pensée. De même, ce concept lui était aussi applicable. Lorsqu'il était lui même élève, la plongée dans cet univers où le but de l'apprentissage est synonyme d'épanouissement lui avait donné le désir de partager ce don. Les incohérences devenaient explicables et le monde était compréhensible. Des centaines de fois il avait entendu des adultes dire d'une personne qu'elle était particulièrement intelligente. Et à chaque fois il lui suffisait de se pencher sur la vie de cette personne pour en déduire deux choses. L'intelligence n'était qu'un autre nom pour l'expérience. Pourtant, si théoriquement l'expérience était source de progrès, certaines personnes étaient hermétiques à la progression. La raison en était simple, l'acquisition d'une réflexion avancée menait inmanquablement à la souffrance. Ainsi son coeur se serrait devant le sourire innocent de ses apprentis lorsque ceux-ci accédaient à un niveau supérieur de compréhension. Malgré l'injustice de cette souffrance née d'une vision du monde plus précise, il pensait que cette peine ne pouvait que rendre les gens meilleurs. C'est pourquoi son but n'avait jamais changé, depuis qu'il avait commencé à enseigner il comptait suivre ce chemin, espérant apporter sa contribution au monde.
Pourtant, lorsqu'il rentra chez lui un soir comme les autres, son mode de vie qui était gravé en lui-même fut à jamais changé. La porte de l'appartement était fracturée et le cadre était tapissé de bandelettes jaunes en interdisant l'accès. Il se précipita dans l'encadrement arrachant les banderoles au passage et déboula dans le salon. L'un des murs était maculé de sang et deux sacs au comptenant une terrible réalité étaient disposés sur le sol. Il ne versa pas une larme, ne cilla pas, il n'émit même pas un son, insensible aux policiers qui lui demandaient de sortir. En quelques instants la vie qu'il bravait jusque là par devoir venait d'être réduite à néant. Comme toujours lorsque la souffrance atteint un seuil intolérable, la mémoire sombre dans le néant, il ne reprit conscience que quelques heures plus tard, il était debout et tentait de briser des barreaux. Ses mains étaient poisseuses de sang et un gardien de prison le regardait d'un air mi figue mi raisin. Ses sens lui revenant peu à peu, la brûlure qu'il ressentait dans tout son corps devint intolérable et il s'écroula, son coeur s'arrêta de battre et les larmes coulèrent enfin. Sombrant à nouveau, il émergea cette fois-ci dans un lit d'hopital, un infirmier ajustait nonchalament ses perfusions et faisait mine de vouloir quitter la pièce afin de ne pas avoir à engager la conversation. Pendant les premières heures, le blessé tenta de se mouvoir mais son corps ne répondait pas, il songea avec indifférence que son corps ne réagirait plus. Inerte, il passa plusieurs jours sans dormir tout en étant constamment sous l'effet de calmants qui le plongeaient dans une torpeur absolue. Lorsque le sommeil vint enfin, l'homme avait abandonné toute volonté et attendait que la mort s'empare de lui. Deux jours durant, son esprit divagua entre les rêves enfiévrés et la douleur s'atténuait peu à peu. À son éveil, les pensées suicidaires n'étaient plus là, ses principes avaient repris le pas sur son déséspoir. Il ne prononça pas un mot tout le long de son rétablissement et planifia méthodiquement ce qu'il allait faire. Sa récente liberté l'effrayait, mais lui ouvrait de nouvelles portes. Désormais il était seul au monde, de fait, il avait toujours vécu dans la solitude, ses parents eux-même ne comprenant pas ses aspirations. Il leur avait désobéi jusqu'au bout car ceux-ci lui avaient maintes fois conseillé de vivre pour lui-même. Ce qu'il avait refusé en bloc, il avait toujours vécu pour les autres. Seulement, peu importe ce qu'il ferait, aucune personne ne lui étant cher n'en souffrirait. Le temps passant la haine bouillonante s'était changée en une résolution glacée.
Lorsqu'il fut rétabli, le notaire fut surpris de l'indifférence que manifestait cet homme qui venait de perdre ses deux parents. Il vint prendre les dispositions nécessaires à leur enterrement et au retrait de son héritage, il ne cilla même pas lors de l'identification des corps. Cet argent qu'il avait mis de côté pour le bien-être de ses parents allait malgré leur mort, leur être dédié. Il n'assista pas à la cérémonie, car il avait pris la décision de ne pas leur faire face tant que leur mort n'aura pas été vengée. Il s'était renseigné sur les évènements qui dataient déjà d'un mois et avait ressenti une grande frustration en apprenant que les responsables étaient emprisonnés. Ils avaient voulu cambrioler l'appartement de ses parents pensant que les occupants étaient absents. Les choses avaient mal tourné et ses parents étaient morts pour une poignée de dollars. Toute ces années passées à tenter d'adoucir le monde qui l'entourait lui apparurent soudain comme de la lâcheté. Depuis le début il savait que ceux qui essaieraient de se comporter comme des humains seraient détruits et abusés par des gens dénués de scrupules. Mais désormais plus rien ne le contraignait à obéir aux lois du monde. Aucune responsabilité ne pesait sur ses épaules. Un homme sur lequel aucune pression ne pèse est très dangereux, car plus le sacrifice est grand, plus les opportunités sont vastes. En l'occurence, il se fichait de mourir à condition que la mort de ses parents soit vengée. Malgré sa rage, ses convictions étaient profondément ancrées en lui et il ne put se résoudre à faire sauter le bâtiment. Il se procura donc un fusil à longue portée sur le marché noir, s'indignant au passage de la facilité de se procurer une telle chose. L'arme en question était facile à manier, il lui suffisait de placer la cible au centre du réticule et de presser la détente. Ce qu'il fit. Il apprit par les journaux dans quel bâtiment étaient détenues ses proies, et monta sur le toit d'un immeuble et attendit malgré le froid glacial. Le deuxième jour, il repéra enfin les trois personnes dont les visages ornaient son journal. Au fond de la cour, les trois nouveaux étaient en train de subir l'éternel rituel de bizutage. Malgré tout, il se contrefichait de les voir souffrir, son seul but était leur mort, il visa soigneusement et pressa la détente, trois fois. S'il n'était pas un tireur chevronné, il était en revanche tout à fait qualifié pour ce qui est de calculer la trajectoire d'une balle, et le temps n'avait pas manqué pour se livrer à cet exercice. L'alarme ne tarda pas à se déclencher, il plaqua alors le canon de son arme contre le sol et appuya sur la gachette. L'arme vola en éclat dont certains pénétrèrent dans son bras, mais cela ne l'importait pas, cette arme avait donné la mort et il ne voulait en aucun cas qu'elle tombe en de mauvaises mains. Il descendit de l'immeuble et se livra afin de s'assurer qu'aucun innocent ne serait accusé de son acte. Plus rien n'attirait son regard et il ne fit pas attention à son arrestation. Il eut vaguement conscience d'être menotté et fouillé, puis poussé sans ménagement à l'intérieur d'un véhicule de police. Cependant, au bout d'une centaine de mètres les roues de la voiture éclatèrent et le conducteur freina brusquement. La rue était complètement déserte à l'exception de deux personnes. L'un d'entre eux, le plus proche du véhicule semblait tenir une herse accrochée à un long cable métallique. L'autre était armé d'un fusil et dès que le véhicule stoppa sa course, il fit feu. Ne sachant comment réagir, étant toujours menotté, il se débatit pour vérifier l'état des pocliciers, ils étaient innocents après tout. Il fut soulagé de voir qu'aucune goutte de sang n'avait été versée, de simples capsules de tranquillisant dépassaient de leur cou. Interrompu dans son examen, la porte s'ouvrit brusquement et il se sentit tiré en arrière. Les deux hommes l'empoignèrent et se déplacèrent dans les ruelles sinueuses, semant les véhicules qui n'allaient pas tarder à arriver.
Ses souvenirs étaient un peu confus mais il se souvint d'avoir été à nouveau placé dans un véhicule, avec cependant bien plus de ménagement. L'un des deux kidnappeurs prit le volant tandis que le second commençait à examiner son bras. Incapable de prononcer un mot il essaya de reprendre son emprise sur lui-même, mais à peine s'apprétait-il à parler que l'autre lui coupa la parole.
- « Drole de situation hein ? Ca fait toujours ça la première fois. Ah, tu peux essayer de ne pas trop gigoter ? Il va falloir se dépêcher d'enlever les éclats de ton bras sinon tu pourras lui dire adieu. Au fait, on m'appelle Rabbit, et toi ? »
Pris de cours, il répondit sans faire attention, du moins il essaya.
- « Euh, je m'appelle Bito... »
Il n'avait pas encore fini que Rabbit l'interrompit à nouveau.
- « Bito ? Drôle de nom, enfin de toute façon la plupart d'entre nous avons choisi notre nom, c'est un peu comme une seconde naissance. J'espère que tu t'habitueras vite. Attention ça risque de faire un peu mal.
- Mais qu'est-ce que vous me voulez ? Pourquoi avez-vous fait ça ?
- Eh, tu ne regardes jamais les informations ? Ca fait plusieurs semaines que la télévision nous utilise comme sujet pour leur 20h.
- Vous êtes la bande d'assassins qui massacrent tous ces gens et appellent cela la justice ? Qu'est-ce que vous me voulez ?
- Tout de suite les grands mots, et ce que tu viens de faire alors ? Ah, je vois que tu commences à voir les choses sous cet angle. On ne fait pas ça pour l'argent tu sais, et pour en revenir à ta question, nous avons besoin de gens comme toi.
- Je n'ai pas besoin de vous, et je ne vois pas du tout en quoi je pourrais vous être utile, j'ai fait ce que j'avais à faire et peu m'importe ce qu'il arrivera maintenant. »
Au fur et à mesure que la discussion allait dans le mur le chauffeur prit la parole.
- « Ecoute, si tu te foutais de crever, avec une arme en main tu ne serais déjà plus de ce monde. Tu commences à comprendre ce que signifie réellement la justice et tu as les tripes d'affronter la réalité. Tu nous considères comme des assassins, fais toi une opinion par toi-même. Et avant que tu ne demandes pourquoi toi, la réponse est simple, comme mon camarade vient de te le dire, nous avons besoin de gens comme toi. Au passage, mon nom est Njio. »
La discussion se poursuivit pendant un moment, Rabbit avait fini par réussir à stopper l'hémoragie à l'aide d'une poudre qu'Elenwë lui avait donné, en se mélangeant au sang celle-ci formait une espèce de pâte qui empêchait le sang de couler, c'était rudimentaire mais efficace. Le déclic des menottes vint ensuite et le désormais nommé Bito se laissa aller. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il était allongé dans un lit rudimentaire, la pièce était étrange car malgré le sol lisse les parois semblaient faites de roche peinte. L'atmosphère était fraiche et reposante, et le plafond de liège absorbait tous les sons. Il fut arraché à sa contemplation par la même voix.
- « C'est joli hein ? J'avoue que j'ai bien réussi mon coup, l'endroit est assez grand et ça a vraiment été un plaisir de le retoucher. Par contre j'ai failli être étranglé par Majestic, il pensait que le confort nous amolirait, mais au contraire nous sommes de plus en plus attaché à cet endroit. Ah, je commence encore dans le mauvais sens, c'est notre leader, nous l'avons rejoint la plupart du temps de façon chaotique. Tu peux te considérer en sécurité ici, la police ne viendra jamais te chercher ici. Je sais que nous avons été un peu brusque, prends ton temps pour réflechir, et profites-en pour faire connaissance avec nous, tu verras nous ne sommes pas de mauvais bougres. »
Son bras avait fini de cicatriser et Bito arpentait la grotte, discutant parfois avec ses occupants lorsqu'ils n'étaient pas de sortie. Il fut surpris de voir combien les convictions qu'il partageait avec eux étaient nombreuses. Lui qui avait appréhendé de près des concepts comme la loyauté était étonné de la voir aussi omniprésente. Leur chef était rarement présent et pourtant, jamais ils n'arretaient d'opérer dans l'ombre sans attendre la moindre gloire. Ce jour là deux hommes étaient de garde comme toujours, tandis que les autres avaient quitté les lieux. S'il avait fait connaissance avec tout le monde, on ne peut pas dire pour autant qu'il s'était lié d'amitié avec tous. L'un d'entre eux, qui avait une démarche des plus martiales, le regardait avec mépris. Ses camarades ne semblaient pas prendre en offense son comportement hautain mais l'ambiance se refroidissait toujours en sa présence. N'ayant que trop souvent eu l'occasion de voir des gens frapper des amis dans le dos, il se mit en devoir de le surveiller afin de remercier ces hommes qui avaient risqué leur vie pour le sauver. Il n'avait rien fait pour eux, ils l'avaient sauvé, nourri et soigné non pas pour ses actes mais pour ce qu'il était. Pourtant il ne ressentait pas cette dette comme un poids, les gens qui l'entouraient étaient quotidiennement confrontés à la mort et bien qu'agissant pour eux-même, ils faisaient ça pour le monde ainsi que pour leur chef. Ainsi, lors de l'une de ses visites, il surprit le militaire qui s'appelait Sarkastik en train de communiquer des informations sur ses propres camarades qui étaient de sortie ce jour là. Ne sachant que faire, il se dirigea vers le second garde, un épéeiste à l'air fatigué et las, il n'avait pas beaucoup parlé avec lui mais le peu qu'ils avaient échangé avait suffit à Bito pour comprendre que malgré son coté taciturne, il était attaché à ses camarades. Plusieurs fois il avait assisté aux séances d'entrainements et il l'avait souvent entendu rire en maniant l'épée et même s'indigner lorsque ses camarades le taquinaient sur son refus d'esssayer d'autres armes. Il ne lui avoua pas directement ses doutes car il savait que la loyauté l'empêcherait d'agir. Il lui demanda à la place quels étaient les objectifs de ses compagnons. La réponse confirma ses soupçons, le dénommé Sarkastik avait dévoilé tout le plan aux forces de police, et peu importe qui aurait le dessus, des innocents seraient tués. Profitant de la distraction du garde, il s'empara de son épée et se précipita vers la salle informatisée. Avant que le traitre ait le temps de réagir, il lui plongea la lame en plein coeur et se recula, haletant. Le dénommé Thoner le rejoint juste après et devant la scène empoigna l'assassin et le plaqua au mur. Il lui demanda la raison de son acte. Bito avait le coeur serré et ne pouvait se résoudre à lui annoncer la chose, il devait s'en rendre compte par lui-même. Il pointa l'ordinateur du doigt et s'affaissa dos au mur lorsque l'emprise se relacha, reprenant son souffle. Devant l'horreur de la situation, Thoner ne sut réagir et resta la bouche grande ouverte devant le constat de la trahison de Sarkastik. La gorge nouée, Bito se releva et entreprit d'écarter la charogne assise près des appareils. Il avait vu ce matériel utilisé et savait comment procéder, il reprit son calme et décrivit la situation telle qu'elle était. Au bout de quelques minutes l'opération fut annulée, il ne savait pas s'il avait bien fait, mais en tout cas aucun innocent ne périrait aujourd'hui. Avant le retour du groupe, les deux hommes jetèrent le cadavre aux animaux alentours et nettoyèrent le sang qui maculait la pièce. Ils discutèrent longuement, et au cours de cette discussion Bito prit sa décision. Ces gens l'avaient sauvé, et il avait maintenant tué l'un deux. Il décida de prêter allégeance et de les aider dans leur but. Curieusement, cette tâche ne semblait pas peser, au contraire, il avait l'impression d'être enfin libre, de façonner le monde tel qu'il devrait être. Sa vie avait de nouveau un sens.
15. Fraternité ~ Le compromis
« Khain, Khain, Khain ! » scandait la foule réunie dans le petit restaurant familial du coin. Les gens réunis dans la salle étaient tous ivres. Certains par le biais de l'alcool, mais la majorité d'entre eux se retrouvaient dans cet état par leur seule excitation.
En milieu d'après-midi, un homme à la barbe de trois jours, vêtu comme un vagabond, les avait tous rencontré un à un et donné rendez-vous devant la seule petite auberge du village. Dans un premier temps, peu avaient cru ses propos car il leur avait promis un festin à ses frais. Pour ce village qui sombrait dans la misère depuis des années, ce genre de boniments ne prenaient plus. Pourtant, à la tombée du soir, une certaine agitation se fit ressentir devant l'arrivée d'une dizaine de gigantesques camions frigorifiques qui se dirigeaient vers le pâle restaurant. Les gens affluaient lentement mais sûrement, d'abord par curiosité, puis enfin certains commencèrent à penser qu'il y avait peut-être une part de vérité dans les propos du voyageur. Celui-ci demanda d'ailleurs des bras pour aider les tenanciers ainsi que lui-même à transporter les denrées dans la salle froide du bâtiment. Les volontaires furent étonnés par le contenu des innombrables caisses. Certes elles n'étaient pas remplies de caviar, mais le contenu était bien loin des sempiternels produits retirés du marché pour cause de péremption. Des quartiers de boeufs entiers, des bacs complets de dizaines de poissons, saumons, morues, truites et bien d'autres tous aussi savoureux les uns que les autres s'amoncelaient. Mais ils n'étaient pas au bout de leur surprise. Une fois le premier véhicule déchargé, ils furent éberlués par la signification de la présence des neuf autres. Avec le seul contenu de ce premier véhicule, ils auraient de quoi nourrir tout le village pendant un mois, et plus encore grâce à leurs récoltes bien que maigres. Les trois suivants contenaient de gigantesques sacs de céréales, plusieurs tonnes de riz, de blé, d'orge et de pommes de terres. Le cinquième était rempli à ras bord de fruits de toutes provenances, plus d'une trentaine de variétés de toutes les couleurs s'étalaient et les volontaires pour leur transport eurent bien du mal à ne pas s'y attaquer malgré leur congélation. Le sixième arracha quelques glapissements d'excitation parmi les plus âgés des villageois. Il était empli de cagettes de bois ou s'empilaient les bouteilles de toutes les couleurs et dont les contenus allaient du cidre doux à l'eau de vie la plus corsée. En regardant de plus près, ils virent que les autres véhicules n'étaient pas équipés pour la conservation d'aliments. En vérité ils n'en contenaient même pas. À la place, des monceaux de matériaux s'empilaient jusqu'au toit. D'abord interloqués par le changement incongru de contenu, voyant leur perplexité, le voyageur prit la parole. Il leur dit se dénommer Khain. Il leur raconta sans le moindre tabou son passé ainsi que son expérience des milieux difficiles. Il n'avait pas l'intention de leur amener à manger afin qu'ils subsistent encore quelques mois avant de sombrer à nouveau dans la misère. Cette nourriture était un capital qui devait leur donner le délai nécessaire pour relancer leur petite bourgade. Ainsi donc tout ce matériel devait servir à la construction de nouveaux systèmes d'irrigation, granges et complexes animaliers afin de rendre la ville autonome et même apte à vendre une partie de sa production afin de pourvoir aux autres besoins. Un hôpital ne serait par exemple pas de trop. Il leur promis que d'ici six mois, d'autres véhicules viendraient livrer la même quantité de nourriture. Ce faisant, ils disposaient d'un an sans avoir à se soucier le moins du monde de la répartition des récoltes entre semence et nourriture, non plus que d'avoir à abattre le bétail pour se nourrir. Pendant une année, ils pourraient utiliser l'intégralité de leurs récoltes afin d'augmenter drastiquement la surface cultivée, et laisser le bétail prospérer sans qu'une seule bête ne soit abattue. Ainsi donc, une fois que tout fut déchargé, d'autres volontaires plus enthousiastes encore prêtèrent main forte en cuisine devant l'abondance des mets.
Dire que le repas du soir fut un festin serait un euphémisme. Pour ces villageois qui n'avaient jamais connu autre chose que le pain rassi, la viande séchée et la mauvaise bière aigre, les plats qui leur furent présentés semblaient sortir d'un autre monde. Ils n'avaient certes rien d'extraordinaire mais l'on oublie bien vite que de simples produits peuvent donner naissance à des repas qui n'auraient rien à envier ceux de grands restaurants. Khain était bon cuisinier mais il fut ce soir là impressionné par la capacité des tenanciers à distiller leurs connaissances aux volontaires tout en mitonnant eux-même de leur coté les sauces et autres préparations plus complexes. Ce n'était pas la première fois que ce voyageur se retrouvait dans cette situation et aussi savait-il que les convives ne prendraient pas le temps de savourer leurs plats s'ils étaient amenés en quantités. Il expliqua donc ce qu'il avait en tête au couple propriétaire du restaurant et leurs visages s'illuminèrent. Eux qui n'avaient jamais eu d'autre choix que d'essayer de rendre mangeable des produits passés ou en faible quantités, avaient désormais la possibilité de laisser parler leur passion pour la cuisine. La notion de repas en plusieurs parties leur était inconnue, cependant l'idée les avait séduit. C'est ainsi que Khain se rendit dans la salle accompagné de quelques villageois qui l'avaient suivi. Chacun portait un cageot. Les bouteilles et corbeilles de pain frais commençaient à se disposer sur les rares tables, les quelques convives assis se retenant tant bien que mal de se jeter sur le tout. Toujours suivi de ses acolytes, il prit la direction de l'un des camions restés dehors et en déchargea des cartons d'assiettes, de verres et de couverts. D'un autre, il sortit plusieurs planches ainsi que des outils. En quelques dizaines de minutes l'auberge décatie fut réaménagée, une bâche, protégeait les occupants du froid fut installé et des tables prêtes à être assemblées semblaient pousser du sol. Lorsque l'heure du dîner arriva, la salle était transformée. Chaque habitant sans exception était assis à l'une des longues tables, auprès des membres de sa famille. Tous avaient devant eux de belles assiettes qui n'allaient pas tarder à se remplir. Les premières bouteilles ne contenaient que du cidre afin de réchauffer la pièce, ainsi que ses occupants bien entendu. Les plats qui se succédaient sur la table n'étaient pas gargantuesques mais il en arrivait sans cesse de nouveaux à intervalle régulier. L'apothéose pour les enfants fut bien évidemment le dessert. Cette notion même leur était inconnue et si elle faisait plaisir aux adultes, les plus jeunes, eux, étaient émerveillés. Les simples tartes et pâtisseries rustiques qui se dressaient sur la table étaient incomparables au sucre fade des betteraves, et les gloussements enfantins raisonnaient dans toute la salle. Bien entendu le point culminant de la soirée n'était pas encore venu pour les plus âgés car ils attendaient avec impatience la venue de bouteilles plus prometteuses.
Quelques semaines plus tard, les paysans maigrelets qui peinaient à labourer leurs champs avaient laissé place à de solides gaillards. La promesse d'un avenir prospère et de bons repas avait transformé les villageois auparavant étiques. Les choses semblaient être pour le mieux et Khain décida de reprendre la route, il n'avait plus rien à faire ici et il ne voulait pas prendre le risque de rester trop longtemps de peur de s'attacher définitivement au village et à ses habitants. Son petit magot ayant été dilapidé, il allait devoir à nouveau écumer des lieux bien moins plaisants. En effet, sa fortune ne lui venait pas d'un héritage ou d'une quelconque possession. La façon dont il récoltait de l'argent était discutable mais ses victimes le perdaient d'une manière tout aussi peu légale, dans l'ensemble la chose s'équilibrait, du moins ses scrupules s'en accommodaient. Depuis tout jeune Khain maniait les cartes avec une agilité stupéfiante, il eut vite compris que ce don pourrait lui être très utile s'il acceptait de se salir les mains. Si certains casinos pratiquaient le jeu en toute légalité, nombre de riches personnes avaient un besoin plus fort d'adrénaline que seul offrait le jeu au noir. C'était là la source des revenus du vagabond. Son talent pour manier les cartes, allié à quelques acrobaties et de bonnes jambes lui permettait généralement d'avoir le dernier mot lorsque le joueur contestait sa défaite. C'est ainsi que fonctionnait la boucle de sa vie. Ce n'était certes pas une vie très saine mais cela lui convenait, pour le moment. Régulièrement, les ruelles dans lesquelles lui et d'autres joueurs illégaux subissaient des descentes de policier, mais quelques pots-de-vin judicieusement versés leur permettaient généralement d'être avertis au préalable. Cependant cette fois, ils ne virent rien venir. En entendant le raffut qui provenait de quelques stands plus loin, Khain décida qu'il était temps de mettre les voiles. Il empocha les gains de la journée dans sa veste et fit coulisser une des planches qui faisait partie de sa liste de sortie de secours. Arrivé de l'autre coté, il grimpa sur le toit délabré à l'aide de la gouttière et se rétablit sur le toit à la manière d'un chat. Pensant s'en être tiré, il relâcha sa vigilance et sautant de toit en toit, il s'éloigna du chaos. Commettant sa deuxième erreur, il se retourna afin de regarder ce qu'il se passait derrière lui, mais avant de pouvoir réagir face à l'homme qui l'avait suivit sans qu'il ne l'entende, celui-ci l'assomma.
Le cri strident d'un coq le réveilla en sursaut. Il ne distinguait presque rien dans cette pièce sombre et sans fenêtre. Quelques instants plus tard, deux hommes entrèrent et se saisirent des prisonniers, Khain remarqua alors qu'il était ligoté, ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait mais cette fois-ci les liens n'avaient pas été faits par un amateur, il lui serait impossible de se libérer. Lorsque tous les prisonniers furent alignés, il put reconnaitre les visages de nombreuses personnes qui ne lui étaient pas inconnues. Les deux hommes qui les avaient trainé jusqu'ici étaient étrangement affublés. Le premier était vêtu de vêtements simples et solides qui semblaient déchirés, percés et même tranchés en de nombreux endroits. Le second avait un aspect pour le moins étrange, il portait un ceste et un petit bouclier rond à la main gauche et une épée dans la main droite. L'un à gauche et l'autre à droite, ils pillèrent méthodiquement leurs proies et empilèrent le butin. Vinrent ensuite deux autres hommes fins aux visages anxieux. Ils entamèrent la conversation avec l'un des deux kidnappeurs.
- « Je crois que nous avons un problème Dez, j'ai fait appel à mes anciens contacts et Rabbit a fait de même avec ses connaissances, Bito semble avoir complètement disparu, et tous les autres affirment ne pas avoir emporté les plans.
Tu penses qu'il nous aurait trahi ? » répondit le dénommé Dez.
L'autre garde se mêla à la conversation :
- « Attendons avant de sauter aux conclusions, jusqu'à présent il ne nous à jamais fait part d'un quelconque doute sur nos méthodes ou notre but. Je ne pense pas qu'il ait pu changer de bord aussi radicalement sans raisons. Rabbit, lors de votre dernière sortie, il ne t'a pas paru différent ? »
Le quatrième prit la parole :
- « Non je n'ai rien remarqué de particulier. Mais s'il nous a réellement trahis, nous sommes confrontés à un gros problème. »
Un groupe de personne s'approcha, leurs visages semblaient familier à Khain. En effet, certains de ces hommes habitaient l'un des villages qu'il avait aidé il y a quelques années. Ils discutèrent un moment avec les quatre autres lorsque l'un des villageois remarqua que Khain était parmi les prisonniers. S'entama alors une discussion entre le paysan et un homme au visage las et aux cheveux aile-de-corbeau. Peu après, le dénommé Dez rompit les liens qui retenaient l'acrobate. Chose surprenante, il ne jugea pas nécessaire d'utiliser une lame et arracha les cordes à mains nues. Ne sachant pour quelle raison il avait été détachée, Khain fut partagé par l'envie de prendre un peu de recul et celle d'en savoir plus, la curiosité l'emporta. L'homme qui l'avait détaché prit la parole à nouveau :
- « Désolé mon vieux, apparemment tu n'fais pas partie de la vermine qu'est étalée ici. C'monsieur m'a dit que tu avais sorti leur village de la galère y'a quelques temps. C'est comme ça que tu gagnes ta croûte ? »
Un autre homme aux cheveux noirs prit la parole à son tour :
- « Euh, je crois que ce que mon compagnon a voulu dire, c'est que... »
Le dénommé Dez l'interrompu :
- « Rohhh, tu vas pas recommencer Shoriu, j'suis sûr qu'il a parfaitement capté, nan ? »
Encore un peu suspicieux, Khain répondit avec prudence :
- « Je suppose oui, dans quel but nous avez-vous fait prisonniers, et pourquoi m'avoir libéré ? »
Rabbit lui répondit :
- « Eh bien, disons que nous avons décidé de redistribuer les richesses du coin à notre goût, personnellement je trouve que la présence d'immeubles flambants neufs et n'ayant qu'un seul propriétaire à côté d'un village fait de tôles enlaidit le paysage. En général nous n'avons pas trop de scrupules à ... récupérer des fonds de cette manière. Mais selon les dires des habitants, tu as aidé ce village par le passé en tentant de relancer leur économie. L'ennui c'est que depuis quelques-mois un gros bonnet s'est mis en tête de posséder une énième résidence grotesquement grande, et n'a pas voulu démordre de l'idée de la faire construire dans cette petite vallée, ce qui impliquait d'abord un certain ménage par le vide. Avec le nombre de contacts haut placés dont il disposait, il ne lui a pas été bien difficile d'étrangler les revenus du village, et d'ici quelques mois eh bien ... tu vois ou je veux en venir.. »
Dez eut la courtoisie de terminer l'explication :
- « En gros, le gars que tu vois là-bas, à gauche. Disons qu'il a littéralement aidé cette ordure à avoir un peu plus de plomb dans la cervelle. D'ailleurs je vais vous présenter. Njio ! Viens par ici. »
Quelques heures plus tard, Khain était assis sur une chaise sommaire mais confortable dans un lieu vraiment étrange. Une sorte de caverne naturelle mais qui semblait avoir été entièrement aménagée avec soin. Il ne savait pas encore vraiment quoi penser de la situation mais la curiosité avait eu, une fois de plus, raison de lui. L'un des hommes lui avait proposé le choix suivant : Ils le laissaient sur place, sans cordes bien entendu. Ou alors ils l'emmenaient avec eux, car son passé avait un profil ... intéressant, avait-il dit. L'homme à l'épée dont il n'avait appris le nom que récemment, ainsi que Njio, gardaient l'entrée de la grotte. La plupart des membres vaquaient à leurs occupations mais Dez n'avait pas lâché Khain d'une semelle, car il retrouvait un peu de son passé dans la façon de vivre de cet homme. Shoriu quant à lui était allongé quelques mètres plus loin. De temps en temps il ne pouvait réprimer un fou rire. En effet au cours de cette discussion, l'homme qui s'avérait être celui qui l'avait assommé n'y allait pas de main morte et ne ratait pas une occasion de mettre les deux pieds dans le plats. Cependant, loin de s'en vexer Khain appréciait cette franchise impétueuse. Ils furent interrompus au cours de leur discussion par celui qui semblait être le chef.
- « Dez, Shoriu, je vous confie la garde du repaire, Rabbit, j'aimerais que tu expliques un peu plus en détail à notre hôte ce que nous faisons quotidiennement. Je pense que cela l'intéressera, je l'espère en tout cas. Bien, vous autres, allons-y. »
Tout le reste de l'équipe quitta la caverne à bord d'un camion dont Khain observa les feux arrières disparaitre au loin. Il s'avéra qu'il était en effet très intéressé par la vie qui lui était proposée.
Quelques dizaines de kilomètres plus loin, la bonne humeur n'était pas au rendez-vous. Ils avaient décidé de s'assurer de l'éventuelle trahison de Bito. Si celui-ci avait effectivement récupéré les plans et les avait livré, alors un sacré comité d'accueil serait là pour les accueillir. Ce fut Njio qui leur confirma la nouvelle. Muni de jumelles thermiques, il avait passé la zone au peigne fin et plus d'une centaine d'hommes en armes les attendaient. Les jurons fusèrent dans le groupe jusqu'à ce que Majestic estime que cela suffisait. Il leur annonça que malgré la trahison, ils devaient continuer car l'apparente invincibilité de leur groupe était aussi importante que les actions réelles. Ils n'avaient jamais rencontré l'échec et si cela venait à se produire, leur pouvoir de persuasion serait réduit à néant. C'était bien entendu inacceptable. Grâce à la réputation qu'ils avaient acquise, ils arrivaient à tenir le couteau sous la gorge de nombreux hommes de pouvoir corrompus jusqu'à la moelle afin qu'ils ne s'écartent pas du droit chemin. Cependant le plan étant dévoilé, un changement de dernière minute s'imposait. L'action n'aurait pas l'éclat qui était originellement prévu, mais désormais seul le résultat importait. Ils devaient montrer au monde que même cette trahison ne les pousserait pas à renoncer. Ils devaient mener à bien leur objectif sans tuer un seul garde afin de montrer à tous qu'une armée ne pourrait les empêcher de se battre pour leur cause.
Leur cible était en l'occurrence un immense immeuble ne contenant que des bureaux. Ces bureaux appartenaient à une multinationale employant des méthodes scandaleuses, n'hésitant pas à affamer tuer et piller pour s'enrichir. Il n'y avait aucune cible vivante, seul le bâtiment devait disparaitre afin de faire passer le message. Les dirigeants comprendraient, du moins, mieux valait-il pour eux qu'ils le comprennent. Le plan initial était d'infiltrer le bâtiment et de placer des charges explosives afin de faire tomber la structure sur elle-même pour éviter de tomber sur d'autres constructions. Seulement la tâche serait difficile avec la présence de patrouilles autour du lieu. Ils avaient eu la prévoyance d'emporter un surplus de matériel en cas de nécessité d'improviser. Le nouveau plan était simple, deux d'entre eux allaient revêtir les combinaisons des gardes afin de s'infiltrer dans les patrouilles. En premier lieu, Majestic avait décidé de confier cette tâche à Yoh. En effet ce dernier était habitué à changer de personnalité comme de vêtement de par son passé de tueur à gage. Cependant Max avait insisté pour le seconder par sécurité. Ils attendirent donc que deux gardes se trouvent isolés. Lorsque le signal fut donné, Njio et Ymmit tirèrent à l'unisson un duo de fléchettes anesthésiantes. Les deux gardes s'effondrèrent dans un bruit sourd. Ils s'empressèrent de revêtir l'uniforme et de dissimuler les gardes endormis, et rejoignirent leur patrouille, profitant de l'obscurité de cette nuit sans lune qui masquait leurs visages. Vint enfin le tour de garde ou leur groupe devait inspecter l'immeuble de fond en comble. Normalement, seuls Max et Yoh avaient un rôle à jouer mais préférant abuser de prudence, Majestic avait demandé à Njio de surveiller l'avancée de leurs deux compagnons à l'aide de son fusil à lunettes. Tandis qu'ils vérifiaient les étages un à un, ils placèrent furtivement les charges aux endroits nécessaires à l'écroulement du bâtiment. Arrivés en hauts il ne leur resterait plus qu'à parcourir le chemin inverse et à s'esquiver discrètement. Cependant une fois que la patrouille fut sur le toit, quelque chose d'anormal se passa. Max s'était écarté de Yoh et peu après les gardes le tenaient en joue. Gardant son sang froid, Njio rappela Ymmit à ses cotés et lui dit très rapidement ce qu'ils allaient faire. Les gardes tombèrent à genoux les uns après les autres, tous avaient reçu une balle dans les deux jambes. Cependant, ayant compris la trahison, Njio ne visa pas les jambes et Max s'écroula, mort. Malgré la vitesse à laquelle ils avaient neutralisé les gardes, certains avaient eu le temps d'ouvrir le feu et Yoh gisait aussi sur le sol. Lorsque Njio lui expliqua la situation, le visage las de Majestic laissa immédiatement place à une colère immense. Il donna rapidement ses ordres et pris la direction de l'immeuble. Thoner et Sakey devaient créer une diversion sur la droite tandis que Radagast et Kakashi s'occupaient de la gauche. Elenwë quant à lui, avait tout de suite commencé à confectionner à la hâte une litière et à préparer des bandages qu'il saupoudrait de ses diverses sacoches. Les deux tireurs couvraient Majestic qui, profitant de la diversion se ruait en haut de l'immeuble. Njio utilisa un chargeur de balles explosives qu'avait bricolé Ymmit afin d'intimider les gardes pour les empêcher d'entrer à leur tour. En une minute à peine Majestic se dressait déjà sur le toit, et assomma un à un les gardes blessés, se déplaçant à une vitesse stupéfiante. Il se saisit du corps inerte de Yoh et à la surprise du duo qui le couvrait, il sauta du toit de l'immeuble, Yoh sur son dos. Lorsqu'il toucha le sol, il n'y eut pas un son, pas le moindre impact, et il se rua vers le camion. Ayant quitté les lieux de leurs diversions, tout le monde était prêt à prendre le départ. Elenwë allongea Yoh sur le lit de fortune qu'il avait confectionné à la hâte et vérifia son état. Il était vivant mais il avait déjà perdu beaucoup de sang, et l'un de ses poumons était perforé. Il banda ses plaies tandis que SFM démarrait afin de quitter les lieux. À la demande de Majestic, Radagast prit un mégaphone et s'époumona :
- « Vous disposez de dix minutes pour évacuer les blessés du toit, après cela le bâtiment explosera, inutile d'essayer de désamorcer les charges. Si une seule d'entre elle se désactive sur l'écran de contrôle, nous n'hésiterons pas à tout faire sauter ! »
C'était un coup de bluff, car ils n'avaient aucunement l'intention de tuer des innocents. Ces hommes faisaient simplement leur travail, la plupart avaient surement une famille ou des amis aussi, il était hors de question de les tuer. Heureusement la menace eut son effet et les lieux furent évacués au bout de quelques minutes. Ymmit déclencha les charges et l'immeuble s'effondra dans un immense nuage de poussière.
Lorsqu'ils arrivèrent au repaire, ils déplacèrent d'urgence Yoh dans l'une des salles qui avait été aménagé pour être hermétique et aseptisée. Cela ne valait pas un hôpital mais c'était la tout ce qu'ils pouvaient faire. Natsu et Elenwë seuls possédaient des connaissances médicales et ils opérèrent ainsi leur camarade seuls. Son état était grave mais sa vie n'était plus en danger, l'hémorragie était stoppé et le poumon cautérisé. L'opération avait duré plus de cinq heures et les deux hommes étaient épuisés. Une fois que tous furent assurés de la survie de Yoh, Njio expliqua ce qui s'était passé. Le chapelet de juron que Dez débita valait à lui tout seul celui de ses compagnons réunis. Cependant, ils furent interrompus par Majestic. Celui-ci n'avait plus dit un mot depuis qu'ils étaient rentrés et son expression s'était figé sur une douleur contenue. Ses camarades arboraient le même faciès et pensaient que cela provenait de la trahison de Bito et Max, mais ils se trompaient. Leur chef fut prit d'une quinte de toux qui lui arrachait à chaque fois une gerbe de sang, puis, il s'affaissa sur le sol.
16. Erreur de jugement ~
Cela faisait seulement deux mois qu'il était entré dans cette université et il avait réussi à se mettre à dos la quasi intégralité du campus en un temps record. Il faut dire que la façon qu'avait Alexyu d'interagir avec les autres n'était pas des plus diplomates. La plupart des gens préféraient l'éviter désormais, il n'y avait pas ou peu de conflits car c'était plus facile ainsi. Lui-même ne cherchait pas spécialement à provoquer de situation et cet isolement lui convenait parfaitement. Cela dit, si la plupart des gens préfèrent la fuite, certains avaient du mal à digérer les manières de ce nouveau venu. Il était assez grand et obtenait de bons résultats en sport, mais sa silhouette était assez malingre et son teint palot en ajoutait à la longue liste des choses qui mettaient les autres mal à l'aise. De même que sa façon de déambuler comme si les couloirs du campus lui appartenaient depuis toujours. Ce n'était pas à proprement parler de l'arrogance, mais plutôt une forme assez développée d'absence totale de doutes. Pour lui il n'existait que deux types de connaissances. Celles qu'il avait, et celles qu'il n'avait pas. La première liste n'était jamais remise en question et c'est en parti l'une des choses qui lui valut des difficultés de dialogues avec les autres étudiants.
Il pensait qu'étudier la médecine était incompatible avec le doute. Car celui-ci était synonyme d'échecs et donc en certains cas, de mort. Son comportement aurait été bien plus facilement accepté si les premiers examens lui avaient donné torts, car il refusait de participer aux séances d'études communes et ne prenait pas de notes. Il se contentait d'écouter, levant parfois les yeux au ciel lorsque la chose lui semblait soit évidente, soit absurde. Mais le score parfait qu'il obtint sur tout les thèmes touchants uniquement à la connaissance eurent pour effet d'augmenter l'antipathie que lui portaient ses camarades. En revanche, il fut convoqué par l'un des professeurs car son point de vue sur l'éthique médicinale était assez particulier et plus précisément en totale inadéquation avec les lois et les moeurs locaux. Cet entrevu n'y changea rien et il lui fut demandé de regagner son logement. Bien qu'il ressemblait sur le plan vestimentaire à ses semblables, il ne revêtait pas le même gout pour le luxe futile qui était propre à la population du campus. En effet cette école de médecine était connue pour deux choses. Son immense réputation et le coût d'entrée qui l'accompagnait. Les élèves étaient donc pour la plupart poussés par leur famille à suivre une carrière prestigieuse et avaient choisi de vivre dans une arrogance de groupe, se renvoyant la balle afin que l'égo de tous puisse croître en paix. Il y avait bien quelques élèves prétentieux qui tentaient de faire cavalier seul mais ils étaient rapidement brisés et intégrés au groupe. L'un des inconvénients propre au fait d'avoir toujours vécu dans la facilité, est que l'on ne mesure pas vraiment le lien entre actes et conséquences. La plupart avaient grandi entourés de domestiques et n'avaient jamais été habitués au refus ou à quelconque obstacle. Alexyu semblait ainsi tirer un malin plaisir à obéir à la lettre au règlement de l'école, poussant subtilement les élèves qui essayaient de l'ennuyer à commettre le premier pas vers l'infraction, après quoi, il était tout en droit de se défendre.
Cependant, s'il était facile de mettre sur le carreau deux ou trois parvenus qui n'avaient sans doutes jamais fait l'effort de maintenir leur santé physique, il en allait tout autrement avec ce qui lui arriva cette nuit là. Autre acte aux conséquences ignorées par leurs commanditaires qui ne voyaient pas la différence entre se débarrasser d'un arbre gênant la vue d'une fenêtre avec le fait de se débarrasser d'un humain. Ce soir là, ils avaient par le biais de l'argent dont ils disposaient avec aisance, décidé de se débarrasser du gêneur. C'est ainsi que trois professionnels bâillonnèrent et assommèrent Alexyu avant qu'il n'ait eu le temps de réagir. Ils avaient reçu une jolie somme pour disposer de cette personne, le lieu n'était pas spécialement sécurisée et la cible n'avait aucune famille ou amis hauts placés. Pour eux, c'était de l'argent facile et ils ne refusaient jamais ce genre de proposition. Leurs ordres exact était d'enlever Alexyu et de l'éliminer après l'avoir emmené loin d'ici. Lors de ce genre de demande, les ravisseurs avaient pour habitude de faire ça dans des lieux ou personne n'allait. Ils choisirent ce jour là une vaste réserve naturelle qui avait été crée récemment. Elle se situait à une centaine de kilomètre au nord de leur position.
Dans une chambre stérile rudimentairement équipée, deux hommes étaient alités, d'autres les entouraient. L'un d'eux était couvert de multiples bandages, et à ses cotés était assis un de ses compagnons. Un fin cathéter les reliait, le blessé recevait du sang du seul homme qui s'était avéré compatible. Sakey n'avait pas hésité une seconde lorsqu'on lui avait offert l'opportunité d'augmenter les chances de survie de Yoh. En revanche, le second patient était dans une toute autre situation. Aucun ne pouvait dire ce qui avait réellement causé les blessures de Majestic, ils ne pouvaient que supposer. En palpant avec précaution les zones susceptibles d'avoir pu provoquer les crachements de sang, Elenwë avait décelé plusieurs côtes brisées. De même, l'effondrement s'expliquait par la rupture simultanée des deux tibias de leur chef. Ils l'avaient tous vu sauter du toit de l'immeuble, Yoh sur son épaule et s'en sortir sans une égratignure. Ne sachant que faire ils avaient préparé de quoi appliquer des emplâtres mais les blessures n'expliquaient pas le fait qu'il ne se réveillait pas. Tous semblaient épuisés et inquiets, indécis sur ce qu'il fallait faire. Radagast qui n'était pas très souvent avec eux était resté un peu en retrait, dans la salle commune car ses compagnons à fourrures et à plumes ne pouvaient entrer dans la zone médicale. Un renard regardait avec curiosité une pomme noire parsemée de blanc posée sur un socle dans un coin. De la tige semblait goutter du sang.
En plein coeur de la nuit, deux loups ramenèrent à leur maitre un homme qui semblait avoir perdu connaissance. Il signala cette présence et trois quittèrent la salle ou récupéraient leurs deux amis. Natsu suivi de Dez et de Shoriu étaient venus, Elenwë avait préféré rester près des deux blessés par sécurité. Il s'avéra que leur hôte souffrait lui aussi de quelques blessures mais les dégâts n'avaient pas l'air trop graves. Aucun os n'était cassé, de multiples contusions et petits éclats de roches dans la peau ainsi que des vêtements déchirés leur suffit à comprendre qu'il avait dégringolé de la falaise, qui heureusement pour lui n'était pas trop abrupte, faute de quoi la chute aurait été fatale. Toutefois, les cordes qui entravaient ses poignets et ses chevilles indiquaient qu'il n'avait probablement pas fait le grand plongeon de son plein gré. Natsu lui appliqua les premiers soin en désinfectant les plaies et en appliquant quelques-unes des poudres d'herbe médicinale dont Elenwë avait fait la réserve. Quelques heures après l'homme se réveilla lentement, encore légèrement vaseux. Les contours étaient flous mais il lui semblait être dans un bâtiment car il y avait un toit au dessus, toutefois les murs étaient irréguliers comme s'ils suivaient les courbes naturelles d'une grotte ou d'un tunnel. Un autre homme arriva, Alexyu doutait de ce qu'il voyait mais cette personne semblait être vêtue étrangement et portait une épée dans un fourreau qui était accroché à sa ceinture. Si Thoner n'avait pas pour habitude d'être assommé, il avait en revanche appliqué le même traitement lorsque ses camarades et lui opéraient afin d'éviter toute morts inutiles, il commença donc par donner à boire à leur invité improvisé, après quoi il commença à l'interroger petit à petit.
Alexyu n'avait aucune idée de l'endroit où il était et tant qu'il ne connaissait pas les intentions de ceux qui l'entouraient, mieux valait leur donner ce qu'ils voulaient, après tout il n'avait rien à cacher. Il leur expliqua donc qui il était sans trop s'étendre et en vint à son enlèvement, il s'était réveillé attaché, allongé dans un coffre de voiture. Deux de ses ravisseurs l'avaient trainé sur une longue distance et jeté de la falaise. En apprenant cela, les autres prirent les précautions nécessaires afin d'éviter que leur repaire soit dévoilé. Malgré la fatigue, Elenwë accompagné de Njio ainsi que de Radagast dont les loups allaient les mener, partit en quête des visiteurs indésirables. Il récupéra avant de partir un arc qu'il avait récupéré dans son ancienne demeure et quelques flèches à la conception particulière. Le bout était pointu mais la flèche s'élargissait beaucoup trop vite pour pouvoir entrer dans un corps humain. De plus, la pointe était enduite d'une substance narcotique. Si leur sortie avait pour but de sécuriser leur repaire, il fallait qu'ils en capturent au moins un afin de savoir si leur position était compromise. Ils n'avaient toujours pas eu de nouvelles de leur ancien camarade et se demandaient en permanence si leur emplacement avait été révélé. La traque fut rapide car les trois individus n'avaient pas jugé nécessaire de s'éloigner rapidement et avaient profité de la nuit pour inspecter les lieux de plus près, dans le but éventuel de l'utiliser à nouveau comme débarras. Tandis que l'un d'eux parlait, évoquant l'un de leurs précédents enlèvements, il fut surpris de voir une flèche se planter dans son torse et il s'évanouit rapidement sous l'effet de la toxine. N'ayant besoin que d'un survivant et devant l'acte lâche qu'avaient commis ces hommes, Njio n'eut aucun remord à abattre le second qui était dans son viseur. Le troisième avait pris ses jambes à son cou dès le début mais il fut vite rattrapé et entouré par plusieurs loups. Ils emportèrent le premier, laissant aux bon soins des compagnons de Radagast les dépouilles des deux autres.
Pendant ce temps le dénommé Alexyu avait fini de raconter son histoire et après avoir été installé plus confortablement par le groupe, les trois chasseurs revinrent avec l'une de leur proie. Elenwë mit la main à l'une de ses sacoches et glissa une baie dans la bouche de son trophée. Celui-ci reprit connaissance peu après qu'il eut déglutit. Les propriétés du narcotique combinées au second qu'il avait ingurgité lui avait embrumé l'esprit et il ne voyait pas la nécessité de mentir afin de garantir sa sécurité. Il ne fallut pas bien longtemps avant d'en conclure que la présence de ces trois hommes était purement due au hasard. Qui plus est, la confirmation de leurs nombreux actes reprochables dissipa tous doutes quand au devenir de celui-ci. Il fut "nettoyé" comme les précédents. Quant à leur victime, il s'était levé et avait commencé à poser des questions. Malgré le fait que la mort ne semblait pas mettre mal à l'aise les gens qui l'entouraient, il n'éprouvait pas particulièrement de peur. En fait, son sens du rationnel poussé à l'extrême lui avait valu ce mauvais contact avec ses semblables car son approche trop crue de la réalité ne convenait pas avec les illusions confortables qui étaient de rigueur dans le monde civilisé. De fait, ces hommes l'avaient soigné et n'avaient aucune raison de lui faire quel mal que ce soit tant qu'il coopérerait, et pour l'instant rien ne lui avait été demandé d'inenvisageable. En revanche, il n'avait pas l'habitude que son parler direct ne mette pas mal à l'aise et il trouvait à la fois étrange et agréable de ne pas avoir cet ascendant sur les gens avec qui il dialoguait. L'élimination de ses ravisseurs ne le satisfaisait pas particulièrement sur un plan mesquin. Il était plutôt fasciné par l'absence d'inhibition et d'indécision chez ces hommes lorsqu'il s'agissait de prendre des décisions irrémédiables. Cela collait en fait bien plus avec sa vue du monde que celle qu'avaient ceux qui l'entouraient auparavant. Le doute n'avait pas sa place en ce monde, cela ne signifiait certainement pas qu'il prétendait tout savoir, au contraire. Aux questions qui lui étaient posées, les seules réponses qu'il donna furent soit complètes, soit négatives.
Ne sachant trop que faire de cet individu qui n'avait rien fait de mal jusqu'ici, ainsi que par le passé selon ses dires, ils lui annoncèrent que pour des raisons qu'il comprendrait, ils ne pouvaient pas le laisser partir. Ils furent à vrai dire étonnés de la compréhension dont fit preuve Alexyu, car il leur avait donné son vrai nom. Annonçant clairement qu'il était logique qu'il avait soit le choix de mourir, ou de rester, plutôt que de céder à la panique il les remercia de n'avoir pas choisi la solution de facilité. Puis, tous exceptés Thoner et Radagast qui montaient la garde dans la salle centrale, retournèrent auprès de leurs camarades alités. La curiosité ayant le dessus, Alexyu demanda ou étaient passés les autres et Thoner qui n'était pas vraiment habitué à parler mais ne cessait que lorsque le sujet était clos, lui expliqua tout en détail. Après tout leur invité avait annoncé clairement qu'il comprenait qu'il ne pourrait pas quitter ces lieux, de fait ils n'avaient aucune raison de lui cacher quoi que ce soit, le point de non retour était déjà dépassé depuis longtemps. Au bout d'un moment, Radagast qui se reposait au fond de la salle vint vers eux, le renard avait reporté le fait curieux à son maître et tous trois s'étaient approchés du fruit étrange et de son socle. Le sang ruisselait désormais et une flaque commençait à se former au sol. Malgré la rapidité avec laquelle les évènements étaient arrivés, Alexyu avait bien en tête tout ce qui les concernait et leur signala qu'il y avait peut être un lien avec l'état de leur chef et ce phénomène pour le moins anormal. À cet instant, Elenwë entra dans la salle, annonça que pour une raison qu'il ne comprenait pas, Majestic ne reprenait pas connaissance, de plus sa tension basse indiquait que son corps n'avait toujours pas refabriqué le sang perdu. Cette fonction du corps était normale et Yoh commençait à se remettre, mais le métabolisme particulier de leur chef ne leur permettait pas de faire quoi que ce soit. Soudain, la pomme se mit à luire et en totale contradiction avec les lois de la gravité, le sang qui en avait coulé semblait s'en retourner à l'intérieur. Au fur et à mesure qu'elle récupérait le liquide, elle rougeoyait de plus en plus intensément et lorsqu'il n'en resta plus une goutte, il en émana un son, puis un autre. Le rythme se stabilisa semblable à des battements cardiaques.
17. Coeur du système ~
Une petite goutte de rhum dans le café, ou l'inverse. Au bout de la vingtième tasse Zaji ne se concentrait plus vraiment sur le dosage de son remède passager au sommeil. Cela faisait déjà une vingtaine d'heure qu'il planchait sur le réseau informatique d'une entreprise privée. Un ancien ami l'avait contacté pour lui demander un service mais n'y connaissant pas grand chose, il n'avait pas su expliquer exactement le problème. La totalité du réseau était infectée et il fallait isoler chaque parcelle puis les nettoyer une à une. Un programme aurait pu s'en charger. Néanmoins le problème semblait venir d'un virus non répertorié, un petit fait-maison préparé uniquement pour cette seule attaque. Ainsi Zaji devait s'occuper de la désinfection manuellement pour repérer les comportements suspects que n'auraient pu détecter un antivirus, n'étant pas dans sa base de donnée. L'autre joie qui venait se mêler à l'impossibilité de nettoyer le tout automatiquement était la nécessité de régler le problème d'une seule traite, faute de quoi un retour à la case départ était plus que probable. Il ne lui restait plus que quelques unités à réparer mais la fatigue se faisait sentir, cependant, par conscience professionnelle il avait assuré pouvoir régler le problème au plus vite et c'est ce qu'il ferait, même s'il devait pour cela passer les vingt-quatre heures suivantes au fond du lit. Pendant les temps morts où le nettoyage poursuivait son cours sans résistance de la part du virus, Zaji s'interrogeait vaguement sur la raison pour laquelle cette entreprise avait été ciblée. Malheureusement la chose était assez difficile à déterminer, la plupart des entreprises fonctionnant avec des systèmes de protection classiques, n'importe quelle personne ayant appris ce qu'il fallait et, éventuellement ayant eu des accès directs aux ordinateurs, aurait pu faire ça. C'était maintenant le tour de l'avant dernière unité, Zaji se resservit une vingt-et-unième tasse, satisfait de savoir que c'était la dernière de cette série.
Bien qu'ayant quitté le métier depuis longtemps pour des raisons d'éthique, il avait conservé sa droiture, celle-là même qui lui avait fait perdre son emploi. Pour une telle réparation, la plupart des entreprises auraient conseillé un remplacement complet des systèmes car une réparation aurait soit-disant coûté plus cher et pris très longtemps. Ainsi bien qu'il eut fini de réparer les dégâts causés, l'envie lui prit d'essayer de retrouver la personne à l'origine du problème. Le virus étant de conception personnalisée, cela ne devait pas être trop difficile. Sur ce point là au moins Zaji avait raison, néanmoins penser que le coupable n'était certainement pas dangereux étant donné que sa cible était une simple entreprise de sons et lumières se révéla être une erreur, comme il devait le découvrir plus tard. Il avait gardé quelques fichiers infectés sur une clef et avait laissé celle-ci contaminer une vieille machine coupée de son propre assemblage réseau. Il utilisait régulièrement d'anciens morceaux d'ordinateurs pour en faire un nouveau, certes désuet mais toujours utile pour ce genre de manipulations. Ainsi plus les heures passaient, plus il en venait à penser que cela n'avait pas été conçu par une seule personne. La chose semblait être adaptée aux machines actuelles, sa conception ne remontait donc pas à longtemps, cependant le codage lui-même du programme était extrêmement vaste. La conclusion était donc pour lui évidente, plusieurs personnes avaient travaillé simultanément là dessus. La raison lui en échappait toujours, l'entreprise visée n'avait aucun pouvoir politique et sa valeur commerciale n'était pas particulièrement élevée. La concurrence était donc à exclure, laissant la seule piste d'avoir voulu détruire certaines données contenues dans leur réseau. Seulement, étant donné que l'attaque avait été globale, il n'avait aucune idée de la cible réelle. Cédant au désir d'aller jusqu'au bout, il allait devoir reprendre contact et demander à ce que la faveur lui soit renvoyée sous forme d'un accès à leurs ordinateurs, en passant la totalité des données au filtre il trouverait bien quelque chose. Ceci étant fait, il ne lui restait plus qu'à aller à l'épicerie du coin afin de remplir ses réserves de café. Et de rhum bien entendu.
Le rougeoiement avait cessé depuis quelques jours et le processus quel qu'il fut semblait terminé. Se trouvait désormais devant eux une pomme dont la couleur aurait pu être considérée comme classique pour un tel fruit, cependant la densité semblait extrême et la moindre lumière se reflétait, de la même manière qu'un rubis. Tous avaient connaissance du lien entre leur leader et cet étrange objet, cependant ils n'avaient aucune idée de sa fonction. En réalité son créateur lui-même n'avait jamais cherché à en découvrir l'intégralité du potentiel. Son désir de purifier le monde était si virulent qu'il avait peur que trop de pouvoir le mène à commettre des erreurs, car le temps lui avait appris que c'était bien généralement la première source de corruption. Ainsi le groupe après une longue discussion décida d'essayer d'utiliser le fruit pour guérir leur chef. En effet Yoh avait pu se relever et ne souffrait plus désormais que de quelques légères douleurs. L'état de Majestic n'avait cependant pas évolué, en réalité au bout de deux semaines, il aurait dû guérir normalement, ou mourir. Malgré tout sa condition était stable. Bien trop stable. Les deux médecins du groupe avaient une connaissance suffisante du corps humain et de son fonctionnement mais à cause de cela ni Natsu, ni Elenwë ne pouvaient envisager de solution irrationnelle au vu de cette situation anormale. Le reste du groupe ne disposant pas de telles connaissances pouvait se livrer plus facilement à des suppositions mais cette lacune d'expérience augmentait aussi les risques d'avoir une mauvaise, très mauvaise idée. Mais la situation devenait de plus en plus dure à supporter et il fallait tenter quelque chose. La suggestion vint de Radagast, ayant remarqué que si toute logique échouée, seule l'intuition restait. Et au cours de sa vie, ce sens avait été aiguisé de façon remarquable.
Ainsi tous se réunirent dans la salle d'opération où Majestic n'avait pas bougé d'un pouce depuis une quinzaine de jours. Radagast avait enveloppé le fruit étrange d'une serviette pour ne pas le toucher directement et il plaça le bras de leur chef de façon à pouvoir placer le fruit dans sa main. Lorsque ce fut fait tous attendirent, mais rien ne se passait et un soupir de déception résonna dans la salle. Cependant au bout d'un moment Majestic fut saisi d'un soubresaut et son dos s'arc-bouta . Sa main s'était violemment refermée et la pomme aurait du être broyée mais elle avait recommencée à briller. Son sommet commençait à se décolorer et petit à petit le fruit reprenait son aspect normal. Lorsque ce fut fini leur leader retomba lourdement sur sa couche, ses couleurs étaient revenues mais il ne se réveilla pas immédiatement. La chose se passa assez rapidement. Généralement le réveil était plutôt vaseux et l'esprit embrumé dans ce genre de situation, mais lorsqu'il ouvrit les yeux, il avait l'esprit parfaitement clair. À la façon dont il descendit du lit, ils ne purent qu'en déduire que ses blessures s'étaient résorbées instantanément. C'était comme si le fruit auquel il était lié avait subi à sa place le processus de guérison et que ce contact avait permis une sorte de transfert. Ils n'étaient pas loin de la réalité. Lorsque la situation l'exigeait Majestic délayait par la volonté les dégâts subis en les répercutant sur sa création. L'effort de volonté à fournir était colossal mais il avait eu le temps de s'entrainer. Cependant cette fois-ci, la tension à laquelle il avait été soumis face au risque de mort de l'un de ses compagnons, le soulagement du succès de l'opération avait brisé la concentration qu'il maintenait tant bien que mal et il n'avait pu se saisir du fruit afin de guérir normalement.
Malgré la joie d'être à nouveau au complet, la nécessité les rappela vite à l'ordre. Pendant la convalescence des blessés leur activité avait été réduite à néant. Et si la situation durait trop longtemps le monde ressentirait cela comme un affaiblissement de leur part, chose qu'ils ne pouvaient accepter. Il fallait frapper à nouveau, et montrer qu'ils n'avaient en rien été diminués. Mettant de coté les doutes et les rancoeurs liées aux récentes trahisons, ils devaient travailler de concert pour mettre au point une action qui différait un peu des précédentes. Ils avaient officialisés leur existence en Russie, et avaient ainsi signé la revendication de certains actes. Il était temps de faire savoir à nouveau quels étaient leurs idéaux. Car le passage du temps, aidé des médias, pouvait très vite déformer la réalité et il aurait été facile de les affubler d'une réputation de banals terroristes. Ils devaient réfléchir à un geste qui n'avantage aucun groupe politique ou économique, sans pour autant être dépourvu d'ampleur. La récente intégration de Khain dans leur groupe leur donna l'idée, assez similaire à ce que celui-ci pratiquait, cependant quelque chose manquait pour que l'ampleur de l'action soit suffisante. Ils allaient avoir besoin d'un expert dans le domaine de l'informatique, mais aucun d'entre eux ne disposait de telles compétences. Trouver quelqu'un dont ils ne détruiraient pas la vie et les liens de familles ou d'amitié allait être compliqué. De plus la personne devait être prête aux mêmes sacrifices auxquels ils avaient consentis pour poursuivre leurs idéaux. Malgré sa convalescence, Yoh insista pour reprendre contact avec certaines de ses anciennes connaissances. SFM allait enfin pouvoir utiliser efficacement les pantins corrompus qu'ils avaient neutralisés et leur demander la liste des différentes personnes qui avaient été renvoyées ou avaient démissionné dans les domaines correspondant à ce qu'ils recherchaient. Bien entendu afin de ne commettre aucune erreur sur la personne, il éplucha lui même les documents que Shoriu et Elenwë étaient allés récupérer sous leurs identités fictives. Quelques noms retinrent son attention mais les rapports justifiant le renvoi étaient généralement trop brefs pour pouvoir se faire une idée de la personne. Il trouva ce qu'il cherchait dans la liste des personnes ayant démissionné. Un individu avait pondu un justificatif de plusieurs pages expliquant sa démission. Son employeur n'avait certainement pas pris la peine de lire le tout mais ce fut une chance pour SFM. Il avait trouvé la personne qu'il leur fallait.
Ils allaient devoir effectuer quelques recherches car leur cible avait quitté son emploi depuis trois ans déjà. Cependant son profil était absolument parfait car il n'avait plus aucune famille de ce monde, et semblait posséder un certain recul vis à vis d'autrui qui correspondait au dégout du monde qui l'entourait. C'est pour cette raison qu'en dépit de la difficulté de le retrouver sans faire appel à quelque contact que ce soit afin de préserver son anonymat et ne pas le mettre en danger, leur choix était fait.
18. Apparences ~
Zaji se resservit un verre de Rhum, sans café cette fois-ci. Il venait d'apprendre aux infos que les locaux de l'entreprise avaient été incendiés durant la nuit. Personne ne se trouvait sur les lieux au moment de l'incident, aussi n'y avait-il aucun mort, pas plus que de témoins. Ce qui l'inquiétait en revanche c'est qu'il avait récupéré l'intégralité des données du réseau de l'entreprise quelques jours plus tôt. L'attaque d'un virus confectionné spécifiquement pour une cible et l'incendie des lieux ne pouvait être une coïncidence, il devait donc y avoir des données dangereuses. Un retour en arrière était impossible à envisager et ce n'était qu'une question de temps avant que la situation ne tourne au vinaigre pour lui. Les personnes à la source des attaques disposaient plus que certainement d'un certain pouvoir afin de se permettre des actions aussi radicales. Se renseigner sur le personnel de l'entreprise et les gens étant passés par ses bureaux leur serait certainement très facile. Le fait que l'ami qui l'avait contacté ne réponde pas au téléphone depuis une semaine ne faisait que confirmer ses soupçons. Zaji était donc confronté à un dilemme, car il n'était pas sûr que se débarrasser du disque dur suffirait à garantir sa sécurité, sa seule autre option était de trouver ce qu'il contenait de dangereux, et d'en prévoir des copies afin de garantir sa sécurité. Du moins l'espérait-il.
C'est ainsi qu'il se mit au travail, épluchant les innombrables dossiers de comptabilité ainsi que de banals projets d'animations son et lumière mis au point par le personnel. Une fois de plus, le temps jouait contre lui, mais cette fois-ci sa propre vie en était l'enjeu, aussi le repos était-il à exclure. Cela faisait deux jours qu'il n'avait pas dormi et il avait lu chaque fichier un par un plus d'une dizaine de fois, la tension mêlée à la fatigue commençaient à le faire paniquer. Il avait essayé de classer les dossiers de plusieurs façons afin d'y voir plus clair mais tout cela n'avait rien donné. Puis, repensant au fait que son contact ne réponde plus, il décida de rassembler tous ses travaux. Il analysa de plus près les fichiers concernés et tomba enfin sur quelque chose. Tous les fichiers multimédias, samples sonore, vidéos d'animations, comportaient une latence au début et à la fin. Lorsqu'il avait visionné ces fichiers la première fois, il en avait déduit que ceux-ci avaient été mal coupés, mais la conversion de ces documents au format texte lui en révéla d'avantage. Il supprima les données concernant les pistes audio et vidéo pour ne laisser que le texte à l'origine des latences. Quelque chose avait enfin pris forme. Le tout résidait en une liste de nom suivie de contrats électroniques ainsi que des accords sous-terrains visant à détourner des fonds publiques par le biais de certains personnages politiques. Le bénéficiaire de ces détournements était une société de production pharmacologique. Et la somme dont il était question dépassait le milliard de dollars, l'affaire était donc des plus sérieuses. Il était aussi question de faire pression sur des organismes publics interdisant la récolte de certaines plantes ainsi que l'interdiction de recherches controversées. Zaji comprenait que détenir ces informations le destinait à une mort certaine, ce n'était qu'une question de temps. Il était en train de préparer quelques affaires afin de mettre les voiles lorsqu'il entendit sa porte d'entrer voler en éclats. Il s'appretait à partir par une fenêtre lorsqu'il entendit une voix familière :
- « Il faut que tu foutes le camp d'ici et en vitesse, ramène toi on s'en va.
- Tchou ? Tu peux me dire ce qu'il se passe ? Dans quoi tu t'es fourré ? Dans quoi tu m'as fourré !
- Je suis désolé pour ça Zaji mais pour l'instant on n'a pas vraiment le temps d'en parler, dépêche toi, je t'expliquerai en route. »
Laissant tomber les affaires qu'il préparait, Zaji prit le disque dur et emboita le pas de Tchou, et ils entrèrent tous deux dans la voiture garée à la hâte. Ils venaient à peine de sortir de la ville et d'atteindre une route de campagne que leur véhicule fut renversé sur le côté. Zaji essaya de résister mais il avait été atteint au crâne par le choc et commençait à sombrer. Il réémergea quelques instants plus tard, ne comprenant pas vraiment ce qu'il voyait. Des hommes l'avaient sorti de la voiture qui s'était renversée mais l'un d'eux venait de tomber et l'autre était parti. Il allait s'enfoncer dans l'inconscience à nouveau quand il se sentit agripper à la cheville par quelque chose, il crut voir un loup mais ses idées étaient si confuses qu'il ne savait pas s'il était en train d'avoir des visions ou non. Des coups de feu, du moins le pensait-il, résonnaient un peu partout mais semblaient s'éloigner au fur et à mesure que la chose qui le tirait l'amenait vers la lisière de la forêt. D'autres personnes s'y trouvait mais il n'en vit pas plus et s'évanouit.
Lorsqu'il se réveilla, Zaji était allongé sur un tas de couvertures, un bruit de moteur lui indiqua qu'il était dans un véhicule. Il sursauta lorsqu'il s'aperçut qu'il n'était pas seul à l'arrière du véhicule, une demi-douzaine d'autres personnes étaient assises face à face sur les deux flancs pourvus de banc du véhicule. La discussion semblait porter sur ce qu'il venait de se passer mais il n'arrivait pas à se concentrer suffisamment sur les mots qu'il entendait pour les comprendre. Voyant qu'il était réveillé, l'un d'eux s'approcha et lui fit respirer quelque chose. Pris d'une quinte de toux, il retrouva pleinement conscience. L'homme qui s'était approché avait les cheveux gris, les autres étaient d'âges variés. On lui apporta à boire et il se redressa péniblement afin de s'asseoir, il constata que son front avait été bandé. Quelqu'un d'autre s'approcha et lui parla lentement, conscient de l'état de choc du passager.
- « Bonsoir, essaye de rester tranquille, tu n'es pas gravement blessé mais autant ne pas te fatiguer inutilement. Avant tout sois rassuré, nous ne te voulons aucun mal, et nous allons tout t'expliquer. Tu te nommes Zaji c'est bien ça ? »
Essayant de reprendre possession de ses moyens, Zaji expira et reprit son calme avant de répondre :
- « Oui, et vous êtes ?
- Personnellement, je me nomme SFM. Quant à qui nous sommes précisément, je préfère ne pas te le dire maintenant. Pour l'instant tu es encore libre de faire ce que tu décideras. Tout ce que je peux te dire, c'est que tu t'es retrouvé au milieu d'une situation dangereuse, très dangereuse comme tu as pu le constater. Pour des raisons que je t'expliquerai plus tard, nous te suivons depuis quelques jours, lorsque nous avons vu que vous étiez attaqués, la décision a été prise d'intervenir immédiatement.
- Qu'en est-il de celui qui était avec moi ? Où est-il ?
- Ne t'en fais pas à son sujet, il va très bien, à vrai dire il est en meilleur état que toi pour le moment, certains de nos amis l'ont conduit chez lui.
- Mais il va se faire tuer, je ne sais pas exactement ce qu'il en est mais j'ai conscience de l'ampleur du pétrin dans lequel il s'est fourré, ils ne vont certainement pas le laisser tranquille !
- Il n'y a aucune raison de t'inquiéter à ce sujet, mes amis s'occuperont de sa sécurité jusqu'à ce que je prenne les mesures nécessaires pour éviter que pareille situation ne se reproduise. »
Elenwë se joignit à la conversation :
- « On peut dire que tu as eu de la chance, les types qui vous suivaient sont plutôt du genre à tirer avant et à poser des questions après. Nous avons retrouvé ce disque dur dans le véhicule, il n'a pas l'air d'être endommagé. Je présume qu'il contient des informations dangereuses ?
- Oui en effet, mais je n'arrive pas à comprendre commente elles ont pu se retrouver ici. »
SFM reprit la parole :
- « Parfait, c'est une chance que tu aies pu récupérer ceci, cela va beaucoup m'aider à m'assurer de votre sécurité. En ce qui concerne la raison de leur présence, je ne peux pas t'en parler avant de t'avoir posé une question. Voilà ce que je peux te dire, nous sommes un groupe d'individus ayant des visées particulières. Nous ne recherchons pas le pouvoir ou l'argent, du moins nous ne l'utilisons pas à notre propre bénéfice. Pour être franc, nous t'avons suivi car tu présentes le profil et les compétences que nous recherchons, mais le choix de nous rejoindre ou non t'appartient. À vrai dire cette ... interférence n'était pas prévu, nous aurions préféré en discuter dans une situation plus confortable. Bien entendu rien ne t'oblige à accepter, pour l'instant tu ne sais rien qui puisse nous être dangereux, aussi n'avons-nous aucune raison de te garder prisonnier. Et si tu ne souhaites pas nous rejoindre, je prendrais les même mesures afin que tu ne cours pas plus de risque que ton ami.
- Je dois dire que ... c'est une question assez difficile, tout ça vient d'arriver à une vitesse, et je ne sais pas grand chose de vous. Cela dit je crois que je préfère être ici que mort sur la route, merci pour votre aide. Avant de décider j'aimerais en savoir un peu plus sur ce qui m'est arrivé, vous avez le droit de me parler de cela ?
- Je pense que oui, dans tout les cas si je ne le fais pas, votre ami vous l'apprendra certainement ... ou bien vous irez vous-même fouiner de votre côté afin d'avoir la réponse. Tchou appartient à un groupe éco-terroriste. Leurs principales activités concernent généralement la lutte contre l'avancée territoriale des exploitations minières et pétrolières dans les zones forestières d'Afrique et de la jungle d'Amazonie. Cependant ils étaient en train de perdre la bataille, les fonds leurs manquaient et ils ne disposaient pas d'assez de preuves pour dénoncer les violations de lois des dirigeants de ces entreprises. Ils ont tenté le tout pour le tout en infiltrant leur réseau et ont récupéré des données incluant des listes des noms hauts placés liés à des affaires pas très propres , et ils ont tenté de faire chanter les coupables dans le but de les voir stopper leur progression. Mais jouer avec le feu de manière aussi peu préparée est dangereux et beaucoup d'entre eux sont morts. Certains sont en fuite, nous essayons actuellement de nous assurer de leur sécurité par nos propres moyens de pression.
- Mais dans ce cas, la même chose risque d'arriver de votre côté ! »
Khain qui s'était tenu silencieux depuis un moment eut un sourire narquois et dit :
- « Ca je ne crois pas, je ne fais parti des leurs que depuis quelques temps et malgré ça je peux te garantir que nous ne risquons rien. Comme tu as pu le voir nous disposons de moyens assez efficace pour éviter certains désagréments.
- Je vois. J'aurais bien envie de rentrer chez moi mais je ne pense pas pouvoir reprendre ma routine après ce qui est arrivé. Je pense que je vais accepter votre proposition. »
L'air sérieux, Elenwë s'approcha et demanda :
- « En es-tu sûr ? Il n'y aura pas de retour en arrière possible, tu ne pourras jamais retrouver ton mode de vie. »
Thoner s'avança également :
- « Allons, ne le dégoûte pas avant même qu'il n'ait eu le temps de réfléchir sérieusement à la question. Le sacrifice à faire est grand mais je pense qu'aucun d'entre nous ne regrette sa décision. Zaji, outre les informations il y a autre chose que je peux te dire. Bien sûr tout le monde prétend faire cela mais je pense que cela t'aidera à faire ton choix. Nos actions sont fonctions de ce en quoi nous croyons. Je ne peux pas non plus t'en dire plus mais je pense que tu peux tirer certaines conclusions en réfléchissant au camp que nous avons choisi de protéger lorsque vous avez été attaqués. »
Le silence s'installa et tous reprirent place, Zaji réfléchissait à tout ce qu'il avait appris ainsi qu'à tout ce qui s'était passé. De toute évidence, ces gens avaient pris des risques pour lui sauver la vie ainsi que celle de son ami, ils l'avaient soigné et lui garantissaient qu'il n'aurait plus rien à craindre. Il n'avait donc aucune raison de se défier d'eux. Cependant, bien qu'influencé par ces faits, une autre chose le poussait à envisager d'accepter la proposition. Toute sa vie durant, il avait souvent assisté impuissant à des évènements qu'il trouvait injuste, voir criminels. Certains l'acquiesçaient, d'autres le contredisaient, mais en définitive personne n'avait les moyens, pas plus que la volonté de réagir. C'était un pari risqué mais il tenait peut-être là, enfin, la chance de changer tout ça. Il rompit le bruit monotone du moteur en annonçant qu'il acceptait la proposition. Lorsqu'ils eurent insisté afin de s'assurer de la fermeté de sa décision, SFM lui révéla la raison pour laquelle ils le recherchaient, ainsi que leur but. Une fois que Zaji avait entendu le nom du groupe qui l'avait sauvé ainsi que l'objectif qu'ils visaient, il fut rassuré. Il n'était pas adepte des jeux de hasard mais il avait misé sur le bon cheval.
19. Répartition ~
Pendant sa convalescence, Zaji fut informé de la raison précise pour laquelle il avait été contacté. Le groupe d'idéaliste qui l'avait contacté, ceux qui avaient frappé en Russie afin de se faire connaître sous le nom raccourci Way. Ce nom simplifié signifiait qu'ils ne dévieraient jamais de la voie qu'ils avaient choisi. Ayant suivi les actualités, il avait une vague idée bien que déformée par les médias des buts visés, en revanche il ne pouvait savoir si leur objectif final était bel et bien ce qu'ils prétendaient sans les rencontrer en face à face. C'est en parti pour cette raison qu'ils avaient besoin de lui. Frapper un grand coup d'une manière qui ne pouvait en rien leur bénéficier personnellement leur permettrait de surpasser toute désinformation possible, et, ils l'espéraient, mettraient la population sur le bon chemin. Zaji avait accepté de se consacrer au projet car il partageait ce point de vue, le groupe ne s'était pas trompé de personne. La chose était complexe mais réalisable sans la moindre effusion de sang. SFM était entré en contact avec Tchou et avait demandé à ce dernier de lui confier toute information utile, il n'avait pas été déçu. Il disposait désormais de suffisamment de preuves pour faire pression sur bons nombres d'hommes de pouvoir de par le monde entier. Cette mesure n'avait d'autre but que de forcer ces personnes à ne pas salir leur mouvement en créant des simulacres de revendications d'actions purement terroristes. Cela aurait pour effet de nuire à leur image, et si cela ne les dérangeait pas de manière directe, il en résulterait cependant une mauvaise interprétation du message qu'ils s'efforçaient de délivrer, ce qui était inacceptable. Outre la menace que les projets illégaux de ces décisionnaires soient révélés au grand jour, l'intimidation prévue était d'une ampleur plus vaste. Ils allaient devoir se répartir en quatre groupes.
Le premier resterait ici afin de garder les lieux, leurs compétences n'étaient pas primordiales lors de cette opération et ils avaient accepté bien qu'à regret l'attente angoissante du retour de leurs compagnons. Ce premier groupe était composé de Yoh, Thoner ainsi que de Radagast et Rabbit.Le second groupe avait pour tâche de mener à bien la partie technique de la frappe tandis que le troisième leur préparerait le terrain. Tous les autres étaient assignés au quatrième dont l'objectif était la phase d'intimidation. Lorsque chacun eut parfaitement assimilé la tâche qui lui était confiée, ils se mirent en route. La précaution avait été prise de modifier l'aspect de leur véhicule lors de chacune de leur sortie et le camion était désormais d'une couleur grisâtre et orné du logo d'une entreprise de plomberie locale. L'intérieur avait été revêtu d'un blindage. Lorsqu'ils atteignirent la première ville, le dernier groupe descendit afin de se disperser par le biais des transports publics, ainsi il serait impossible de les pister, leur point de rencontre se situant là où les autres allaient mener à bien leur tâche. Ils devraient cependant attendre pour cela de recevoir confirmation que leurs amis avaient menés à bien leurs actions. Shoriu gara le véhicule dans un coin tranquille, afin de permettre à l'équipe d'intimidation de se disperser. C'est ainsi que Majestic, Natsu, Elenwë, Sakey et Kakashi descendirent du véhicule, équipés pour ceux qui portaient une arme d'une apparente banale boîte à outils. Le revêtement intérieur avait été conçu par Ymmit afin que l'image renvoyée par le passage de vérification des bagages au rayon X renvoie l'image d'un contenu d'outils normaux, le double fond qui contenait leurs armes était complètement occulté. Cette image était une sorte de trompe l'oeil en deux dimensions qui suffiraient à tromper toute vérification. Elenwë quant à lui se déplaçait ouvertement, son arme et ses munitions contenues dans un étui normal. Zaji et SFM avaient réussi à lui obtenir un faux permis d'utilisation lors de compétitions sportives.
Shoriu se remit en route et les groupes deux et trois atteignirent leur destination. C'était un laboratoire militaire travaillant sur la technologie de pointe. Ils n'avaient rien de particulier contre eux mais cette base disposaient de deux choses primordiales à leur projet. Premièrement, Kakashi avait travaillé ici lors de sa carrière militaire et il avait pu fournir une description détaillée des lieux, grâce à laquelle Rabbit avait pu dessiner un plan précis du lieu ainsi que de l'emplacement des générateurs principaux ainsi que de ceux de secours. Et la batterie de supercalculateurs contenue à l'intérieur allait leur permettre de réaliser l'opération principale. N'ayant aucun besoin de discrétion, chacun sortit du groupe équipé d'un lourd sac à l'exception de Njio et de Shoriu qui allaient avoir besoin de toute leur mobilité. Dez était en rogne à l'idée qu'il ne participerait pas à l'offensive mais il transportait la majeure partie du matériel et personne d'autre n'était apte à porter une telle charge. Ils se mirent en place et attendirent confirmation du début de l'opération. Le temps allait leur paraître très long. Khain profita de la mise en place du bivouac pour ouvrir son paquetage, et arborant un sourire douteux il en sortit quelques bouteilles qui ne faisaient pas vraiment partie du matériel prévu. Après quelques remarques réprobatrices, ses compagnons cédèrent sur le point que maintenant qu'elles étaient là, autant ne pas les gaspiller, arguant du fait qu'ils allaient avoir besoin de tous leurs esprits pour agir d'ici quelques jours, elles devaient être vidées en un soir...
N'utilisant pas d'armes, Natsu et Majestic avaient été réciproquement assignés au continent Africain et Américain. Les trois autres allaient devoir sillonner l'Europe, la Russie et l'Extrême-Orient. Un tel écartement présentait un grand risque mais ils devaient frapper simultanément en plusieurs points sans quoi certaines têtes brûlées se penseraient à l'abri. Majestic avait confiance en ses hommes et était sûr de leur réussite, il se consacra ainsi à sa tâche. Il allait en premier lieu atterrir dans une petite ville du Quebec et utiliser les transports publics afin d'opérer et de parcourir le continent en se dirigeant vers le sud. Leurs actions s'étaleraient sur cinq jours. Il n'y avait pas de temps à perdre, mais les moyens qu'il allait devoir employer ne lui plaisaient pas vraiment. Malgré les siècles d'expérience qu'il avait et le contrôle de lui-même qui en découlait, il savait que trop de pouvoir faisait toujours dévier l'utilisateur de son but principal, la plus grande prudence s'imposait donc. Sa première victime était un gros entrepreneur local, mis à part quelques vigiles, sa maison n'était pas gardée, entrer serait un jeu d'enfant. Leurs cibles avaient été choisies par SFM en s'appuyant sur des noms que Tchou lui avait transmis. Ces personnages n'étaient pas des criminels à proprement parler, aussi ne comptaient-ils pas les tuer, mais on ne pouvait cependant dire que leurs affaires étaient blanches comme neige, ainsi une grosse peur leur ferait le plus grand bien. Ayant attendu la tombée de la nuit, Majestic entra dans le bâtiment par une fenêtre situé à l'arrière. Fermant les yeux il se concentra pour essayer de localiser les gens dans la maison, l'acuité de ses sens lui permit de distinguer un homme d'âge mur dans une des chambres à l'étage. Il s'y dirigea sans bruit. Entrant dans la pièce, il plaqua fermement la paume de sa main sur la bouche de l'individu afin de l'empêcher de crier. Il plaça la seconde sur la tempe gauche de l'homme et déclencha à contrecoeur le processus d'une réaction qu'il avait découverte au cours de ses expériences passées. Les yeux de son captif s'écartèrent et il se mit à hurler en silence. Celui-ci allait subir des visions effrayantes pendant plusieurs heures, aussi n'ayant plus besoin de rester sur place il relâcha son étreinte et s'en fut. Il s'apprêta à prendre en chasse sa seconde cible.
La répétition de leurs actes aurait dû mener à un arrêt complet des transports publics par mesure de sécurité mais les pressions qu'ils avaient maintenus leur avait permis de s'assurer que, craignant pour leur vie, personne n'assumerait de prendre cette mesure. À l'aube du second jour, Kakashi avait déjà fait passer le message à une vingtaine de politiciens douteux situés un peu partout en Espagne et en France. N'ayant pas besoin d'entrer dans les bâtiments pour mener son objectif à bien, il opérait en plein jour. Cela permettait de plus d'étaler leurs actions sur l'intégralité de la journée afin de donner plus de force à la menace sous-entendue. Il avait maintenant dépassé les frontières de l'Italie et avait atteint la destination de sa première cible locale, et entreprit de réassembler les pièces détachées de son arme, une fois encore. Il pointait celle-ci depuis une dizaine de minutes sur la fenêtre du bureau du maire lorsque l'occasion se présenta enfin. Celui-ci ressortait de réunion. Venant de s'asseoir il allait entamer une pile de paperasse lorsque Kakashi frappa. La première balle lui siffla près du visage, la seconde fit voler en éclat les papiers empilés, et enfin, profitant du fait que l'homme s'était jeté par terre, il tira une troisième fois sur le sommet du fauteuil, à l'endroit où se serait trouvé le coeur de l'homme s'il y avait été assis. L'alarme retentit alors, Kakashi désassembla son arme à la hâte et leva le camp.
Le manteau d'obscurité de la nuit allait fournir la discrétion nécessaire à Sakey pour agir. Qui plus est, il se sentait bien plus à l'aise en présence de la lune que du soleil. La fraicheur du temps de la Russie lui procurait un avantage certain. Peu de gens circulaient à cette époque de l'année et sa tâche en était grandement facilitée. La personne qu'il visait était assez jeune, mais quelques années à peine aux rennes d'un des secteurs de l'armement avait suffit à le corrompre et la Mafia locale lui avait fait des propositions, qu'il avait fait l'erreur d'accepter. Avec un peu de chance, outre son but principal cette petite correction le remettrait dans le droit chemin. Hors de son travail, l'individu menait une vie banale et était actuellement en train de se détendre. Apparemment, il avait une passion pour le volley, il avait congédié la femme de ménage et son garde du corps pour regarder le match en paix, un joli petit buffet d'amuse-gueule devant lui. Sakey se déplaça en louvoyant afin d'éviter les patrouilles et entra sans difficulté dans la demeure. Le garde était resté de l'autre côté de la porte, et il dut l'assommer silencieusement pour pouvoir entrer. Le volume de la télévision lui permis d'approcher sans être repéré. Il se glissa derrière le canapé où était avachi sa cible, et l'empêcha de crier en lui fourrant d'un geste sec un chiffon dans la bouche. Après quoi il plaça lentement son sabre sous la gorge du personnage, et attendit. Il ne prononça pas un mot, laissant s'écouler une dizaine de minutes qui semblèrent durer une éternité. Après quoi il quitta les lieux à toute vitesse. Le message était clair : Si nous le voulions, vous seriez mort.
Natsu procédait de la même façon que Sakey mais il n'avait pas l'habitude de prendre des gants et ne comptait rien faire pour y remédier. Lorsqu'il s'introduisait furtivement dans les lieux ciblés, il laissait derrière lui une piste parsemée de gens assommés. La cible principale avait droit à un traitement de faveur et se retrouvait bras et jambes désarticulés. L'opération était douloureuse mais Natsu avait eu la gentillesse de les assommer avant de procéder. Aucun dégâts physiques n'était encouru et le replacement des articulations était une tâche facile pour un médecin. Néanmoins l'expérience n'était pas des plus agréables. Cela faisait trois jours déjà qu'il faisait sauter des épaules et des hanches et curieusement, cela n'avait pas l'air de le lasser. Lui qui était habitué à boire régulièrement quelques petits verres d'alcool de riz chaque jour était frustré d'en avoir reçu l'interdiction. C'était certes mesquin, mais cela ne compromettait pas la mission et lui permettait de compenser une satisfaction par une autre. En ayant fini avec sa victime il prit la direction de la suivante, satisfait de la posture grotesque du dictateur qui s'était auto-proclamé président quelques mois auparavant, par la force militaire.
Malgré les menaces de répression, au bout du quatrième jour les choses commençaient à sentir mauvais et les gens ayant des choses à se reprocher avaient tendance à s'entourer un peu plus. Dans un sens, cela arrangeait Elenwë qui n'avait ainsi plus besoin de s'ennuyer à chercher ses cibles, celles-ci agitaient involontairement un drapeau les signalant par leur escorte. En revanche la tâche était un peu complexe car il devait atteindre ses cibles lorsqu'elles se trouvaient en extérieur, ceci toujours dans le but de montrer que peu importait les circonstances, il n'y avait aucun échappatoire. L'isolement, se cacher dans un bâtiment bien gardé, se réfugier dans la foule, rien de tout cela ne les mettrait à l'abri. Usant de son habituelle façon d'improviser une personnalité, il était cette fois là déguisé en troubadour. La personne qu'il suivait était un puissant industriel indien dans le secteur de l'informatique. Il faisait parti de ceux qui s'enrichissaient sur le dos des autres et Elenwë avait décidé de lui offrir un petit quelque chose en plus que ses précédents objectifs. Il avait jusque là systématiquement tiré une flèche émoussée, visant alternativement le cou, les tempes et le coeur de ses cibles afin de leur faire parvenir la même idée que ses collègues : Votre vie ne tient qu'à un fil. Il avait cette fois ci enduit la pointe arrondie de sa flèche d'un peu d'arsenic. La dose était loin d'être suffisante pour tuer mais promettait un mois agité sur le plan intestinal. En l'occurence, il attendait tranquillement que le bonhomme se manifeste, car il devait inaugurer l'ouverture d'une station d'épuration. L'hypocrisie de ce geste allait être dûment récompensée. Lorsque le ciseau découpa le ruban, on put entendre la vibration d'une cordelette et le sourire factice de l'homme face aux spectateurs allait bientôt être brisé, littéralement.
Au bout du cinquième jour, Njio reçut enfin le signal de la part de Majestic et un frisson d'excitation parcourut l'ensemble du groupe à cette annonce. Ils avaient eu tout le temps de relever précisément le mouvement des patrouilles qui gardaient le complexe militaire, et avaient planifié l'ordre de leur mise hors circuit pour ne pas déclencher d'alerte. Une valise capitonnée entièrement remplie de projectiles anesthésiant était ouverte. À côté étaient allongés Shoriu, Ymmit et Njio. Ils mirent hors service les patrouilles isolées à l'aide d'un trio de fusils à longue portée avant de finalement donner le signal à Khain qu'il était temps pour lui de faire quelques acrobaties. Il avait à la main droite une sorte de poing américain munie de petites pointes, insuffisantes pour causer de graves lésion mais tout à fait aptes à inoculer le narcotique dont elles étaient enduites. Darkgun et Alexyu qui était muni d'une trousse de premier soin le suivaient d'un peu plus loin, l'arme au poing en cas de problème. L'attaque se déroula dans une fluidité absolue. Les hommes tombaient les uns après les autres et les soldats assommés étaient traînés dans des recoins et des placards. Au bout d'une demi-heure, toute activité cessa. La zone étant sécurisée, le reste du groupe approcha et se mit à l'oeuvre. Ils firent sauter les générateurs afin de s'isoler du réseau électrique de la ville et commencèrent à assembler la batterie que transportait Dez. Ils disposaient d'une autonomie de trois heures en restreignant la distribution à l'éclairage et au matériel informatique. Une fois le tout mis en place, Zaji s'approcha du poste de commande principale et commença à infiltrer le système. Il avait modifié le virus qu'il avait récupéré sur son ancien ordinateur expérimental, celui-ci allait attaquer les informations contenues dans l'installation, focalisant toutes les défenses sur le programme. Les données que recelaient dans les supercalculateurs ne les intéressaient pas, seule leur puissance de travail était nécessaire. SFM et Alexyu entraient sur des postes auxiliaires les divers numéros de compte bancaire des gens impliqués dans l'affaire qui avait faillit couter la vie à Zaji. Beaucoup étaient sous de fausses identités, placés dans des paradis fiscaux. Tchou les leur avait tous fournis et Zaji avait passé les semaines précédant l'attaque à en percer l'accès, il n'avait toutefois rien modifié afin de ne pas semer le doute. Il disposait maintenant d'un réseau informatique puissant pour opérer de façon suffisamment rapide pour que tout soit finit avant que quiconque ne remarque ce qui se passait. Une fois que l'opération serait finie, il serait impossible de revenir en arrière. Car pour cette éventualité les individus impliqués devraient révéler leurs actions illégales au grand jour, ce qu'ils ne feraient de toute évidence pas.
Tous les numéros de comptes avaient été entrés ainsi que leurs identifiants d'accès. Il ne restait plus qu'à déclencher le transfert simultané d'une partie de cet argent vers l'intégralité des comptes bancaires mondiaux sous le seuil de 2000$, l'autre partie étant répartie sur les fonds de groupes d'interventions bénévoles dans le monde entier. L'opération ne durerait que quelques minutes et lorsque la nouvelle se répandrait, cela allait faire du bruit. Zaji déclencha l'opération et verrouilla le système, ils allaient lever le camp lorsqu'ils reçurent un appel radio de Njio :
- « Foutez le camp ! Un contingent de soldats arrive, ils viennent de se déployer autour du bâtiment, essayez de sortir par le couloir Est, passez en force, nous vous couvrirons. »
À peine venaient-ils d'entendre ça qu'une porte de la pièce sauta, les soldats avaient apparemment reçu pour ordre d'ouvrir le feu. Pendant qu'ils prenaient la fuite, Darkgun reçut une balle dans l'omoplate droite en voulant dégoupiller une grenade lacrymogène. Khain l'empoigna rapidement et ils coururent, couverts par le rideau de fumée. Ils avaient atteint la sortie, Shoriu avait repris le volant et les attendait, ils grimpèrent à l'arrière du camion sous le feu des autres soldats que Njio et Ymmit tentaient d'abattre malgré le nombre. Aussitôt qu'ils furent à l'intérieur, Alexyu déchira le gilet de Darkgun afin de le soigner, mais à peine avait-il posé les mains dessus que son visage se voila. Il était inondé de sang, le tir avait touché une artère. Il tenta le tout pour le tout et utilisa un petit chalumeau pour tenter de cautériser brutalement la plaie. Mais il avait perdu trop de sang et lorsqu'il eut bandé l'épaule afin d'éviter que la brulure ne s'infecte mortellement. Il ne respirait plus, et son coeur s'était arrêté. Alexyu essaya de le réanimer mais sans succès, DarkGun était mort. Le groupe avait accompli ce pourquoi il était venu mais il l'avait payé cher et la satisfaction n'était pas au rendez-vous. Ils mirent le cap sur le point de rencontre en passant par des chemins détournés afin d'éviter tous barrages. L'appréhension de devoir annoncer la mort de leur camarade pesait sur eux.
20. Racines
Un enième détournement. Depuis quelques semaines, les dénommés Inglorious avaient fait preuve de beaucoup trop d'audace à son gout et Tajuu ne parvenait plus à masquer leurs opérations financières. Cela faisait plusieurs mois déjà qu'il avait aperçu que ces derniers se servaient des réseaux économiques pour détruire certaines structures qu'ils jugeaient malsaines. Dans un premier temps, Tajuu s'était amusé à brouiller les pistes, plus par mesquinnerie qu'autre chose en fait. Depuis des années qu'il travaillait dans ce milieu, il avait toujours été frustré de voir que ses employeurs ne l'écoutaient pas lorsqu'il disait que le système actuel était instable et que n'importe qui doté de bonnes connaissances dans le domaine pouvait tout déstabiliser. Il avait souvent voulu le prouver mais n'avait jamais trouvé de moyen intéressant de le faire. Bien qu'accroché à l'idée de prouver quelque chose lorsqu'il l'avait décidé, Tajuu ne tenait pas à finir en prison et ne voulait pas détourner trop de crédit vers lui-même.
C'est alors qu'étaient publiquement apparu l'organisme qui s'était lui même nommé Inglorious Ways. Il fut facile et rapide pour Tajuu d'analyser les opérations bancaires coïncidant avec leurs principes. Il entreprit alors de les couvrir, de les amplifier, et parfois même de les développer. Il était assez satisfait de la situation car, il avait pu par ce moyen là, prouver que l'ennui d'un seul employé pouvait mener à la protection de terroristes et à la destruction de plusieurs compagnies louches qui n'auraient pas été inquiété si cet homme avait à la place pris six mois de vacances. La vie était un vrai jeu de hasard.
Seulement, Tajuu avait commencé depuis quelques temps à se sentir grisé par sa nouvelle activité. Il n'avait jamais été un homme ni foncièrement bon ni mauvais, convaincu que s'il ne débordait dans aucune direction, il pourrait vivre sa vie en paix, sans être ennuyé pour d'éventuels méfaits, ni être harcelé afin de porter son aide. Mais le fait de pouvoir se coucher en se disant que grace à son aide, des gens auraient la vie sauve, des vies ne seraient pas détruites, lui apportaient une satisfaction qui l'étonnait. Après tout, il ne trouvait pas logique d'éprouver la moindre empathie envers des gens qu'il ne connaissait pas. Qui plus est, ce plaisir-ci était moins glorieux et encore plus difficile à assumer, mais Tajuu se réjouissait du fait que par ses interventions, il achevait de pousser des gens qu'il méprisait au fond du précipice. Ce mélange de joie sauvage de la punition et de soulagement était assez anormal, mais il en tirait un certain plaisir. Et voilà que tout cela menaçait de disparaître, depuis trois ans déjà le groupuscule Inglorious sévissait et une réaction majeure était en train de s'articuler. Plusieurs corporations étaient en train de fusionner leurs fonds. Ce n'était pas là quelque chose d'inhabituel, excepté le fait que les crédits venaient pour la plupart de sociétés pare-feu à des activités illégales. Ceci en revanche était anormal, car habituellement ce genre de business ne s'engraissait pas par la fusion volontaire mais par l'assimilation des plus faibles. Ce genre d'individus ne s'alliaient que lorsqu'ils partageaient un intérêt qui ne pouvait être risqué par le goût d'un profit supérieur en trahissant ses alliés au dernier moment.
Tirallié, Tajuu finit par prendre sa décision au bout de quelques jours.
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Dans la base des Inglorious, l'humeur était à la fête. Ils avaient réussi un coup magnifique, qui avait nécessité des mois de patience. Dans leurs laboratoires, un isotope avait été créé et aposé sur les contenus des coffres de saisie de la police. Bijoux volés, drogues, armes se comptaient par tonnes et leur réinsertion illégale dans le commerce ne faisait pas de doute, néanmoins la protection mutuelle de la part des corrompus rendait impossible toute poursuite. La chose était différente néanmoins car le laboratoire regorgeait maintenant de clichés photographiques des biens saisis, et la clef de détection de la fréquence émise par l'isotope allait être dévoilée. Plus personne ne pourrait couvrir qui que ce soit car les flagrants délits allaient tomber simultanément, car l'isotope laissait une trace claire du chemin qu'il avait suivi. Un code de reconnaissance différent avait été attribué à chacun, si bien que l'on pouvait même cartographiquer le trajet des produits depuis le coffre, permettant d'inculper les intermédiaires et de discerner les coupables des victimes. Il serait donc impossible de se cacher derrière un bouc émissaire. Une épuration complète des services policiers, épine dorsale théorique de la Justice dans le monde allait créer un chamboulement, le manque de personnel allait pousser à renouveler et la peur de se faire prendre empêcherait tout engagement pour le profit. Bien sûr la peur n'était pas le moteur de conviction idéal, néanmoins cela changerait avec le temps lorsque les idéaux avancés se seraient gravés.
Deux abrutis étaient en train de relever le défi d'ouvrir des bouteilles sans les casser à coup d'épée tandis qu'un autre testait la résistance à l'alcool de l'ours, et le but n'en était pas vraiment scientifique. C'est à ce moment là que les membres qui étaient de gardes malgré leurs protestation en vue de la fête, arrivèrent avec un individu dont les yeux avaient été bandés. L'individu affirma s'appeller Tajuu et leur disait de fuir les lieux aussi vite que possible. Il allait continuer son explication lorsqu'une explosion retentit, suivie bientôt par d'autres. La chaleur montait lorsque le groupe sortit de la grotte pour voir qu'ils étaient encerclés par les flammes. Ils se dirigèrent vers l'intérieur de la grotte et en fermèrent les accès, s'armèrent et attendirent la suite des évènements, qui ne devait jamais venir. Dehors, une bombe à neutron fut déclenchée et le dernier souvenir que devaient avoir chacun fut la sensation de bouillir de l'intérieur. Quelques heures plus tard lorsque les ondes se furent dissiper, un groupe d'intervention commença à attaquer le s.a.s et entreprirent d'entrer. Lorsque la porte céda, une première équipe entra afin de procéder au ramassage des dépouilles. Au bout de deux douzaines de minutes, le contact radio fut perdu et la tension monta au sein du groupe d'intervention. Les terroristes qu'ils étaient venus capturer étaient morts mais des pièges devaient être présents, il allait falloir faire preuve de prudence. Au bout d'une heure, un second groupe s'apprêtait à entrer lorsqu'une explosion retentit quelques mètres plus loin. Un pan du pied de la falaise avait volé en éclat et le trou donnait accès à l'intérieur de la base. Une longue trace de sang était au sol et le groupe d'intervention se sépara, une partie d'entre eux entreprirent d'explorer la grotte tandis que les autres suivirent les tâches de sang. Dans le repaire, les corps furent rassemblés, tous les membres de la première équipe étaient la, ainsi que tous ceux des terroristes sauf un. L'état des corps était anormal, il ne subsistait que la peau et les os. Cela ne ressemblait pas à une décomposition avancée ni même aux effets normaux d'une bombe à neutron, qui plus est les soldats envoyés une heure auparavant étaient eux aussi atteints. Quelques heures plus tard, le groupe extérieur avait finalement trouvé le « corps » du dernier membre. Un tas de poussière était répandu au milieu d'un cercle parfait d'une dizaine de mètres ou toute végétation avait disparu, la terre était desseché et l'air était glacé, vidé de toute substance. Enfouie sous la cendre, une pomme était en train de pousser lentement, gorgée d'énergie et de volonté.
Le lendemain, les journaux faisaient état de l'échec d'une organisation terroriste à obtenir la bombe atomique, ces derniers avaient tenté d'en assembler une et dans leur échec, un parc protégé entier avait été vaporisé, des centaines de soldats étaient morts pendant l'intervention et bien entendu, cela devait servir de leçon quant à la nécessité de limiter la possession de ces armes.
Au centre de l'ancien parc, un cercle de granit s'était formé, et au sein même du sol, un arbre poussait à contresens. Un pommier, né d'un fruit chargé de vie, et de vies. Chacune de ses branches n'avaient formé qu'un seul fruit, et malgré leur ressemblance, chacun rayonnait d'une aura, presque d'une personnalité différente. Seize fruits était la, attendant l'heure de leur renaissance.
Commentaires
#9
de chepito25
le 31/03/2013
Jolie mais jai pas les couilles de la lire ;)
#8
de $imm0rTeL$
le 24/07/2012
pouaaah long a lire mais c'est cool comme histoire ! bien joué !
#7
de Full-Knignt
le 12/06/2012
Ouyoi c'est toi qui a écris sa tes pas s'érieu 0_0
#6
de Hiitsu
le 30/04/2012
Oo Long pas le courage de lire
#5
de kazuka
le 14/04/2012
la classe :)
j'aimerais avoir une histoire comme sa ;)
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